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22/01/2015

Charlie Hebdo : Vallaud-Belkacem ne veut pas entendre les questions des élèves

 

Par Guillaume Liégard | 17 janvier 2015        

 

Pour la ministre de l’Éducation nationale, certaines questions sont « insupportables » de la part des élèves. L’aveu d’une conception autoritaire de la liberté d’expression, et de la vacuité du discours de nos élites politiques face aux enjeux de la période.

      
 

L’attentat contre Charlie Hebdo, la minute de silence dans les écoles, les dérapages réels ou supposés d’élèves ont alimenté un sombre débat depuis le 7 janvier. C’est dans ce contexte que la ministre de l’Éducation nationale a tenu des propos sidérants à l’Assemblée nationale, mercredi 14 janvier, lors des questions au gouvernement. De Manille, le pape n’a pas non plus manqué de s’inviter dans le débat.

Attentat à l’esprit critique

Par décision du président de la République, le jeudi 8 janvier a été décrété "jour de deuil national" et une circulaire du premier ministre en a précisé les modalités : drapeaux en berne et demande aux administrations d’organiser « un moment de recueillement permettant aux agents des services publics de s’associer à cet hommage ». Ce recueillement sous forme d’une minute de silence observée dans les établissements scolaires a parfois suscité des interrogations, des remous, voire un rejet.

Depuis, une polémique enfle sur l’ampleur du phénomène. Le 13 janvier l’eurodéputé UMP, Philippe Juvin, accuse le ministère de l’Éducation nationale de « sous estimer grossièrement » les incidents et de « trucage des chiffres ». Le même jour Nathalie Saint-Cricq qui dirige le service politique sur France 2 déclare : « Il faut repérer et traiter ceux qui ne sont pas Charlie. » De son côté, Éric Ciotti rajoute une louche, en twittant : « Il faut pouvoir supprimer les allocations familiales aux parents des élèves qui n’ont pas respecté la minute de silence. »

C’est dans ce contexte que la ministre de l’Éducation nationale a été interrogée à l’Assemblée lors de la séance des questions au gouvernement. Najat Vallaud-Belkacem a ainsi déclaré : « Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les "Oui je soutiens Charlie, mais", les "deux poids, deux mesures", les "pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?" Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs » (voir la vidéo de l’intervention). Parce qu’ils émanent de la représentante de l’institution scolaire, les mots sont presque incroyables, véritable attentat à l’esprit critique, à la pédagogie. On savait les enseignants bien seuls, mais à ce point !

Sois pour la liberté d’expression et tais-toi

« Trop nombreux questionnements », « questions insupportables », les mots sont lâchés. Ainsi, pour défendre la liberté d’expression, il faudrait commencer par interdire les questions ? Une forme d’oxymore moderne : je t’ordonne d’être pour la liberté d’expression. Bien sûr, certains propos ont été, parfois, difficiles à entendre par le corps enseignant. Des dérapages ont bien eu lieu, complaisamment rapportés par la presse, quand elle ne les a pas suscités en rôdant devant certains lycées pour sélectionner l’intervention la plus croustillante. Mais s’agissant de collégiens de onze à quinze ans ou de lycéens adolescents, il faut être capable de faire le tri entre méconnaissance, provocation gratuite et désaccords. Et quand bien même il y aurait des désaccords, il faudrait en discuter, argumenter.

Lorsque le pape, de Manille, s’invite dans le débat en déclarant que si le droit d’expression est un « droit fondamental » on ne peut pas « insulter » la foi d’autrui, c’est une limite sérieuse au droit de caricature. Qui s’en émeut ? Et quand il ajoute « Si un grand ami parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing, et c’est normal. On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision ! », c’est une manière de dire, quand même, ils l’ont un peu cherché. Où est le tollé ? On est pourtant assez proche de ce que pensent nombre d’élèves croyants (quelle que soit la croyance) qui n’admettent pas la critique des religions.

Alors oui, il faut défendre la liberté d’expression, de caricature et dire que le délit de blasphème ne doit pas exister, mais cela ne peut venir que d’un débat. Lorsque le Conseil représentatif du culte musulman (CRCM) Alsace indique dans un communiqué qu’il « souhaite l’extension à tout le territoire national » du délit de blasphème qui figure dans le concordat d’Alsace Moselle (lire ici), il rappelle aussi que trois départements français échappent à la séparation entre l’Église et l’État.

