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31/08/2018

Je suis un zèbre – Le témoignage bouleversant d’une ado surdouée – Tiana

 

 

Petite Biblio Payot édition poche 2018

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188 pages, 7,50 €.

 

 

Un témoignage à la fois très personnel, mais très important aussi sur un sujet que l’on connaît peu ou surtout très mal. En effet, si le terme zèbre reste encore peu connu, tout le monde a une idée plus ou moins claire et surtout très préconçue, de ce que peut et doit être un surdoué. Alors pourquoi zèbre ?

 

Parce que de ces enfants, ados, adultes dits surdoués, pas deux ne se ressemblent, par contre une bonne partie d’entre eux non seulement peuvent être en échec dans leur vie ou leur scolarité, mais plus encore, peuvent être enfermés dans des problématiques graves qui leur interdit toute vie normale et pouvant les conduire jusqu’au suicide. Nous sommes donc loin de cette image d’Épinal du brillant génie qui ne peut que tout réussir, plus et mieux que tout le monde et être la fierté de ses parents et professeurs.

 

C’est pour cela qu’un témoignage tel que celui de cette toute jeune Tiana est capital.

 

« C’est quoi un surdoué ? C’est quelqu’un dont le cerveau pense différemment » — ce qui commence à être prouvé maintenant scientifiquement : il s’agit, effectivement et véritablement, d’un fonctionnement cognitif différent. « Pas plus intelligent. Pas plus doué. Différent. Très sensible. Trop, même. »

 

Surdoués, HPI (haut potentiel intellectuel), HPE (haut potentiel émotionnel), zèbres…

 

Jeanne Siaud-Facchin, psychologue clinicienne, psychothérapeute et spécialiste des surdoués, est l’auteur de nombreux livres sur le sujet et c’est elle qui a préféré utiliser le terme de zèbres.

 

« Zèbre parce que tellement distincts dans la savane, zèbre car chacun est unique comme les empreintes digitales, zèbre car leurs rayures sont aussi comme les griffures que la vie peut laisser…. »

 

Elle explique dans ses ouvrages qu’« être surdoué ne signifie pas seulement être quantitativement plus intelligent, mais penser avec une complexité et des modes d’activation cérébrale qualitativement différents. Les neurosciences confirment aujourd’hui de nombreuses spécificités sur les plans structurels comme fonctionnels du cerveau et de l’architecture cognitive des surdoués. Ce sont les formes spécifiques de son intelligence qui distinguent le surdoué. La perception, l’analyse, la compréhension de l’environnement sont significativement différentes et se distinguent de la norme. Ce sont ces particularités qui rendent parfois difficile son adaptation à l’environnement. »

 

Trop focalisés sur le QI, les seules capacités intellectuelles, les « spécialistes » sont longtemps passés à côté de tous les autres surdoués, dont nombre d’entre eux, suite à des diagnostics erronés, ont pu échouer en psychiatrie.

 

C’est le cas de Tiana, qui s’est retrouvée internée et traitée pour schizophrénie, mais qui a eu la chance d’avoir une famille, notamment sa mère, suffisamment attentive et aimante pour la sortir de là et permettre donc de trouver la vraie cause de ce qui, faute d’avoir été détecté, reconnu, s’est transformé à l’adolescence en lourde problématique : harcèlement et brimades au collège dus à sa « différence » — dont Tiana elle-même n’avait pas conscience au départ, pensant, comme tous les zèbres, que tout le monde était comme elle — ont entraîné crises d’angoisse, de panique, terreurs nocturnes, lourde dépression, phobie et donc échec scolaire, tentations morbides, automutilations…

 

Les zèbres, pour s’adapter au monde, aux autres, mais surtout pour être acceptés d’eux, sont obligés d’arborer un masque de normalité, tout particulièrement à l’école, où les enfants et les ados veulent à tout prix faire partie du groupe, être reconnus, appréciés, populaires…. Et où la différence est mal, voire très mal, comprise.

