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29/08/2008

Soirée poésie "Ouvrez le feu" à St Cirq-Lapopie avec Tristan Cabral, Majid Kaouah et Cathy Garcia

AFFICHE POESIE O MUERTE.jpg

*illustration de Joaquim Hock

 

 

Soirée poétique et musicale proposée en partenariat avec la revue Nouveaux Délits avec les poètes Tristan Cabral, Majid Kaouah et Cathy Garcia, accompagnés en musique par Serge Bouzouki. Vente et dédicace d'ouvrages en fin de soirée. Rencontre avec les auteurs autour d'un thé à la menthe.


Les invités :

Tristan Cabral, poète, est né à Arcachon, le 29 février 1944.
Etudes secondaires à Bergerac, puis faculté de théologie protestante à Montpellier. Il abandonne le pastorat, entreprend des études de philosophie. Nommé professeur de philosophie au lycée Daudet à Nîmes, il y exerça son métier durant trente ans.
Il fit une entrée fracassante en littérature " en portant son cadavre sur son dos " comme écrivit Roger Gilbert-Lecomte. En 1974, effectivement le professeur de philosophie Yann Houssin du lycée Daudet préfaça un recueil de poèmes intitulé : " Ouvrez le feu " d'un jeune poète de 24 ans, Tristan Cabral, qui s'est suicidé en 1972. La critique est élogieuse : " Qu'on se donne le temps d'écouter cette voix tourmentée, cette poésie convulsive, aux couleurs de feu dans le maquis des mots. " écrit François Bott dans le journal " Le Monde ". Nous apprendrons plus tard en 1977 que Tristan Cabral est bien vivant et que le préfacier Yann Houssin est en fait le poète Cabral. Il publie alors une avalanche de textes aux Editions Plasma à Paris qui rencontre un large public : " Du pain et des Pierres " 1977, " Quand je serai petit " 1979, " Et sois cet océan "1981. Le recueil "Ouvrez le feu" sera réédité à trois reprises. Nous assistons alors à un phénomène d'édition de poésie, depuis le texte " Paroles " de Jacques Prévert aucun recueil a eu un tel tirage. Cabral occupe une place singulière dans le paysage poétique contemporain. Aussi il écrira ses poèmes depuis des lieux où la vie peut se réconcilier avec la poésie, seule façon de surmonter la déchirure. Cabral voyage tous les étés et on le retrouve là où s'exerce le mal : Paris 68, Prague, les Cévennes, Montségur, Bagdad, Istanbul, Belfast, Mexico, Alger, Jérusalem, Kosovo, Bosnie, Auschwitz... partout où l'homme incendie son semblable. Cabral puise ses images dans l'agonie de notre monde. Il se lie à des mouvements révolutionnaires en Amérique du sud, en Irlande, en Turquie.
En 1976, il sera incarcéré à la prison de la Santé à Paris pour " participation à une entreprise de démoralisation de l'armée française. " Il vit toujours à Nîmes, continue son métier d'enseignant et publie ses chants de lutte qui évoquent le Tiers Monde, la Palestine, l'Irak. Il y exprime souvent ce moment d'espérance juste avant l'arrivée du désespoir. Comme l'écrit le poète Bernard Noël :" Cabral est un poète à la douceur impitoyable ". Cabral poursuit sa route insoumise, sans Dieu, sans parti, sans maître et il construit une œuvre : " la lumière et l'exil " ( anthologie) 1985, " le Passeur de silence " ( 1986), " le quatuor de Prague " ( 1990), " le Passeur d'Istanbul " ( 1992), " le Désert-Dieu " (1996), " Mourir à Vukovar " (1997). Cabral traverse de nombreux brasiers.
En 1997, sa poésie, expression d'une révolte pure évolue vers une poésie de la quête. Cabral nous révèle alors son identité secrète au travers de ses trois derniers recueils : " L’ Enfant d'eau " ( 1997), " La messe en mort " ( 1999) et " L'enfant de guerre " ( 2002). Le poète écrit : " Enfant illégitime de la Seconde Guerre mondiale, j'ai voulu montrer en suivant le Danube, de sa source à son embouchure sur la mer Noire que le monde lui-même ne cesse de naître et de renaître .... " Il a traduit entre autres Yannis Ritsos, Octavio Paz, Georg Trakl. Tristan Cabral a été publié dans le numéro 24 (juillet 2007) de la revue Nouveaux Délits.

Bibliographie

Testament Funambule, Actes Sud, 2008 à paraître
Requiem Océan, Bord à bord avec Xavier Grall, Voix d’encre, 2007
L’Enfant de guerre, Le Cherche-Midi, 2001
La Messe en mort, Le Cherche-Midi, 1999
L’Enfant d’eau, Livre I du Quatuor de l’Atlantique, Cahiers de l’Égaré, 1997
Mourir à Vukovar, Cheyne, 1997
Le Désert-Dieu, éditions De l’Alpha et Oméga, 1996
Le Passeur d’Istanbul, éditions Du Griot, 1992
La Lumière et l’exil, Le Temps parallèle, 1986
Le Passeur de silence, La Découverte, 1986
Et sois cet Océan ! Plasma, 1981
Demain, quand je serai petit, Plasma, 1979
Du pain et des pierres, Plasma, 1977
Ouvrez le feu !, Plasma, 1975

Abdelmadjid Kaouah est né le 25 décembre 1950 à Aïn-Taya, près d'Alger.
Il est journaliste de profession. Correspondant de divers journaux algériens et chroniqueur littéraire. La violence qui a frappé son pays dans les années 90 l'a poussé à l'exil en région toulousaine où il vit aujourd’hui.
Il publie depuis les années 70. Il a publié plusieurs plaquettes aux Editions du Stencyl notamment : Trois télégrammes d’amour et un poème pour les enfants, De toute manière... Son recueil Par quelle main retenir le vent, préfacé par Tahar Djaout en 1986 évoque ce qu'aurait pu être l'Algérie si les poètes avaient eu la parole. Par quelle main retenir le vent a été réédité suivi de La Jubilation du jasmin par les éditions Noir & Blanc ainsi que L'Ombre du livre. Il a publié en 1999 Le Nœud de Garonne (éd. Autres Temps, Marseille).
Titulaire d’une Maîtrise consacrée à la poésie algérienne de langue française, il a également animé en Midi-Pyrénées l’association CRIDLA (Cercle de recherches, d'initiatives des lettres algériennes et maghrébines de langue française).
Collaborateur littéraire (notamment à Notre librairie, Revue des littératures du Sud, Paris), il a produit durant plusieurs années des émissions radio de culture et de société (grands entretiens avec Amin Maalouf, Jean Pélegri, Boualem Sensal, Serge Pey etc. ...) et dans la presse écrite (Yasmina Khadra, Nouredine Saadi, Maïssa Bey...).
Il a obtenu le prix Sernet 1995 des Journées internationales de poésie de Rodez pour La Maison livide (préfacé par Serge Pey avec une couverture du peintre Hamid Tibouchi, (éd. Encres Vives, Toulouse).
Il a publié une anthologie Poésie algérienne francophone contemporaine (éditions Autres Temps, coll. "Temps poétique", 2004).
Et Le Cri de la mouette quand elle perd ses plumes (Encres Vives, mars 2006).
L'Ode à Katerina Angélàki suivi de Skärgarden (Encres Vives, 2008)
Il a pris part à de nombreuses rencontres poétiques, en France, en Grèce, en Espagne , en Allemagne, en Suède. A participé à divers salons et rencontres littéraires en France et animé de multiples lectures dans les librairies et les cafés-littéraires. Majid Kaouah a été publié dans le numéro 23 (mai 2007) de la revue Nouveaux Délits.

