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23/07/2015

Restos humanos de Jordi Soler

traduit de l’espagnol (Mexique) par Jean-Marie Saint-Lu

Belfond, mars 2015

 

 

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170 pages, 17,50 €.

 

 

Difficile d’être un saint au Mexique, même si cette étrange vocation nous taraude comme elle taraude Empédocle, fils secret d’un curé licencieux qu’il appelait oncle, de même que son frère cadet, qui lui par contre ne vise pas la sainteté, mais le pouvoir et l’argent comme bien d’autres énergumènes qui garnissent ce roman. Un roman qui trace le portrait sans concession d’une société où la corruption est sans limite et les scrupules aussi volatiles que la vertu et la morale. Ainsi Empédocle, qui dans la vie ne s’est fixé d’autre but que d’aider ses semblables à s’améliorer, usant aussi bien d’inspiration jungienne, que de tarots et tout un méli-mélo new-ageux, aura bien du mal à se tenir à la sienne. Promenant sa sainteté autoproclamée qu’il s’offre de partager avec qui voudra, entre le marché et le bordel local, sa vocation est cependant réelle et affirmée, renforcée par les quolibets, les insultes et les volées de denrées plus ou moins avariées qu’il ne manque pas de recevoir sur son passage. Vêtu de ses sandales et d’une longue tunique blanche, sorte de christ bouffon et improbable au XXIe siècle, il est la risée de la plupart et révéré cependant par quelques bonnes femmes du cru. Tout aurait pu continuer longtemps comme ça, si seulement il n’était pas si difficile de suivre un chemin droit et immaculé au Mexique, surtout donc avec un frère qui suit un chemin totalement inverse, qui tendrait à devenir de plus en plus sulfureux, car rien n’est assez mauvais si ça permet de gravir l’échelle du pouvoir. C’est ainsi que notre ascète accroché à sa vocation coûte que coûte, bien décidé à ne pas se laisser déstabiliser par la peur ou la colère, se retrouve peu à peu au cœur de toutes sortes de trafics, sa cuisine transformée en magasin d’organes, sa maison en bordel clandestin, puis carrément associé, et toujours malgré lui, à la maffia russe et à des magouilles de plus en plus écœurantes, jusqu’à ne plus savoir qui il est et ce qu’il en est de sa sainteté, qui est devenue en fait un instrument de malfaisance entre les mains de son frère et ses comparses.

 

Un roman aussi loufoque que cruel sur l’absurdité de la société, ici mexicaine, une parmi d’autres, gangrénée jusqu’à la moelle, la face puante du pouvoir, l’exploitation sans vergogne de toute misère et où tout est bon pour faire de l’argent, où en un clin de bistouri, chacun peut finir en fournisseur de pièces détachées. C’est un roman où l’humanité se résume à son avidité, c’est lamentable mais c’est drôle et en cela Restos humanos trouve sa place dans toute une littérature typiquement latino-américaine.

 

Cathy Garcia

 

 

  

ob_223114_jordi-soler-c-ulf-andersen-juillet-2016.jpgJordi Soler est né en 1963 près de Veracruz, au Mexique, dans une communauté d’exilés catalans fondée par son grand-père à l’issue de la guerre civile espagnole. Il a vécu à Mexico puis en Irlande avant de s’installer à Barcelone en 2005 avec sa femme, Franco-Mexicaine, et leurs deux enfants. Il est reconnu par la critique espagnole comme l’une des figures littéraires les plus importantes de sa génération. Cinq de ses livres ont été traduits en français : Les Exilés de la mémoire (Belfond, 2007), La Dernière Heure du dernier jour (Belfond, 2008), La Fête de l'ours (Belfond, 2011), Dis-leur qu’ils ne sont que cadavres (Belfond, 2013) et Restos Humanos (Belfond, 2015). Tous sont repris chez 10/18.

 

Cette note paraîtra sur la Cause Littéraire http://www.lacauselitteraire.fr/

 

 

 

Cigogne (nouvelles) de Jean-Luc A. d’Asciano

 

Serge Safran éditeur – 5 mars 2015

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184 pages, 16,90 €.