 

Dans l’enfance, cela peut passer plus ou moins inaperçu, bien que souvent les zèbres à l’école soient mis à l’écart sans qu’eux-mêmes ne comprennent pourquoi, alors qu’ils sont souvent adorés par leur enseignants pour leur grandes qualités intellectuelles, leur curiosité, mais ces derniers, pas plus que la famille, ne perçoivent, la plupart du temps, leur grande fragilité émotionnelle.

 

C’est en classe de quatrième que Tiana a craqué pour de bon et un changement de collège ne servira à rien. La haine d’elle-même est trop bien enracinée.

 

« J’ai passé des années à jongler entre différents psychologues qui affirmaient avec certitude que j’allais très bien ».

 

Tellement bien qu’elle finit internée et sous traitement lourd. Au moins,  « le sentiment de rejet n’était plus un problème dans un lieu où tout le monde en a souffert, mais mon hypersensibilité faisait de moi une éponge  et j’absorbais les problèmes des autres patients. », puis un changement d’établissement, où elle est traitée comme une ado violente, finira mal et là encore heureusement, ses parents la sortent de là.

 

C’est grâce à un test tout simple, qui va enfin poser le bon diagnostic : Tiana est à sa plus grande stupéfaction — et c’est bien pourquoi ce terme d’ailleurs n’est vraiment pas adapté — une surdouée et grâce aussi à l’association Zebra, unique en France et basée à Marseille, qu’elle va alors intégrer, que Tiana peu à peu va émerger de son enfer et devenir la jeune fille capable d’avoir assez de recul, de confiance et de stabilité pour écrire ce témoignage. Témoignage d’une expérience qui lui est absolument personnelle, mais qui doit pouvoir servir à d’autres, même si, comme pour n’importe quels autres êtres humains, il n’y a pas deux zèbres identiques.

 

« Tout le monde veut être différent, mais étrangement ceux qui le sont rêvent de devenir normaux. Sans doute vouloir être différent est un désir normal. Ce qui est vraiment différent, c’est de vouloir être normal. »

 

Au moment où elle écrit ce livre, Tiana a 18 ans et s’accepte enfin et elle est même heureuse de sa différence, elle sait qu’elle a eu l’immense chance d’être, tout au long de ce difficile parcours, aimée et entourée par ses parents, sa sœur, ce qui n’est pas toujours le cas. Aussi pour tous les autres enfants, ados et adultes en souffrance qui n’ont pas été diagnostiqués ou parfois trop tard, ce témoignage est une pierre de plus à l’édifice d’une meilleure compréhension de l’autre et de soi-même.

 

Jeanne Siaud-Facchin dans son livre Trop intelligent pour être heureux ? l'adulte surdoué explique :

 

 « Sur le plan affectif : être surdoué c’est aussi, et peut-être surtout, présenter des particularités dans la construction psychologique. L’ingérence affective est importante, un surdoué, le plus souvent, pense d’abord avec son cœur ! Souvent d’une très grande sensibilité, d’une forte réactivité émotionnelle, d’une intelligence du cœur puissante, l’adulte surdoué se ressent en décalage.

 

Une lucidité acérée sur les doubles plans intellectuel et affectif rend parfois difficile l’ajustement aux exigences de l’environnement. Et peut fragiliser son rapport au monde, aux autres et à lui-même… Les processus d’identification sont rendus plus difficiles, il ne se retrouve pas dans le fonctionnement des autres et peut éprouver un réel sentiment d’étrangeté. Les difficultés peuvent aussi apparaître dans la communication, il ne parle pas le même langage ni de la même chose ; enfin, les difficultés peuvent se nicher dans l’expression émotionnelle, il donne une importance exacerbée à l’affectif… Ce n’est pas la différence qui fait souffrir, mais le sentiment de différence. »

 

