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14/12/2018

Immersion dans un congrès de formation de médecins sponsorisé par Big Pharma

 

Chaque année, 26 congrès « Preuves&Pratiques » sont organisés dans toute la France. L’occasion pour les leaders des CHU locaux, souvent liés aux laboratoires, de présenter les traitements les plus récents aux médecins généralistes de la région, sous couvert de formation. Illustration avec le nouveau produit phare de Novartis contre l’insuffisance cardiaque, Entresto.

Le congrès Preuves&Pratiques, c’est l’arme de guerre marketing à peine déguisée des laboratoires pharmaceutiques. Tous les ans dans 26 villes différentes, histoire de quadriller l’Hexagone, cet organisme spécialisé dans l’événementiel médical invite les leaders d’opinion du secteur – généralement les professeurs du CHU local – à donner des conférences sur les nouveaux remèdes commercialisés par les labos aux médecins généralistes et internes de leur zone. Samedi 29 septembre 2018, c’est la ville de Châteaugiron, près de Rennes (Ille-et-Vilaine), qui accueille le congrès.

Les partenaires de Preuves&Pratiques (capture d’écran de leur site).

À l’entrée de la salle, les stands des financeurs de Preuves&Pratiques se succèdent. Essentiellement des entreprises pharmaceutiques (GSK, Merck, Sanofi, Mylan, etc.), classées du bronze au platine, selon la hauteur de leur apport. Cette année, c’est l’entreprise Novartis qui obtient la distinction suprême. Est-ce un hasard alors que le laboratoire suisse lance au même moment l’Entresto, un nouveau médicament contre les insuffisances cardiaques ? Au congrès Preuves&Pratiques, Novartis est partout. Y compris dans le petit sac rempli de prospectus de ces différents sponsors, grâce à un carnet de « fiches de correspondances entre médecins ». Siglé Novartis, ce carnet permettra de se transmettre entre confrères les traitements pris par les patients, et les incitera peut-être à la reconduction d’ordonnances. Mais le laboratoire pharmaceutique est aussi présent, à travers son nouveau médicament phare Entresto, dans les présentations PowerPoint des intervenants du Congrès.

Un intervenant à presque 1 900 euros par mois…

Entresto apparaît en effet dans le support d’intervention d’Erwan Donal, cardiologue et professeur au CHU de Pontchaillou, à Rennes. Depuis la loi du 4 mars 2002 et le décret du 28 mars 2007, le médecin est obligé de déclarer ses liens d’intérêts avant chaque conférence. « Pas de liens d’intérêts conduisant à des conflits particuliers à ce jour dans le cadre de cette présentation », affiche quelques secondes l’écran, avant de mentionner quand même « une bourse de recherche de Novartis et General Electric Healthcare, de la formation/expertise pour Novartis, Bristol Myers Squibb, Bayer, Abbott ».

Erwan Donal sur EurosForDocs.

Ce que ne dit pas cette présentation en préambule, c’est la nature de ces liens avec l’industrie pharmaceutique. EurosForDocs, la plateforme simplifiée reprenant les données de la base Transparence santé (lire le premier volet des « Pharma Papers » : « L’argent de l’influence »), répertorie 535 liens d’intérêts entre le cardiologue et l’industrie pharmaceutique depuis 2012, avantages (repas, cadeaux, transports, invitation à des colloques, etc.) et conventions comprises (contrat d’orateur lors de formations pour le compte d’un laboratoire, etc.). En tout, l’industrie pharmaceutique a dépensé pour lui au moins 139 366 euros en six ans, soit 23 228 euros par an, ou 1 936 euros par mois. Et encore, 114 autres contrats sont mentionnés dont le montant reste secret, et qui n’entrent donc pas dans ce décompte.

… dont plus de 1000 euros par Novartis

En tête de liste : Novartis, avec 222 liens d’intérêts. Ce laboratoire a versé au cardiologue 73 445 euros (sans compter les 46 contrats au montant non révélé) depuis 2012, soit 12 240 euros par an. Ces liens financiers incluent des contrats réguliers rémunérés entre 400 et 1 500 euros et des invitations à des congrès. En novembre 2016, par exemple, Erwan Donal a été convié par le laboratoire à un congrès de l’American Heart Association à la Nouvelle-Orléans, aux États-Unis. Coût total des sommes que lui a consacré Novartis pour ce déplacement : 8 030 euros (6 175 de transport, 1 009 d’inscription au congrès, 739 d’hébergement et 107 de repas).

