Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/11/2020

Et pourquoi moi je dois parler comme toi ? - Anouk Grindberg

 

Et-pourquoi-moi-je-dois-parler-comme-toi-1e-Couv.jpgSorti le 15 octobre dernier aux éditions Le Passeur.

Anouk Grinberg propose une constellation de textes d'art brut, des bijoux d'inventivité et de liberté.

 

Chez eux, l’imagination est en tête, les visions débordent, les identités sont multiples, et les sens sont à nu. L’enfance est partout, le réel est augmenté de dialogues avec des esprits et ils parlent couramment la langue du chaos ; le dedans est dehors. On dit d’eux qu’ils sont fous ou idiots.

 

À leur façon, ils portent aussi le monde. Ils disent, à corps et à cri : « Je ne suis pas ce que vous
croyez », ils font des danses de vie pour éclairer leurs chambres noires, ils écrivent au monde et le monde
n’entend pas ; ils créent sans le savoir, et nous nous inclinons devant la vie qu’ils portent en eux. Ils ont eu la pulsion d’écrire, comme on a la pulsion de la vie. Ils se fichaient d’écrire « comme il faut » ; ils
obéissaient à d’autres lois, inventaient des langues pour se tenir au plus près d’eux-mêmes. Ça jette des étincelles.

 

Nos cœurs sont à la fête, même quand c’est triste. On retrouve des frères, des sœurs, ou bien nous-mêmes, épluchés de nos falbalas. Avec les écrits bruts, on est à la source de pourquoi l’écriture vient, pour faire monter la vie, pour s’ébrouer du malheur et en faire des feux de camps, pour faire vivre l’esprit.

 

On ne comprend pas comment le manque de tout l’élémentaire produit cet oxygène. C’est un mystère. Et
en attendant de comprendre, je tourne autour et avec eux, je me sens vivante.

 

 

Anouk Grinberg est comédienne et artiste peintre. Ce recueil est un complément au spectacle qu’elle jouera en France en 2020-2021.

 

 

https://www.le-passeur-editeur.com/les-livres/litt%C3%A9r...

 

 

 

19/11/2020

JE M’APPELLE HUMAIN de Kim O’Bomsawin (2020)

 

 

 

17/11/2020

Petits cimetières sous la lune de Mauricio Electorat

traduit de l’espagnol (Chili) par l’auteur lui-même.

editions-metailie.com-petits-cimetieres-sous-la-lune-hd-300x460.jpg

Métailié, octobre 2020. 302 pages, 21 €.

 

Ce n’est pas tant l’intrigue qui nous attache à ce récit, bien qu’elle soit très intéressante, mais l’étonnante texture de son écriture, qui nous rend le narrateur très proche, très familier, et qui donne aussi à ces Petits cimetières sous la lune, un côté très cinématographique, sans pour autant tomber dans l’exercice de style.

Le titre du roman évoque le pamphlet de Bernanos, Grands cimetières sous la lune, et ce n’est pas un hasard. Le narrateur, Emilio Ortiz, a fui la pression familiale et son pays, le Chili, tout juste sorti de la dictature, pour aller étudier la linguistique à Paris, avec l’aide financière de sa jeune tante Amalia. Mais plus que de sa vie d’étudiant, à laquelle il sera peu assidu, c’est surtout de ses nuits de veilleur dans un petit hôtel du quartier Montparnasse qu'il est question, ses rencontres avec une faune nocturne, des amitiés entre exilés, des nuits alcoolisées. Il y a aussi Chloé, serveuse dans un dancing, le dancing de La Coupole, fréquenté par des couples mûrs qui semblent tout droit sortis des années '50 ; Chloé qui soudain s’évapore, après avoir entretenu avec Emilio une courte, étrange et sexuellement intense relation, Chloé dont la disparition devient pour lui une obsession alors qu’il ne connaît même pas son nom de famille. C’est elle qui vit dans un appartement près d’un cimetière de banlieue avec une autre fille, une Coréenne : « trois chambres, séjour, salle de bains, cuisine assez minuscule. Mais, en revanche, l’appartement a un parquet de lattes larges qui traversent les pièces d’un bout à l’autre. Un beau parquet à l’ancienne. Ceci dit, les chambres ne sont pas très spacieuses. Et, en plus, elles donnent sur un cimetière. ».

Emilio Ortiz va et vient, dans son récit, entre sa toute nouvelle vie parisienne qui bouscule tout ses repères et les souvenirs de son passé à Santiago avec sa famille et notamment la relation à son père ; les liens de ce dernier avec des membres haut placés de la dictature de Pinochet, un père dont il ne veut plus entendre parler mais dont il ne peut pas complètement se détacher. Il va lui falloir, alors que sa mère va très mal et que son père est rattrapé par la justice, retourner dans ce pays désormais abhorré. Le besoin de savoir la vérité, plus fort que tout, le poussera à enquêter sur le passé de ce père impossible à aimer, tout en essayant de retrouver à Paris, la Chloé évaporée.