Et Cathy Garcia, née en 1970, poète fondatrice de la revue Nouveaux Délits. http://larevuenouveauxdelits.hautetfort.com/

Bibliographie

PANDEMONIUM 1 (poèmes) , Editions Clapàs Collec. Les Ami(e)s à Voix 2001
FRAGMENTS DE TOUT ET DE RIEN (prose), Editions Clapàs, Collec. Les Ami(e)s à Voix 2001 ;
PAPILLON DE NUIT, Ed. Clapàs dans la collection Franche-Lippée, 2001
GRIS FEU chez Ambition Chocolatée et Déconfiture, 2003
De larges extraits de CALEPINS VOYAGEURS - Journal intime en tournée 1997/2002 plus quelques poèmes, sur le cd-rom du poète Christian Erwin Andersen : L'EXORCISME DU SABLE (Pourquoi toujours dans le désert?) aux Ed. Profana Bellica, 2003 (Belgique)
La nouvelle histoire de Monsieur Seguin dans le recueil Nouvelles story n°2, Ed. Alpa. 2004;
JARDIN DU CAUSSE, éd. à tire d'ailes, 2004 
LES ANNÉES CHIENNES – Série autodigestion, éd. A Tire d’Ailes 2007
SALINES, éd. A Tire d’Ailes, 2007
OMBROMANIE, éd. Encres Vives, coll. Encre Blanche, 2007

et LES CHRONIQUES DU HAMAC, éd. A Tire d’Ailes 2008, nouveau recueil qui sera présenté par Les Orteils Papillons au Garage Donadieu, à Cahors, le mardi 16 septembre à 20h30, une lecture en suspension...

Infos pratiques
• Prévoir des vêtements adaptés en fonction de la météo
• Participation libre

 
Venez nombreux pour partager avec nous en ces temps frileux quelques étincelles de poésie !

27/08/2008

En hommage à Vassili NESTERENKO

Le Professeur Vassili NESTERENKO est mort le lundi 25 août à Minsk (Bielorussie).
 
Cet exceptionnel scientifique a consacré les 23 dernières années de sa vie à « réparer » les effets de la pollution radioactive sur les territoires contaminés par l’incendie du réacteur n°4 de la Centrale de Tchernobyl.
Vous trouverez un portrait sensible et juste sur le site :
http://www.enfantsdetchernobylbelarus.doubleclic.asso.fr/
 
Depuis une dizaine d’années la compagnie Brut de béton production accompagne celles et ceux qui refusent la désinformation systématique sur les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl survenue le 26 avril 1986.
En particulier elle a produit en France, en Suisse, en Biélorussie et en Ukraine, plusieurs adaptations de La supplication, le livre de Svetlana Alexievitch.
Le témoignage du Professeur Vassili Nesterenko est essentiel à la compréhension de cet événement.
 
Nous vous en livrons le texte en pièce jointe.
 
Ce mercredi à 15h, heure de son enterrement à Minsk, lui a été rendu un hommage devant le siège de l’OMS où le collectif INDEPENDENTWHO poursuit une manifestation pacifiste depuis un an et demi.
 
Nous souhaiterions que soit lu publiquement son témoignage dans les jours et semaines qui viennent.
Accepteriez-vous de prendre l’initiative d’une veillée, d’une soirée avec par exemple la projection du film Le sacrifice de Vladimir Tcherkoff ?
Pourriez-vous proposer à une radio locale d’en lire un extrait ?

Simplement informez-nous afin que dans une dizaine de jours, nous publions les dates et lieux des initiatives.
 
Veuillez agréer Madame, Monsieur, l’expression de notre considération.
                   
 
Pour Brut de béton production
Bruno Boussagol
 
PS : pour toutes informations relatives à l’action devant l’OMS, vous pouvez consulter le site www.independentwho.info

Monologue sur le pouvoir démesuré d'un homme sur un autre

 

« Je ne suis pas un homme de plume, je suis physicien. Voilà pourquoi je me bornerai à parler de faits ...

Pour Tchernobyl, il faudra bien répondre un jour... Le temps viendra où il faudra payer... Comme pour 1937. Même si ce n'est que dans cinquante ans! Même s'ils sont vieux! Même s'ils sont morts! Ce sont des criminels! (Un silence.) Il faut

préserver les faits... On les réclamera !

Ce jour-là, le 26 avril, j'étais à Moscou. En mission.

C'est là que j'ai appris pour la catastrophe.

J'ai aussitôt appelé Sliounkov, le premier secrétaire du Comité central de Biélorussie, à Minsk, mais on ne me l'a pas passé. J'ai renouvelé l'appel à plusieurs reprises, jusqu'à tomber sur l'un de ses assistants qui me connaissait très bien.

_ Je téléphone de Moscou. Passez-moi Sliounkov ! J'ai des informations urgentes.

Au sujet de l'accident...

J'appelais sur une ligne gouvernementale, mais l'affaire était déjà strictement confidentielle. Dès que j'ai mentionné l'accident, la liaison a été coupée. Bien sûr, tout était écouté. Inutile de préciser par qui. Les organes concernés. L'Etat dans l'Etat. Et le fait que moi, le directeur de l'Institut de l'énergie nucléaire de l'Académie des sciences de Biélorussie, membre correspondant de l'Académie des sciences, je voulais parler au premier secrétaire du Comité central n'y changeait rien. Le secret s'étendait à moi aussi.

Il me fallut batailler pendant deux heures pour que Sliounkov daigne enfin se saisir du combiné.

_ C'est un grave accident. Selon mes calculs, j'avais déjà pu contacter un certain nombre de personnes à Moscou et obtenir des informations), le nuage radioactif avance vers vous. Vers la Biélorussie. Il faut immédiatement traiter préventivement à l'iode toute la population et évacuer ceux qui vivent à proximité de la centrale. Il faut évacuer les gens et le bétail dans un rayon de cent kilomètres.

- On m'a déjà fait un rapport, m'a répondu Sliounkov. Il y a bien eu un incendie, mais il a été maîtrisé.

Je n'ai pas pu me retenir.

"- On vous trompe ! C'est un mensonge. N'importe quel physicien vous dira que le graphite se consume à raison de cinq tonnes à l'heure. Vous pouvez déterminer vous-même combien de temps il va brûler !

J'ai pris le premier train pour Minsk. Après une nuit sans sommeil, au matin, j'étais chez moi. J'ai mesuré la thyroïde de mon fils : cent quatre-vingts microröntgens à l'heure ! La thyroïde est un parfait dosimètre. Il fallait de l'iode. De l'iode ordinaire. Deux à trois gouttes pour les enfants dans un demi-verre d'eau. Trois à quatre gouttes pour les adultes. Le réacteur allait brûler pendant dix jours, il fallait faire ce traitement pendant dix jours. Mais personne ne nous écoutait, nous autres, les scientifiques, les médecins. La science a été entraînée dans la politique... La médecine, dans la politique. Et comment donc! Il ne faut pas oublier dans quelle situation nous nous trouvions, il y a dix ans. Le K.G.B. fonctionnait, on brouillait les radios occidentales. Il y avait des milliers de tabous, de secrets militaires, de secrets du parti... De plus, nous avions été élevés dans l'idée que l'atome pacifique soviétique n'était pas plus dangereux que le charbon ou la tourbe. Nous étions paralysés par la peur et les préjugés. Par la superstition de la foi... Mais restons-en

aux faits ! Rien qu'aux faits...

Dès mon retour, le 27 avril, j'ai décidé d'aller constater par moi-même la situation dans la région de Gomel, à la frontière ukrainienne, dans les chefs-lieux de district de Braguine, Khoïniki et Narovlia qui se trouvent à quelques dizaines de kilomètres à peine de la centrale. J'avais besoin d'une information complète. J'ai emporté des instruments pour mesurer le fond. À Braguine : trente mille microröntgens à l'heure; à Narovlia: vingt-huit mille... Les gens travaillaient la terre, préparaient la fête de Pâques, peignaient des oeufs, faisaient des gâteaux... "Quelle radiation ? De quoi s'agit-il ? Il n'y a eu aucun ordre. La direction demande des rapports sur l'avancement et le rythme des semailles." On me prenait pour un fou. " De quoi parlez-vous, professeur ?" Röntgens, microröntgens... Un langage d'extraterrestre...

Retour à Minsk. Sur l'avenue principale, on vendait des pirojki farcis à la viande hachée, des glaces, des petits pains. Sous le nuage radioactif... Le 29 avril. Je m'en souviens avec exactitude... À huit heures du matin, j'attendais déjà dans l'antichambre de Sliounkov. Même si j'insistais, faisais du forcing, personne n'acceptait de me recevoir. À cinq heures et demie du soir, un célèbre poète biélorusse est sorti du bureau de Sliounkov. Nous nous connaissions bien.

_ Avec le camarade Sliounkov, me dit-il, nous avons abordé les problèmes de la culture biélorusse.