Campagne Novartis.

À Châteaugiron, sur l’estrade du Congrès Preuves&Pratiques, le cardiologue vante le nouveau produit star de Novartis, Entresto, remède aux insuffisances cardiaques aux « effets assez incroyables » puisqu’il diminuerait la mortalité de 20 %. Ce nouveau médicament a pourtant obtenu un avis d’Amélioration du service médical rendu (ASMR) de niveau 4, donc « mineur ». En clair, il n’apporte que peu de nouveautés par rapport aux médicaments déjà existants. Mais parmi les blouses blanches, son efficacité fait l’unanimité. Dominique Dupagne, médecin chroniqueur sur France Inter, vent debout contre les conflits d’intérêts dans le secteur, la reconnaît lui-même. Ce qui n’empêche pas ce fils de cardiologue d’avoir été interpellé par la puissance de la campagne marketing déployée par son fabricant. « Il faut dix ans pour obtenir des parts de marché significatives car les médecins sont très lents à changer leurs habitudes de prescriptions. Dix ans plus tard, les génériques arrivent. D’où l’offensive marketing de Novartis », analyse le docteur. Une offensive marketing à grand renfort de campagne de sensibilisation sur l’insuffisance cardiaque… Et de sponsoring de congrès, donc.

La primeur de l’annonce de l’arrivée d’Entresto en pharmacie de ville

Erwan Donal est toujours au micro : il vante en Entresto une nouvelle classe thérapeutique qui correspond à « une révolution ». Il encourage les prescripteurs à « optimiser les doses pour obtenir l’effet maximal. L’augmentation des doses doit être le leitmotiv de tout médecin », insiste-il. « Pour l’instant, il est uniquement délivré en pharmacie hospitalière, pour encore quelques semaines », lâche-t-il à l’assemblée. Quand nous l’interrogeons à propos de ce mystérieux délai, il se rétracte : « Cela n’est pas officiel, je ne peux rien dire. » La réponse arrive neuf jours plus tard dans une publication au Journal officiel : celle-ci annonce qu’Entresto est à présent disponible dans les pharmacies de ville et remboursable pour les patients avec une insuffisance cardiaque de classe 2 ou 3. Le service communication de Novartis assure « en avoir été informé lors de la publication au Journal officiel ».

« Il est uniquement délivré en pharmacie hospitalière, pour encore quelques semaines. »

Le laboratoire a ainsi intérêt à toucher les cardiologues qui exercent en cabinet, prescripteurs des pharmacies de ville, le nouveau marché qui s’offre à lui, après avoir conquis celui des hospitaliers. Lesquels sont devenus entre-temps les relais marketing de l’entreprise pharmaceutique. La machine est bien rodée… Et elle rapporte. Dix jours après cette publication au JO, Novartis a relevé son objectif de chiffre d’affaires annuel, notamment « en raison des performances d’Entresto, dont les ventes ont plus que doublé au troisième trimestre », selon Reuters. Le groupe pharmaceutique suisse anticipe désormais une croissance de ses ventes d’environ 5 %, contre une fourchette de 0 à 5 % auparavant. Le marché est porteur : près de 1,5 million de Français souffrent d’insuffisance cardiaque selon la Société française de cardiologie.

« J’ai d’autres conflits d’intérêts. J’en ai avec tout le monde, donc je n’en ai pas »

Si Erwan Donal est si bien informé, c’est parce qu’il fait partie du « board scientifique Novartis » : il a été choisi par le laboratoire pour faire partie de la dizaine d’hospitaliers français à prescrire Entresto en premier, depuis trois ans, dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) pour environ 300 patients. Le cardiologue a donné une dizaine de formations à ses collègues sur ce nouveau remède : d’où le pic de liens d’intérêts entretenus avec Novartis en 2016. Quand nous l’interrogeons à ce propos, il se raidit d’emblée. « Ce n’est pas parce que je promeus Entresto que je suis payé par Novartis. Je ne suis pas rémunéré par Novartis, affirme-t-il. Je fais des formations, je suis dédommagé pour mon travail. »