Petit cimetières sous la lune est entre autre le récit d’amours impossibles. L’ombre de la douleur plane en permanence sur ce roman mais il y a un tel ciselage de l’écriture, une précision dans la narration, qui font que le texte se déguste véritablement comme un bon alcool fort et une sorte de distanciation désabusée, apporte de nombreuses touches d’humour très flegmatique, so british pour un Chilien. Un vrai régal sur le plan littéraire !

Le narrateur porte un regard désabusé sur la vie, les êtres ; c’est sur lui que repose le poids de son histoire et il en assume la charge seul. Quelque chose a cassé en lui, il y a longtemps déjà, quelque chose qui se cache dans le sous-sol d’un garage que son père détenait avec un associé.

La construction du récit elle-même est atypique : des chapitres plus ou moins longs, parfois d’un seul mot, des allers-retours dans le temps et entre la France et l’Amérique latine, en passant par un tour en Roumanie. Sa lecture nous plonge dans une sorte d’ivresse douce-amère, comme celle de la mère d’Emilio que son père a quitté pour une fille bien plus jeune que lui. Il y flotte une atmosphère, comme une odeur d’anesthésique qui contraste avec la précision de l’écriture. L’alcool, le déni, la fuite à l’étranger, tout le monde cherche à échapper à la douleur du réel, car il y a des réels trop sales pour être nettoyés et pour Emilio Ortiz, une filiation insupportable.

C’est aussi l’histoire de tout un pays qui se dessine en filigrane, pendant et après la dictature avec ses dessous crapuleux et criminels, la bassesse humaine. Petits cimetières sous la lune, un roman de l’exil, de l’attachement impossible et où la proximité entre morts et vivants est trop étroite.

 

Cathy Garcia Canalès

 

 

Mauricio Electorat est né à Santiago du Chili en 1960.  Après deux années d’études de journalisme et de littérature à Santiago, il s’installe à Barcelone en 1981, où il obtient une maîtrise en philologie hispanique. Petit fils de français émigrés à Valparaíso au début du XXe siècle, il choisit Paris comme lieu de résidence définitif dès 1987. Il a publié deux recueils de poésie. Son premier roman, Le Paradis trois fois par jour (Série noire, Gallimard, 1997), ainsi que son recueil de nouvelles Nunca fui a Tijuana y otros cuentos (Cuarto Propio, 2000) ont reçu le Prix de Littérature de la Ville de Santiago et le Prix du Conseil National du Livre et de la Lecture, les récompenses littéraires annuelles les plus importantes au Chili. Sartre et la Citroneta, son deuxième roman, a obtenu en Espagne le prestigieux Prix Biblioteca Breve.

 

 

 

16/11/2020

Jeu de société de Guillaume Desjardins & Jérémy Bernard (2020)

 

 

14/11/2020

Pour une nouvelle conscience : déclaration des droits et devoirs de l’individu conscient

par Sarah Roubato

I.

Quand les fondations sur lesquelles reposent l’organisation du monde se fissurent, chaque individu est en droit d’en questionner les fondements. Car par ces fissures sombrent déjà les plus fragiles mais tôt ou tard, l’ensemble des populations. 

Ce qui nous arrive, nous avons du mal à le nommer. Mais chacun sent que nous nous dirigeons vers un état du monde qui ne sera pas supportable. 

Cette crise nous met face aux limites d’un système mondial, aux échecs de nos gouvernements et face à nos modes de vie. Aujourd’hui les inégalités se révèlent sous une lumière impitoyable. Le répit qui est offert au vivant n’est que temporaire et artificiel. 

Nous sommes devenus à la fois victimes, bénéficiaires, outils et commanditaires du consumérisme néolibéral, c’est-à-dire d’un rapport à la vie, à nos besoins, à nos loisirs, au savoir, ou encore au soin basé sur une satisfaction immédiate et éphémère, vouée à se renouveler le plus rapidement possible et à nourrir la courbe exponentielle des profits de marchés dérégulés. 

Nous nous sommes laissés piéger dans un état de dépendance matérielle, économique, énergétique, intellectuelle et émotionnelle à laquelle nous consentons, et nous avons renoncé à croire que nous pourrions le changer.

II.

Mais au cours de son histoire, l’être humain a su tracer une ligne entre l’acceptable et l’inacceptable et a démontré qu’aucun état des choses n’est inexorable. 

Nous avons trop longtemps préféré nous accommoder des souffrances d’un état du monde que nous connaissons, plutôt que de risquer les incertitudes d’un changement nécessaire. 

