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10/04/2007

Juillet 2001 - En route vers Gand, Belgique

Dans le bus à nouveau. A nouveau ?
Oui, il y a vraiment du nouveau cette fois. L’eau a coulé sous les ponts et même par-dessus. Je reviens après quinze jours de vacances suivis d’un mois en arrêt maladie.
Un retour avec mise au point. Toujours mon idée obsessionnelle d’aller vers le « vrai », aussi subjectif que puisse être le vrai, le pur, l’essentiel.
Simplement progresser dans ces courants qui m’agitent à l’intérieur.
Beaucoup de changements en une seule année et un soulagement certain d’avoir su enfin dire stop. Cela ne s’est pas toujours fait de mon propre gré, bien des évènements ont contribué à me pousser jusqu’au seuil de la grande question.
Qu’est-ce que je veux vraiment, profondément ?
J’ouvre la porte aux incertitudes tout en étant parfaitement sûre de moi, ce qui est plutôt inhabituel.  Certaine qu’il me faut tenter autre chose, faire fi des peurs et de la prudence. Risquer mon confort parce que c’est dans cet élan que réside l’unique et seule liberté.
J’ai mesuré la force de mon attachement à Plasticiens Volants, la difficulté de dire non et tous les problèmes qui en découlent. Aujourd’hui, je reprends mon autonomie sans pour autant m’imaginer que ça va être facile.
Avant-hier soir à Annecy, le Simurgh (le dernier en ce qui me concerne et que j’allais assurer seule les doigts dans le nez) a été annulé dix minutes avant le début pour cause de grosse intempérie.
Don Quichotte à Draguignan annulé ce matin même pour cause de mistral. Nous venions à peine de descendre du bus. Au moins pas de montage pour rien.
Une tournée absurde mais est-ce étonnant ?
C’est la crise et il y a des leçons à tirer de ça.
Nous voici donc roulant de nouveau vers le nord. Gand en Belgique attend Ezili.
C’est le retour de Plumette le temps d’un spectacle. Je suis sereine, détachée du passé, de tout ce qui était devenu pesant, aliénant, répétitif au bout de quelques années, presque dix !
J’avais 21 ans, j’en ai aujourd’hui 31. Le moment de passer à une nouvelle étape.
Je garde un pied voire les deux dans la compagnie, mais j’ai coupé le cordon ombilical, le lien exclusif.
A vrai dire, je ne sais pas trop dans quoi je me lance, vers quoi je vais.
Je quitte un environnement qui m’est familier depuis mon adolescence, je quitte bien des habitudes pour aller vivre ailleurs, une autre vie. J’angoisse bien un peu mais je sais aussi que c’est mon choix et qu’il y avait bien longtemps que je n’avais pas fait un véritable choix de vie.
Revenons au présent. Je n’oublie pas que ce journal est un journal de voyage et les voyages ne sont pas terminés.
Le soleil perce les nuages, éblouissant mais mon regard ne porte plus que rarement au-delà des vitres du bus. Autoroutes, autoroutes. Les paysages défilent, exhibent leurs teintes, leurs reliefs, leurs blessures. Beauté, laideur, parfois les deux inextricablement liés, la fleur qui grimpe sur les claires-voies...
Je ne sais pas trop où nous sommes…
Quelque part au nord de Valence peut-être. Voici un péage.
Camions, le nombre incalculable de camions, nuit et jour.
Transport de marchandises, marchandises, marchandises….Les marchands disent… Chut ! On sait bien ce que j’en pense !
Je suis en train de lire un livre emprunté à Marc (je crois que je pourrais lui emprunter l’une après l’autre toutes ses lectures),  ce sont douze portraits de femmes écrivains.
Pas de doute, écrire ou ne pas écrire, de toutes façons je fais partie du lot.
Marquée, frappée, illuminée et quoiqu’il arrive, il y aura toujours ça, le remède et le poison de l’écriture.
A quel point vie et écriture se modèlent-elles l’une l’autre ?
Je ne le sais pas encore. Vivre l’écriture, écrire sa vie…
Je tente enfin de m’accepter telle que je suis, avec ce que j’ai tenté de dissimuler sans même m’en rendre compte pendant tant d’années.
Cette relation à la mère dont je suis prisonnière à force de la fuir.
Aujourd’hui encore, il me faut oser décevoir pour ne pas me décevoir moi-même.
Accepter de ne pas être la fille dont elle avait rêvé et à laquelle elle rêve peut-être encore. Je ne veux plus dissimuler ce que je trimballe dans les replis de ma cervelle, de mon cœur, dans la moindre de mes cellules, libre ou asphyxiée.
Je commence à prendre conscience du trésor immense qui est là, ma richesse, mes différences. J’apprends à faire confiance à mes intuitions. Sereinement.
Je ne suis plus en guerre. Cette fameuse guerre qu’on se livre à soi-même.
J’ai cherché des modèles, des maîtres à penser et c’est moi, ce fameux Surmoi, que j’ai rencontré. L’étincelle sacrée. Elle a parfois provoqué plus de gêne, de culpabilité que de bonheur mais voilà je suis prête ! Prête à me planter à nouveau.
Double sens au mot planter…
Par amour encore, toutefois je laisse des points de suspension….
Envie de fumer. On ne fume plus dans le nouveau bus, c’est plutôt une bonne chose sauf par moment où la transgression serait bien agréable.
Nous allons bientôt nous arrêter sans doute, il ne doit pas être loin de 19 heures.
Nous arriverons à Gand demain, vers midi. Une tournée de bus plus que de spectacles… Il y a un rayon de soleil au coin de la page.
Un arrêt tabagie-pipi et c’est reparti. Ambiance morose. Thierry en particulier et ça m’ennuie. Depuis mon retour, quelque chose a changé. Ce n’est peut-être que le fruit de mon imagination… Aussi peut-être un fond de culpabilité : je suis la lâcheuse.
Je lâche les oiseaux qui n’ont même pas encore pris leur envol !
Je n’ai pas envie de quitter le groupe mais j’ai besoin d’amour, d’une vie affective dissociée de ma vie professionnelle. J’ai besoin d’équilibrer, de développer de nouvelles antennes, continuer l’aventure d’une autre façon, plus cadrée.
Privilégier qualité à quantité, que ce soit en temps, en énergie ou en ce qui concerne le spectacle lui-même. Il y a Don Quichotte que j’aime beaucoup mais qu’on joue si peu et j’avoue que rejouer Ezili m’a émue. Six ans déjà que ce spectacle tourne…
Mais les Oiseaux non ! Immense gâchis…
Le chant est trop important pour moi pour y prendre aussi peu de plaisir.
 
