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12/07/2016

La carte mondiale des accaparements de terres : plus de 30 millions d’hectares concernés

Concentration

 

par Sophie Chapelle

Le mouvement d’accaparement de terres se poursuit et s’aggrave. C’est le constat tiré par un nouveau rapport de l’ONG Grain, basée à Barcelone, qui recense près de 500 cas d’accaparement de terres dans le monde dans 78 pays [1]. Plus de 30 millions d’hectares sont concernés, une superficie à peu près équivalente à celle de la Finlande ! La carte ci-dessous, réalisée par Grain, recense les transactions foncières qui ont débuté à partir de 2006 et sont menées par des investisseurs étrangers au pays (la carte recense les superficies supérieures à 500 hectares et destinées à la production de cultures alimentaires) [2] :

L’Afrique, l’Europe de l’Est et le Pacifique demeurent des régions très convoitées. Selon Grain, ce sont « des pays dans lesquels l’agro-industrie est déjà implantée et dans lesquels l’environnement juridique favorise les investisseurs étrangers et les exportations ». Parmi les cas recensés, celui de l’Australie où la Consolidated Pastoral Company (CPC), appartenant à 90 % à la société britannique de capital-investissement Terra Firma Capital, détient un portefeuille foncier de 20 ranchs couvrant une superficie de 5,7 millions d’hectares. L’équivalent de la Croatie ! « Ces élevages de bétail australiens sont intégrés verticalement avec, en Indonésie, deux parcs d’engraissement en joint-venture, qui contiennent plus de 375 000 bêtes », précise Grain.

Les autres pays faisant l’objet d’accaparement de terre sont ceux « dans lesquels les infrastructures d’exportation sont déjà construites et où l’on peut obtenir pour un prix modique des superficies importantes ». Au Mozambique par exemple, des demandes de permis couvrant 607 236 ha sont en cours d’examen. Le principal soutien de ce « projet agricole » est la National Holding, une société des Émirats arabes unis, holding de la famille royale d’Abu Dhabi. Selon une ONG mozambicaine, ce projet pourrait provoquer le déplacement forcé de plus de 500 000 familles.

« Méga-transactions foncières »

Quelques-unes des « méga-transactions foncières », qui ont suivi la crise alimentaire et financière de 2008, se sont depuis retournées contre leurs protagonistes ou ont échoué. En 2009, l’indignation publique à propos du projet de Daewoo sur 1,3 million d’hectares à Madagascar a aidé au renversement du gouvernement, ce qui a conduit à la suspension de la transaction. « En 2011, l’assassinat du leader libyen Mouammar Kadhafi a mis fin au projet de riziculture du régime sur 100 000 hectares au Mali », illustre Grain.

Le groupe indien Siva, qui avait accumulé un portefeuille de près d’un million d’hectares de terres agricoles pour des plantations de palmiers à huile, essuie maintenant des procédures de faillite aux Seychelles. Foras, la branche privée de la Banque islamique de développement, qui était sur le point d’acquérir 700 000 hectares de terres agricoles dans toute l’Afrique pour un énorme projet de riziculture, a disparu. D’autres transactions de grande ampleur ont été révisées à la baisse. Au Cameroun par exemple, après de nombreuses protestations, le projet Herakles visant à raser des milliers d’hectares de forêts pour les convertir en une gigantesque plantation industrielle de palmiers à huile, a été réduit de 73 000 à 19 843 hectares.

Nouvelles formes d’accaparement

Si le rythme de ces « méga-transactions foncières » s’est ralenti depuis 2012, « beaucoup de ces transactions sont de plus en plus souvent reformulées et rebaptisées "investissements responsables" ». L’accession aux terres agricoles s’inscrit désormais dans une stratégie d’entreprise visant à bénéficier des marchés carbone, des ressources minérales et en eau, des semences, des sols et des « services environnementaux ». « Au fur et à mesure des vicissitudes des transactions foncières, les politiciens et les états-majors des sociétés s’emploient à faciliter leur réussite », dénonce Grain.

Mais sur le terrain, ces transactions intensifient les conflits et se traduisent par une violente répression. « Des militants des droits fonciers sont détenus et emprisonnés, des journalistes sont harcelés par des procès en diffamation [c’est le cas de Basta ! avec deux plaintes en diffamation sur ce sujet, ndlr] ». Pire : « Des dirigeants paysans et autochtones sont régulièrement assassinés », déplore l’ONG. « Mais ce travail difficile et courageux est crucial si nous voulons changer le cours de l’accaparement des terres et d’une agriculture dominée par les grands groupes industriels, et créer un puissant mouvement mondial en faveur de la justice et de la souveraineté alimentaire ».