Nous ne pouvons pas regarder la crise actuelle par la fenêtre, en espérant retourner rapidement à ce que nous appelons la vie normale. Nous l’avons déjà fait tant de fois. 

Et pourtant, que faire ? Comment prétendre se dresser contre ce qui nourrit toutes les grandes forces de ce monde et qui constitue la norme pour la plupart de nos contemporains ? Dénoncer, expliquer, donner à voir, analyser ? Nous savons déjà. À l’heure de l’information, le savoir seul ne mène plus à la raison. L’idéal des Lumières a avorté. Marcher, revendiquer, signer des pétitions ? Beaucoup de bruit pour si peu de changement. 

Nous savons que l’heure n’est plus aux petits gestes de chacun. Mais les individus que nous sommes devenus sont-ils encore capables de penser un commun et de s’organiser pour le faire advenir ? 

Le grand élan nécessaire ne peut venir que d’individus ouverts à une nouvelle forme de conscience, capables d’énoncer les principes sur lesquels ils veulent réorienter leur vie, de les appliquer avec exigence, de les défendre avec fermeté et de les transmettre avec conviction.

III.

Mon droit au bonheur ne saurait, à aucun moment, reposer sur la destruction du vivant ou l’atteinte à la dignité humaine. Ma liberté individuelle reste l’un des plus précieux lègues des combats passés, mais elle ne pourra plus être l’alibi qui justifie ma participation à la destruction des équilibres du monde. 

J’aspire à un mode de vie qui me permette d’habiter le temps, d’être là pour mes proches, de trouver du sens à mon travail, de m’ancrer dans mon voisinage et de restaurer mon lien au vivant.

J’aspire à une société qui considère les anciens et les enfants comme les deux pôles qui la tiennent et non comme ses éléments passifs. 

Je chercherai des manières de me nourrir, de me déplacer, d’éduquer, de me divertir, de m’informer ou encore de gouverner qui respectent la dignité de l’humain et qui préservent le vivant. J’encouragerai au mieux de mes capacités ceux qui déjà y travaillent.

Je chercherai parmi ceux qui expriment le monde, ceux qui me feront voir le réel dans sa complexité, qui nourriront mon imaginaire, et qui me donneront des outils pour distinguer ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas.

J’encouragerai une utilisation des nouvelles technologies qui n’efface pas la présence aux autres ni à ce qui m’entoure.

Je veillerai à ce que soit préservées dans chaque aspect de ma vie la diversité et la complémentarité des formes de vie, des opinions et des expressions dans le respect du droit.

J’exigerai des responsables politiques, que j’approuve ou non, qu’ils consacrent leurs mandats à trouver les moyens de préserver le vivant, à nous assurer le plus d’autonomie possible et à respecter toutes les professions essentielles à l’harmonie sociale. Qu’ils puissent envisager avec nous de nouvelles formes de gouvernance pour que les citoyens puissent être pleinement intégrés à l’exercice politique. 

IV.

Ces principes ne sont pas de lointains idéaux. Ils forment la boussole qui désormais oriente ma vie. Ils me rendent un pouvoir qui m’avait été confisqué : celui de décider au service de quoi je mets mon temps et mon travail. Car je l’ai compris, chaque geste que je fais et que je ne fais pas, agit sur le monde. 

Je sais que ces principes exigeront que je secoue mon confort, mes habitudes, que je recalibre mes priorités et que j’interroge mes certitudes. Que j’envisage ce qui semblait impossible, ou bien pour les autres. Je le ferai, car je sais que l’avenir en dépend.  

Pour ce qui ne dépendrait pas de mes choix personnels, j’exigerai que ceux qui peuvent agir le fassent, qu’il s’agisse de ma famille, de mes voisins, de mes collègues, de mon employeur, de mes formateurs ou de mes représentants. 

En énonçant ces principes et en m’engageant à les suivre, je gratte à nouveau l’allumette d’une conscience volée, celle d’appartenir à l’humanité et au vivant. 

 

(...)

Texte intégral : http://www.sarahroubato.com/po/nouvelleconscience/

 

 

07/11/2020

La Mort et le Météore de Joca Reiners Terron

 

Zulma éd., 1er octobre 2020

lamortetlemeteore_plat1-hd-572203.jpg

190 pages, 17,50 €.

 

Nul homme n’est le roi de quoi que ce soit.

LES INDIENS MÉTROPOLITAINS

 

Un roman bien singulier que La Mort et le Météore, une dystopie amazonienne qui dresse un portrait acerbe d’une sinistre réalité brésilienne, d’ailleurs exacerbée encore depuis les dernières élections présidentielles, envers l’environnement et les derniers peuples autochtones, notamment les plus isolés, dits non contactés. C’est de ceux-là qu'il est question dans ce roman, qui se déroule dans un futur de plus en plus proche où il ne reste rien de la forêt amazonienne sinon quelques derniers hectares brûlant comme l’enfer et où le Chili a disparu sous le Pacifique.