Août 2001
Nous voici en Allemagne. Il est presque 2 heures du matin.
Où sommes-nous exactement, je ne saurais le dire. Je n’arrive pas à retenir le nom de cette ville. Ce n’est pas très loin de Brème, joli nom Brème, mais j’en ai déjà parlé il y a longtemps dans ce journal… Dire qu’une bonne partie va être publiée par Clapàs….
C’est fou quand même ! Dérangeant même pour la suite. Du coup, j’ai mis un petit moment avant de m’y remettre. (la publication était prévu pour l’automne 2002, Marcel Chinonis est décédé brutalement en août 2002, les calepins se sont donc retrouvés orphelins.)
Journée de montage et répétition de Don Quichotte. Je suis maintenant dans ma chambre d’hôtel. J’ai passé un bon moment au téléphone avec S. à en avoir les oreilles qui brûlent (les deux parce que je change d’oreille).
Don Quichotte enfin ! Cela fait presque un an que nous ne l’avons pas joué.
Marc remplace Patrice qui a une côte fracturée. C’est chouette qu’il le fasse au moins une fois, c’est tellement son histoire ce spectacle.
Je suis troublée à nouveau, c’est tout récent, plutôt étrange. Quelque chose est en train de naître, ou plutôt de remonter peu à peu à la conscience. C’était peut-être là depuis longtemps déjà… Séduction intellectuelle, poétique et du poème à la chair….
Je parlais de choix, de volonté et voilà que j’ai envie d’écrire que j’aime trop ce frisson qui mêle et emmêle… Qui dit trouble, dit manque de clarté, pénombre, nombrils de chair qui se parlent en leur langage moite. Mettre des mots sur l’amour, de l’amour dans les mots.
Parler du désir, de la fuite éperdue pour échapper à l’autre, du cercle qui nous y ramène toujours tant le potier est habile.
Le potier, le modeleur…. Une image de dieu ?
Je me protège, car c’est dangereux. Je me protège de l’autre et de moi-même.
Le cercle me ramène à lui mais comme sur le tour, le cercle est en fait une spirale et l’infini c’est moi, l’infini c’est l’autre.  Nous ne faisons que monter… et il est toujours possible de recommencer, à l’infini nous sommes malléables. Matière première.

C’est la route du retour après un très beau spectacle qui a fait plaisir à tout le monde et tout particulièrement à moi. De belles déclarations - amitié, amour, quelle importance - ont confirmé ce que je pressentais l’autre nuit. Emotions fortes, sentiments profonds ?
Petit arrêt sur une péniche à Maastricht pour rendre le voyage disons, plus agréable.
J’ai bien dormi cette nuit et encore ce matin. Mes rêves se sont vite effacés, c’est dommage, j’aimerais pouvoir m’en souvenir. Savoir un peu ce qui se trame en ce moment dans mon inconscient…
Nous roulons dans le Lot, au-dessus de Cahors. Etrange de songer que d’ici un mois, je serai installée par-là. Agréable pensée même si le fait de réintégrer le groupe physiquement et affectivement, donne à tout le reste une coloration un peu floue.
Bizarrement, je n’ai aucune inquiétude. Les changements qui viennent me paraissent logiques et ce presque indépendamment de S. même si je sais que c’est notre relation qui me permet de me sentir aussi sereine. Les circonstances s’adaptent à moi et non le contraire, c’est nouveau et j’aimerai conserver ce sentiment de fraîcheur, cette paix, cette confiance.
J’omets probablement de songer à quelques problèmes qui ne vont pas manquer de se poser mais il me semble que rien ne peut être pire que subir sans choisir, sans rien tenter.

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