 

 

C’est un véritable et déconcertant régal que nous sert ici Jean-Luc d’Asciano, en sept nouvelles, ciselées comme des joyaux rares, sept nouvelles étranges, dérangeantes, on en frissonne souvent. C’est beau et puis noir et mystérieux comme un lac profond. On navigue entre portraits de personnages atypiques, réalité sociale et contes initiatiques forcément un peu cruels, et drôles aussi. L’enfance y est très présente avec tout son potentiel de création et de destruction et puis des animaux, beaucoup d’animaux. En fait, c’est difficile à classer car c’est vraiment très original, l’auteur nous embarque dans un imaginaire d’une très grande richesse et on comprend tout de même que c’est le réel qui a servi de matériel de base, le réel comme une vase épaisse où puiser des choses qui paraissent si invraisemblables qu’elles sont forcément vraies. Il y est question des folies de chacun, des différences qui font que chaque humain est un continent à lui tout seul et de l’acceptation aussi, de la force du lien et de l’amour. Ainsi on y rencontrera bien-sûr une cigogne, qui a donné son nom à l’ensemble, mais aussi des frères siamois, une superbe trilogie chamane, inclassable, entre chasse aux cerfs, cirques et corbeaux, et puis un sdf doté d’antennes ultrasensibles qui trouve un abri sous la protection de l’esprit des ronces et un schizophrène reclus qui tente d’être lui-même dans un monde qui a du mal à lui laisser une place. Différentes façons d’y être justement, différentes façon de l’aborder ce monde, de le comprendre et quand la magie opère alors « la grimace arrive, la grande grimace, sa préférée : tout son visage se plisse, s’illumine, puis s’apaise en un immense, unique et calme sourire. »

 

Cathy Garcia

 

  

 

Jean-Luc d'Asciano.jpgJean-Luc A. d’Asciano est né à Lyon, mais a grandi à Nantes. Passe un doctorat de littérature et psychanalyse. Écrit des articles sur le roman noir, l’architecture, les arts contemporains ou la cuisine. Fonde les éditions de L’Œil d’or où il publie Petite mystique de Jean Genet (2007). Cigogne est son premier livre de fiction, premier recueil de nouvelles.

 

 

Cette note paraîtra sur la Cause Littéraire http://www.lacauselitteraire.fr/

 

 

 

 

 

 

 

"Nous allions à Kobanê refleurir les espoirs détruits, construire une bibliothèque, un parc pour les enfants.[...] Je ne suis pas bien, je ne serai pas bien, ne soyez pas bien !"

 

je partage ce message reçu aujourd'hui, n'en connais pas directement l'auteur et le mets tel quel pour que ça se sache, je n'ai pas mis les photos des victimes, qui ne suivent pas au copier-coller :
 
"Le 20 juillet, dans l'Est de la Turquie, une bombe explose. 31 morts. La révolution du Rojava ensanglantée.
La plupart des médias français n'en n'ont même pas parlé, faute de temps entre le reportage sur « les arnaques de l'été » et celui sur Paris plage. Et c'est peut être mieux car ceux qui en ont parlé ont évoqué un attentat « contre Erdogan et la Turquie » (RFI).
Comment expliquer ensuite les manifestations de colère qui ont suivit cet attentat ? Les « Etat islamique assassin, AKP complice » ?  Et la répression qui s'en est suivi ? Expliquer quoi ? Pas le temps

Des journalistes un tant soit peu sérieux auraient parlé non pas d'un attentat contre le gouvernement turc, mais contre l'opposition, la gauche radicale pro-kurde.

Car à Suruç, les 31 victimes n'étaient pas membres du gouvernement. Ni même des passagers d'un bus pris au hasard d'un attentat aveugle .
Il s'agissait de 31 militants, en majorité jeune, qui récoltaient des  vêtements et des jouets pour les enfants dans le cadre de la reconstruction de Kobanê.
Ils s'étaient réunis à  Suruç, dans le sud-est de la Turquie, pas loin de Kobanê, avec 300 autres militants de différentes sensibilités,  à l’appel de la Fédération Sosyalist Gençlik Derneği (Association de la Jeunesse Socialiste) pour aller à Kobanê participer à sa reconstruction.

A midi, à l'heure du repas, une « bombe humaine » s'est fait explosée lors de la conférence de presse de cette initiative.

Merve Kanak écrit, depuis Suruç :
« Ils ont tué les gens avec lesquels on a chanté dans le bus. Ils ont tué les gens avec lesquels on a dansé. Les gens avec lesquels on a papoté, les confrères que nous étions surpris de voir là bas, il les ont tués. Il ont tué les gens avec lesquels on a pris le petit déj à Amara, rigolé, mangé une pastèque. Ils ont tué les gens avec lesquels on a discuté théorie, politique. Les gens qui avaient des idéologies différentes mais qui étaient réunis par la réalité de la Révolution, ils les ont tués.