Ce qu’il faut retenir, c’est qu’un surdoué, zèbre, HPI, HPE, n’est pas malade, n’est pas non plus la plupart du temps un génie, c’est simplement une personne dotée d’une autre façon de penser et de ressentir, une pensée dite en arborescence, qui peut « comprendre avec facilité ce qui semble incompréhensible pour les autres et passer des heures à essayer de s’expliquer des choses qui paraissent évidentes à la plupart des gens », une personne hypersensible et très empathique, souvent incomprise, dotée d’une curiosité et d’une créativité « hors-normes ». Encore faudrait-il s’interroger sur cette notion de norme.

 

« Si quelqu’un m’avait dit que j’étais surdouée, je lui aurais demandé s’il m’avait bien regardée », nous dit Tiana.

 

Un mot ne peut pas définir une personne, mais parfois il faut en passer par là pour que la personne elle-même se sente reconnue, accrochée à quelque chose et cesse de s’enfoncer, de se faire du mal à elle-même.

 

« La sensation d’appartenir à un groupe, à une minorité peut-être, mais d’appartenir à quelque chose. De là est venue ma véritable joie. »

 

Cathy Garcia

 

 

Tiana.JPGTiana (un pseudonyme) est  marseillaise. Elle a publié Je suis un zèbre chez Payot en 2015.

 

 

 

 

 

28/08/2018

Calepin paisible d'une pâtresse de poules lu par Walter Ruhlmann

 

sur http://beakful.blogspot.com/2018/08/calepin-paisible-dune...

 

extrait de Calepin paisible d'une pâtresse de poules de Cathy Garcia Canalès, Nouveaux délits, 2018
 
 
 
 
La pâtresse poétesse observe, contemplative, ses poules, comme des amies, en tout cas plus que des animaux de compagnie, et l'environnement dans lequel elles évoluent. D'autres animaux, végétaux, personnes apparaissent et jouent des rôles essentiels dans ce recueil de pensées existentialistes que j'ai dévoré en une soirée et dont je me permets de reproduire ici un court extrait pour le promouvoir car il faut lire ce recueil pour connaître le Sublime, retrouver un bref instant l'essence même de ce que nous sommes en tant qu'êtres vivants sur cette Terre que nous négligeons, dans cette nature foisonnante que nous avons tout fait pour (essayer de) maîtriser à nos dépends. WR.
 


Oubliez-moi, oubliez mon personnage, il n'est rien d'autre que le vent quand rien ne bouge.

Je m'absente pour vivre pleinement, comprenez-vous? Et si je dois quitter mes mots pour cela ou plutôt ceux qui les lisent, je le ferai. Il y a un piège dans les personnages que nous créent les mots, ces personnages peuvent à chaque instant se refermer sur nous comme des vierges de fer. Ensuite, on ne nous entend plus, embrochés, pris au piège.

Aussi, je m'absente, afin que si mon personnage se referme, il ne se referme que sur le vide. Et je  est ailleurs, je  est nulle part,  je est partout. Dans les nuages en transhumance, dans la langue infatigable de mon enfant, dans le chant du coucou, dans l'avion qui troue le ciel, dans les arbres en attente de l'orgasme printanier et le couple d'oiseaux qui se chamaille; dans le trésor des buis agités par le vent, la mousse qui veloute les murets, dans ce morceau sec de genévrier, dans la crête rouge vif de Cerridwen, dans le jaune d'or du grain de maïs qu'elle vient de gober, dans les pelures de mandarine qui tranche sur le délavé des pelouses sèches, dans la croix du corbeau à l'aplomb de ma tête.

*****
 
[NDLR] Ce passage me fait penser à ces vers de Walt Whitman
 

I celebrate myself, and sing myself,
And what I assume you shall assume,
For every atom belonging to me as good belongs to you. 