Sophie Chapelle

Pour aller plus loin :
- le rapport de Grain et la base de données 2016 sont disponibles ici et
- tous les articles de Basta ! sur l’accaparement de terres

Notes

[1En octobre 2008, Grain avait publié un premier rapport intitulé « Main basse sur les terres agricoles en pleine crise alimentaire et financière ».

[2Cette base de données 2016 s’appuie principalement sur le site web farmlandgrab.org

 

 

 

Soutenu par Macron, Attali et Juppé, un minier russe s’apprête à saccager la forêt guyanaise

 

7 juillet 2016 / Fabrice Nicolino

La Guyane est « menacée par un tsunami affairiste » : le gouvernement entend confier la gestion d’une mine d’or à une transnationale russe, explique Fabrice Nicolino dans cette tribune. Il en appelle à Nicolas Hulot, Allain Bougrain-Dubourg, Pierre Rabhi, et aux lecteurs de Reporterre pour que débute la « grande bagarre de Guyane ».

Journaliste engagé pour l’écologie, Fabrice Nicolino est chroniqueur à La Croix et à Charlie Hebdo, où il a été blessé dans l’attentat du 7 janvier 2015. Il s’exprime aussi sur son blog, Planète sans visa, et a publié Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture.

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Fabrice Nicolino.

APPEL À NICOLAS HULOT, ALLAIN BOUGRAIN-DUBOURG, PIERRE RABHI ET A TOUS LES AUTRES

Je souhaite être solennel. Vous lirez ci-dessous un article que j’ai publié dans Charlie-Hebdo voici quelques semaines. Il n’a rien de banal, car il touche aux profondeurs de notre destin commun. Même s’il s’agit de criminels ordinaires, ordinaires dans notre monde criminel. Un groupe minier russe, qui travaille en Afrique dans des conditions scandaleuses, veut s’en prendre au joyau écologique qu’est la forêt tropicale de la Guyane dite française.

On ne peut laisser faire. À aucun prix. Nous sommes en face d’une modeste mais réelle responsabilité historique. Car la France détient sur le continent américain une fraction de la richesse biologique mondiale. Une mine d’or industrielle là-bas serait le signal que tout, désormais, est possible. Si un pays comme le nôtre accepte de sacrifier cette merveille, quel autre se sentirait tenu de s’arrêter pour réfléchir ? La Chine ? L’Indonésie ? Le Brésil ? Le Rwanda ? La Russie de Poutine ? Voyons, un peu de dignité.

Reculer serait avouer que nous ne sommes pas de taille


Nous crevons sous le poids de discours illusoires et de déclarations qui n’engagent à rien. Du haut des tribunes frelatées, comme il est aisé de crier : « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs ! » Elle brûle, en effet, et en enfer. Elle se tord, elle hurle sa douleur chaque seconde de chaque minute, et nous faisons comme si tout devait se passer entre gens de bonne compagnie. Cela ne peut plus durer. Qu’on le veuille ou qu’on le cache, une frontière sépare ceux qui accélèrent dans la dernière ligne droite discernable, et ceux qui se jettent de désespoir sur le frein.

Le noble combat de Notre-Dame-des-Landes est essentiel pour la France, car il affirme dans la clarté qu’on ne peut plus faire comme avant. Ici, dans ce pays-ci. La grande bagarre de Guyane que j’appelle de mes vœux est d’emblée internationale, mondiale, planétaire. Elle signifie que la défense de la biodiversité — nom savant de la vie — oblige à sortir du bois et à compter ses forces. Reculer, ce serait avouer que nous ne sommes pas de taille. Reculer, ce serait accepter tout, étape après étape. Je vous suggère, amis de l’homme, des bêtes et des plantes, d’organiser un voyage de protestation en Guyane même, dès qu’il sera possible. Le crime qui se prépare, car c’en est un, mérite que nous bandions toutes nos forces, et elles sont grandes, malgré tout.

Levons-nous ensemble, car sinon, autant se taire pour l’éternité.

Ci-dessous, l’article paru dans Charlie :


LA MINE D’OR GUYANAISE D’ATTALI, JUPPÉ ET MACRON

Attention les yeux, on va voir apparaître comme par magie un Attali, un Juppé, un Macron pour le prix de presque rien. Mais dès l’avance, il faut dire deux mots de la Guyane audacieusement appelée française. Il y a là-bas des Noirs marrons, descendants d’esclaves échappés des plantations philanthropiques. Des Indiens installés au profond de la forêt tropicale, le long des rivières et des fleuves. Et puis des Blancs, car il y a partout des Blancs. Autrement, qui tiendrait le nerf à bœuf, dites-moi ?

La forêt tropicale, qui couvre 95 % du pays, est à peu près intacte, ce qui se fait rarissime dans un monde qui crame tout. Et en théorie, les envolées permanentes des nobles politiques sur la biodiversité devraient pouvoir protéger les singes hurleurs, les aras et les jaguars pour l’éternité.