Nous étions tous des gens bien. Nous allions réaliser un rêve. Nous avions 3 sacs remplis de jouets pour les enfants, vous me comprenez ?
Nous avons marché attentivement pour ne pas marcher sur les cadavres de nos camarades, vous me comprenez ?
J’ai compris pourquoi les “Agits”  (chants funebres) kurdes sont si tristes, vous me comprenez ? »


31 victimes, c'est un peu court comme formule. Ces 31 victimes, ce sont des personnes, des visages, des histoires, des projets.

C'est Hatice Saadet, étudiante, si  heureuse de « participer à une révolution, en tant que femme et féministe »


C'est Süleyman Aksu, 28 ans, qui ne donnera plus de cours d'anglais au lycée de Yüksekova .



C'est Murat Yurtgül, en dernière année de psycho à Istanbul, passionné de théâtre et de lecture. 



C'est Okan Pirinç, lycéen.



C'est Ferdane, sa fille, Sinem ...



... et son fils, Nartan Kılıç.



C'est Mustafa Seker, dont le fils avait été tué lors du siège de Kobanê.



C'est Mücahit Erol, qui n'avait pas encore 18 ans.


C'est Koray Çapoglu, qui avait participé au mouvement de Gezi et à divers mouvements environnementaux . 



C'est Ferdane Dinç, du conseil jeune HDP d'Istanbul.



C'est Erdal Bozkurt, 27 ans. 



C'est le photographe Kasım Deprem.



C'est Cemil Yıldız, ex-candidat du HDP.



C'est Nazlı Akyürek, étudiante à l'Université de Kocaeli.



C'est Çagdas Aydın, militant de la cause des transsexuel(le)s. 



C'est Cebrail Günebakan, 27 ans.



C'est Nazegül Boyraz, militante des droits des alévis,



C'est Alper Sapan, 19 ans, militant anarchiste et étudiant en philo.



C'est Alican Vural 



C'est Aydan Sancı. 



C'est Yunus Sen, étudiant à l'Université de Van .



C'est Büsra Mete, 23 ans. 



C'est Polen Ünlü, membre du HDP, militante des droits des objecteurs de conscience.



C'est Duygu Tuna, vice-présidente de la section HDP de Maltepe.



C'est Emrullah Akhamur



C'est Ugur Özkan, originaire de Cizre. 80 000 personnes ont assisté à ses obsèques, mardi.



Et les autres, dont j'ignore tout.

Loren Elva, militant LGBT, hospitalisé avec de nombreuses brûlures écrit
« Nous allions à Kobanê refleurir les espoirs détruits, construire une bibliothèque, un parc pour les enfants.[...] Je ne suis pas bien, je ne serai pas bien, ne soyez pas bien !" Cette formule («  #iyideğilim, #iyiolmayacagım, #iyiolmayin", devenue hastags, circule largement aujourd'hui. )
 
 

 

Grèce - L’ancien ministre des finances Yanis Varoufakis explique les raisons de son vote contre le nouveau mémorandum

 

"Nous savions dès le départ à quel point ils étaient sans scrupules" | EUROKINISSI/ΓΙΑΝΝΗΣ ΠΑΝΑΓΟΠΟΥΛΟΣ

"Nous savions dès le départ à quel point ils étaient sans scrupules" | EUROKINISSI/ΓΙΑΝΝΗΣ ΠΑΝΑΓΟΠΟΥΛΟΣ

J’ai décidé d’entrer en politique pour une raison : pour être aux côtés d’Alexis Tsipras dans la lutte contre la servitude de la dette. De son côté, Alexis Tsipras me fit honneur en me mobilisant pour une raison : une conception très précise de la crise fondée sur le rejet de la doctrine Papaconstantinou [conseiller économique (2004-2007) puis ministre des Finances (2009-2012) de Papandréou, NdT], selon laquelle entre la faillite désordonnée et les emprunts toxiques, l’emprunt toxique est toujours préférable.

Il s’agit d’une doctrine que je rejetais car elle faisait peser une menace constante dont le but était d’imposer, dans la panique, des politiques qui garantissent une faillite permanente et, en fin de compte, la servitude par la dette. Mercredi soir, au Parlement, j’ai été appelé à choisir entre (a) adopter la doctrine en question, en votant pour le texte que les « partenaires » avaient imposé à la manière d’un coup d’État et avec une brutalité inouïe à Alexis Tsipras lors du sommet européen, et (b) dire « non » à mon Premier ministre.