« Ce n’est pas parce que je promeus Entresto que je suis payé par Novartis »

D’ailleurs, « j’ai d’autres conflits d’intérêts. J’en ai avec tout le monde donc je n’en ai pas », s’énerve-t-il. Une ligne de défense bien connue et documentée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Je les rencontre tous, aussi je ne suis influencé par aucun » est une « idée reçue », selon laquelle « l’exposition à la promotion de plusieurs entreprises neutralise les biais », explique l’organisation internationale dans un manuel pratique sur la promotion pharmaceutique. « Toutefois, cette stratégie ignore certains biais partagés par toutes les entreprises concurrentes. Par exemple, les entreprises pharmaceutiques font la promotion de leurs produits les plus rentables. Par conséquent, la promotion porte sur les médicaments nouveaux et coûteux plutôt que sur les produits anciens et génériques, quel que soit le meilleur produit. »

« Ce ne sont pas les laboratoires qui fournissent les présentations PowerPoint. »

Slide de présentation Entresto.

« Qui vous a invitée ? », s’agace sa collègue pneumologue, Graziella Brinchault, qui intervient en binôme avec lui lors de la conférence. « Demande à relire l’article », lui souffle-t-elle, avant d’aller chercher les responsables de Preuves&Pratiques à la rescousse. Lesquels ne souhaitent pas voir cités de noms de laboratoires ou de médicaments dans notre reportage… Peu importe qu’Erwan Donal, lui, donne en toutes lettres dans sa présentation celui d’Entresto, au lieu de mentionner la dénomination commune internationale (DCI), c’est-à-dire le nom scientifique et non commercial, alors que depuis le 1er janvier 2015 la loi oblige les médecins à indiquer la DCI dans les prescriptions.

« Les médecins peuvent préparer leurs propres présentations PowerPoint, ce ne sont pas les laboratoires qui les fournissent », se félicite Bruno Fourrier, animateur de Preuves&Pratiques. « N’allez pas imaginer que mon discours est dicté par Novartis, ajoute Erwan Donal. Je n’ai aucun lien avec Novartis quand je fais cette formation. »C’est Preuves&Pratiques, via l’Agence CCC, spécialisée dans l’événementiel médical, qui le rémunère 300 euros pour cette intervention en binôme de 35 minutes. Sauf que Novartis est bien le principal sponsor de ces congrès. « De fait, je suis un leader d’opinion, admet le cardiologue rennais. >En tant qu’hospitalo-universitaire, je suis amené à faire de la formation, par le biais de Preuves&Pratiques mais aussi de Novartis. On fait notre travail d’enseignement, on n’est pas acheté par qui que ce soit, je n’en ai rien à faire que ce soient des laboratoires qui organisent la formation. »

« De fait, je suis un leader d’opinion. »

Erwan Donal est loin d’être le seul cardiologue à recevoir de l’argent de la part de laboratoires pharmaceutiques. La cardiologie est la dixième spécialité la plus visée par le lobbying des laboratoires pharmaceutiques (lire notre analyse « Les labos soignent plus particulièrement les spécialistes du cancer »).

Le budget de Preuves&Pratiques, « secret des affaires »

Les financeurs Preuves&Pratiques sur EurosForDocs.

En 2018, 5 500 blouses blanches ont assisté aux congrès Preuves&Pratiques, gratuitement. « Cela coûte plusieurs centaines d’euros par participants. Nous pourrions demander une participation aux médecins, mais le problème, c’est que les gens ne sont pas habitués à payer. Nos investisseurs industriels, qui tiennent les stands, nous permettent de financer entièrement les évènements », indique sans davantage de précisions Patrick Ducrey. directeur scientifique de Preuves&Pratiques. « Secret des affaires », avance-t-il.