J'explosai :

_ Mais bientôt, il n'y aura plus personne pour développer cette culture. Il n'y aura plus de lecteurs pour vos livres, si nous n'évacuons pas d'urgence les environs de Tchernobyl. Si nous ne les sauvons pas !

_ Mais de quoi parlez-vous? On m'a dit que l'incendie a déjà été éteint.

Je suis finalement parvenu à me frayer un chemin jusqu'à Sliounkov et à lui décrire le tableau que j'avais vu la veille. Il fallait sauver tous ces gens ! En Ukraine (j'avais téléphoné), l'évacuation avait déjà commencé..._ Pourquoi est-ce que les dosimétristes de votre Institut courent partout dans la ville en semant la panique ? me demande-t-il. J'ai consulté l'académicien Iliné, à Moscou. Selon ses services, tout est normal, ici... Une commission gouvernementale est au

travail, là-bas. Et le parquet. L'armée, les moyens techniques militaires sont déjà sur place pour colmater la brèche.

Des milliers de tonnes de césium, d'iode, de plomb, de zirconium, de cadmium, de béryllium, de bore et une quantité inconnue de plutonium (dans les réacteurs de type RBMK à uranium-graphite du genre de Tchernobyl, on enrichissait du plutonium militaire qui servait à la production des bombes atomiques) étaient déjà retombées sur notre terre. Au total, quatre cent cinquante types de radionucléides différents. Leur quantité était égale à trois cent cinquante bombes de Hiroshima. Il fallait parler de physique, des lois de la physique. Et eux, ils parlaient d'ennemis. Ils cherchaient des ennemis !

Tôt ou tard, ils auront à répondre de cela.

- Vous allez vous justifier, disais-je à Sliounkov, en prétendant que vous êtes un constructeur de tracteurs (il avait dirigé une usine de tracteurs avant de faire carrière dans le parti) et que vous ne comprenez rien à la radiation. Mais moi, je suis physicien et j'ai une bonne connaissance des conséquences de la catastrophe.

Mais comment ? Un physicien quelconque osait donner des leçons au Comité central ? Non, ce n'étaient pas des criminels, mais des ignorants. Un complot de l'ignorance et du corporatisme. Le principe de leur vie, à l'école des apparatchiks: ne pas sortir le nez dehors. On devait justement promouvoir Sliounkov à un poste important, à Moscou. C'était cela. Je pense qu'il a dû recevoir un coup de fil du Kremlin, de Gorbatchev: Surtout pas de vagues, ne semez pas la panique, il y a déjà assez de bruit autour de cela en Occident. Les règles du jeu étaient simples: si vous ne répondez pas aux exigences de vos supérieurs, vous ne serez pas promu, on ne vous accordera pas le séjour souhaité dans une villégiature privilégiée ou la datcha que vous voulez ... Si nous étions restés dans un système· fermé, derrière le rideau de fer, les gens seraient demeurés à proximité immédiate de la centrale. On y aurait créé une région secrète, comme à Kychtyrn ou Semipalatinsk1. Nous sommes dans un pays stalinien. Il est encore stalinien à ce jour...

Dans les instructions de sécurité nucléaire, on prescrit la distribution préventive de doses d'iode pour l'ensemble de la population en cas de menace d’accident ou d'attaque atomique. En cas de menace ! Et là, trois mille microröntgens à l'heure...

Mais les responsables ne se faisaient pas du souci pour les gens, ils s'en faisaient pour leur pouvoir. Nous vivons dans un pays de pouvoir et non un pays d'êtres humains. L'État bénéficie d'une priorité absolue. Et la valeur de la vie humaine est réduite à zéro. On aurait pourtant bien pu trouver des moyens d'agir ! Sans rien annoncer et sans semer la panique... Simplement en introduisant des préparations à l'iode dans les réservoirs d'eau potable, en les ajoutant dans le lait. Les gens auraient peut-être senti que l'eau et le lait avaient un goût légèrement différent, mais cela se serait arrêté là. La ville était en possession de sept cents kilogrammes de ces préparations qui sont restées dans les entrepôts... Nos responsables avaient plus peur de la colère de leurs supérieurs que de l'atome. Chacun attendait un coup de fil, un ordre, mais n'entreprenait rien de lui-même. Moi, j'avais toujours un dosimètre dans ma serviette. Lorsqu'on ne me laissait pas entrer quelque part (les grands chefs finissaient par en avoir marre de moi !), j'apposais le dosimètre sur la thyroïde des secrétaires ou des membres du personnel qui attendaient dans l'antichambre. Ils s'effrayaient et, parfois, ils me laissaient entrer.

- Mais à quoi bon ces crises d'hystérie, professeur? me disait-on alors. Vous n'êtes pas le seul à prendre soin du peuple biélorusse. De toute manière, l'homme doit bien mourir de quelque chose: le tabac, les accidents de la route, le suicide."

Ils se moquaient des Ukrainiens qui "se traînaient à genoux" au Kremlin en quémandant de l'argent, des médicaments, des dosimètres (dont on ne disposait pas en quantité suffisante). Notre Sliounkov, lui, s'est borné à faire un bref rapport: "Tout est normal. Nous surmonterons les problèmes par nos propres moyens." On le félicita: "Bravo, les petits frères biélorusses !"

Mais combien de vies ont-elles coûté, ces félicitations ? Je sais bien que les chefs, eux, prenaient de l'iode. Lorsque les gars de notre Institut les examinaient, ils avaient tous la thyroïde en parfait état. Cela n'est pas possible sans iode. Et ils ont envoyé leurs enfants bien loin, en catimini. Lorsqu'ils se rendaient en inspection dans les régions contaminées, ils portaient des masques et des vêtements de protection. Tout ce dont les autres ne disposaient pas. Et aujourd'hui on sait même qu'un troupeau de vaches spécial paissait aux environs de Minsk. Chaque animal était numéroté et affecté à une famille donnée. À titre personnel. Il y avait aussi des terres spéciales, des serres spéciales... Un contrôle spécial... C'est le plus dégoûtant... (Après un silence.) Et personne n'a encore répondu de cela...

Lorsque l'on a cessé de me recevoir et de m'écouter, je les ai inondés de lettres et de rapports. J'envoyais des cartes, des chiffres à toutes les instances. J'ai constitué un dossier: quatre chemises de deux cent cinquante feuilles chacune. Des faits, rien que des faits. J'en ai pris une copie. Je gardais l'un des deux exemplaires au bureau et cachais l'autre à la maison. C'est ma femme qui s'en est chargée. Pourquoi cette copie ? Nous vivons dans un pays bien particulier... Je fermais toujours personnellement mon bureau. Au retour d'une mission, mes dossiers avaient disparu... Mais j'ai grandi en Ukraine. Mes ancêtres étaient des Cosaques. J'ai le caractère cosaque. J'ai continué d'écrire. De faire des conférences. Il fallait sauver les gens. Les évacuer d'urgence ! Nous avons multiplié nos missions d'enquête.

Notre Institut a dressé la première carte des régions contaminées... Tout le sud de la république. Mais tout cela, c'est déjà de l'histoire... L'histoire d'un crime !

L'Institut s'est vu confisquer - sans explication - tous les appareils destinés au contrôle des radiations. On me téléphonait à la maison, pour me menacer:

- Arrêtez de faire peur aux gens, professeur. Nous allons vous exiler dans des contrées éloignées. Vous ne devinez pas où ? Eh bien , vous avez la mémoire courte.

On exerçait aussi des pressions sur les employés de l'Institut. On les intimidait de la même manière.

J'ai écrit à Moscou ...

Platonov, le président de notre Académie des sciences, m'a convoqué.

- Le peuple biélorusse se souviendra un jour de toi, car tu as beaucoup fait pour lui.

Mais tu n'aurais pas dû écrire à Moscou. Tu n'aurais pas dû ! Maintenant, on exige que je te limoge. Pourquoi as-tu écrit? Ne comprends-tu pas à quoi tu t'attaques?

J'avais des chiffres, des cartes. Et eux? Ils pouvaient m'interner en asile psychiatrique. En tout cas, ils m'ont menacé de le faire. Ils pouvaient organiser un accident de voiture. Ils m'ont prévenu de cela, aussi. Ils pouvaient également ouvrir

une information judiciaire pour activités antisoviétiques. Ou pour escroquerie, par exemple, à cause d'une caisse de clous qui n'avait pas été enregistrée par l'économe de l'Institut.