« S’agit-il d’un vrai ou d’un faux chantage ? », c’était la question que nous a posée le Premier ministre, exprimant ainsi le dilemme de conscience odieux qui se posait à nous comme à lui-même. De toute évidence, le chantage était vrai. J’y fus confronté pour la première dans mon bureau, où M. Dijsselbloem me rendit visite le 30 janvier pour me placer face au dilemme « mémorandum ou banques fermées ». Nous savions dès le départ à quel point les créanciers étaient sans scrupules. Et nous avons pris la décision de mettre en pratique ce que nous nous disions l’un à l’autre, encore et encore, lors des longues journées et des longues nuits à Maximou [résidence officielle du Premier ministre, NdT] : nous ferions ce qui est nécessaire pour obtenir un accord viable sur le plan économique. Nous ferions un règlement sans finir sur un compromis. Nous reculerions autant que nécessaire pour atteindre un accord de règlement au sein de la zone euro. Mais, si nous étions vaincus par la logique destructive des mémorandums, nous livrerions les clefs de nos bureaux à ceux qui y croient pour qu’ils viennent appliquer les mémorandums quand nous serions à nouveau dans les rues.

«Y avait-il une alternative ? », nous a demandé le Premier ministre mercredi dernier. J’estime que, oui, il y en avait. Mais je n’en dirai pas plus. Ce n’est pas le moment d'y revenir. L’important est que, au soir du référendum, le Premier ministre a estimé qu’il n’existait pas d’alternative.

C’est pourquoi j’ai démissionné, afin de faciliter son voyage à Bruxelles et lui permettre d’en ramener les meilleurs termes qu’il pourrait. Mais pas pour que nous les mettions en œuvre, quels qu’ils fussent !

Lors de la réunion de l’organisation centrale du parti, mercredi dernier, le Premier ministre nous a demandé de prendre une décision ensemble et d’en partager la responsabilité. Très correct. Mais, comment ? Une solution aurait consisté à faire, tous ensemble, ce que nous disions et répétions que nous ferions en cas de défaite. Nous dirions que nous étions soumis, que nous avions apporté un accord que nous considérons non viable et que nous demandons aux politiques de tous les partis qui le considèrent au moins potentiellement viables, de former un gouvernement pour l’appliquer.

Le Premier ministre a opté pour la deuxième solution : que le premier gouvernement de gauche reste en place, même au prix de l'application d’un accord - produit de chantage - que le Premier ministre lui-même considère inapplicable.

Le dilemme était implacable - et il l’était également pour tous. Comme Alexis Tsipras l'a bien affirmé, nul n’est en droit de prétendre être confronté à un dilemme de conscience plus fort que le Premier ministre ou les autres camarades. Mais, cela ne signifie pas que ceux qui se sont prononcés en faveur de l’application de l’ « accord » inapplicable par le gouvernement lui-même sont habités par un sens plus fort des responsabilités que ceux qui, parmi nous, se sont prononcés en faveur de la démission, remettant l’application de l’accord à des hommes politiques qui le considèrent potentiellement applicable.

À la séance plénière du Parlement, la réalité a été parfaitement bien décrite par Euclide Tsakalotos [nouveau ministre des finances, ndlr] qui a expliqué que ceux qui estimaient ne pas pouvoir mettre à charge du gouvernement de Syriza la ratification de cet accord disposaient d’arguments aussi puissants que ceux qui estimaient que le gouvernement Syriza est tenu, face au peuple, de mettre en œuvre ce mauvais accord pour éviter la faillite désordonnée.

Personne parmi nous n’est plus « anti-mémorandum » qu’un autre, et personne parmi nous n’est plus « responsable » qu’un autre. Tout simplement, lorsque l’on se trouve à un carrefour aussi dangereux, sous la pression de la (mal)Sainte Alliance du Clientélisme International, il est parfaitement légitime que certains camarades proposent l’une ou l’autre voie. Dans ces conditions, il serait criminel que les uns traitent les autres de « soumis » et que les seconds traitent les premiers d’ « irresponsables ».

En ce moment, en plein milieu de désaccords raisonnables, ce qui prévaut, c’est l’unité de Syriza et de tous ceux qui ont cru en nous, en nous accordant ce grandiose 61,5%. La seule façon de garantir cette unité est de reconnaître mutuellement les arguments, en partant du principe que les dissidents réfléchissent de manière aussi bonne, aussi responsable et aussi révolutionnaire que nous.

Partant de ces points, la raison pour laquelle j’ai voté « non » mercredi dernier était simple : nous aurions dû avoir remis les clefs de Maximou et des autres ministères, comme nous disions que nous le ferions en cas de capitulation. Nous aurions dû avoir remis les clefs à ceux qui peuvent regarder le peuple dans les yeux et lui dire ce que nous ne pouvions pas : « l’accord est dur mais il peut être appliqué d’une manière qui laisse un espoir de reprise et de renversement de la catastrophe sociale ».