L’organisation de l’ensemble des congrès revient à un budget annuel estimé de 1,13 million d’euros pour tous les participants, selon notre estimation la plus basse (1). D’après Patrick Ducrey, le directeur-scientifique de Preuves&Pratiques, Novartis, en tant que sponsor principal, finance ces congrès à hauteur de 15 à 20 %. Ce qui revient au minimum à 170 000 euros par an. Pourtant, le laboratoire pharmaceutique n’apparaît pas parmi les financeurs des congrès Preuves&Pratiques sur la base Transparence santé. « Ces congrès sont organisés par une agence événementielle donc cela n’entre pas dans le champ d’application de la base Transparence santé », nous répond le service communication de Novartis. Une stratégie de contournement via une société écran souvent utilisée par les labos (lire notre enquête « Loi de financement de la sécu : les députés médecins votent-ils sous l’influence des labos ? »).

98 % de la formation continue médicale financée par l’industrie pharmaceutique

Le congrès offre d’autres occasions d’amadouer les médecins. Entre deux conférences, un temps est pris pour les « actualités Preuves&Pratiques ». L’organisateur y propose de participer à un concours, dont le gagnant sera invité tous frais payés à un colloque qui aura lieu sur l’île Maurice fin novembre 2019 ! Et l’animateur d’enchaîner : « C’est maintenant l’heure de la pause, n’oubliez pas d’aller visiter les stands ! »

Ce jour-là, les trois quarts de l’assemblée exercent en profession libérale. Seulement 3 % sont des internes travaillant en hôpital. « À la faculté de médecine de Rennes, les étudiants sont sensibilisés au manque d’indépendance de ce type de formations », confie une médecin généraliste de l’auditoire (2). Cette généraliste ressent le besoin de se mettre à jour, d’où sa présence au congrès, faute de formation publique équivalente qui serait organisée à proximité de son lieu d’exercice, condensée en une journée, avec des exposés efficaces comprenant des études de cas pratiques. C’est bien là que le bât blesse. Sans budget public, la formation médicale continue est financée à hauteur de 98 % par l’industrie pharmaceutique selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales.

« Mes amis médecins généralistes n’y prennent pas part, ils ne veulent pas être fichés sur la base Transparence santé », confie la médecin, qui était vierge de tout lien d’intérêt avant le congrès Preuves&Pratiques de l’an dernier auquel elle a assisté. « Je ne sais jamais quoi garder et quoi jeter après une journée de formation comme celle-ci, confie une autre jeune docteure. Je suis abonnée à la revue indépendante Prescrire, je peux procéder à des vérifications après coup. » « L’an dernier, le focus présenté dans le congrès Preuves&Pratiques sur Entresto était encore plus virulent », se souviennent les autres médecins qui ont partagé notre table (3). C’était trois mois avant l’autorisationpar la Haute autorité de la santé (HAS) du remboursement de ce médicament par l’assurance maladie.

NOTES

  • (1) Notre calcul est le suivant (basé sur les informations données par la direction de Preuves&Pratiques, avec comme référence le nombre d’intervenants au colloque de Châteaugiron) :
    • Location de salle : entre 3 000 et 50 000 euros
    • Rémunération des intervenants médecins : 300 euros chacun, soit 5 400 euros pour les 18
    • Rémunération totale des professionnels de santé intervenants (animateurs compris) : 17 300 euros pour les 40
    • Prix du repas par personne : 30 euros, soit 3 000 euros pour les 100 participants
    • = 20 600 euros en tout pour une journée de congrès Preuves&Pratiques, soit 206 euros par participants (fourchette basse avec une salle à 3 000 euros comme celle de Châteaugiron)
    • = budget annuel d’environ 1,13 million d’euros (pour les 5 500 participants à l’année).
  • (2) Voir à ce sujet le classement du Formindep des universités de médecine les plus indépendantes vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique.
  • (3) L’auteure de cet article a donc déjeuné aux frais de Preuves&Pratiques pour réaliser ce reportage en immersion toute une journée lors de ce congrès.

 

 

05/11/2018

[TEMOIGNAGE] LA NUIT JE PENSE A CEUX QUE J'AI VUS MOURIR

 

 

Ousmane, survivant

-  Un rescapé de l’Aquarius s’est retrouvé par hasard hébergé chez l’une de nos bénévoles. Plus d'un an après son passage sur le pont du navire de sauvetage, en avril 2017, voilà qu’il se livre. Sans fard ni détour, son histoire est ici retranscrite.