On n’impose pas des valeurs

Laïcité, valeurs de la République et « l’école, qui est chargée de transmettre ces valeurs » : difficile de ne pas avoir entendu quelques morceaux de bravoure républicaine ces jours-ci. Mais des valeurs, on les partage, on y adhère, on ne les impose pas par un acte d’autorité. Cela suppose au contraire échanges, confrontations et questions. « J’ai raison parce que je suis l’institution » n’est pas seulement impraticable dans la France du XXIe siècle, c’est une conception dangereuse qui remplace le dialogue, la conviction par l’obéissance et le dressage. Et qui peut prétendre que l’autorité reconnue serait l’autorité civile plutôt que religieuse ou autre ?

Former des citoyens, c’est offrir les éléments de jugement pour un esprit critique qui ne prend pas pour argent comptant tout ce qui se dit ou s’écrit. Combattre les thèses complotistes invraisemblables qui se répandent parfois comme une traînée de poudre suppose des individus attachés à un raisonnement rationnel. Et puis il ne suffit pas de rappeler la devise "Liberté, Egalité, Fraternité", d’en appeler au roman national. C’est en réalité presque indécent quand, depuis des années, chacun de ces mots est foulé aux pieds par ceux-là même qui s’en gargarisent aujourd’hui. Les libertés se restreignent au nom de la sécurité, les inégalités s’envolent et des populations sont stigmatisées pour leur religion ou leur couleur de peau, voilà la réalité. L’incroyable fossé qui existe entre certains discours officiels et la réalité quotidienne des pratiques politiques n’est pas pour rien dans la perte de légitimité de toutes les institutions.

Les phrases de Najat Vallaud-Belkacem ne sont pas un malheureux dérapage dans un contexte difficile, mais le symptôme d’un vide profond des élites politiques. Elles ont un tel souci de coller à ce qu’elles s’imaginent être l’état de l’opinion qu’elles en viennent à énoncer ce type d’aberrations. Leur discours sur les valeurs est tellement creux, tellement désincarné par rapport à la situation réelle qu’ils construisent tous les jours, qu’ils ne savent plus à quoi se raccrocher – si ce n’est aux figures de l’ordre et de l’autorité. Cet état d’esprit, s’il devait perdurer, serait le prélude à de nouvelles régressions de tous ordres. Le climat de peur entretenu contre un "ennemi de l’intérieur" ne peut que nourrir ceux qui portent un projet politique raciste.

Source : http://www.regards.fr/web/article/charlie-hebdo-vallaud-belkacem-ne

 

 

 

Dérive sécuritaire : des voix s'élèvent pour dire NON

 

Le Lot en Action, par Bluboux, mis en ligne le 22 janvier 2015

image: http://www.lelotenaction.org/medias/images/liberte-d-expression.jpg

Liberte d expressionFace à la multiplication des procédures pour apologie du terrorisme et la sévérité des peines prononcées depuis les attentats parisiens, des voix s’élèvent pour dénoncer une dérive répressive de la justice dictée par l’urgence et l’émotion. Dérive inquiétante qui, à l'image de la médecine voulue par l'industrie pharmaceutique, soigne les symptômes et ignore les raisons du mal.

 

Le délit d'apologie du terrorisme peut être puni d'une peine allant jusqu'à cinq ans de prison et 75.000 euros d'amende, mais cette peine peut être portée jusqu'à sept ans et 100.000 euros si les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne. C'est ce que prévoit la récente loi (adoptée en novembre 2014) contre le terrorisme (1).