Une enquête a été ouverte... Et ils ont obtenu le résultat souhaité: j'ai été victime d'un infarctus... (Il se tait.)

J'ai tout marqué. Tout est dans le dossier. Rien que des faits...

Nous examinions les enfants dans les villages... Garçons et filles... Mille cinq cents, deux mille, trois mille microrëntgens... Plus de trois mille... Ces filles ne pourront jamais être mères. Elles ont des séquelles génétiques... Un tracteur labourait un champ. J'ai demandé au représentant du comité de district du parti, qui nous accompagnait:

- Le tractoriste est-il au moins protégé par un masque ?

- Non, ils travaillent sans.

- Pourquoi ? Vous n'en avez pas ?

- Pas du tout ! Nous en avons, en quantité suffisante au moins jusqu'à l'an deux mille. Mais nous ne les distribuons pas pour éviter la panique. Tout le monde s'enfuirait !

- Vous rendez-vous compte de ce que vous faites ?

- Bien sûr, pour vous c'est facile de discuter, professeur. Si on vous chasse de votre travail vous en trouverez un autre. Mais moi, où j'irais ?

Vous vous rendez compte de l'étendue de ce pouvoir ! Un pouvoir illimité d'une personne sur quelqu'un d'autre. Ce n'est plus de la tromperie. C'est une guerre. Une guerre contre des innocents !

Nous avancions le long du Pripiat. Des familles entières y passaient leurs vacances, en camping. Les gens se baignaient, bronzaient. Ils ignoraient que, depuis quelques semaines, ils se prélassaient sous un nuage radioactif. Il nous était strictement interdit d'entrer en contact avec la population, mais j'ai vu des enfants... Je me suis approché pour leur parler. Les gens étaient perplexes: "Et pourquoi personne n'en parle, à la radio et à la télé ?" Notre accompagnateur se taisait. Nous étions toujours escortés par un représentant des autorités locales. C'étaient les ordres ... Je pouvais voir sur son visage le dilemme qui se posait à lui: cafarder ou ne pas cafarder ?

Mais, en même temps je voyais qu'il avait pitié de ces gens. C'était tout de même un homme normal... Mais j'ignorais quel sentiment l'emporterait, à notre retour. Rapporterait-il ou non ? Chacun faisait son choix... (Il demeure silencieux).

Que devons-nous faire aujourd'hui de cette vérité? S'il y avait une autre explosion, tout recommencerait. Nous sommes toujours un pays stalinien... Et l'homme stalinien vit toujours... »

 

Vassili Borissovitch Nesterenko, ancien directeur de l'Institut de l'énergie

nucléaire de l'Académie des sciences de Biélorussie.

 

 

1 En 1957, un accident nucléaire (une explosion chimique dans une cuve contenant des déchets

radioactifs) se produisit dans la ville secrète de Tcheliabinsk-40, près de la localité de Kychtym, dans

l'Oural, contaminant une zone de plus de mille kilomètres carrés. C'est notamment à Semipalatinsk, au

Kazakhstan, qu'étaient testées les bombes nucléaires et thermonucléaires soviétiques. (N.d.T.)

Source : La supplication, Svetlana Alexievitch, Éd. J’ai lu


 

 

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20/08/2008

Bulletin électronique de Survival International (France) - 20 août 2008

INDE : La Cour Suprême donne le feu vert à la mine
La Cour Suprême indienne a porté un coup foudroyant à la tribu des Dongria Kondh en autorisant la compagnie britannique Vedanta à exploiter une mine sur leur montagne sacrée. Les Dongria Kondh affirment que la mine détruira à jamais leur mode de vie.
Pour en savoir plus : http://www.survivalfrance.org/actu/3588
Agissez! http://www.survivalfrance.org/agir/lettres/dongria


BRESIL : Lancement d'une pétition urgente en faveur des Indiens
Les Indiens du Brésil et des ONG de soutien ont lancé une pétition urgente exhortant la Cour suprême à maintenir la ratification du territoire indigène de Raposa Serra do Sol, en Amazonie, au nord du pays.
Pour en savoir plus : http://www.survivalfrance.org/actu/3610
Agissez! http://www.petitiononline.com/rss408/petition.html


PEROU : Des Indiens isolés repérés par des ouvriers pétroliers
Selon une organisation indigène péruvienne, des Indiens isolés ont été repérés par les employés d'une compagnie pétrolière en Amazonie.
Pour en savoir plus : http://www.survivalfrance.org/actu/3542


AUSTRALIE : Victoire historique pour les Aborigènes
La Haute Cour australienne a reconnu aux Aborigènes des droits de propriété sur une grande partie de la côte nord de l'Australie.
Pour en savoir plus : http://www.survivalfrance.org/actu/3573


ROYAUME-UNI : Damien Hirst offre une de ses ouvres à Survival
L'un des plus célèbres artistes contemporains, Damien Hirst, a créé une ouvre unique 'Beautiful Love Survival', qui sera vendue au profit de Survival lors d'une vente aux enchères intitulée 'Beautiful Inside My Head Forever' chez Sotheby's à Londres le 15 septembre prochain.
Pour en savoir plus : http://www.survivalfrance.org/actu/3575

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Survival aide les peuples indigènes à défendre leur vie, protéger leurs terres et déterminer leur propre avenir.
Survival n'accepte aucune subvention gouvernementale et dépend exclusivement de ses membres et donateurs pour financer ses campagnes.

Pour en savoir plus ou apporter votre soutien :
http://www.survivalfrance.org
info@survivalfrance.org

17:00 Publié dans AGIR | Lien permanent | Commentaires (0)

09/08/2008

Survie Info n° 35. Août 2008

 août 2008. Il est indispensable que la France crée une commission d’enquête parlementaire sur son implication dans le génocide des Tutsi en 1994 au Rwanda. Communiqué de Survie
La Commission Nationale Indépendante chargée de rassembler les preuves montrant l’implication de l’Etat français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994 (dite commission Mucyo) a publié son rapport ce mardi 5 août. La commission, qui a débuté ses travaux en octobre 2006, avait remis ce rapport à Paul Kagamé le 16 novembre 2007 (...)
Lire le communiqué et retrouvez les liens vers le rapport de la commission rwandaise, ainsi que le rapport de la commission d’enquête citoyenne (CEC) : http://survie.org/5-aout-2008-Il-est-indispensable
A lire également "Une commission d’enquête s’impose" Interview
dans La Libre Belgique de Sharon Courtoux, vice présidente de Survie http://www.lalibre.be/actu/monde/article/437973/une-commi...

Actualité

1 août 2008. Les militants pour la démocratie et des droits de l'Homme au Gabon en danger. Lettre ouverte de Survie à Nicolas Sarkozy
Monsieur le Président, les excellents rapports que vous entretenez avec le président du Gabon sont de notoriété publique. Or, comme vous le savez, des responsables d’organisations de la société civile gabonaise - de longue date victimes d’innombrables harcèlements et menaces sur leurs personnes et leurs droits - sont à nouveau visés par le pouvoir gabonais en raison de leur combat contre la pauvreté, la corruption, l’opacité de l’utilisation des revenus miniers et le détournement de l’argent public
(...). Lire le communiqué : http://survie.org/1-aout-2008-Les-militants-pour-la
A lire également le communiqué de la Plate Forme Publiez ce que vous payez du 31 juillet 2008 : http://survie.org/31-juillet-2008-La-coalition


29 juillet 2008. Le combat contre la finance internationale dérégulée continue. Communiqué de la Plate Forme Paradis Fiscaux et Judiciaires
Les associations de la plate-forme paradis fiscaux et judiciaires saluent le courage de Denis Robert, contraint de jeter l’éponge Le combat contre la finance internationale dérégulée continue La Plate-forme contre les Paradis Fiscaux et Judiciaires a le regret de constater qu’un homme seul, aussi déterminé soit-il, ne peut lutter longtemps contre la finance dérégulée et son armada de juristes
(...). Lire le communiqué : http://survie.org/29-juillet-2008-Le-combat-contre