La mission qui est confiée au narrateur par Boaventura, un vieux et énigmatique protecteur des derniers Indiens Kaajapukugi — alors qu’une fusée chinoise s’apprête à décoller pour une nouvelle tentative de mission habitée vers Mars — c’est d’accompagner les Kaajapukugi au Mexique, avec l’aide de l’association Survival International (qui existe vraiment) et de les aider à s’y installer. En effet, les cinquante ultimes membres de cette tribu isolée, confrontée à la destruction intégrale de l’écosystème essentiel à leur survie physique et spirituelle, ont demandé l’asile politique. Une première dans l’Histoire. Le Canada, qui avait accepté en premier, étant bien trop froid, c’est finalement le Mexique qui sera leur terre d’accueil et plus précisément un plateau du territoire mazatèque.

Tout ce que les Kaajapukugi connaissent et bien qu’ils soient parvenus à échapper pendant 400 ans à l’avancée de l’homme blanc, bien qu’ayant frôlé une première éradication au XIXe siècle, raconte Boaventura, a été détruit avec « leurs plantes médicinales sacrées, et même les poisons dans lesquels ils trempaient leurs flèches ou encore le timbó, cette légumineuse toxique qu’ils utilisaient pour la pêche. Les fleuves sont asséchés, les poissons sont morts. Tout a disparu, y compris les hannetons dont ils extrayaient du tinsdanhán. Avec l’érosion tout est parti, il ne reste plus que du sable. Et, suite à la disparition du tinsdanhán, c’est aussi leur monde supérieur qui a été emporté, leurs dieux, leurs fêtes et même les trois Ciels où ils auraient trouvé repos dans la nature, chassé joyeusement les hannetons et fait l’amour avec leurs femmes ».

Et justement, les cinquante derniers membres de la tribu, sont tous des hommes.

C’est donc une bien triste mission qui est confiée au narrateur, anthropologue intéressé par les langues mortes et jusque-là surtout un « rond de cuir coincé dans un bureau de la Commission nationale pour le développement des peuples indigènes, à mi-chemin entre le ventilateur et le classeur métallique, et à environ deux coudées de la petite table où le thermos de café exhalait ses derniers soupirs. ». Pas marié, sans enfant, il vient de perdre ses parents et se retrouve héritier seul et endeuillé d’une vieille maison dans le centre historique d’Oaxaca au Mexique, ville décor pour touristes où tous les temps se sont mélangés. Pour lui, c’est donc une mission des plus intéressantes, ne serait-ce que pour le sortir de sa morne vie et lui permettre d’approcher une langue quasi inconnue et de faire quelque chose de bien qui pourrait donner un peu de sens à sa vie. Et il compte sur Boaventura pour le guider dans cette mission, puisque ce sertanista (spécialiste de la forêt amazonienne) de la Funai, la bien réelle Fondation nationale de l’Indien au Brésil, a consacré sa vie à la défense des Kaajapukugi. Mais voilà que la mort subite de ce dernier sème le trouble et la mission prend une tournure des plus imprévues. Une vidéo envoyée par Boaventura à l’anthropologue, juste avant de mourir, pourrait être la clé du mystère kaajapukuji.

Il serait dommage de révéler plus de ce récit vraiment atypique, si ce n’est qu’il ne cache pas une critique sèche et sans concession d’un monde violent et vorace, vu sous l’angle des plus fragiles des humains, mais aussi les plus mystérieux, qui ont des connaissances que le monde moderne ignore et sous-estime grandement. Dans La Mort et le Météore, elles dépassent les lois du temps et de l’espace. Il est aussi une plongée dans les abîmes de l’être humain et la tentative d’y échapper. Joca Reiners Terron mêle, dans ce roman d’aventure terminale, fiction, fantastique et réalité, une très dure réalité qu’il connaît de par son engagement pour la forêt amazonienne.

C’est son premier roman traduit en français. Un auteur à suivre.

 

Cathy Garcia Canalès

 

joca-terron-03-renato-parada_freeofcharge-399.jpegJoca Reiners Terron est né en 1968 dans le Matto Grosso. Il vit à São Paulo. Il a publié une dizaine d’œuvres narratives et trois recueils de poésie.