Or les procédures se multiplient depuis le 7 janvier, à l'instar de cet homme de 31 ans qui, ivre, avait insulté des policiers, promis de les « fumer à la kalachnikov » et cautionné l'un des meurtres de policiers des frères Kouachi et a été condamné à Paris, où il paraissait en comparution immédiate, à dix mois de prison ferme. A Valenciennes, un homme a pris 4 ans de prison pour avoir menacé verbalement des policiers d'être « les prochains sur la liste... ». A Toulouse, ce sont trois hommes qui ont été condamnés et emprisonnés dans la foulée pour avoir clamé sur la voie publique leur solidarité avec les terroristes qui ont tué 17 personnes.
La Chancellerie a communiqué à l'AFP, le 20 janvier, un nouvel état des lieux : « 251 procédures pénales ont été diligentées depuis l'attentat contre Charlie Hebdo », le 7 janvier, « dont 117 pour apologie du terrorisme et provocation à la haine ou violences en raison d'une race ou d'une religion ». Sur l'ensemble des faits, « 77 personnes ont été jugées en comparution immédiate et 39 condamnations ont été prononcées dont 28 à des peines de prison ferme dont 20 avec un mandat de dépôt (incarcération) à l'audience. 22 autres sont convoquées devant le tribunal correctionnel ».

 

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Armee dans les ruesFace à cette dérive sécuritaire qui conduit à emprisonner des citoyens pour « des mots », les réactions se multiplient. Le Syndicat des avocats de France, par l’intermédiaire de son président Jacques Gandini, déclarait le 20 janvier (2) « Il faut faire attention à ne pas agir sous le coup de la tension et de l’émotion », s'inquiétant « des peines de prison ferme prononcées pour de simples dérapages verbaux ».

 

Amnesty International s'insurge également : « Les États sont tenus (...) d’interdire tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse (...) Mais les infractions définies de manière vague, comme celle d'apologie du terrorisme, risquent de criminaliser des propos ou diverses formes d’expression qui, tout en étant indéniablement choquants pour de nombreuses personnes, ne vont pas jusqu’à constituer une incitation à la violence ou à la discrimination (…) La liberté d’expression ne doit pas être réservée à certains. La façon dont les autorités françaises réagissent à la suite de ces assassinats constitue un test décisif de leur volonté de faire respecter les mêmes droits pour tous».

 

 

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Syndicat de la magistrature 1Le Syndicat de la magistrature dénonce, dans un communiqué de presse, cette multiplication des procédures pour apologie du terrorisme, préconisée par Christiane Taubira dans une circulaire transmise aux parquets le 12 janvier.

 

« C’est plus que jamais lorsque l’effroi nous saisit et bouscule tous les repères que la justice doit faire preuve de sérénité et résister à la vague de l’émotion. »

Las, la ministre de la Justice a fait le choix d’entonner le discours de l’intransigeance de principe et d’enfermer les tribunaux dans la justice de l’urgence. Des consignes diffusées le 12 janvier soumettent les magistrats du parquet à des injonctions contradictoires de « systématisme » et « d’individualisation », de « pédagogie » et « d’application ferme de la loi », dont seul l’appel à la répression paraît être entendu, comme il fallait naturellement le craindre.

C’est ainsi que depuis quelques jours s’enchaînent les procédures expédiées, où l’on a examiné et jugé le contexte, à peine les circonstances des faits, si peu l’homme, poursuivi pour avoir fait l’apologie du terrorisme. Non pas pour avoir organisé une manifestation de soutien aux auteurs des attentats, élaboré et diffusé à grande échelle des argumentaires, pris part à des réseaux, mais pour des vociférations, lancées sous le coup de l’ivresse ou de l’emportement : en fait, des formes tristement actualisées de l’outrage. Les lourdes condamnations pleuvent, assorties d’incarcérations à l’audience.

Telle est la désastreuse justice produite par le recours à la comparution immédiate dont la loi du 13 novembre 2014 a fait une nouvelle arme de lutte contre le terrorisme.

Comme si la justice pénale, devenue l’exutoire de la condamnation morale, pouvait faire l’économie d’un discernement plus que jamais nécessaire en ces temps troublés.
Comme si certains de ses acteurs avaient brutalement oublié qu’elle doit être rendue avec recul, sur la base d’enquêtes approfondies, en se gardant des amalgames - entretenus jusque dans cette circulaire, qui englobe violences urbaines et apologie du terrorisme - et, surtout, des réactions hystérisées qui la délégitiment et la société avec elle.

Pourtant, loin de tirer les conséquences de ces condamnations aveugles et démesurées, d’interroger leur effet sur ceux qui, ainsi labellisés « terroristes », en retirent surtout la certitude légitime de l’injustice, la ministre surenchérit. Elle annonce sa volonté de modifier le régime juridique des insultes et de la diffamation, qui pourront également être poursuivies en comparution immédiate dès lors qu’elles comportent un caractère raciste, antisémite ou homophobe.

