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20/04/2007

NOTRE PAIN QUOTIDIEN Unser täglich Brot

Documentaire réalisé par Nikolaus Geyrhalter
Durée : 1h 32
Date de sortie : 14 Mars 2007
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Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, l’enjeu alimentaire en Europe est primordial et les mesures qui seront alors prises dans le nouveau cénacle de la jeune communauté européenne vont transformer nos systèmes de production agroalimentaire comme jamais. Ainsi tout en relevant le défi de nourrir ses millions d’habitants à leur faim, le modèle qui sera mis en place aura pour seule priorité d’atteindre ses objectifs et cela au mépris total des moyens à engager.
 
De fait, s’ouvrent alors jusqu’à nos jours six décennies où la crise alimentaire est définitivement bannie de nos existences pour faire place à un marché gigantesque où la profusion et la surproduction règnent. Cela toutefois ne fut pas réalisé sans contraintes ni sacrifices, nous en savons pourtant peu et c’est ce que va s’atteler à éclairer Notre Pain Quotidien, le documentaire qu’a réalisé entre 2003 et 2005, Nikolaus Geyrhalter. Ainsi, le cinéaste autrichien s’est-il demandé comment nous en étions arrivés à cette situation a priori idéale, et s’interrogeant par le seul biais de l’image non commentée à ce qui est et à ce qui se fait maintenant, il questionne son public sur le bien fondé du résultat obtenu. Savoir ce que fait l’homme pour subvenir à ses besoins bien au-delà du raisonnable et de toute préservation de la nature pose effectivement question à l’heure où l’écologie et l’avenir de la biodiversité sont en jeu. Et ce sera sans faux-semblants que Notre Pain Quotidien s’y collettera. Vives impressions garanties !

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Veaux, vaches, cochons, poulets sont ainsi montrés à tous les niveaux de la chaîne, de l’élevage à l’insoutenable abattoir où tous seront découpés, désossés et démembrés pour notre plus gourmande joie. En filmant comment est produit ce qui parvient dans nos assiettes, Nikolaus Geyralter explore en effet la face dissimulée et rarement montrée de nos industries agroalimentaires. Des immensités paysagères transformées à seule fin de culture en passant par les conditions incroyables réservées aux animaux qui nous nourrissent, c’est donc à une plongée sans retenue dans un monde qui nous est peu connu à laquelle nous convie le cinéaste accoutumé aux projets choc. Nous serons ainsi emmenés vers la froideur chirurgicale des chaînes de dépeçage des usines de découpe industrielle, puis ce sera au tour des immenses élevages industriels hors sol que la PAC a fait prospérer de nous ouvrir leurs portes, avant que les monotones paysages de l’agriculture intensive ne se dévoilent sous leurs toiles de plastiques et leurs tonnes d’engrais et de pesticides. Dans toute son insensible rigueur, c’est ainsi l’ensemble des pans de la production alimentaire occidentale qui nous est donné à voir, au gré des hectolitres de sang versé, des milliers de carcasses déchiquetées et des fruits ramassés en secouant les pruniers à la seule force de machines spécialisées.
 
Dans la lignée visuelle et intellectuelle de la trilogie de Godfrey Reggio regroupant Naqoyqatsi, Koyaanisqatsi et Powaqqatsi, documentaires cinglants qui montrent sans afféterie la vérité du monde, Notre pain quotidien révèle ainsi simplement et sans fausse pudibonderie ce qui est, en le filmant entièrement, sans enjoliver ou atténuer la force du réel. L’ensemble de fait est marquant et éprouve d’autant plus son spectateur que son traitement est volontairement radical.
 
C’est en effet par l’usage de plans séquence en cadrage presque continûment fixe, tous dépourvus de commentaires off que Nicolas Geyrhalter va fonder le filmage de son documentaire. Recherchant à impressionner, il entreprendra ainsi de tout montrer frontalement et dans la durée, au risque de vouloir consciemment incommoder, parfois jusqu’à la nausée et au mal être. Mais l’appel à l’éveil de notre conscience de consommateur citoyen passe peut-être par ce que certains qualifieront de surenchère artificielle. En tous cas, le cinéaste a le mérite de laisser à la seule appréciation du destinataire et à son unique sagacité, le soin de se faire sa propre opinion sur le sujet, tout en installant un dispositif habile de scansion basé sur l’alternance de moments antagonistes. Ainsi, entre séquences quasi insoutenables et instants de paix où sont filmés les hommes et les femmes qui oeuvrent pour nous nourrir, Notre pain quotidien alterne ses effets. Dans ses séquences les plus dures, il va de fait nécessairement brusquer, déranger par la violence techniciste qu’il montre et laisser à penser plus paisiblement dans ses moments de tranquillité, au gré de séquences où l’on verra l’ouvrier, l’employé ou le cueilleur en train de déjeuner et incarner le spectateur – consommateur lui-même, dans un contre champ astucieux.

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C’est donc pour cela que Notre Pain quotidien s‘avère une expérience cinématographique déroutante puisqu’il livre l’envers d’un décor que l’on refuserait objectivement d’accepter dans sa cruelle totalité malgré la nécessité., tout en nous tendant un miroir bien dérangeant En effet, dans un premier temps, ce métrage ne peut laisser indifférent par ce qu’il nous montre. Mais s’il saisit autant, c’est surtout parce dans un temps second, il fait ressortir dans un froid souci de réalisme le seul critère qui préside à la naissance, à la réussite de ces stratégies alimentaires et à leur inepte fondement : une rationalité mécaniste, tayloriste dépourvue d’âme, de compassion et très éloignée des critères écologiques de tout développement humainement durable. De fait donc, le plus déstabilisant dans ce métrage réside dans l’inconfort de penser que ce que l’on fait subir aux animaux et à la nature puisse révéler le traitement réservé en général aux plus faibles avec tant d’insensibilité et de cynisme. Cela sidère à dire vrai et même si cela exprime un bien regrettable péché de candeur, une interrogation se pose qui n’est pas le moindre mérite du film : doit-on l’accepter ?

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Instrumentaliser ainsi le vivant, le mépriser pareillement augure en effet de conceptions bien éloignées de celles qui visent à considérer ce dernier - sous toutes ses formes - comme une richesse à préserver et à entretenir. Dès lors, avec Notre Pain Quotidien comme avec Une Vérité qui dérange, il est raisonnable de se demander si le risque premier de telles structures agroalimentaires, de telle pratiques consuméristes et de mauvaises habitudes, n’est pas en dépit de leur impérieuse nécessité, de nous amener à perdre de vue nos racines mêmes et donc en définitive de nous détruire nous-mêmes en niant nos devoirs vis-à-vis de ce qui vit et de ce que l’on détruit chaque jour davantage.
 
Parce que Notre Pain Quotidien est une expérience hélas trop rare à vivre en salles, ce métrage de Nicolas Geyrhalter par ses fondements citoyens et ce qu’il propose, est indispensable à voir, surtout en cette période où la conscience environnementale s’impose comme une donnée fondamentale de nos existences.
 
 
Jean-Baptiste Guégan

 

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