Le gouvernement de gauche ne peut pas prendre, face à l’Europe officielle, des engagements dont il sait qu’il ne pourra pas les réaliser. Le bien suprême que le gouvernement de Syriza doit protéger est la promesse que nous donnions quand nous nous rendions dans les capitales européennes : contrairement à nos prédécesseurs, nous ne vous promettrons pas quelque chose (par exemple, un excédent primaire précis) qui ne peut pas être atteint. Le gouvernement de gauche n’a pas, en même temps, le droit de piller encore plus les victimes des cinq ans de crise sans pouvoir au moins répondre par l’affirmative à la question : « Avez-vous au moins obtenu quelque chose qui compense les mesures récessives ? »

Plusieurs camarades me disent : « N’est-ce pas mieux que ce soit nous qui tenions les rênes ? Nous qui aimons notre pays et qui avons de bonnes intentions concernant la lutte contre la corruption et l’oligarchie ? » Oui, c’est mieux. Mais, avec quels outils travailler ? La décision du Sommet européen fixe et étend l’absence totale de contrôle social sur les banques, alors que la société sera chargée de 10 à 25 milliards supplémentaires de dettes pour renflouer celles-ci.

Et, comme si cela ne suffisait pas, il se crée un super-TAIPED (fonds d’exploitation de la propriété publique), entièrement sous le contrôle de la troïka (indépendamment du lieu où se trouve le siège de ce fonds), qui privera une fois pour toutes la République hellénique du contrôle sur ses avoirs publics. Et comment l’austérité sera-t-elle vérifiée lorsqu'un trait de plume d’ELSTAT (agence des statistiques de Grèce que nous avons cédée à la troïka mercredi dernier) déterminera la taille de l’excédent primaire ?

Et, quand la société commencera à ressentir dans ses tripes l’étau des résultats de la nouvelle austérité désastreuse, quand les jeunes et les moins jeunes prendront les rues ou resteront, désespérés, chez eux, confrontés à ces effets -ces gens dont jusqu’à présent nous portions la voix, qui les représentera dorénavant dans l’arène politique ? Le parti qui a introduit ces mesures au Parlement pourra-t-il représenter ces gens en même temps que ses ministres bien-intentionnés seront forcés de défendre ces mesures, au parlement et sur les chaînes de TV, en se faisant la risée de l’opposition au mémorandum ?

« Mais, ne sers-tu pas le plan de Schäuble, en votant contre l’accord ? », me demande-t-on. Je réponds en posant ma propre question : « Êtes-vous certains que cet accord de capitulation ne fait pas partie du plan de Schäuble ? »

► Le dernier rapport du FMI prévoit une dette publique supérieure à 200% du PIB, ce qui interdit au FMI d’accorder de nouveaux prêts,

► L’exigence de l’ESM, sur ordre de Schäuble, que le FMI accorde de nouveaux prêts, pour prêter lui aussi à la Grèce,

► Le spectacle d’un gouvernement grec qui vote pour des réformes auxquelles il ne croit pas mais, en plus, qu’il qualifie de produit de chantage,

► Le spectacle d’un gouvernement allemand qui passe au Bundestag un accord avec la Grèce qu’il qualifie lui-même de non fiable et d’échec a priori.

Ne conviens-tu pas, cher lecteur, que ce qui vient d’être énoncé sont de puissants « alliés » de Schäuble ? Existe-t-il en effet une manière plus sûre de défenestrer le pays de la zone euro que cet accord non viable qui assure au ministre des Finances allemand le temps et les arguments pour mettre sur les rails le Grexit tant souhaité ?

Mais en voilà assez. Mon jugement m’a amené à voter contre la ratification de l’accord de capitulation, en estimant que la doctrine Papaconstantinou demeure inacceptable. D’un autre côté, je respecte parfaitement les camarades qui ont un autre point de vue. Je ne suis pas plus révolutionnaire-moral qu’eux mais ils ne sont pas plus responsables que moi, non plus. Aujourd’hui, ce qui est en balance, c’est notre capacité à préserver comme la prunelle de nos yeux, la camaraderie et la collectivité, en conservant le droit à l’opinion différente.

Pour conclure, il existe également un aspect philosophique au dilemme de conscience qui se pose à nous tous : existe-t-il des moments où le calcul du bénéfice net est dépassé par l’idée selon laquelle certaines choses ne doivent tout simplement pas être faites en notre nom ? Ce moment, est-il un de ces moments ?

Il n’existe pas de bonnes réponses. Seule existe la disposition honnête à respecter les réponses que donnent nos camarades avec lesquels nous ne sommes pas d’accord.

Source : efsyn.gr