Walt Whitman “Songs of Myself”, Leaves of Grass

 

28 pages agrafées
ISBN : 978-2-919162-05-5
tirage limité et numéroté
sur papier 90g - couverture 250g
100 % recyclé

10 € +2 pour le port
à commander à
Association Nouveaux Délits

http://associationeditionsnouveauxdelits.hautetfort.com/

 

 

 

Avis de parution : Calepin paisible d'une pâtresse de poules

 

 

Vous l'aviez aimé, voire adoré et bien voilà :

le numéro 2 de la collection de poésie postale "Délits vrais

est maintenant disponible en version livre

(légèrement remaniée)

 

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28 pages agrafées

ISBN : 978-2-919162-05-5

 

tirage limité et numéroté

sur papier 90g - couverture 250g

100 % recyclé

 

 

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10 € +2 pour le port

 

à commander à

Association Nouveaux Délits

http://associationeditionsnouveauxdelits.hautetfort.com

 

 

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« Que c’est bon d’être assise là au soleil, pâtresse de poules au sein de toute cette beauté ! Un léger vent, un esprit bienveillant, pose sa main sur mon front. Le sourire est là, à portée de lèvres. Il affleure comme une source, il vient du cœur. Ce cœur à cajoler, à nicher dans la mousse.

 

L’hiver se meurt, je le sais, je le sens. Ne pas chercher.

Ne plus chercher. Simplement faire de la place pour accueillir. »

 

 

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textes & photos de Cathy Garcia Canalès

 

 

 

 

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En hommage à Madame Wong

emportée par le renard en juillet 2011

et à tous nos compagnons à poils et à plumes

sans qui la vie ne serait pas la vie

 

 

 

 

 

 

 

on laisse sortir poulets et chiens, ils dansent
on laisse faire les enfants, ils s'amusent
assis oisivement, à l'ombre des sophoras, 
le poitrail à l'air face au vent du soir
le chanvre trempe dans l'eau de l'étang
les dattes sèchent au soleil
hommes et choses, quelle harmonie !

 Po Chu yi (772-846)

 

 

 

 

 

 

 

23/08/2018

Le bruit du dégel de John Burnside

 

traduit de l’Anglais (Écosse) par Catherine Richard-Mas

Métailié, 23 août 2018

 

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362 pages, 22 euros.

 

Dans Le bruit du dégel, la patte, ou plutôt la texture de l’auteur de L’été des noyés, se confirme. Cette même lumière intérieure, une sorte de douceur un peu étrange qui baigne le roman, qui en floute les contours, adoucit les angles, même les plus tranchants. On pourrait penser que John Burnside peint ses romans plus encore qu’il ne les écrit et ce n’est sans doute pas un hasard si l’art tient une grande place dans son écriture. Mais, si la peinture était omniprésente dans L’été des noyés, ici ce sont surtout le cinéma, la musique : images, ambiances, atmosphères….  Les sens du lecteur sont extrêmement sollicitées, y compris celui du goût et nous lisons le roman comme nous regarderions des morceaux de films, où les personnages s’appréhendent peu à peu dans leur complexité, leur solitude, leur histoire particulière, souvent dramatique. Et justement dans Le bruit du dégel, c’est de cela qu’il est question : d’histoires, des morceaux de vie racontés par Jean, une vieille dame qui vit en lisière d’une forêt, qui coupe son bois, fait des beignets aux pommes, concocte des tisanes et adore aller boire un café accompagné d’une délicieuse pâtisserie, au Territoire sacré.

Jean a passé un pacte avec Kate, jeune fille mordue de cinéma, plus ou moins étudiante dans ce domaine, mais surtout paumée et enchaînée à un deuil qu’elle n’arrive pas à faire. Jean accepte de raconter des histoires de sa vie à Kate, que le hasard d’improbables enquêtes cinématographiques a conduit jusque chez elle, à condition que cette dernière accepte de ne pas céder à son penchant morbide pour l’alcool durant tout ce temps.