28 juillet 2008. Survie apporte son soutien aux auteurs et éditeur de "Noir Canada" et dénonce le SLAPP qu'ils subissent
Six millions de dollars. Rien de moins. Pour une petite maison d’édition cela fait beaucoup. C’est pourtant la somme réclamée par Barrick Gold, immense groupe minier canadien, à Ecosociété éditrice du livre d’Alain Deneault Noir Canada. Après être passé outre les menaces de B. Gold, le livre fut finalement édité à Montréal le 15 avril
(...). Lire le communiqué : http://survie.org/Survie-apporte-son-soutien-aux

16 juillet 2008. REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO. La RDC doit-elle seulement nous rapporter ? Communiqué de Survie
Dans les relations avec la République Démocratique du Congo, il ne faut pas oublier la question essentielle d’une population livrée sans défense à l’impuissance gouvernementale et aux exactions des armées ethniques, pour ne s’occuper que des liens d’affaires comme seul horizon politique. Aujourd’hui 16 juillet 2008, le président de la République française Nicolas Sarkozy, reçoit en visite d’Etat le président de la République Démocratique du Congo, Joseph Kabila
(...). Lire le communiqué : http://survie.org/16-juillet-2008-REPUBLIQUE

A lire
Billets d'Afrique et d'ailleurs n° 171 (Juillet-Août 2008)
Bulletin mensuel d'information alternative sur les avatars de la politique de la France en Afrique, Billets d'Afrique constitue l'un des piliers de la volonté de Survie de mieux informer.
Edito : Salauds de pauvres
Le parlement européen vient d’adopter, le 18 juin 2008, ce qu’on appelle la « directive de la honte ». Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale on légalise des pratiques directement attentatoires aux droits de l’Homme. En France, la lutte contre les migrants a été le point du programme politique de Nicolas Sarkozy qui a le plus contribué à son élection à la présidence de la République. C’est aussi le point qu’il a mis le plus de zèle à mettre en œuvre par la création d’un ministère de l’immigration confié à Brice Hortefeux
(...).
Lire la suite : http://survie.org/Billets-no-171-juillet-aout-2008
S’abonner à Billets d'Afrique : http://survie.org/Abonnement-a-Billets-d-Afrique-et


Au sommaire ce mois-ci :
-  MAURITANIE Le jeu dangereux du terrorisme
-  ALGERIE Le retour en force du religieux
-  FRANCE Les huit plaies d’Alain Joyandet
-  DJIBOUTI Une partie à quatre
-  BURKINA FASO Les faux habits de Blaise
-  MALI Trains facultatifs
-  FRANCE NIGERIA Une coopération à courte vue
-  RWANDA Jeu de dupes
-  A FLEUR DE PRESSE
-  BREVES D’AFRIQUE ET D’AILLEURS

Mauritanie. Le jeu dangereux du terrorisme. Article paru dans Billets d’Afrique (juillet aout 2008)
Si les réseaux salafistes mauritaniens liés à la branche d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (BAQMI) ont été démantelés après les attentats terroristes qui ont frappé le pays en décembre dernier, le terreau économique et social ayant permis leur éclosion demeure... Lire la suite de l’article : http://survie.org/Mauritanie-Le-jeu-dangereux-du

L’Afrique de Sarkozy : un déni d’histoire Directeur Jean-Pierre Chrétien, Karthala, juin 2008
Le 26 juillet 2007, Nicolas Sarkozy prononçait dans les locaux de l’Université de Dakar un discours sur la culture africaine confrontée à la modernité, qui reprenait les clichés sur le «continent hors de l’histoire». Ce discours a suscité une vive émotion, notamment en Afrique. Cet ouvrage, rédigé par cinq universitaires africains et français (Jean-Pierre Chrétien, Jean-François Bayart, Achille Mbembe, Pierre Boilley et Ibrahima Thioub), représente une critique incisive de ce déni d’histoire, en en montrant à la fois l’absurdité scientifique et les motifs de sa survivance en France dans l’opinion publique et dans l’enseignement. Chacun des auteurs a choisi son angle d’attaque; la place de l’Afrique dans l’histoire universelle, la persistance de l’imaginaire colonial, les pesanteurs de la tradition raciste à l’égard des Noirs, l’absence remarquable de l’Afrique dans le contenu de l’enseignement en France et la richesse du débat historiographique en Afrique.

Agenda

Etrange Rencontre de la jeunesse Europe-Afrique - Ouagadougou - Burkina Faso du 24 au 30 août 2008
L’Etrange rencontre est une rencontre pas comme les autres, un forum social autogéré en Afrique, réunissant pendant 6 jours la jeunesse consciente des deux continents, et même au delà.... Une rencontre d'acteurs militants associatifs d'Europe et d'Afrique en luttes, en résistances, à la recherche d'alternatives pour un autre monde possible.
Une rencontre pour échanger, créer des dynamiques communes autour de trois axes : "Jeunesse, et monde universitaire", "Usages militants des Nouvelles technologies" (Internet et Radios) et "Lutte contre la pauvreté et construction d’alternatives". Après une première édition au Bénin en août 2007, portée et construite autour d'un noyau dur informel de militants africains et français, qui se sont connus en Afrique au cours de forums sociaux et contre-sommets, la seconde édition, du 24 au 30 aout 2008 à Ouagadougou, devrait voir s'élargir la dynamique dans un contexte burkinabè très intéressant sur le plan politique avec une forte mobilisation de la société civile, autour d'une nouvelle plateforme revendicative contre la vie chère... Renseignements : http://www.etrangerencontre.org


Survie à la Fête de l'Humanité (12, 13 et 14 septembre 2008)
L'association Survie sera présente comme chaque année à la fête de l'Humanité sur l'espace international : "village du monde".
Cette année, Survie-Paris s'est mobilisé pour assurer une présence nombreuse et permanente de ses adhérents sur son stand, afin d'échanger avec le public militant de la fête de l'humanité. En plus des tables de presse, de nombreux moments de rencontres et de débats seront organisés, en présence d'Odile Tobner, la présidente de Survie et d'autres intervenants de notre association. Le programme complet de nos activités sera prochainement en ligne sur http://www.survie-paris.org/


A venir
17 - 18 octobre 2008. Sommet citoyen sur les migrations à Paris
Plus de soixante-dix organisations de la société civile appellent à une mobilisation de grande ampleur à Paris, les 17 et 18 octobre, pour une autre conception de l’immigration et un autre rapport entre l’Union européenne, l‘Afrique et le reste du monde. À l’heure où les pays de l’UE semblent s’accorder sur le pacte européen sur l’immigration et l’asile, qui devrait être adopté les 13 et 14 octobre, et avant la deuxième conférence interministérielle euro-africaine en matière de migration et développement (...)
Lire la suite... http://survie.org/17-18-octobre-2008-Sommet-citoyen

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Bolivie : Evo en danger ?

Mes impressions de Bolivie
MICHEL COLLON

La Bolivie a bien changé. A La Paz, j'assiste à une grande réception donnée par l'ambassadeur de Cuba. Mojitos, buffet, danses, grosse ambiance. Où sommes-nous ? Dans la salle des fêtes de... l'armée bolivienne. Oui, celle qui a tué le Che.
La Bolivie a bien changé, mais tout le monde ne lui veut pas que du bien. Nous sommes venus nous en rendre compte sur place avec quelques intellectuels progressistes d'une quinzaine de pays : Frei Betto, Ernesto Cardenal, Ramsey Clark, François Houtart, Luis Britto Garcia, Pascual Serrano... Quelques journées de rencontres et d'échanges avec des intellectuels boliviens, des représentants des communautés indiennes, des artistes...
Le moment est tendu. La droite essaie de provoquer une scission des riches régions de l'Est. Pour déjouer la manoeuvre, le président Evo Morales, à mi-mandat, appelle à un référendum révocatoire, ce 10 août. Une sorte de vote de confiance. Il remet son mandat en jeu, mais aussi celui des préfets de départements, y compris ceux tenus par l'opposition. La droite tente de saboter le référendum et on craint des incidents...
Nous allons voir qui est derrière ces incidents, quel rôle jouent ici les Etats-Unis, et la CIA, et un ambassadeur vraiment curieux, et aussi l'Europe...