Ousmane a aujourd’hui 24 ans. Son abord est simple et ouvert, il est souriant. Cependant, dès que l’échange de mots s’interrompt, dès que la personne qui l’héberge (et qu’il appelle Maman) n’est plus là, le repli, la détresse se font jour sur son visage, dans son regard. C’est alors que ce sourire apparait surtout comme une protection contre l’inquiétude, tout autant qu’une politesse adressée à autrui. Ousmane relatera ainsi son histoire…

Partir pour survivre

Originaire d’un village de Côte d’Ivoire, il est le dernier enfant d’une famille de cultivateurs qui produit des céréales, et les vend au marché. Une famille très pauvre, dira-t-il. Car le décès de son père les a frappés lorsqu’Ousmane avait seulement neuf ans; la maman assumera dès lors la responsabilité de six enfants. « Il n’y avait rien chez nous au village. Mais j’ai pu quand même aller à l’école de huit à quatorze ans en ville. Je dormais chez un camarade de classe…»

Lorsqu’il atteint l’âge de 21 ans, il perd sa mère. Or des enfants sont nés dans la famille. Il n’est plus un fils. Il entre dans la génération des pères. Le travail de leur terre est insuffisant à répondre aux besoins élémentaires de tous. Il devient urgent de partir chercher du travail plus loin; son frère aîné lui fournit une petite somme pour voyager.

Ousmane arpente sans relâche la sous-région d’Afrique de l’Ouest. Il se rend d’abord en Guinée Conakry, où il exercera au jour le jour divers métiers, de jour comme de nuit : ouvrier agricole, cuisinier, vigile…

Ousmane va là où on lui dit qu’il y a du travail. Il voyagera à l’intérieur du Sénégal, du Mali, du Burkina-Faso. A Niamey, au Niger, il se fera dépouiller du peu d’argent qu’il a et qu’il porte toujours sur lui. Il survivra un temps grâce aux repas d’une association de rue.

« [Lorsqu’ils m’ont frappé, je n’ai pas crié pour ne pas inquiéter la famille »

Son frère lui envoie alors l’argent pour prendre un bus vers le Sud de la Libye. A Gadron, première ville après la frontière nigéro-libyenne, Ousmane trouve un temps du travail en tant qu’ouvrier agricole. Mais les difficultés d’existence persistent, et s’étalent sur de longs mois. Puis, il n’y a plus de travail. Il décide alors, en accord avec son frère, de tenter de passer en Europe via la Libye. Il entre à Tripoli.

C’est là que très rapidement, on l’arrête, on l’emprisonne dans une pièce où quarante à cinquante personnes noires (maliennes, guinéennes, sénégalaises, camerounaises, des hommes et des femmes, dont un couple de compatriotes) sont déjà incarcérées : « On souffrait de la faim dans cette chambre… il y avait beaucoup de malades. Lorsqu’ils étaient trop malades, ils allaient un peu à l’hôpital, mais ils revenaient et les gardiens appelaient leur famille pour qu’elle envoie une rançon… six-cents euros !»

Ousmane, lui, a dû être hospitalisé plusieurs semaines à son arrivée en Italie tant il avait été battu. « [Ils me donnaient] des coups avec des gros bois, tous les jours, dans la région du dos et sur les genoux, jusqu’à ce que je ne puisse plus marcher ni bouger.  Un jour on m’a tendu un téléphone pour que j’appelle mon frère et qu’il paie. Mais [lorsqu’ils m’ont frappé], je n’ai pas crié pour ne pas inquiéter la famille. Je ne lui ai pas dit qu’on me battait, ça lui aurait fait trop de chagrin. Mon frère a dix personnes sous sa responsabilité : je ne voulais pas lui faire trop de souci.

On ne peut pas expliquer tout ce qui s’est passé en Libye. J’ai vu deux personnes tuées sous mes yeux. Il y a eu des femmes violées. L’homme d’un couple devait dire qu’il ne connaissait pas sa femme, sinon on faisait du mal à la femme pour le faire chanter. Tous les humains ne sont pas pareils. Mais là-bas, ce ne sont pas des humains…»

Ousmane frôle la mort : 42 personnes perdent la vie en mer

Le couple de compatriotes incarcéré avec lui avancera la somme exigée pour qu’il soit libéré et embarqué vers l’Italie.1  Ainsi, la recherche d’un passage vers l’Europe amènera Ousmane et ses compagnons à côtoyer des « intermédiaires » qui l’orienteront vers de prétendus « passeurs ». Mais il sera finalement acheté par un Libyen, qui le revendra à un autre comme on l’aurait fait d’un animal ou d’un meuble. Il n’est plus un homme, seulement la force de travail d’un jeune de 24 ans. Un esclave en somme.