Et c’est ainsi que des portes s’ouvrent à l’intérieur du roman pour accéder, comme dans une sorte de mise en abîme à un autre roman, où d’autres vies, d’autres temps, sont racontés pendant que la vie de Kate elle-même, personnage central et narrateur, se dévoile peu à peu.

Kate partage sa vie depuis quelques temps avec Laurits, jeune réalisateur de cinéma, exigeant, complexe, excessif, peut-être bien génial, mais désabusé, plus suicidaire encore qu’elle-même et par qui elle se laisse volontairement absorber. Avec qui, elle se laisse couler.

« Ses films étaient appréciés dans certains milieux, mais lui affirmait que finalement ils étaient tous merdiques. L’idée initiale n’était pas merdique, disait-il, mais le produit fini n’était jamais à la hauteur. Il soulignait toujours qu’il n’y avait pas d’histoire dans ces films maison (…) parce qu’il méprisait l’intrigue, détestait le suspense, le mensonge que ça impliquait, la maladresse de l’artifice, mais je ne crois pas que le public partageait ce point de vue. (…) Laurits disait que sa vie ne s’attachait pas aux événements, ni à cette sensation durable d’exister en tant qu’histoire que le processus de socialisation s’efforce de nous vendre. Il disait que les relations impliquant une quelconque complexité ne l’intéressaient pas, qu’il recherchait juste ces textures et gradations insaisissables d’ombre et de lumière, les nuances, l’atmosphère. Il y était question de l’étoffe du monde — ou plutôt de ces instants et lieux où l’étoffe du monde était effilochée ou déchirée. »

Le lecteur ne pourra peut-être pas s’empêcher de faire le lien entre ces deux dernières phrases et l’écriture de John Burnside lui-même, car il y a vraiment de ça dans ses romans, ce qui peut plaire comme agacer, parce qu’on peut avoir l’impression de ne pas avoir de prises, de glisser sur cette écriture comme sur une vitre. Tout en étant absolument touché par le paysage qu’on peut voir au travers, il demeure toujours pourtant comme une distance, une part inaccessible. On pourrait dire qu’il y a une sorte de pudeur dans l’écriture, une distance, même si l’auteur nous offre d’aller au plus près de ses personnages, notamment au travers de ce que raconte cette étonnante vieille dame.

Jean porte en elle, en plus de la sienne, l’histoire de ses proches et un pan de l’histoire contemporaine américaine est étroitement tissé à toutes ces existences: le mirage du rêve de liberté et de justice, le Vietnam, les mouvements contestataires des années 60-70, la guerre froide, les idéaux déçus ou poussés jusqu’au non-retour. Il y a donc dans ce roman, un évident fond politique, mais qui apparaît par contraste, toujours avec cette écriture qui semble fondre l’ensemble dans une même matière, tout en nous faisant percevoir que, par endroits justement, l’étoffe du monde peut se déchirer et on peut alors voir au-delà, quelque chose que les mots n’atteignent pas. Et dans Le bruit du dégel, cet endroit pourrait se trouver dans cette maison si accueillante à la lisière de la forêt.

La lisière : la frontière fragile entre le réel et le rêve, la frontière fragile entre les personnes, entre le passé et le présent, la vie et la mort et sans aucun doute certaines personnes — et les chouettes rayées — ont connaissance de passages secrets.

 

Cathy Garcia

 

editions-metailie.com-burnside-john--hannah-assouline-2014-300x460.jpgJohn Burnside a reçu le Forward Poetry Prize 2011, principale récompense destinée aux poètes en Grande-Bretagne. John Burnside est né le 19 mars 1955 dans le Fife, en Écosse, où il vit actuellement. Il a étudié au collège des Arts et Technologies de Cambridge. Membre honoraire de l’Université de Dundee, il enseigne aujourd’hui la littérature à l’université de Saint Andrews. Poète reconnu, il a reçu en 2000 le prix Whitbread de poésie. Il est l’auteur des romans La Maison muetteUne vie nulle partLes Empreintes du diable et d'un récit autobiographique, Un mensonge sur mon père. John Burnside est lauréat de The Petrarca Awards 2011, l'un des plus prestigieux prix littéraires en Allemagne.