Un Bolivien sur quatre doit émigrer
Impressions fortes. Physiquement, d'abord. La Paz est à 3.600 mètres d'altitude. Son aéroport à 4.000 mètres. Arrivés dans la nuit, à court d'oxygène, nous sommes au bord de l'évanouissement. Très prévenants, les jeunes qui nous accueillent, nous font asseoir au calme, s'occupent de nos bagages et nous laissent récupérer notre souffle.
Le premier jour sera consacré au repos, à l'acclimatation. Avec Luis, un ami vénézuélien, nous faisons un petit tour, à petits pas et de banc en banc, dans une des plus belles capitales du monde. Imaginez une immense cuvette, bordée par les grandioses montagnes Huayna Potosí (6.094 m) et Nevado Illimani (6.460 m), non loin du lac Titicaca, le plus haut lac navigable du monde. Ici, l'eau bout à 80°. Et toutes les rues sont en pente.
Ce qui frappe à La Paz, en hiver en tout cas, c'est la douceur du climat, ensoleillé et frais. Et la douceur des gens. Partout, on vous accueille avec gentillesse, avec une sorte de sérénité tranquille. Les Indiennes portent de lourds vêtements avec de superbes châles bariolés. Et de curieux petits chapeaux 'boule', noirs, bruns ou gris. Parfois, elles portent aussi des charges impressionnantes. Les Indiens représentent deux tiers de la population.

L'importance des communautés indiennes
« Un Indien président ? L'oligarchie blanche, raciste, ne l'accepte toujours pas. », nous confie Evo. En fait, j'ai commencé à comprendre toute la richesse de cet héritage indien en visitant avec des amis boliviens Tiwanaku, la capitale d'un ancien empire Inca...
Nous sommes sur le très haut plateau de l'Altiplano, bordé de montagnes. Ici, les Indiens vivent, dans des conditions difficiles, d'agriculture et d'élevage. Pas un nuage dans le ciel, un air incroyablement pur, on sent encore le froid de la nuit.
Tiwanaku fut une ville immense, les fouilles commencent à peine. Une centaine d'Indiens de la région sont occupés à restaurer le temple, une énorme pyramide en terrasses. C'était une civilisation très avancée qui construisait ses bâtiments en s'appuyant sur une connaissance poussée de l'astronomie. Elle avait créé une industrie métallurgique et textile. Elle cultivait plus de deux cents sortes différentes de maïs et quatre cents sortes de patates. Dont une espèce qui pouvait se congeler et rester comestible dix ans. Le système d'irrigation était très perfectionné avec une inclinaison très précise pour que les pierres réchauffent l'eau et l'empêchent de geler. Système si perfectionné qu'aujourd'hui, le ministère de l'Agriculture va le réutiliser pour développer l'agriculture en terrasses. L'eau est rare ici, un trésor.
Un vieil Indien opère avec notre petit groupe une cérémonie rituelle, une sorte de sacrifice de petits objets symboliques, pour célébrer l'union avec le Cosmos et rassembler les souhaits que nous formons. Emotion.
Il ne s'agit pas ici de glorifier le passé pour le passé, mais d'en préserver la mémoire et les valeurs pour les intégrer à la nouvelle société. Un journaliste bolivien nous explique l'importance que prend ici la communauté : « C'est un élément fort de la Bolivie. Tenez, selon les statistiques internationales, le paysan bolivien a un revenu moyen de cinquante dollars par an. Autant dire qu'il est mort ! Sauf si on comprend que l'économie communautaire est la base de notre vie ici. »
Bref, un héritage précieux qu'on ne peut pas perdre.

Le sort des Boliviens quand ils émigrent...
Impressions fortes aussi sur les réalités sociales de ce pays. A La Paz, les classes hautes vivent dans le bas de la ville, à 3.000 mètres, où on respire plus facilement. Les basses classes, par contre, à El Alto (pas besoin de traduire) : 4.000 mètres. Petits commerces, petits artisanats, un peu d'élevage dans les hauts plateaux... La vie est dure.
Deuxième pays le plus pauvre d'Amérique latine, la Bolivie a vu émigrer un sur quatre de ses enfants. Pourquoi ? Pendant des siècles, cette terre a été colonisée par l'Espagne. Et tous les bénéfices de ses richesses minières, extraites au prix d'un travail meurtrier dans un quasi-esclavage, ont été emportés en Europe. Pendant des décennies, son gaz et son pétrole ont profité à une poignée de riches, mais surtout à quelques multinationales, européennes notamment. Le Nord a bien saigné le Sud. Ne laissant sur place que la misère.
Et les conflits. Evo Morales, président depuis deux ans et demi, n'est pas tombé du ciel, il est le fruit de longues années de résistances ouvrières et paysannes. Les communautés indiennes ont toujours été exploitées, exclues, méprisées par une élite blanche et raciste, liée aux Etats-Unis et à l'Europe.
Voilà d'où viennent la pauvreté et le sous-développement. Mais quand les Boliviens, pour survivre, vont faire les ménages en Europe, celle-ci les traite comme des criminels et les emprisonne. Même des enfants ! Evo Morales a courageusement dénoncé la récente 'Directive de la Honte' qui permettra à tous les pays européens d'emprisonner jusqu'à dix-huit mois les délinquants, pardon : les immigrés.
Justement, avant de partir, je venais de rencontrer à Bruxelles des travailleurs immigrés, notamment latinos. En lutte depuis des mois pour obtenir des papiers, c'est-à-dire leurs droits, leur dignité. Face à des ministres complètement sourds, ils ont été obligés de mettre leurs vies en danger : grève de la faim, escalade de grues... Appréciant beaucoup la lettre d'Evo à l'U.E. ils m'ont chargé de remettre un petit message de gratitude au président bolivien. Je le lui ai remis. Sourire sur sa figure.
En fait, quand on voit ici la pauvreté, les salaires dérisoires, le manque d'industrie, on comprend pourquoi tant de Boliviens doivent émigrer. Mais, en allant plus loin, on comprend aussi que l'Europe est une sale hypocrite qui porte une lourde responsabilité dans cette émigration. Nous allons y revenir...

Qu'a réalisé Evo ?
Mais voyons d'abord ce qu'a réalisé Evo en deux ans et demi... Il a nationalisé le pétrole et le gaz. Vous voulez savoir pourquoi, dans nos médias, on dit du bien du président colombien Uribe et du mal d'Evo Morales ? Très simple. Le premier a fait passer les taxes sur les multinationales de 14% à... 0,4%. Pour faciliter l'installation de ces multinationales, ses paramilitaires ont chassé de leurs terres quatre millions de paysans. Le second a osé rendre à la nation bolivienne les richesses qui lui appartenaient afin de combattre la pauvreté.
En nationalisant les hydrocarbures, Evo a multiplié par cinq les revenus de l'Etat et s'est donné les moyens de soulager les maux les plus urgents : analphabétisme en baisse de 80%, retour à l'école d'une partie des enfants travaillant dans la rue, création d'écoles dans les langues indiennes aymara et quechua (vingt mille diplômés), soins de santé gratuits déjà pour la moitié des Boliviens, pension Dignidad pour les plus de 60 ans, crédit à zéro pour-cent pour des produits comme le maïs, le blé, le soja et le riz. Grâce à l'aide du Venezuela, six mille ordinateurs ont été offerts, surtout à des écoles. Grâce à l'aide de Cuba, deux cent soixante mille personnes ont été opérées des yeux. Ailleurs en Amérique latine, elles seraient condamnées à être aveugles, car pauvres.
En outre, les investissements publics ont fortement augmenté pour développer l'économie. La Bolivie a comblé son déficit fiscal, remboursé la moitié de sa dette extérieure (de 5 à 2,2 milliards de dollars), reconstitué une petite réserve financière, multiplié par quatre l'emploi dans les mines et la métallurgie, doublé la production et les revenus de ces industries. Le PIB industriel est passé de 4,1 à 7,1 milliards de dollars en trois ans. Mille tracteurs ont été distribués à des paysans. De nouvelles routes ont été construites.
Bref, la Bolivie avance. Pas assez vite, disent certains pour qui Evo n'y va pas assez fort contre la droite et les grands propriétaires. C'est un débat à mener entre ceux qui vivent sur place et peuvent apprécier la situation, ses possibilités, ses dangers. En sachant qu'il ne suffit pas de dire « Y a qu'à » pour sortir un pays de la pauvreté et de la dépendance. En sachant qu'il faut tenir compte du rapport de forces avec la droite qui s'agite beaucoup et sabote. En tenant compte de l'armée (Tous ses chefs seront-ils loyaux jusqu'au bout ?).
Autre facteur négatif : « La Justice demeure totalement corrompue », m'a confié... le plus haut magistrat de La Paz. « C'est une vieille caste qui se protège et protège les intérêts des riches. C'est un véritable business. Pourtant, nous avons menacé de révocation immédiate tout juge qui sera pris en flagrant délit. Mais c'est un combat difficile. »
Et justement, quand je me trouvais là, la Justice venait fameusement en aide à la droite en essayant d'empêcher par une bataille juridique la tenue du référendum. Mais il y a danger bien plus grand que la Justice...