Ousmane réussira cependant à s’échapper. Après un jour de marche, il embarquera finalement de nuit sur l’une des trois embarcations  qui prendront aussitôt la mer. « Un des trois bateaux a coulé. Il y a eu 42 morts. J’ai enlevé mes habits parce qu’ils pouvaient me faire couler puis j’ai nagé vers l’autre canot et je m’y suis accroché. Lorsque l’Aquarius nous a finalement récupérés, il y avait beaucoup de gens qui pleuraient… La dame [qui m’avait prêté l’argent]…son mari avait péri dans l’autre canot. »

Ousmane continuera son périple durant de longs mois de l’Italie du Sud à celle du Nord; ralliera Milan, puis Turin. Puis les Alpes à pied. Il arrivera à Briançon, puis essaiera de rejoindre Marseille, afin d’y retrouver d’éventuels compatriotes. Actuellement hébergé par un collectif de bénévoles, Ousmane a accédé depuis peu au statut de demandeur d’asile en France. Un soulagement.

Ne compter que sur lui-même

« Si tu n’as pas de papiers ici, tu es un nul, tu es un zéro. » Pourtant en sécurité désormais, Ousmane est tourmenté. « Je ne vais pas bien… je ne supporte plus le bruit, je perds souvent connaissance, j’ai des vertiges, je dors mal et je me réveille environ toutes les trente minutes… La nuit je pense à ceux que j’ai vus mourir. Je pense aux enfants de chez moi, à tous ceux qui ont confiance en moi : je suis en Europe maintenant… »

« Ici je me demande comment avoir toujours le bon comportement : avoir un ticket pour le tramway, savoir comment le valider… Il faut apprendre beaucoup de choses pour avoir toujours le bon comportement. Je ne veux pas de « palabres »2 avec d’autres, et quand quelqu’un me « cherche », je ne réponds pas… »

Mais Ousmane s’accroche, pour sa famille. S’il a le souci de parfaire sa connaissance du français, il le parle néanmoins tout à fait couramment. Il connait la langue de son pays, et voudrait apprendre l’anglais. Il sait cultiver la terre. Au cours de son long périple, il a acquis une expérience dans les métiers de la cuisine. Il est devenu compétent en sécurité des bâtiments. Surtout, il a appris à ne compter que sur lui-même.

Ousmane a 24 ans, son abord est simple et ouvert, son visage est souriant.

 

Régine et Marie

 

NOTES

1. À ce jour, cette somme a pu être remboursée à l’épouse seule, car le mari a péri noyé dans le naufrage de l’une des trois embarcations de fortune où ils avaient tous pris place; Ousmane reste en contact téléphonique avec cette dame, à qui il considère devoir la vie.

2. Dans ce contexte, « palabres » a le sens de conflit susceptible de dégénérer. Car notre entretien avec Ousmane se déroule après que la plateforme d’asile ait été temporairement fermée consécutivement à un événement de ce type.

 

Source : http://www.sosmediterranee.fr/journal-de-bord/Temoignage-Ousmane

 

 

 

 

06/10/2018

Réfugiés, un marché sous influence, documentaire de Nicolas Autheman et Delphine Prunault (2017)

UN DOCUMENTAIRE de Nicolas Autheman et Delphine Prunault (Fr., 2017, 70 min). qu'on ne peut pas voir en ligne cause propriété de Lagardère europe 1....

