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08/01/2018

Le chant des blessures de Sybille Claude

 

LEGS édition, Haïti, août 2017

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110 pages

 

Dans un langage simple, direct, un langage parlé avec des tournures qui peuvent parfois dérouter le lecteur, mais parsemé de fulgurances poétiques, Sybille Claude dans ce premier et court roman, laisse entrevoir la naissance d’un écrivain qui va compter. Cette île on le sait, est ô combien riche de poètes, d’écrivains, dont les désormais célèbres sont majoritairement masculins. Pourtant il y a bien des voix de femmes aussi dans la littérature haïtienne, aussi saluons cette plume nouvelle qui est celle d’une toute jeune femme, tout comme le personnage central et narrateur du roman.

 

Après l’assassinat du père adoré, poète, intellectuel et militant politique, un accident cardiovasculaire cloue la mère inconsolable de Sarah Aurore Barreau dans un fauteuil et toute leur vie avec, qui dégringole au plus bas. Un grand frère, adoré lui aussi, a tenté le tout pour le tout en s’embarquant clandestinement sur une de ces embarcations lancées en vain vers une hypothétique Amérique. « L’eau a eu raison de la ténacité de mon frère ». Sarah Aurore Barreau s’est retrouvée seule avec une mère qui ne la regarde plus et dont elle doit cependant s’occuper à Lanfèpam, nom dans lequel on ne peut qu’entendre le mot « enfer », quartier de tôles et de mouches, d’eaux puantes où « le soleil te cherche et te trouve à l’intérieur de ces trous crasseux » et « où il n’y a pas d’espace entre deux taudis lézardés pour insérer même une plante ». Lanfèpam, quartier de violence, bidonville où la jeunesse ravagée par la drogue n’a guère d’autre avenir que de faire travailler son sexe la nuit venue ou se faire happer par une criminalité souvent au service d’obscurs intérêts politiques. Lanfèpam, rythmée par la musique vaudou enveloppée de fumée, où une pauvre marchande ambulante peut se voir lynchée en plein jour à la machette, parce que le bruit court qu’elle se transforme en chat la nuit pour dévorer les nourrissons.

 

Sarah Aurore Barreau, n’a que les mots pour ne pas couler. « Je ne suis pas Père et je ne suis pas un joyeux poète de l’Amour. Ma poésie c’est l’eau et les quatre planches et les cartouches et les bouches des mitrailleuses et la chaise et les larmes-poignards de Mère. »

 

Ce chant des blessures est un hymne à la lecture et aux livres, à leur pouvoir de tirer vers le haut, d’aider à guérir de l’inguérissable en insufflant le désir de vivre malgré tout, en donnant la force de rêver plus haut, plus fort, d’accomplir sa légende personnelle comme le personnage de L’alchimiste de Coelho, un des ces livres qui va aider la narratrice à franchir le pas qui sépare la mort de la vie, en s’appuyant sur sa passion pour la littérature et son talent pour la photographie, en témoignant pour les disparus, en posant des mots et des visages sur les trous béants des cinq balles qui ont tué son père. « Je veux des mots qui fouettent, des mots qui hurlent, des mots qui sautent, des mots qui tambourinent et qui peuvent obtenir justice pour le poète assassiné. Je veux que les mots explosent comme les cartouches dans le crâne du poète. » Sur le gouffre de la mer qui a englouti son frère, de la douleur qui a avalé sa mère et il en faut de la résilience pour survivre dans cet île où « la crasse caresse le luxe », « terre mangeuse d’hommes » sur laquelle le sort ne cesse de s’abattre sur les plus démunis, « peuple estampillé au feu de la misère ». « Le drame c’est le quotidien des masses. Ces hommes et ces femmes sans lendemain que la vie piétine au quotidien. »

 

La  narratrice se verra offrir une chance de quitter Lanfèpam et elle saura la saisir et surmonter ses blessures, en faire un chant qui se communiquera à d’autres dans cette belle chaîne humaine que les cœurs peuvent tisser entre eux. « Je suis une fille de rien du tout qui tente d’attraper la littérature par la jupe, à titre d’hommage à un poète que le monde n’a pas pu découvrir. »

 

Difficile de ne pas voir chez la narratrice un alter ego de l’auteur dont ce premier roman dédié à sa tendre mère, commence par cette citation de Baudelaire : « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans ».

 

Cathy Garcia

 

 

Sybille Claude~mv2.jpgSybille Claude est née le 29 mars 1990  à Delmas, Haïti. Ses études secondaires terminées, elle a étudie la Linguistique à la faculté de Linguistique appliquée de l'Université d'État d'Haïti. Passionnée de lettres, elle travaille comme enseignante aux Cours privés Edmé à Pétion-Ville.

 

 

 

Publiée sur le site de la Cause Littéraire

 

 

 

Quand Ford et Volkswagen livraient leurs ouvriers syndicalistes aux tortionnaires des dictatures

 

par Rachel Knaebel

Fin décembre, un procès inédit a débuté en Argentine : d’anciens cadres de la multinationale automobile Ford sont jugés pour leur complicité avec l’appareil répressif de la dictature militaire argentine (1976-1983), durant laquelle 30 000 personnes ont disparu et 15 000 ont été exécutées.