Derrière la droite, les Etats-Unis préparent une guerre civile
C'est le nouveau truc des Etats-Unis. S'avérant incapable de gagner une guerre d'occupation, Washington recourt à la guerre indirecte, la guerre par intermédiaires. Actuellement, la stratégie de Washington est d'essayer de provoquer une guerre civile en Bolivie. Pour cela, les provinces contrôlées par la droite et qui contiennent les grandes propriétés agricoles liées aux multinationales ainsi que la majorité des réserves de gaz et de pétrole, ces provinces multiplient les provocations pour préparer une sécession.
Ayant personnellement étudié l'action secrète des grandes puissances pour faire éclater la Yougoslavie, j'ai tenu à attirer l'attention des Boliviens, lors de quelques interviews : aujourd'hui, Washington risque de transformer leur pays en une nouvelle Yougoslavie.
Voici les ingrédients de son action : 1. Des investissements massifs de la CIA. 2. Un ambassadeur spécialisé dans la déstabilisation. 3. Des fascistes expérimentés. Avec ces ingrédients, vous pouvez préparer un coup d'Etat ou une guerre civile. Ou les deux.
Premier ingrédient. Comme au Venezuela, la CIA investit beaucoup en Bolivie. A travers ses paravents habituels : USAID, National Endowment for Democracy, Institut Républicain International, etc. Les organisations de la droite séparatiste sont abondamment subventionnées. L'USAID a, par exemple, financé Juan Carlos Orenda, conseiller du Comité civique de Santa Cruz d'extrême droite et auteur d'un plan prévoyant la sécession de cette province.
Mais aussi des organisations plus discrètes chargées de semer la confusion et de préparer une propagande anti-Evo. A l'université San Simon de Cochabamba, la Fondation du Millénaire a reçu 155.000 dollars pour critiquer la nationalisation du gaz et défendre le néolibéralisme. Treize jeunes dirigeants boliviens de droite ont été invités à des formations à Washington : 110.000 dollars. Dans les quartiers populaires d'El Alto, USAID lance des programmes pour « réduire les tensions dans les zones sujettes à conflits sociaux ». Lisez : discréditer la gauche.
En tout, des millions de dollars ont été versés à toutes sortes d'organisations, des groupes étudiants, des journalistes, des politiciens, des magistrats, des intellectuels, des hommes d'affaires. Le parti populaire espagnol, autour de José Maria Aznar, participe aux manoeuvres.
Deuxième ingrédient. D'où vient Philip Goldberg, l'actuel ambassadeur des Etats-Unis en Bolivie ? De Yougoslavie. Où il a accumulé une riche expérience sur la manière de faire éclater un pays. De 94 à 96, il a travaillé en Bosnie pour l'ambassadeur Richard Holbrooke, un des stratèges de la désintégration. Puis, il a fomenté les troubles au Kosovo et la scission entre Serbie et Monténégro. Un expert, on vous dit.
Et pas inactif. Comme le raconte le journaliste argentin Roberto Bardini : « Le 28 juin 2007, une citoyenne américaine de vingt ans, Donna Thi, de Miami, a été détenue à l'aéroport de La Paz pour avoir tenté d'introduire dans le pays cinq cents balles de calibre 45 qu'elle avait déclarées aux douanes comme du 'fromage'. Au terminal, l'attendait la femme du colonel James Campbell, le chef de la mission militaire de l'ambassade US en Bolivie. L'ambassadeur US Philip Goldberg est intervenu immédiatement pour obtenir qu'on la relâche en disant qu'il ne s'agissait que d'une 'innocente erreur'. Les munitions, a-t-il déclaré, ne devaient servir qu'au sport et au spectacle. En mars 2006, un autre citoyen US, Triston Jay Amero, alias Lestat Claudius, un Californien de 25 ans, porteur de quinze documents d'identité différents, a fait exploser trois cents kilos de dynamite dans deux hôtels de La Paz. »
Pourquoi a-t-on exporté Goldberg des Balkans à la Bolivie ? Pour transformer, j'en suis sûr, ce pays en une nouvelle Yougoslavie. Le séparatisme est une méthode privilégiée par les Etats-Unis pour reprendre le contrôle de richesses naturelles ou de régions stratégiques lorsque des gouvernements se montrent trop indépendants, trop résistants aux multinationales.
Troisième ingrédient. Des fascistes expérimentés. En Bolivie, Goldberg a ouvertement soutenu et collaboré avec des hommes d'affaires croates à la tête de la sécession. Particulièrement, Branko Marinkovic, membre de la Fédération des entrepreneurs libres de Santa Cruz (province sécessionniste). Très grand propriétaire de terres, Marinkovic tire aussi les ficelles de Transporte de Hidrocarbures Transredes (qui travaille pour Shell). Il gère les six mille kilomètres de pipelines de gaz et de pétrole qui mènent au Chili, au Brésil et en Argentine.
Et quand ces gens sont-ils venus de Croatie ? Il faut rappeler que, durant la Seconde Guerre mondiale, Hitler a installé une Grande Croatie fasciste où ses collaborateurs, les Oustachis, ont mis sur pied des camps d'extermination (y compris un spécialement pour enfants !), perpétrant un génocide épouvantable contre les Serbes, les juifs et les tziganes. Après leur défaite, l'Eglise croate et le Vatican ont organisé, les Ratlines, filières d'évasion des criminels fascistes croates (et de Klaus Barbie). De la Croatie à l'Autriche, puis à Rome. Et de là vers l'Argentine, la Bolivie ou les Etats-Unis.
Quand on sait que Franjo Tudjman et les dirigeants de la 'nouvelle' Croatie née en 1991 ont réhabilité les anciens criminels croates de la Seconde Guerre mondiale, on aimerait savoir si Monsieur Marinkovic renie tout ce passé ou bien si, tout simplement, il emploie les mêmes méthodes là où il se trouve à présent. Quant aux Etats-Unis, on sait qu'ils ont récupéré et recyclé quantité de criminels et d'espions nazis de la Seconde Guerre mondiale. Les réseaux, ça sert toujours.

Ce qui se cache derrière le séparatisme
Voilà, tous les ingrédients sont prêts pour faire exploser la Bolivie... Les dollars de la CIA, plus des experts dans la provocation de guerres civiles, plus des fascistes recyclés en businessmen. Une guerre civile qui servirait bien les intérêts des multinationales, mais que l'opinion internationale doit absolument empêcher. Les Boliviens ont le droit de décider eux-mêmes de leur sort. Sans la CIA.
Car une sécession ne profiterait qu'à l'élite. L'écrivain brésilien Emir Sader vient d'écrire très justement : « Aujourd'hui, une des modalités qui renferme le racisme, c'est le séparatisme, les tentatives de délimiter les territoires de la race blanche, en s'appropriant et privatisant les richesses qui appartiennent à la nation et à son peuple. Nous connaissions déjà ces intentions sous la forme des quartiers riches qui cherchaient à se définir en tant que municipalités, afin que la part des impôts prélevée obligatoirement de leurs immenses richesses, reste dans leur escarcelle pour augmenter les bénéfices de leurs quartiers retranchés, derrière lesquels ils cherchaient à isoler et défendre avec une sécurité privée, évidemment, leurs styles de vie privilégiés ». (...) Le référendum séparatiste est une expression oligarchique, raciste et économique car ils veulent garder l'usufruit des richesses de Santa Cruz pour leur propre bénéfice et parce que les oligarques veulent, en plus, empêcher que le gouvernement d'Evo Morales poursuive son processus de réforme agraire et qu'il l'étende à tout le pays. »
Cette autonomie-là, en effet, ça veut dire que les Blancs riches qui ont contrôlé la Bolivie depuis toujours, refusent d'être gouvernés par la majorité, non blanche, de l'Ouest.
Quand on parle d'autonomie, Evo Morales répond : « Parlons d'autonomie, non pas pour l'oligarchie, mais pour les peuples avec qui nous luttons. Ces groupes séparatistes qui viennent de perdre leurs privilèges, ont été depuis longtemps dans le Palais, ils ont gouverné et ont permis que l'on pille notre pays, nos ressources naturelles, y compris les ressources de base, de même que la privatisation de nos entreprises, et maintenant ils envisagent de nouveau ce système qui démontre son véritable intérêt : le contrôle économique ».
Mais il n'y a pas que les Etats-Unis qui s'acharnent sur la Bolivie...