 

« On est là pour faire du business », confie, face camé­ra et sans état d’âme, le directeur associé d’une entreprise bretonne à l’appétit commercial débordant. Cette PME est à l’origine des 180 conteneurs de métal blanc construits pour accueillir les 1 500 réfugiés de la « jungle » de Calais, avant qu’elle ne soit démantelée, en octobre 2016. L’opération lui aura rapporté près de 3 millions d’euros, soit un tiers de son chiffre d’affaires. Outre la rentabilité, l’expérience calaisienne a servi de vitrine à l’entreprise, qui souhaite désormais contribuer à des projets d’envergure, comme celui de Zaatari, en Jordanie.
C’est ce camp, présenté comme le deuxième plus grand au monde avec 80000 réfugiés, que Nicolas Autheman et Delphine Prunault nous font découvrir. Sorti de terre en 2012, il est, depuis 2014, le symbole d’une industrie de l’aide estimée à plus de 20 milliards d’euros, selon les deux journalistes. Pour en illustrer l’ampleur, ils se sont rendus au premier sommet mondial de l’humanitaire, à Istanbul, en mai 2016.

12 millions de personnes
Là, en marge de l’événement, plusieurs exposants du secteur privé ainsi que des ONG proposaient toutes sortes de services pour répondre aux besoins des 12 millions de personnes vivant dans des camps. Cela va de la simple lampe autorechargeable à des ­centres livrés « clés en main ». Car si le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a pour habitude de s’occuper des camps, il lui arrive de sous-traiter ses activités à des entreprises privées. Une privatisation grandissante que les réalisateurs pointent du doigt.

A Zaatari par exemple, face au manque de ressources pour satisfaire les besoins des réfugiés, le Programme alimentaire mondial, organisme dépendant de l’ONU, a décidé de remplacer les colis de denrées qu’il distribue habituellement par deux supermarchés dont il a confié la gestion à des groupes privés.

Derrière la représentation des camps de réfugiés comme lieu de souffrance, le documentaire va plus loin et démontre, parfois de manière un peu brouillonne, comment, d’une solution d’urgence, ils sont devenus un système durable et lucratif, où les organisations internationales comme les États trouvent leur compte.

 

 

 

 

 

12/09/2018

Médias français : qui possède quoi, mise à jour

 

 

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https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/PPA#&gid=1&a...

 

 

 

15/04/2018

Destruction de la ferme des Cent Noms à Notre-Dame-des-Landes

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"On n'oublie PAS, on n'oublie RIEN."

 

Des lieux de vie sont devenus des lieux morts après le passage du bulldozer policier sur la Zad de #NDDL cette semaine.

10/02/2018

ça va ! de Michel Digout (2018)

 

.................. ça va pas.......................

 

 

 

 

 

 

22/01/2018

Le nombre de milliardaires a connu en 2017 sa plus forte hausse de l’histoire

Dans son nouveau rapport, l’organisation Oxfam constate qu’1 % de la population mondiale s’est approprié 82 % du surplus de richesse. Et que le nombre de milliardaires a connu l’année dernière sa plus forte hausse de l’histoire.

- Présentation du rapport par Oxfam :

Des richesses engendrées l’année dernière, 82 % ont profité aux 1 % les plus riches de la population mondiale, alors que les 3,7 milliards de personnes qui forment la moitié la plus pauvre de la planète n’en ont rien vu. C’est ce que révèle le nouveau rapport d’Oxfam, Partager la richesse avec celles et ceux qui la créent, publié aujourd’hui, à la veille du Forum économique mondial qui rassemblera le gotha du monde politique et des affaires à Davos, en Suisse.

Ce rapport montre comment le système économique mondial permet à une minorité fortunée d’accumuler d’immenses richesses, tandis que l’immense majorité des travailleurs ne touche pas sa juste part qui lui permette d’accéder à un niveau de vie décent.

- Télécharger le rapport :

Rapport Oxfam sur les inégalités dans le monde-janvier 2018

Entre mars 2016 et mars 2017, le nombre de milliardaires a connu l’année dernière sa plus forte hausse de l’histoire, avec un nouveau milliardaire tous les deux jours. En 12 mois, la richesse des milliardaires a augmenté de 762 milliards de dollars, soit plus de sept fois le montant nécessaire par an pour sortir de l’extrême pauvreté les personnes qui y sont plongées.

Le patrimoine des milliardaires a augmenté en moyenne de 13 % par an depuis 2010, soit six fois plus vite que la rémunération des travailleuses et travailleurs, qui n’a progressé que de 2 % par an en moyenne. Quatre jours suffisent au PDG de l’une des cinq premières marques mondiales du secteur du textile pour gagner ce qu’une ouvrière de la confection bangladaise gagnera au cours de sa vie.

