23/04/2015
Charles Bukowski - Un poème est une ville
Un poème est une ville remplie de rues et d’égouts...
remplie de saints, de héros, de mendiants, de fous,
remplie de banalité et de bibine,
remplie de pluie et de tonnerre et de périodes de
sécheresse, une poème est une ville en guerre,
un poème est une ville demandant à une horloge pourquoi,
un poème est une ville en feu,
un poème est une ville dans de sales draps
ses boutiques de barbier remplies d’ivrognes cyniques,
un poème est une ville où Dieu chevauche nu
à travers les rues comme Lady Godiva,
où les chiens aboient la nuit et chassent
le drapeau : un poème est une ville de poètes,
la plupart d’entre eux interchangeables,
envieux et amers…
un poème est cette ville maintenant,
à 80 kilomètres de nulle part,
à 9 h 09 du matin,
le goût de l’alcool et des cigarettes,
pas de police, pas de maîtresses, marchant dans les rues,
ce poème, cette ville, fermant ses portes,
barricadée, presque vide,
mélancolique sans larmes, vieillissante sans pitié,
les montagnes rocheuses,
l’océan comme une flamme lavande,
une lune dénuée de grandeur,
une petite musique venue de fenêtres brisées…
un poème est une ville, un poème est une nation,
un poème est le monde…
et maintenant je colle ça sous verre
pour que l’éditeur fou l’examine de près,
et la nuit est ailleurs
et des dames grises indistinctes font la queue,
les chiens suivent les chiens vers l’estuaire,
les trompettes font pousser les gibets
tandis que de petits hommes enragent contre des choses
qu’ils n’arrivent pas à faire.
(« Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines », ® Editions du Rocher, 2008, traduction de Thierry Beauchamp)
17:45 Publié dans RÉSONANCES | Lien permanent | Commentaires (0)
Eduardo Galeano - Los Nadies
et ceux qui sont personne rêvent de quitter la pauvreté,
qu'un jour magique
pleuve sur eux la providence
pleuvent des cruches entières de providence ;
mais la providence ne pleut pas hier,
ne pleut pas aujourd'hui, ni demain, ni jamais,
ni même en bruine, elle ne tombera, la providence,
aussi fort qu'il puissent bien l'appeler,
et que la main gauche les démange ou pas,
ou qu'ils se soient levés un matin du pied droit,
ou qu'il aient commencé l'année en achetant un balai neuf.
et proprios de rien.
Ceux-là qui sont personne : nuls et
rendus plus nuls encore,
que l'on voit courir vers du vent
et jour à jour mourir leur vie,
enculés doublement.
Qui ne parlent pas une langue, mais un dialecte.
Qui ne professent pas une religion,
mais des superstitions.
Qui ne créent pas de l'art, mais de l'artisanat.
Qui n'ont pas de culture, mais un folklore.
Qui ne sont pas des êtres humains
mais des ressources humaines.
Qui n'ont pas de visage, mais des bras.
Qui n'ont pas de nom, mais un numéro.
Qui ne figurent pas dans l'histoire universelle,
mais dans la chronique rouge des presses locales.
Ceux-là qui sont personne
et coûtent moins cher
que la balle qui les tue.
12:01 Publié dans LATINA AMERICA, RÉSONANCES | Lien permanent | Commentaires (0)