 

 

 

 

 

 

Fragments erratiques de Xavier Combres

 

 

 

fragments-erratiques.pngThe BookEdition 2020

194 pages, 10 €

 

« Celui qui méprise les petites bêtes ignore combien il est minuscule ! »

 

Quand il s’est présenté à un de mes ateliers d’aide à l’écriture, je ne me doutais pas que je venais de rencontrer un écrivain déjà confirmé, même si lui-même l’ignorait peut-être encore, aussi c’est avec enthousiasme que je publiais de lui dans ma revue, des extraits d’un carnet de voyage dans lequel il relatait ses pérégrinations en pays kanak. Déjà je me régalais de le lire, aussi la sortie de son livre — et tant mieux si j’ai pu l’encourager — fut donc une très bonne nouvelle. Je viens juste de le terminer et je suis éblouie, vraiment, ce que j’avais perçu s’y révèle pleinement et se pose en confirmation : Xavier Combres est — entre autre talents dont il ne manque pas, il n’y a qu’à suivre la piste de Deadman river https://deadmanriver.bandcamp.com/releases — un écrivain talentueux !

Sur « les chemins d’un esprit-monde ouvert, vers plus d’espace et de liberté », il a voyagé, avide de connaître, découvrir, rencontrer, mais aussi d’éprouver avec un maximum d’intensité cette ivresse du voyageur solitaire, notamment face aux éléments d’une nature propice à cette exaltation, qui enseigne mieux que quiconque l’art de la contemplation et ce retour aux sources si essentiel à tout être humain, même si beaucoup l’ignorent encore. Et qui dit retour aux sources, dit retour à la source intérieure, la connexion avec l’être-soi et l’écrivain voyageur est aussi poète, pas pour la posture, mais parce que son approche du monde est également sauvage et poétique. Abreuvé de poésie chinoise, c’est un peu en apprenti taoïste qu’il voyage et ses poèmes polis comme des galets, témoignent de son avancée. En érudit aussi, toujours curieux, qui ne se prend pas au sérieux et n’assomme pas le lecteur avec ses connaissances. Il les partage seulement et il y réussit à merveille : tout devient intéressant, passionnant, du plus petit insecte à l’Histoire des civilisations, de la géologie aux mythes et traditions de l’humanité, en passant par des anecdotes pleines d’humour et d’autodérision avec toujours cette ouverture d’esprit qui va grandissant au fur et à mesure de l’ouverture des horizons.

Aventurier de la sagesse, un vrai voyageur contrairement à bon nombre de touristes, revient riche de souvenirs et pauvre en orgueil et c’est le plus souvent loin des sentiers battus et du sensationnel que les vraies rencontres peuvent avoir lieu.

Ces Fragments erratiques derrière les récits de voyages parlent de quête intérieure : se connaître en se dépossédant de tout ce qu’on croit être, repousser ses limites. Sur son chemin, Xavier Combres va trouver des merveilles et sa soif de connaissances et de découvertes n’en sera jamais étanchée, mais il va aussi ramener un mal inconnu, un mal réel dans ses répercussions physiques et psychiques mais dont nul médecin et autres praticiens n’ont su à ce jour déceler l’origine. Un mal inexpliqué qui amplifie donc un malaise déjà conséquent et qui handicape sévèrement le libre voyageur. Aussi de l’enthousiasme kayafou des premiers récits, qui nous emmènent de Nouvelle-Calédonie à la Guyane, la Chine, la Thaïlande, la Malaisie, en passant par des échappées sauvages en France et un poème cueilli en Angleterre, ces fragments erratiques s’achèvent pour l’instant en Algarve, où le voyage se mêle à l’épreuve. De l’épreuve nait l’obligation de découvrir peut-être des contrées intérieures plus profondément enfouies, que le mouvement extérieur perpétuel peut éviter d’aller sonder, des contrées où l’auteur saura trouver la force tout autant que le détachement nécessaires pour continuer le voyage, quelle que soit sa forme, et personnellement j’ai très hâte de te lire encore Xavier !

 

La pierre marche si lentement

Pas même le vieux pin

Ne l’a entendue

S’éloigner du rivage

 

Cathy Garcia Canalès

 

Xavier Combres est né en 1979 à Toulouse, sur la rive gauche de la Garonne. Après des études d’ingénieur, il prend son sac-à-dos et son stylo pour voyager et écrire pendant une dizaine d’années. Depuis 2015, il s’est installé à Cahors, au creux du Lot.

Pour commander le livre : https://www.thebookedition.com/fr/fragments-erratiques-p-377922.html

 

 

 

Xavier P. Smith Deadman River_o.jpg

 Xavier Combres - Deadman River

 

 

 

 

 

Marcher sur la diagonale du vide de Jean-Luc Muscat

 

couv_livre_3188.jpgLe Mot et le  reste, mai 2020. 122 pages, 13 €.