S’il est légitime que la République condamne clairement le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie, la répression la plus dure de leurs manifestations les moins construites est un aveu de faiblesse inutile et dangereux. Et une société qui, par millions, descend dans la rue proclamer son attachement à la liberté d’expression ne peut, sans se contredire, emprisonner sur l’heure celui qui profère des mots hostiles à la loi qui affirme ses valeurs. »

 

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Manipulation 3Les inquiétudes face à cette dérive sécuritaires sont renforcées par l'indignation sélective et l'utilisation politique de l'attentat contre Charlie. L’expression « notre 11 septembre à nous », afin de justifier une politique sécuritaire et militaire qui bat déjà son plein et qui risque d’empirer, au nom de la lutte contre le terrorisme, l’opposition des termes « civilisation » et « barbarie », l’expression récurrente du mot « guerre », la justification a posteriori des interventions militaires françaises dans le Sahel et au Proche-Orient, sont autant de dérives qui se sont manifestées en ce triste mois de janvier.

 

La multiplication des interventions militaires françaises, au nom de la lutte contre le terrorisme (idéologie forgée par les néoconservateurs américains), un contrôle migratoire de plus en plus dur, une politique fondée sur une économie libérale (avec des conséquences sur les budgets sociaux, l’éducation), doivent nous alerter : le gouvernement actuel et ceux qui l’ont précédé, ainsi que les faiseurs d’opinion qui défendent cette politique contribuent à générer des vocations de terroristes qu’ils disent pourtant combattre. Mais l'existence de ces terroristes ne justifierait-elle pas l'ensemble de ces lois liberticides, dont la finalité réelle se situerait peut-être ailleurs ? L'amalgame systématique entre une supposée « théorie du complot » n'est-elle pas de même nature que celle qui voudrait stigmatiser comme terroristes toutes contestations, de quelques bords qu'elles viendraient et qu'elles qu'en soient les motivations ? N'oublions pas que toute société totalitaire a besoin d'un ennemi bouc émissaire.

 

image: http://www.lelotenaction.org/medias/images/l-ignorance-tue.jpg?fx=r_550_550

L ignorance tueCette alerte doit nous amener à ouvrir un débat complexe et exigeant qui ne peut se satisfaire des nombreux raccourcis entendus ces derniers jours. Depuis trop longtemps, tous les leaders politiques qui se prévalent des « valeurs républicaines » fuient les vrais débats sur la laïcité, sur la ghettoïsation d'une part grandissante de la population française, sur l'explosion des inégalités et de la pauvreté en France et dans le monde, qui ont toutes une origine commune : celle de l'accaparement des richesses par une toute petite minorité (3).

 

Cette alerte doit également nous amener à nous questionner sur cette absence de débat sur des sujets aussi essentiels (et la gauche tout entière porte une responsabilité singulière dans cette défaillance, qui ne peut être mise uniquement sur le compte de la couardise ou du calcul politicien). Les similitudes avec la situation que connaissait le monde dans les années 30 sont effrayantes. La crise engendrée par l'effondrement des banques en 2008 est comparable à celle de 29 en termes de coûts sociaux et économiques (4). La montée du fascisme également, les mêmes causes produisant les mêmes effets… Et la cohorte impressionnante de lois sécuritaires et liberticides adoptée depuis 2008 devrait nous amener à réfléchir. Si un gouvernement d'extrême droite devait être élu en France, ce qui, vous en conviendrez, n'est plus du tout dans le domaine de l'improbable, même sans une réelle majorité à l'assemblée nationale (donc une coalition entre les futurs députés du FN et ceux de l'UMP qui s'y allieront), nous serions en « démocrature ». Un autre parallèle avec les années 30, janvier 1933 plus précisément, qui voyait Hitler accéder au poste de Chancelier du Reich après les élections de mai 1932...

Si les millions de Français descendus dans la rue, en ce mois de janvier pour témoigner leur émotion, s'emparaient tout aussi spectaculairement de ces débats, nous pourrions probablement limiter là cette comparaison avec les années trente.