 

 

 

 

 

 

18/08/2018

Lancement de souscription pour "Aujourd'hui est habitable", en Poésie chez Cardère

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j'ai la joie de vous annoncer - et cette fois pour de bon et dans de bonnes conditions chez un éditeur de confiance, la parution d'Aujourd'hui est habitable, accompagné de trois de mes photos.

 

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Ce sera donc mon quatrième bébé à voir le jour chez Cardère éd. 

Une souscription est lancée, jusqu'à parution en septembre

à 10 euros au lieu de 12 euros prix public, port gratuit :

https://cardere.fr/poesie-contemporaine/151-aujourd-hui-e...




 

12/08/2018

Un texte c’est une chaussure : chez le cordonnier par Sarah Roubato

 

cordonnier

Il y a des jours où on a l’impression de commettre des gestes d’un autre temps. Dans un monde qui promet les canicules, les tornades, les inondations, la fonte des glaciers, l’étendue du désert, la disparition des abeilles, les vagues de réfugiés climatiques qui marcheront par centaines de milliers, nous vivrons bien jeunes des dernières fois. Il y a quelques jours, je suis allée faire réparer mes chaussures. Je ne suis pas fétichiste. Mais il est certains objets qui deviennent des compagnons de route. Ces chaussures m’accompagnent depuis 19 ans. Elles m’ont portées dans les montagnes de France et les hivers canadiens, elles ont eu entre leurs crampons la terre rouge du Maroc. Elles m’ont empêché de glisser sur les graviers secs et sur la roche des grottes sombres. Je peux dire sans rire que je leur fais confiance. Alors quand un coin de tissu se déchire, quand une fente s’annonce dans le cuir, je cours chez le cordonnier.

Le plus proche est à quarante minutes. L’annuaire qu’un numéro 0800. Je cherche, je trouve un fixe. Un vieil homme me répond. Ce n’est pas le commerçant, mais c’est la voix de quelqu’un qui a décroché comme s’il était chez lui. Je me dis que ce doit être son père. J’imagine le vieil homme passant ses journées dans la boutique de son fils à qui il tient compagnie.

11h du matin. La boutique ressemble à un garage. Le bonhomme discute dans la rue avec un gars du quartier. Il va faire ce qu’il peut, mais ne promet rien. Pour la fin de la semaine. Tant que ça ? Je ne pourrai pas aller marcher pendant trois jours. Je les lui confie. 15h30, le téléphone sonne : « C’est le cordonnier. Bon je m’y suis mis à 13h, je viens de finir. Il y avait du boulot ! Vous pouvez passer les prendre. Comme je voyais que ça vous embêtait, je vous ai fait passer en premier. Oui je peux vous attendre jusqu’à 18h30. Sinon je les laisse au marchand de vin en face, et vous le paierez. » Je refais quarante minutes pour aller les chercher.

Capture d’écran 2018-08-04 à 03.48.03« J’ai fait ce que j’ai pu, mais vous savez… Après ? Vous n’en trouverez plus des comme ça. Regardez ici, vous voyez, c’est un seul morceau. Aujourd’hui ils font ça avec deux matériaux. Ici ils mélangent avec de l’eau. Au bout de trois ou quatre ans l’eau s’évapore et ça casse. Et on ne peut pas réparer. C’est fait pour. Ah, vous avez appelé chez moi, mon père m’a dit ? Et oui le numéro de téléphone je ne peux pas le mettre dans l’annuaire car officiellement je suis à la retraite. Alors vous aimez voyager ? Et non moi je ne peux pas. Vous savez combien je gagne pour ma retraite ? »