L'hypocrisie de l'Europe :
qui donc l'a causée, « toute la misère du monde » ?

Pourchassant les sans-papiers, l'Europe glisse dans un soupir de dame patronnesse : « Nous ne pouvons quand même pas accueillir toute la misère du monde ». Ah, bon ? Mais, en réalité, cette misère, c'est vous qui l'avez créée ! Vos Charles-Quint, vos Louis XIV, vos Elisabeth I et vos Léopold II ont allègrement massacré les 'sauvages' pour voler leurs richesses ! Le décollage économique du capitalisme européen s'est construit sur ce pillage. Et jusqu'à aujourd'hui, vos sociétés minières, agricoles et autres n'ont cessé de piller les matières premières sans les payer, n'ont cessé de dominer et déformer les économies locales et de bloquer leur développement ! N'est-ce pas vous qui avez une Dette à rembourser au Sud ?
Serait-ce du passé ? Dans les médias, les responsables européens aiment à raconter qu'aujourd'hui, ils ne veulent que du bien à l'Amérique latine et au tiers monde...
« Totalement faux », me confie avec indignation Pablo Solon qui représente la Bolivie dans les négociations commerciales entre l'Amérique latine et l'U.E : « La Bolivie l'a exprimé à l'U.E. Avant les négociations, nous avions dit que nous ne négocierions pas un traité style Libre Commerce. Et nous avions communiqué nos points de divergence sur les services, les investissements, la propriété intellectuelle et les biens publics. La Commission nous a promis qu'on discuterait ces points dans la négociation. Qu'à la différence des 'autres', on ne nous imposerait pas un format unique. Mais, lorsque nous nous sommes réunis avec Peter Mandelson, commissaire européen pour le Commerce, il nous a dit de façon catégorique et impérative : 'Ceci est un Traité de Libre Commerce. Ou bien vous l'acceptez, ou bien vous êtes hors des négociations.'. J'ai répondu personnellement que nous n'allions pas nous exclure et que nous allions défendre nos points de vue jusqu'au bout. Car la Bolivie a beaucoup d'industries qu'elle doit défendre : acier, plastique, papier, qui ont besoin de mécanismes de protection tout comme ce fut les cas pour les industries naissantes européennes à l'époque. »
Effectivement, l'Europe se montre hyper-dominatrice et arrogante. Elle prétend imposer à toute l'Amérique latine et aux Caraïbes l'arrêt des subventions qui aident à développer les produits locaux, la suppression des droits de douanes aux importations (mais elle refuse de faire de même chez elle !), la suppression de toutes limites pour les exportations européennes (refusant l'inverse), le transfert sans limites de la main d'oeuvre européenne qualifiée, la modification de toutes les lois protégeant les économies locales.
Et en plus, elle veut imposer la privatisation de tous les services, biens et entreprises des Etats. Alors qu'en 2000 déjà, sur les cinq cents plus grandes entreprises d'Amérique latine et des Caraïbes, 46 % appartenaient déjà à des entreprises étrangères.
Et en plus, l'U.E. prétend imposer des brevets sur le vivant (la Bolivie a une biodiversité très riche convoitée par les multinationales chimiques et pharmaceutiques). Mais le vivant, et l'eau aussi, ne sont-ils pas des biens essentiels à la survie, un patrimoine qui doit rester à ceux qui l'ont toujours protégé et utilisé à bon escient ?
En définitive, l'U.E. veut imposer des traités tout à fait déséquilibrés qui tueront les entreprises boliviennes. Tout ce qu'elle cherche, c'est que les entreprises européennes puissent envahir librement les marchés. Donc ruiner ces pays. Donc provoquer de l'émigration. Un système absurde, non ?

Qui 'choisit' l'immigration et pourquoi ?
J'ai écrit que l'Europe chassait les émigrés latinos. Ce n'est pas exact. Elle ne les traite pas tous de la même façon.
D'un côté, le patronat européen importe les meilleurs cerveaux du tiers-monde, et aussi des techniciens très qualifiés. Sous - payés pour grossir les bénéfices des sociétés. C'est ce que Sarkozy et d'autres appellent 'immigration choisie'. Le maître sélectionne ceux qui auront la chance de travailler pour lui. Mais ce vol des cerveaux prive le tiers-monde des gens qu'il a formés (à grand coût) et qui seraient nécessaires à son développement. Une nouvelle forme de pillage.
De l'autre côté, l'Europe accueille aussi une partie des non qualifiés. En les laissant sans papiers, donc sans droits, elle les oblige à vivre dans la peur, à accepter des salaires et des conditions de travail qui constituent un recul social. Bon moyen de diviser et de faire pression sur les autres travailleurs. Voilà comment se fabrique la 'compétitivité' de cette vertueuse Europe. La façon de traiter les sans-papiers n'est pas une bavure, elle est un rouage essentiel d'un système économique égoïste.
Résumons. L'Europe a volé l'Amérique latine. L'Europe continue à voler l'Amérique latine. Elle l'empêche de nourrir ses enfants. Mais quand ceux-ci sont forcés d'émigrer, elle les emprisonne. Ensuite, elle donne des leçons de démocratie et de moralité au monde entier.

Le temps est venu
Je n'ai pu rester longtemps en Bolivie, mais ce peuple m'a profondément impressionné. Je me rappelle ces milliers de manifestants qui descendaient, ce dimanche-là, vers le centre de La Paz, dans leurs minibus, leurs autos ou leurs taxis bondés, Indiens et Blancs, du plus clair au plus foncé..
Avec un calme étonnant, bien moins de bruit que dans n'importe quelle manif du monde. Avec une détermination simple et noble. Et dans leurs yeux, une évidence : le temps est venu de mettre fin à des siècles d'humiliations, le temps est venu de la dignité pour tous, le temps est venu de faire disparaître la misère.
Et je repensais à ces amis sans-papiers de Bruxelles, manifestant eux aussi pour leur avenir et pour leur dignité. Le problème est évidemment le même, à Bruxelles et à La Paz : à qui doivent servir les richesses d'un pays ? Et si ce problème ne se résout pas à La Paz, des millions de sans-papiers continueront à frapper aux portes de l'Europe.

Et demain ?
Comment cela évoluera-t-il ? Pour le 10 août, un institut de sondage pro-US annonce une victoire d'Evo par 60%. Comme la plupart de mes interlocuteurs à La Paz. Certains craignaient, par contre, l'influence du problème de l'inflation et du renchérissement de la vie. D'autres craignent que la droite lance des provocations violentes pour empêcher le référendum.
Quoi qu'il en soit, le référendum ne résoudra rien, ni dans un sens, ni dans l'autre. Evo Morales sera toujours devant le même problème : le gouvernement est à gauche, mais ne contrôle pas l'économie du pays, ni les médias (aux mains des gros propriétaires et de la multinationale espagnole Prisa), ni les universités, ni l'Eglise qui est aux côtés des riches, comme d'habitude dans ce continent. On ne peut pas tout faire en deux ans et demi. Mais, pour avancer, Evo devra réussir à mobiliser plus avant les masses populaires. Sa seule force.
De toute façon, après le référendum, la question restera la même : les richesses du pays doivent-elles servir à enrichir les riches et les multinationales ou bien à développer le pays et à vaincre la pauvreté ?
Pour trancher cette question à leur avantage, les Etats-Unis sont prêts à tout. Et le mouvement progressiste international ? Comment réagira-t-il contre la désinformation et la préparation d'une guerre civile ?
La réponse dépend de nous tous.

Michel Collon
La Paz - Bruxelles
Août 2008