Porter les salaires des 2,5 millions d’ouvrières et ouvriers du textile vietnamiens à un niveau décent coûterait 2,2 milliards de dollars par an. Cela équivaut à un tiers des sommes versées aux actionnaires par les cinq plus grands acteurs du secteur du textile en 2016.

De la même manière, 10 % des dividendes versés par Carrefour à ses actionnaires en 2016 suffirait à assurer un niveau de vie décent pour plus de 39.000 travailleurs du secteur du textile au Bangladesh.

Pour Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam : « Ces chiffres vertigineux démontrent que le boom des milliardaires n’est pas le signe d’une économie florissante, mais le symptôme d’un système économique défaillant qui enferme les plus vulnérables dans la pauvreté et porte aussi atteinte à la prospérité économique de toutes et tous, comme le reconnaissent de plus en plus d’institutions comme le Fonds monétaire international (FMI) ou l’OCDE ».

- Ecouter Manon Aubry :

 
 
 
 
 

La France n’échappe pas à cette réalité. L’année dernière, les 10 % les plus riches détenaient plus de la moitié des richesses nationales quand les 50 % les plus pauvres se sont partagés seulement 5 % du gâteau. Au sommet de la pyramide la richesse des milliardaires français a été multipliée par trois en 10 ans et 32 milliardaires français possèdent désormais autant que les 40 % les plus pauvres de la population française.

La France se distingue en se présentant comme la championne d’Europe de la rémunération de ses actionnaires : 44 milliards d’euros de dividendes ont ainsi été reversés en 2017 par les entreprises du CAC 40 à leurs actionnaires. C’est trois fois plus qu’il y a 15 ans, tandis que le salaire moyen n’a augmenté que de 14 % en France au cours de la même période. Les écarts sont ainsi particulièrement significatifs au sein même des entreprises françaises et dans leur chaîne de production : le PDG de Sanofi gagne par exemple en moins d’une journée le salaire annuel moyen d’un français.

Pour Manon Aubry, « Des scandales d’évasion fiscale tels que les Paradise Papers, les écarts de rémunérations au sein de grandes entreprises ou la réforme fiscale d’Emmanuel Macron, montrent que les responsables économiques et politiques ne sont pour l’instant pas décidé.e.s à s’attaquer sérieusement à cette injustice ».

Oxfam appelle le gouvernement français à prendre les mesures fortes pour que cesse la spirale infernale des inégalités. Les décideurs politiques doivent pour cela réguler les multinationales afin que les richesses soient mieux partagées, et défendre les droits des personnes pauvres, notamment les femmes, victimes des inégalités.

Oxfam lance à cette occasion sa nouvelle campagne « Contre les inégalités, pesons de tout notre poids ».

A cet effet, une pétition a été lancée le 22 janvier sur www.loi-inegalites.fr pour demander aux citoyen.ne.s de soutenir les demandes formulées par Oxfam auprès du Président de la République, Emmanuel Macron. Oxfam lui demande d’adopter les mesures suivantes dans le cadre d’une loi contre les inégalités afin que nos économies bénéficient à toutes et tous, et non à quelques privilégié.e.s :

  • Partager équitablement les richesses créées au sein des entreprises, entre dirigeant.e.s, salarié.e.s et actionnaires : en finir avec le versement de dividendes records et limiter les écarts démesurés de revenus au sein d’une même entreprise, garantir un salaire décent à tous les travailleurs tout au long de la chaîne de production
  • Renforcer les mesures de lutte contre l’évasion fiscale pour financer les services publics qui réduisent les inégalités : imposer la transparence fiscale aux entreprises, lister véritablement les paradis fiscaux et mettre fin à l’impunité fiscale pour les fraudeurs
  • Redistribuer équitablement les richesses par la défense d’un système fiscal juste et progressif : privilégier les impôts dont sont surtout redevables les plus riches, tels que l’impôt sur la fortune plutôt que des impôts injustes comme la TVA et assurer que les entreprises contribuent leur juste part d’impôts.

- Source : Communiqué de presse envoyé à Reporterre par Oxfam France 22 janvier 2018

- Photo : Actu-Maroc