 

Après avoir écrit Voyage du côté de chez moi, sorti chez le même éditeur en février 2019, Jean-Luc Muscat récidive avec Marcher sur la diagonale du vide. Dans le premier, l’auteur partait à pied de chez lui, dans le second, il part de Vézelay pour revenir à pied jusqu’à chez lui, près de Figeac dans le Lot. Un trajet qui s’inscrit dans un rectangle que géographes et démographes appellent « diagonale du vide » et que l’auteur requalifie de diagonale de la déprise, « pour exprimer le déclin de la population et des services de proximité, eu égard aux habitants de ces régions qui ne vivent pas en état d’apesanteur ». Un trajet d’environ 660 km, que l’auteur va parcourir en 25 journées d’avril.

Il est difficile de transcrire la marche, car l’acte d’écrire se fait à l’arrêt, au moment des pauses ; si la marche est inspiration, alors l’écriture en serait l’expiration, une expiration qui laisse des traces. Ainsi Marcher sur la diagonale du vide, en invitant le lecteur à marcher avec l’auteur, le déplace en une succession de tableaux mêlée d’impressions, de réflexions, d’anecdotes. La mémoire a déjà commencé à travailler le matériau — paysages, rencontres, sensations —  capté par les sens lors de la marche, mais Jean-Louis Muscat sait le rendre suffisamment vivant pour que le lecteur se sente marcher lui aussi et qu’il ait l’impression de découvrir au même moment que l’auteur, ce que le chemin déroule de beauté, d’obstacles, de surprises agréables et de déconvenues et l’acte physique même de la marche.

La marche nous fait renouer avec nous-mêmes et avec nos origines : de mémoire d’homme, nous avons toujours marché. En ramenant les choses à l’essentiel et en prise directe avec le réel, la marche amène à développer une forme de sagesse, pour peu que le marcheur ne soit pas juste intéressé par la performance. Prendre le temps de voir, de sentir les lieux traversés, d’être réellement présent avec cette lenteur obligée, comparativement à tout autre mode de transport, peut ouvrir l’esprit tout autant que tous les autres sens. Le marcheur est confronté physiquement à lui-même et aux éléments : ici souvent la pluie, le vent et même le gel, le froid, et l’effort que la marche demande oblige à lâcher prise sur toute préoccupation autre que celle de l’instant présent.

Jean-Louis Muscat n’est pas un poète, mais il est sensible à la poésie ou au manque de poésie des lieux. On comprend très vite que la sensation de décrépitude qui pèse sur les milieux encore habités de cette « diagonale du vide » et la laideur et l’ennui des zones périphériques des quelques villes traversées, lui donne hâte de retrouver les champs, les prés, les bois, les milieux plus sauvages où les rencontres se font plus animales, végétales et où la solitude devient légèreté et jouissance. Jean-Louis Muscat adore les arbres et il en connait un bout à leur propos, sa formation originelle étant celle de forestier, aussi la façon dont on les traite le touche très directement. Et la façon dont on traite un arbre, une forêt, est très représentative de la façon dont on traite la nature en général et l’humain en particulier qui, même s’il l’a oublié, en fait partie intégrante. Il n’y a de séparation que dans un mythe de modernité qui ne cesse de prouver ses limites et ses effets délétères.

De sa marche, Jean-Luc Muscat tire en plus d’un plaisir purement personnel, des réflexions qui dépassent la seule aventure du marcheur : des réflexions écologiques, politiques même, car il ne peut en être autrement, il passe et témoigne de ce qu’il voit, et il n’est pas idiot, c’est une personne consciente et très concrète, on le sent à sa façon d’écrire. S’il ne croit donc pas aux contes à dormir debout, il peut cependant avoir la sensation que des fées le voient passer en des lieux — de moins en moins nombreux — qu’elles habiteraient encore. La nature sait appeler l’enfant en nous, raviver l’émerveillement, l’indispensable respiration de l’âme.

« Rêver en marchant, voilà l’affaire, se laisser aborder par les esprits du chemin, tutoyer les fées, vagabonder, caresser les formes. La poésie opère, les conditions sont réunies, profitons-en, il faut en faire bonne réserve, s’en remplir les bajoues pour que les jours de disette soient supportables. »

L’auteur trouve sens dans la marche, y trouve un bon rythme pour l’existence, un rythme qu’il lui sera difficile de quitter. C’est une forme d’addiction pour lui, mais qui n’a de conséquences que bénéfiques. Réminiscences d’un lointain passé où nous étions tous chasseurs-cueilleurs nomades ? Ici la cueillette se fait dans les épiceries quand l’auteur en trouve, parfois un repas dans un restaurant ou chez l’habitant et pas toujours meilleurs que la boite de sardines, à déguster seul sur un banc ou en tête à tête avec un horizon grand ouvert. Jean-Luc Muscat a le regard lucide, parfois acerbe, notamment pour ses contemporains qu’il épingle parfois, mais il sait se moquer aussi de lui-même. Pleinement humain, il assume ses contradictions et ne cherche pas à jouer le beau rôle.

