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14/11/2007

"S'cours, j'me noie dans l'vin! Viens!".

Un texte dégueulé, un soir de réveillon. Voyons.
 

Je vais le dire tout net. Oui c'est très peu 10% du prix d'un livre pour l'auteur de ce livre. Oui c'est terrible la crise du livre... Mais franchement, ce n'est qu'un bel événement que cette crise. En tant qu'écrivain, je ne piste pas les pensées cantonnées à la rémunération des auteurs, leur statut précaire, leurs besoins permanents en matière de reconnaissance.

Tout ça me fait penser aux ultimes soubresauts grévistes de ces fonctionnaires désireux de conserver, ce qu'ils appellent, des avantages acquis. Un écrivain n'a pas à militer, ou à exiger de la "communauté nationale", des subsides, des avantages sociaux... Il doit écrire l'écrivain et cesser de se comporter avec cette façon toute prétentieuse de celui qui s'imagine faire de la noblesse.

C'est pourquoi je me définis comme une petite frappe de la littérature, un ouvrier non qualifié de l'industrie de l'art, de la culture, du loisir et du divertissement, ... Il n'est pas possible, pour moi, de me rallier aux scribouillards fortunés, ces auteurs soulevés par des cohortes de lecteurs en rut... Je suis loin de Nothomb, de Sollers... Très loin, enseveli dans le monde de la démerde, des façades pathétiques et des passants qui gueulent, qui bousculent, qui sentent la sueur et la tristesse, ...

Pendant que l'on cause de fric, de la place de l'auteur, du statut des artistes, on ne crée rien, on ne produit pas de pensées, à peine des réflexions solvables, en tout cas, pas de créations recevables.

J'ai conscience de faire partie d'un occident où les héros, les personnes estimées sont celles qui possèdent une célébrité, qui créent, qui gagnent... J'ai conscience de vivre dans un occident où chacun a droit à l'expression, à la création, ou chaque individu peut se prétendre artiste sous le seul prétexte qu'il écrit, qu'il chante, qu'il gratouille une guitare ou chatouille un jumbe. J'ai aussi compris que je n'étais qu'une merde fondue dans un gros tas de merde: l'univers des écrivains.

Depuis quelques années, les éditeurs sur-éditent pour tenter d'endiguer la crise.

J'avoue ne pas maîtriser suffisamment la question pour en faire une analyse sérieuse.

Je vois seulement que lorsque je dis, à des personnes croisées, des gens de mon entourage, que je suis écrivain, j'ai le droit aux deux questions infectes: "T'écris quoi? T'as déjà été édité?"

Tu t'aperçois très vite que le terme d'écrivain jouit d'un prestige extraordinaire... Inévitablement j'en viens à dire que ce que je fais est un peu trash... Tout le monde fait la gueule. Je deviens presque illico un sous-écrivain, un mec à deux balles qui scribouille... Les "gens", ils pensent qu'un écrivain, ça écrit des romans. Ils pensent qu'un écrivain, ça écrit des choses molles, gentilles, avec de l'amour, de la haine dedans. Les gens ne pensent pas qu'écrire c'est aussi dire, affirmer sa haine du monde, souhaiter du mal des sans-abris, rêver d'assassiner, dégueuler, chier sur tout, tous les principes, toutes les lois, la morale.

J'imagine un réveillon de Noël où tonton Franscesco, fraîchement libéré de zonzon, me demande, devant toute l'assemblée familiale de lire un texte de ma composition. Il est vrai que tout le monde a entendu parler du p'tit Vérol qui écrivait des bouquins, mais personne n'en voit la couleur.

Ok. Alors je me lève avec mon papelard qui tremble entre mes doigts. Tout le monde me regarde. Les vieux, les jeunes. Ils ont dans les yeux, cette admiration particulière pour l'écrivain, le Stendhal, le Sulitzer, le Zola de la famille.

Raclement de gorge. Déglutition.

"Ce texte s'appelle "S'appelle pas"

Sur le marché du héro, c'est sûr, je vaux rien. Sur le marché du baiseur/reproducteur, c'est franchement pas le top. Une meuf, ça veut d'l'action, du TF1, du gars qui fait bien chier avec ses matchs de foot, ses couilles qui débordent du calbute et les pensées lames/de/bourreau... C'est partout comme ça. On dit des mecs de banlieues, enfin ceux qui mettent des capuches de merde, qu'ils sont comme ça. C'est pas faux. C'est même souvent vrai... Nombre de fois où ma femme s'est fait traiter de "pute" parce qu'elle ne filait pas de clope ou son numéro de téléphone... Mais franchement, dans l'far west du franchouille de souche qui s'pose là, c'est pas mieux. L'trou du cul qui rêve d'une bagnole tunée et d'un pitbull dans l'Oise, c'est monnaie courante (désolé pour le terme "de souche", c'est merdique, je sais, mais c'est rapidement parlant, tu le vois tout de suite la tête de coton tige pleine de schlass avec ça).

Tous les dimanches, au nord, au sud, à l'est, à l'ouest, pas moyen d'échapper au "testiculé" qui gambade sur un terrain de foot municipal pourrave. Qu'il pleuve qu'il vente, il y va, il y court! "Eh Jacquot/Momo! Passe la balle merde!" ça tacle, ça s'renifle les pectoraux, ça s'met des mains au cul viriles... Bien bien...

Et puis le soir, même après Drucker, comme "la connasse" en a fini avec la recette à Coffe, c'est zap/zap sur TF1 pour l'journal. "Alala qu'ils nous font chier! Y Zont qu'à les baisser les impôts si c'est pour faire ça avec! Merde! Putain... Ah les résultats! Merde! Putain c'est naze la Ligue 1... Quand tu vois les championnats en Italie ou en Angleterre, c'est aut'chose". Il ne rote plus ce mec-là. On est dans les années 2000. Il se lave, ce mec-là. Il a même fait des études souvent... Mais c'est vicéral... Son dada à lui, ce sont des troupeaux de mecs bariolés (La mode est au rose en ce moment ma biche, tu vois, y a plus d'repères) qui courent après le ballon de foot, la balle de tennis, qui s'accrochent au volant d'une "climatique/déréglement"... Il vote à gauche. Il vote à droite. Il lit une BD dans les chiottes et le Parisien ou Ouest France ou La voix du Nord en buvant son café. Il est poli. Il dit "bonjour". Même aux gens d'une couleur différente. Parce que ce gars-là n'est pas non plus nécessairement raciste et rougeot. Il plait aux filles parfois, et surtout à sa femme. Mais à la différence d'elle, moi (encore que je n'ai emmenagé avec lui), et bien, le "petite tête de TF1 ou de Canal Pour-le-foot", ben moi, il me saoûle...

"Oh merde la Vérole! Tout ça c'est pour s'détendre!"

Putain..."

Voilà. Je plie le papier. Personne n'applaudit. Tonton Michel, avec sa grosse voix lance: "BAh c'est spécial ton truc..."

Je m'asseois. J'ai une boule dans la gorge. J'ai envie de leur dire que je déteste toute ma famille, même s'ils sont tous bien gentils. Je les déteste eux, et tous leurs potes, et leurs villes, leurs villages... Tout. Le réveillon se termine dans le vin... Un océan de vin agité, très agité... Avec mes bras en l'air, dessus la surface, pour supplier, implorer de l'aide: "S'cours, j'me noie dans l'vin! Viens!".

Andy Vérol


http://andy-verol.blogg.org/

Lieu du larcin : bulletin sur maille espèce

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