100 euros par mois de retraite d’artisan, et 550 euros de minimum retraite. Pour bons et loyaux services six jours sur sept dans cette même boutique pendant trente ans. C’est le double de ce que je gagne. Je ne sais quelle aumône est la plus insultante. Je me souviens d’un homme à la cantine de mon école. Pendant dix années, c’est lui qui me servait tous les midis le repas. Il appelait toutes les filles Magali. Toujours le sourire sous sa toque. Quelques années plus tard je le retrouvais alors que j’étais pion dans cette école. C’était sa dernière année. Il venait de recevoir sa prime pour trente années de fidélité : 200 euros. Il va rentrer au Mali.

Le cordonnier qui me dit en ajustant sa limeuse : « Que voulez-vous, cordonnier, c’est fini. » Un peu plus de trente ans me séparent de lui, et pourtant, j’aurais envie de l’appeler Camarade. Car moi aussi je me sens faire partie d’une espèce en voie de disparition. Celle qui cherche des rencontres qui se creusent et se déplient, celle qui ne s’habitue pas aux messages laissés sans réponse, celle qui voudrait que l’on paye l’artiste comme on paye le vendeur de bière ou de café, celle qui répare plutôt que de jeter. Même pas par conscience écologique. Simplement pour creuser un autre rapport au monde, qui nous nourrit au lieu de nous gaver.

Lui et moi sommes d’un autre temps. De celui qui fait durer le cuir de la chaussure ou celui de la rencontre. De celui qui se plie à d’autres priorités que celle des horaires. Enfant de ce siècle et pourtant orpheline, je dois vivre dans un monde du one-shot, du clic, du commentaire, du smiley et du « J’te fais signe ! ». Un monde où les gens n’ont le temps de rien mais bien du temps à perdre. Où on ne sait quel est le bon moment, entre le J’étais très occupé, dans le rush  et le  Je me déconnecte, je suis en vacances. Où les amis ne sont plus que des likes et des smileys sur Facebook. Où les rendez-vous sont des aumônes que l’autre nous fait entre deux urgences. Où des ententes et les projets s’annulent aussi facilement qu’un rendez-vous. Je sais, on fait ce qu’on peut. Mais y’a la manière.[1]

IMG_2948J’arrache des bulles de rencontres au tourbillon des gens : des veillées, des spectacles, des cinémas d’oreille, des ateliers. Sitôt fini, il faut passer à autre chose, et ne pas espérer de lendemain. Une lettre fait un buzz, un livre sort, une autre lettre, un autre livre. Deux mois après c’est fini. Et moi je marche avec l’espoir en bandoulière de cuir qui va bientôt casser et qu’on ne répare pas. Celui d’une proposition artistique qui réintègre le quotidien, qui devienne rendez-vous régulier, un prétexte pour construire du commun. Ce n’est pas un rêve éthéré. Je n’ai pas rêvé, je l’ai bien vu, ce tremblement., Nous avons soif de raconter notre monde autrement. « Il y a un besoin, mais pas de demande », m’a dit un jour un marionnettiste. J’ai la faiblesse de croire que c’est dans ce genre de proposition que se révèle la vraie diversité. Que c’est dans la collaboration d’artistes et de publics qui se connaissent, s’apprivoisent, se jaugent, et non dans l’accumulation de one-shots. Ceux qui explorent depuis plusieurs années la même vallée, le même bord de mer, la même ville, savent de quoi je parle.

 

 

Je cherche des recoins de l’humanité où il serait encore possible de creuser, de déplier une proposition, pour que de divertissement elle devienne citoyenne, geste à part entière de notre vie, prétexte à envisager autrement notre société. Car un texte c’est comme une chaussure : il faut lui laisser le temps de se faire à notre pas.

Je repars avec mes chaussures convalescentes. Elle me porteront encore un petit bout de chemin. Après, il sera l’heure de marcher différemment.

 

Sarah Roubato

http://www.sarahroubato.com