Marcher c’est traverser des lieux et se laisser traverser par eux. Marcher c’est découvrir et se découvrir, y compris au sens littéral du terme : ôter couche après couche ce qui ne nous appartient pas et ne nous est en réalité d’aucune utilité. On ne peut s’encombrer de rien qui ne soit indispensable. Marcher, c’est être dans une simplicité volontaire sans même y penser, cela va de soi. C’est se souvenir d’un temps où tout était fait et pensé à taille humaine. Marcher, c’est être tout entier dans l’instant présent, mais c’est aussi réfléchir au sens littéral même et rêver, rêver, respirer, un rêve en mouvement. Jean-Louis Muscat a une sensibilité qui l’attire fortement vers la nature, les arbres, on l’a vu, mais aussi vers les églises et les lieux sur lesquels le temps ne semble pas avoir de prise. Il aime les rencontres généreuses, surtout avec de vieilles dames sympathiques et s’il marche parfois en compagnie, il apprécie cependant la vraie et pleine solitude du marcheur, en assume l’égoïsme s’il en est, savoure cette interpénétration intime et personnelle avec le monde qui l’entoure. 

En lisant Marcher sur la diagonale du vide, j’ai aimé partager cette expérience de marche de Vézelay à Figeac, marcher dans l’écriture d’un autre, non seulement parce que la destination finale est un pays que je connais bien et où je vis depuis bientôt vingt ans, mais parce que marcher et écrire sont deux activités qui me sont, à moi aussi, essentielles et que c’est exactement ce que je voudrais faire : ce genre de livres là et cela m’en a donné une envie encore plus forte. Je peux parfaitement comprendre cette addiction, comprendre combien il peut être malaisé de retourner à un mode de vie plus statique, plus encombré. Le corps aime marcher et l’esprit aime cette découverte lente et profonde des choses, des gens et des lieux.

Ce livre qui nait du mouvement, a tissé ensemble la marche et le message que cette marche a infusé dans le marcheur, un message important à transmettre : éloge de la lenteur, éloge de la simplicité, éloge du naturel, éloge du vivant et d’un tissu social vivant, alors que dans ces régions traversées, il s’est tellement délité qu’il n’est plus que haillons. Des lambeaux se soulèvent cependant, s’agitent encore au souffle provoqué par le déplacement du marcheur et dévoilent quelques couleurs, quelques sourires, quelques gestes d’hospitalité, de générosité, comme des braises encore vives d’un autre temps, mais aussi exposent leur aigreur, leur colère, la fermeture des êtres comme réponse à celles des lieux.

Marcher oui, marcher pour rester humain, c’est peut-être la clé, n’en déplaise à la vitesse exponentielle de nos sociétés lancées à toute allure vers un désert du sens, des sens et au final d’essence... Ce qui nous obligera peut-être au final à marcher de nouveau, toutes et tous !

Cathy Garcia Canalès

 

image.jpgJean-Luc Muscat, né en 1954, a appris le métier de forestier. Il a quitté l’Office National des Forêts très tôt parce qu’il ne parvenait pas à se résigner à l’idée qu’il lui fallait éliminer les arbres tordus. Dès lors, il a exercé toute une kyrielle de métiers dont ceux d’auteur de guides touristiques, de formateur consultant et d’éducateur technique. Aujourd’hui, il se consacre à la marche en solitaire au long cours, et à l’écriture, une passion de toujours, dans une cabane perchée dans un pin sylvestre.

 

 

 

 

Le Chemin des âmes de Joseph Boyden

 

 

boyden.jpg

(titre original : Three-day road, 2004), Albin Michel 2006. 475 pages.

 

Je viens de terminer ce livre inoubliable, dont la fin m’a fait pleurer. Un hymne tordu de douleur, mais puissant, à la vie arrachée aux champs de mort. Un chant de mort aussi et un chant de guérison. J'y ai appris encore des choses sur cette première guerre mondiale et notamment sur les soldats amérindiens qui y ont pris part. Ici, ce sont deux amis d‘enfance de la nation Cree. En cherchant un peu plus sur le sujet suite à cette lecture inspirée de faits bien réels, j'ai appris, sans surprise hélas, la façon dont ces recrues (comme les autres minorités) ont été traitées, avant, pendant, après...  Mais entre les hommes jetés dans cette grande boucherie, les soldats de base rampant, pataugeant et crevant dans la même soupe de boue et de sang, il n'y avait plus beaucoup de différences. Les deux jeunes Cree vont se distinguer sur le terrain par leurs qualités de chasseurs mais ils en paieront le prix fort : quelque chose les sépare et cette séparation va peu à peu se transformer en gouffre. L’un, abandonné par sa mère qui avait sombré dans l’alcoolisme, avait été sauvé du pensionnat tenu par de rudes religieuses, missionnées pour bouter le païen hors de ces corps de sauvageons, par sa tante, une des rares Cree à perpétuer la vie d’avant à l’écart de la ville et des wemistikochiw et qui l’a pris avec elle au fond des bois, pour lui enseigner tous les savoirs et traditions de son peuple, celles du monde visible mais aussi du monde invisible, elle qui était une des dernières chasseuse de wendigos. L’autre, orphelin, a passé trop d’années dans ce pensionnat, avant que la tante de son ami d’enfance, ne vienne lui aussi le chercher. Le Chemin des âmes force une réflexion sur l'humain dans l’enfer de la guerre, le meurtre autorisé, les limites (y en a t-il ?), mais aussi sur les conséquences de la colonisation et de l’acculturation, leur violence et heureusement il y a cette sagesse ancestrale, qui malgré tout, palpite encore, resurgit quand on la croit disparue à jamais sous la pression de la culture qui se voulait et se veut encore dominante et qui a envoyé des milliers d’hommes colonisés finir en morceaux de viande faisandée au fond d’une tranchée, dans des pays qui leur étaient totalement étrangers. Un livre qui m’a vraiment bouleversée.