D’anciens dirigeants de la filiale argentine de Ford de l’époque sont soupçonnés d’avoir facilité la séquestration et la torture de 24 ouvriers d’une des usines Ford du pays. « Trois délégués syndicaux n’ont jamais été retrouvés, précise le journal Le Monde.

Quelques jours avant le début du procès argentin, au Brésil, le constructeur automobile allemand Volkswagen présentait les résultats d’une recherche sur sa collaboration avec l’appareil répressif de la dictature militaire brésilienne cette fois (1964-1985), avec ses 20 000 personnes torturées et quelques centaines de morts et « disparus ». Des témoignage recueillis dans le cadre de la Commission vérité sur les crimes de la dictature brésilienne ont révélé que des ouvriers de Volkswagen avaient été arrêtés, frappés et séquestrés sur leur lieu de travail avant d’être envoyés dans des centres de tortures et en prison.

Dénoncer les syndicalistes au nom du progrès

Des responsables de Volkswagen transmettaient aux organes de répression du régime des rapports sur ses ouvriers syndicalistes (voir ici et ). C’est suite à ces accusations que l’entreprise a initié cette recherche historique, confiée à un historien indépendant. L’auteur de l’étude est finalement arrivé à la conclusion qu’« une collaboration a eu lieu entre certains vigiles de Volkswagen do Brasil et la police politique, du Dops, du régime militaire ». Mais qu’« il n’y avait pas de preuve claire que cette collaboration se basait sur une action institutionnelle du côté de l’entreprise ».

Dans les années 1960, la filiale brésilienne de Volkswagen est la plus grande appartenant au constructeur hors de l’Allemagne, et la cinquième plus grande entreprises brésilienne. L’historien Christopher Kopper souligne d’une part que le directeur de Volkswagen Brésil de l’époque, Friedrich Schultz-Wenk (émigré allemand arrivé au Brésil en 1949), « n’a pas du tout été effrayé par le putsch de 1964 ». « Il y a réagi au contraire de manière très positive, euphorique », écrit-il. « Schultz-Wenk saluait l’emprisonnement des leaders syndicaux et des sympathisants de fait ou supposés des communistes », ajoute l’étude.

« En 1972 j’ai été emprisonné au sein du site de Volkswagen. »

Celui qui lui a succédé à la tête de la filiale brésilienne de Volkqwagen en 1972, Werner P. Schmidt, est même cité, en 1973, dans article du journal allemand Süddeutsche Zeitung. Il y assure que la « fermeté » du régime était nécessaire au progrès : « “Bien sûr”, dit l’homme entre deux gorgées de jus de tomate, “la police et les militaires torturent les prisonniers pour obtenir des informations importantes, bien sûr on ne fait même plus de procès aux subversifs politiques, on les tue immédiatement, mais une information objective doit ajouter à cela que sans fermeté, on irait pas de l’avant. Et on va de l’avant“. »(Voir la citation complète ici).

L’étude détaille plusieurs exemples concrets de collaboration entre Volkswagen et l’appareil répressif. « Le premier travailleur de Volkswagen emprisonné a été arrêté le 29 juin 1972. Le même jour, la police arrêtait l’outilleur Lucio Bellentani. Le 2 août, l’outilleur Antonino Torino, le 8 août le fraiseur Geraldo Castro del Pozzo, le contremaître Heinrich Plagge et la secrétaire Annemarie Buschel », énumère l’étude. « En 1972 j’ai été emprisonné au sein du site de Volkswagen, avait témoigné Lúcio Bellentani en 2012 devant la commission de la vérité de São Paulo. J’étais au travail et deux individus avec des pistolets automatiques sont venus, me les ont collés dans le dos et m’ont posé des menottes. Il était environ 23 heures. Dès que je me suis retrouvé dans le local de sécurité de Volkswagen, la torture a commencé. J’ai reçu tout de suite des coups. Ils voulaient savoir s’il y avait d’autres membres du parti (communiste) chez Volkswagen. » 

Impunité

Le même jour, l’ouvrier est envoyé dans un centre de torture du Dops. S’ensuivent « deux heures de coups ». L’homme a ensuite passé six mois dans ce centre de la police politique, a attendu un an un procès, puis a été libéré, faute d’éléments contre lui. « Le témoignage de Lucio Bellentani accable le vigile de Volkswagen, conclut l’historien. Il aurait pu empêcher les mauvais traitement dans les locaux de Volkswagen. » Le chercheur précise aussi : « Quand le chef de la sécurité de Volkswagen, Ademar Rudge a informé le chef du personnel, le chef de la production, et le directeur, le 9 septembre 1974, du déroulement d’une assemblée syndicale et de la participation de travailleurs de Volkswagen, une copie de ce rapport a manifestement été envoyé, comme de routine, à la police politique »

Il est toutefois peu probable qu’un procès ait jamais lieu contre d’anciens responsables de Volkswagen au Brésil, comme c’est le cas actuellement à l’encontre de ceux de Ford en Argentine. La loi d’amnistie brésilienne de 1979 a permis d’un côté l’amnistie des exilés et prisonniers politiques, mais empêche toute poursuite judiciaire à l’encontre des responsables de la répression durant la dictature militaire.

Rachel Knaebel

http://multinationales.org/