La puissance de feu des transnationales


Mais il y a l’or. Des milliers d’orpailleurs clandestins pourrissent les eaux de Guyane depuis des décennies en balançant à tout va de charmants produits comme le mercure — idéal pour extraire l’or de son substrat rocheux — dans les rivières. C’est pas bon, c’est pas beau, et c’est artisanal. Tout autre est la puissance de feu des transnationales, qui peuvent mobiliser des concasseurs de la taille d’un avion et pulvériser des millions de tonnes de roches sans coup férir.

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Une barge d’orpaillage artisanal sur la rive surinamaise du fleuve Maroni.

Jusqu’ici, les projets les plus crapoteux ont échoué, mais celui dont on va parler a plus que ses chances. En 2011, la Columbus Gold, boîte canadienne junior — on va expliquer, c’est très malin —, achète huit concessions minières en Guyane. L’une des huit se trouve à 80 km au sud de Saint-Laurent-du-Maroni, au-dedans d’un lieu appelé la Montagne d’Or. Il y aurait 155 tonnes d’or planquées, peut-être le double. Miam.

Pour récupérer la mornifle, il faudra creuser une fosse d’au moins 2,5 km de long, de 600 à 800 mètres de largeur, de 200 à 250 mètres de profondeur. Compter 460 millions de tonnes de roches à broyer, au bas mot, car on récupère au mieux qu’1,5 gramme d’or par tonne. Prévoir également de gros besoins d’énergie et d’électricité. Disons l’équivalent de ce que consomme la capitale, Cayenne, en un an.

« On ne veut pas que des lobbies écologistes viennent contrecarrer un projet qui serait créateur d’emplois »


Mais une telle apothéose, ami technophile, ne peut être déployée par une petite junior, qui apparaît en la circonstance comme le paravent d’une grosse mère, que les spécialistes nomment une major. La Columbus Gold ne fait qu’explorer, avant de refiler le bébé au vrai bénéficiaire, la Nordgold, sise à Moscou. Nordgold est seule capable d’exploiter et d’ouvrir les entrailles de Guyane. Et elle est, en plus, entre des mains charmantes. Une ONG suisse et catho, Action de carême, a publié en février 2016 un rapport sur les mines d’or au Burkina Faso, où l’on peut lire : « Dans beaucoup d’endroits, l’exploitation aurifère détruit les bases de l’existence de populations, porte atteinte aux droits humains. » Avant de préciser : « Les sociétés minières présentes au Burkina Faso, en l’occurrence Iamgold, Nordgold et Amara Mining, ont une grande responsabilité dans les violations des droits humains exposés. »

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Depuis l’avion reliant Cayenne à Maripasoula.

Si cette mine ouvre, et tous les feux sont au vert, adieu à la forêt tropicale que l’on connaît. En toute certitude, ce sera la ruée vers l’Eldorado, car on trouve de l’or un peu partout. Il y aura des routes, des autoroutes, des barrages, des pylônes à haute tension. Et si tout est désormais sur les rails, c’est que la mine est soutenue par des autorités morales considérables. Jacques Attali, le preux lobbyiste international, siège au comité consultatif de la Columbus Gold. Alain Juppé, fervent écologiste, en meeting à Cayenne ces dernières semaines : « On ne veut pas que des lobbies écologistes viennent contrecarrer un projet qui serait créateur d’emplois. » Quant à l’immense Emmanuel Macron, il s’est carrément rendu sur le futur chantier, vantant l’excellence du projet, précisant : « Cet industriel [la Columbus Gold] est l’un des fers de lance de la mine responsable. »

C’est maintenant que tout se joue, nazes que nous sommes. Ou la mine ou la forêt. Si les écolos de France et de Navarre arrêtent de se branlotter une seconde, il y a peut-être une chance.


AMIS LECTEURS, NE REMETTEZ PAS À DEMAIN 

Amis lecteurs de Reporterre, je vous demande de faire un effort personnel. Si vous êtes d’accord avec ce qui précède, diffusez, aussi massivement qu’il vous sera possible. Auprès de vos proches et de vos amis, auprès de vos élus — qui ne risque rien n’a rien —, auprès de tous les groupes possibles, auprès des personnes auxquelles s’adresse cette lettre ouverte, qui est évidemment destinée à tous. Je vous en prie : une heure de votre temps doit être consacrée à cette nouvelle bagarre, que j’espère nationale, internationale, planétaire. Ne remettez pas à demain. S’il vous plaît, commencez aujourd’hui même. Et merci.

 

Source :

https://reporterre.net/Soutenu-par-Macron-Attali-et-Juppe...