13/04/2007
Lettre ouverte de SURVIE à Nicolas Sarkozy, François Bayrou et aux candidats attirés par les tentations françafricaines...
D’aucuns s’accordent à dire qu’avec la fin de la présidence de Jacques Chirac, c’est une page de l’histoire de la Vème République qui se tourne. Une page peu reluisante, ternie par les affaires, les dysfonctionnements institutionnels et une certaine exaspération populaire qui aujourd’hui pousse certains candidats à la succession à se présenter comme des candidats de la « rupture ».
Parmi les pages sombres de la Vème République sur lesquelles les candidats sont amenés à se pencher et, on l’espère, à se démarquer de leur prédécesseur, figure la gestion opaque des relations franco-africaines menée depuis les années 60 par les présidents successifs. Marquées par une vision néocoloniale, paternaliste et en totale contradiction avec un discours progressiste prononcé à l’envi, les relations franco-africaines ont en effet perpétué la dépendance économique, politique, militaire et monétaire des Etats africains vis-à-vis de la France, souvent avec le consentement de régimes vassaux imposés par Paris.
Percevant l’exaspération croissante des populations françaises et africaines face au cautionnement par la France du coup d’Etat électoral au Togo en 2005, l’interventionnisme militaire au Tchad, ou les félicitations envoyées par Jacques Chirac à chaque réélection frauduleuse d’un de ses « amis » dictateurs, les principaux candidats à l’élection ont jugé utile de faire figurer dans leurs programmes un nécessaire aggiornamento en la matière.
Le soutien de la France à des régimes dictatoriaux, la face la plus visible de la « Françafrique » a été naturellement l’objet des premières critiques émises par François Bayrou, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy qui y sont allés chacun de sa petite phrase condamnant ce soutien inconditionnel à des despotes et la confusion entre amitiés personnelles et relations diplomatiques de la France (une des « spécialités chiraquiennes »).
Espoir de courte durée. Le décalage entre les principes énoncés et leur application vient d’être démontré par un fait-divers passé étrangement inaperçu dans le battage médiatique qui entoure pourtant les moindres faits et gestes des candidats.
A la fin du mois de mars dernier, à l’occasion d’une visite privée en France, le président gabonais Omar Bongo (doyen des chefs d’Etat en exercice après 40 années de pouvoir despotique), parrain régional de la « Françafrique », comme l’a démontré le procès Elf, recevait dans son hôtel particulier deux postulants sérieux à l’élection présidentielle française.
Le premier à venir rendre visite au doyen Bongo fut Nicolas Sarkozy, un habitué des lieux et surtout un familier du président gabonais qu’il n’hésite pas à présenter comme un « ami » (interview à Jeune Afrique, novembre 2006), sans oublier il est vrai de préciser qu’il s’agit là d’une amitié personnelle, à ne pas confondre donc avec une amitié « au nom de la France » (ce qui est d’autant plus facile quand on n’est ni Président de la République ni Ministre des Affaires étrangères). Même précision oratoire de la part du second visiteur, le candidat de l’UDF, venu « à titre personnel » comme il l’a affirmé aux caméras de la télévision gabonaise (la seule à retransmettre l’événement) [1] pour « prendre conseil » auprès du président Bongo. De quels conseils peut-il donc bien s’agir, est-on tenté de s’interroger ?
Que peut attendre un candidat à une élection d’un président assis sur des puits de pétrole et des valises de billets, dont il a fait profiter la plupart des partis français depuis 20 ans ? Sa sagesse, sans doute, comme l’a expliqué à la télévision gabonaise le troisième visiteur, Dominique de Villepin, qui il est vrai n’est lui candidat à rien, du moins pour l’instant, sagesse consistant, comme celle d’Houphouët-Boigny à confondre le trésor de son pays avec sa cassette personnelle.
Qui a donc pu convaincre François Bayrou, qui aime à se présenter comme le candidat de la vertu d’aller se jeter dans la gueule du lion Bongo, qui jouit d’une réputation médiatique particulièrement sinistre, si l’on en juge par les critiques de la presse française sur son « règne » de 40 ans, lors du dernier Sommet Afrique-France de Cannes. Serait-ce le nouveau conseiller du candidat centriste, l’obscur Jean-François Probst, un homme des réseaux qui dans son livre Chirac, mon ami de trente ans se vante de sa longue carrière « françafricaine » aux côtés de Jacques Foccart ou de Charles Pasqua ?
Quoi qu’il en soit, ces images d’élus de la République reçus en grande pompe dans le domicile particulier d’un despote qui ne doit sa fortune qu’au détournement de rentes diverses (et notamment pétrolières) posent une question fondamentale de morale politique qui rappelle certains sujets de bac de philo sur lesquels certains hommes politiques n’ont manifestement pas assez planché.
« Un ennemi de la liberté peut-il être l’ami d’un supposé défenseur de la démocratie ? »
La réponse de la société civile française, qui plaide pour une politique de la France en Afrique responsable et transparente, dans le cadre notamment de la campagne « 2007 Etat d’urgence planétaire, votons pour une France solidaire » est sans ambiguïté. Le « non » est catégorique.
Il est grand temps en effet que nos futurs dirigeants s’affranchissent des « tentations françafricaines » et qu’ils construisent une politique de la France au service de la démocratie qu’appellent également de leurs vœux les 200 organisations de la société civile africaine qui ont signé une lettre ouverte aux candidats français à la présidentielle lors du dernier Forum Social Mondial de Nairobi [2].
Tous les candidats doivent aujourd’hui tirer les leçons des dérives passées de la politique de la France en Afrique à commencer par la candidate du PS que l’on présente parfois comme l’héritière de François Mitterrand, un président de la République dont le PS n’a jamais tiré le « bilan africain ». Et si en la matière Ségolène Royal a su habilement concentrer ses critiques sur l’inventaire de Jacques Chirac pour proposer des alternatives souvent proches des revendications de la société civile en matière de relations franco-africaines, il est difficile d’oublier les promesses trahies de François Mitterrand en 1981.
Hasard du calendrier, le 27 mars dernier, quelques jours à peine après les visites au doyen Bongo, trois associations, Sherpa, Survie et la Fédération des Congolais de la Diaspora, déposaient une plainte pour « recel de détournement de biens publics et complicité », plainte visant notamment Omar Bongo, le Congolais Denis Sassou N’Guesso et leur familles, propriétaires en France de nombreux biens immobiliers de luxe, dont de fameux hôtels particuliers à Paris dans le 16ème arrondissement. La notion de « bien mal acquis » dont la restitution aux peuples spoliés est une revendication forte portée par les organisations de solidarité internationale françaises et africaines, est au cœur de cette démarche juridique.
Mauvaises langues que nous sommes, la visite des candidats à Omar Bongo n’était peut être dans le fond destinée qu’à estimer au plus juste la valeur d’un bien immobilier qui sera rendu dans quelques mois au peuple gabonais, une fois son dirigeant désavoué !
Les campagnes électorales entretiennent tellement de rêves....
Association Survie Le 9 avril 2007
Source : http://www.survie-france.org/article.php3?id_article=914
14:19 Publié dans AGIR | Lien permanent | Commentaires (0)
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