 

Notes

(1) La « provocation » ou « l’apologie » d’un acte terroriste étaient déjà des infractions en France mais, depuis la loi de novembre 2014, ces faits ne sont plus réprimés par la loi sur la liberté de la presse, mais par le Code pénal. Cela permet aux autorités d’accélérer la procédure, ce qui s’est produit pour plusieurs des affaires récentes. 

(2) Entretien dans Libération du 20 janvier : http://bit.ly/1xwG5Hg

(3) Voir l'article sur le rapport de l'Oxfam concernant les inégalités, en page 19

(4) dont le coût total pour la France est estimé à près de 1 100 milliards d'euros, 1,5 millions de chômeurs et une dette passée de 64,2 % du PIB fin 2007 à 95,2 % en 2014 (chiffres INSEE). Voir à ce sujet l'article sur Atlantico, « ce que nous a vraiment coûté la grande crise de 2008 en 9 graphiques » : http://bit.ly/1CzZ9aH

(Enfin) Une vision positive de l’enfant

 

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Cet article est involontairement d’une actualité bouleversante.
Ce mercredi 7 janvier, le siège du journal satirique Charlie Hebdo a été attaqué à l’arme de guerre. La rédaction a été décimée.
Puisse cet article contribuer à la réflexion sur la violence et la haine en y apportant des propositions bienveillantes et altruistes.

Oui, la nature humaine est bonne ! d’Olivier Maurel est un livre qui (re)donne la gniaque !
Grand classique de l’éducation bienveillante, cet ouvrage se penche sur la source de la violence humaine et va à contre-courant de l’idée selon laquelle cette violence serait innée, gravée dans nos gènes, notre nature, notre espèce.

Olivier Maurel, admirateur et diffuseur des idées d’Alice Miller est président de l’Observatoire de la violence éducative ordinaire. Tous ses livres (que je vous recommande !) portent sur la violence et ses causes.

La violence éducative ordinaire, origine et répercussions

Tout le monde en France s’accorde à dénoncer les châtiments corporels faits aux enfants. Mais étonnamment, cette mise au pilori est accompagnée d’une indifférence toute aussi généralisée concernant la violence éducative ordinaire.

La violence éducative ordinaire ce sont les gifles, les fessées, les « petites » tapes sur les mains, la tête, l’arrière-train… C’est aussi la violence psychologique : le mépris, la dévalorisation, l’exclusion, l’indifférence des adultes vis-à-vis des enfants.

«Un sondage SOFRES réalisé en France en janvier 1999 pour l’association Eduquer sans frapper nous apprend que 84% des personnes interrogées donnent des coups à leurs enfants (33% en donnent rarement, 51% en donnent souvent).»

Cette situation n’est pas spécifique à la France. Olivier Maurel nous apprend que 80 à 90% des enfants dans le monde ont reçu des coups de leurs parents ou de leurs enseignants, grands-parents, éducateurs… bref des adultes représentant la base de sécurité de l’enfant.

Nous avons donc (presque) tous subi une forme de violence dans notre éducation (et la moitié d’entre nous de façon régulière !), et ce, à une période de notre vie où notre cerveau est en plein développement et en construction.

Or, la violence éducative ordinaire est une forme de maltraitance. Et c’est un des objectifs de ce livre de démontrer pourquoi.

Effets de la violence éducative

«Il semble cependant qu’on puisse dire qu’appartiennent spécifiquement
aux conséquences de la violence éducative :

  • l’apprentissage des gestes de la violence ;
  • la valorisation de cette forme particulière de violence qu’est la violence éducative ;
  • l’indifférence au spectacle de la violence éducative considérée comme normale ;
  • l’ignorance, l’oubli, le silence, la cécité par rapport à la violence éducative ;
  • le stress provoqué par les coups ou la peur des coups ;
  • l’apprentissage du mépris des enfants, corollaire du fait qu’on a le droit de les frapper comme s’ils étaient des êtres inférieurs ;
  • et bien sûr, les effets physiologiques spécifiques de la violence éducative […] ;»

A partir de travaux de recherche en sociologie (Alice Miller), neurosciences (Antonio Damasio), philosophie (Emmanuel Todd) et même primatologie (le travail de Frans de Waal sur les grands singes), l’auteur établit les effets de la violence éducative sur les victimes et analyse ses conséquences politiques, économiques et sociales. C’est passionnant !