 

Joseph Boyden, né en 1966, est canadien avec des racines amérindiennes, écossaises, irlandaises. Le chemin des âmes est son premier roman. D’autres ont paru depuis, le dernier : Dans le grand cercle du monde, 2015.

 

En savoir plus sur l'auteur :

https://www.etonnants-voyageurs.com/spip.php?article2344

 

 

 

 

 

 

05/11/2020

Deuxième avis de parution : Mon collier de sel

 

couv scan.jpg

 

Poèmes 1993-2010

 

 

 

j’ai cassé mon collier de sel

ne porte plus désormais

que des colliers de ciel

 

2020

 

Mon collier de sel 5.jpg

 

Format A5, 36 pages agrafées

Illustrations originales de l'auteur

 

 

Édité et imprimé par l'auteur
sur papier 100 gr calcaire
couverture 250 gr calcaire
100 % recyclé

 

tirage numéroté et signé

 

à réserver par mail à mc point gc arobase orange point fr

12 € + 2 € pour le port

 

 

 

 

Rage ; rabia de Regina José Galindo

09.jpg

 

Traduction LAURENT BOUISSET  - Langue d'origine : ESPAGNOL

 
 

Dans le numéro spécial Guatemala de la revue Nouveaux Délits (n°58) réalisé en collaboration avec Laurent Bouisset, vous aviez pu découvrir des traductions de poèmes de Regina José Galindo, leur puissance à l'image de tout son travail d'artiste poète et performeuse, la voici donc publiée en France pour la première fois aux éditions des Lisières.

"À l'image de son travail d'artiste performeuse, la poésie de Regina José Galindo est crue, brute, viscérale. Reflet de la violence d'un continent, son écriture radicale dénonce la violence faite aux femmes et aux Indiens dans son « mauvais mauvais mauvais Guatemala » en proie aux gangs après trente-six années de guerre civile. Rendre hommage et affirmer une résistance, c'est ce que construit par son travail artistique et poétique Regina José Galindo, avec rage et vitalité."

 

à commander ici :

https://halldulivre.com/livre/9791096274222-rage-rabia-ga...

 

Le site de Regina :

http://www.reginajosegalindo.com/en/home-en/

 

Le numéro spécial Guatemala :

http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/archive/2017/...

 

 

 

 

 

04/11/2020

Virginie Despentes - Création d'un corps revolutionnaire - 16 octobre 2020

 

 

02/11/2020

Le Tarot de Saint Cirque, avec Lionel Mazari, sort chez Gros Textes !

 

Garcia Mazari.jpg

 

"J'ai eu tous les vices ;
ma vertu fut
de n'en avoir cultivé aucun.
C'est là la Tempérance
qui me fait parler de moi
au passé simple et tendre.
De toutes mes expériences,
je garde cette saveur particulière
des vies franches et pleines
qui laissent l’âme tranquille
et le cœur en paix.
D'abus en abus, je n'ai désabusé
que l'ombre de moi-même ;
qu'elle cuve à la cave ou boite au grenier,
jour et nuit, je marche sans cette ombre-là.
De ces dissolutions parfois extrêmes,
j’ai obtenu d’étranges pouvoirs :
je vois clair dans vos nuits ;
de la boue, je sais tirer
des ailes de lumière."

 

*
Illustration en couverture de Cathy Garcia Canalès

ISBN : 978-2-35082-457-4
64 pages au format 14 x 20 cm,
8 € (+ 3,50 € de forfait port quel que soit le nombre d’exemplaires commandés)
Commande à
Gros Textes
Fontfourane
05380 Châteauroux-les-Alpes
(Chèques à l’ordre de Gros Textes)