D’où vient la violence éducative ordinaire ?

Le plus gros problème de la violence éducative est qu’elle se nourrit d’elle-même.
Parce qu’on a facilement tendance à reproduire (au moins en partie) le modèle d’éducation que l’on a reçu, parce que l’on a tendance à minimiser la portée des coups reçus (le fameux « J’ai reçu des fessées et j’en suis pas mort-e »), parce qu’il est difficile de porter un regard critique sur ses parents, parce que aussi on ne sait pas comment faire autrement.

Ainsi les nombreuses études démontrant la nature intrinsèque de la violence humaine sont biaisées, car elles ne tiennent pas compte du fait que leur sujet d’étude (les Hommes) sont eux-mêmes conditionnés à cette violence de par leur éducation.

Nous sommes comparables à des sexologues qui vivraient dans une population composée uniquement de femmes excisées et infibulées, et qui considéreraient les conséquences de cette particularité comme naturelles. Quelle confiance pourrait-on faire à leur connaissance de la sexualité humaine ?

Réhabilitation de l’enfant

Olivier Maurel va à l’encontre de l’idée largement répandue selon laquelle l’Homme (et donc l’enfant) est fondamentalement mauvais et que c’est l’éducation/la société/la civilisation qui peut le rendre bon.
Il retrace l’historique de cette conception pessimiste, diffusée depuis des millénaires par les religions (le pêché originel), la psychanalyse (« l’enfant est un pervers polymorphe » et la théorie des pulsions) et la sagesse populaire (« Qui aime bien, châtie bien »).
Au contraire, l’empathie, la sociabilité et la solidarité sont des valeurs fortement ancrées en nous et qui nous ont permis de survivre et d’évoluer tout au long de notre histoire.

Et si on était tous bienveillants ?

L’exemple des 400 « Justes parmi les nations » est pour cela édifiant. Samuel et Pearl Oliner ont étudié l’enfance et l’éducation qu’ont reçu ces hommes et ces femmes qui, au péril de leur vie et sans l’espoir de la moindre récompense, ont sauvé la vie de leurs congénères désignés par la pensée dominante comme sous-hommes.
Il s’avère que tous ces Justes, absolument tous, ont vécu dans un climat familial aimant et respectueux, et ont eu une éducation non autoritaire et non répressive. Ils expliquent d’ailleurs leur choix comme « étant naturel », « allant de soi ». Leur altruisme est instinctif.

A l’inverse, tous les grands dictateurs de l’Histoire ont subi durant leur enfance des violences extrêmes de la part de leurs parents.

«L’enfant n’est pas partagé entre le bien et le mal. Il est tout entier positivité, volonté de vivre et de vivre avec. […] Avoir le choix entre respecter les autres et soi-même, ou leur nuire, c’est en fait avoir le choix entre être soi-même ou se renier.»

L’éducation bienveillante n’est donc pas seulement bénéfique dans la relation parent-enfant, elle est aussi LA solution à la violence de nos sociétés. Nous devons faire confiance à nos enfants et les laisser grandir en les accompagnant et en leur permettant de s’exprimer pleinement plutôt qu’en les contraignant et en les dirigeant. C’est à cette condition que nous aurons des sociétés plus justes, plus égalitaires et plus heureuses.

En conclusion

Malgré quelques redites et des citations parfois surprenantes (j’ai du mal avec les sources du type « un reportage de TF1 nous apprend que…. »), ce livre reste un document quasi exhaustif à lire absolument.
Olivier Maurel ne juge pas, n’accuse pas, mais dévoile les mécanismes historiques, sociologiques, culturels et sociétaux qui font que la violence éducative est malheureusement la norme pour l’immense majorité de l’humanité. Mais cela peut encore changer. Il faut pour cela que les adultes considèrent les enfants comme des êtres à part entière, dont la vulnérabilité ne doit pas être vue comme une faiblesse mais comme un investissement sur l’avenir.
Ce livre confirme bien ma conviction profonde : Les enfants d’aujourd’hui sont les citoyens de demain.

Alors quel monde voulons-nous pour demain ?

Source : http://lesvendredisintellos.com/2015/01/09/enfin-une-visi...