27/11/2008
Lettre ouverte des parents des inculpés du 11 novembre
Lorsque la cacophonie s'accorde pour traîner dans la boue une poignée de jeunes emmurés, il est très difficile de trouver le ton juste qui fasse cesser le vacarme; laisser place à plus de vérité.
Certains médias se sont empressés d'accréditer la thèse affirmée par la ministre de l'intérieur dans sa conférence de presse, alors que les perquisitions étaient en cours :
Les personnes arrêtées étaient d'emblée condamnées.
Personne n'aura pu rater l'épisode de "police-réalité" que nous avons tous subi la semaine passée. L'angoisse, la peur, les pleurs nous ont submergé et continuent à le faire. Mais ce qui nous a le plus blessés, le plus anéanti, ce sont les marées de mensonges déversées. Aujourd'hui ce sont nos enfants, demain ce pourrait être les vôtres.
Abasourdis, nous le sommes encore, paralysés nous ne le sommes plus. Les quelques évidences qui suivent tentent de rétablir la vérité et de faire taire la vindicte.
Les interpellés ont à l'évidence bénéficié d'un traitement spécial, enfermés pendant 96 heures, cela devait faire d'eux des personnes hors normes. La police les suspecte d'être trop organisés, de vouloir localement subvenir à leurs besoins élémentaires, d'avoir dans un village repris une épicerie qui fermait, d'avoir cultivé des terres abandonnées, d'avoir organisé le ravitaillement en nourriture des personnes agées des alentours. Nos enfants ont été qualifiés de radicaux. Radical, dans le dictionnaire, signifie prendre le problème à la racine. A Tarnac, ils plantaient des carottes sans chef ni leader. Ils pensent que la vie, l'intelligence et les décisions sont plus joyeuses lorsqu'elles sont collectives.
Nous sommes bien obligés de dire à Michelle Alliot Marie que si la simple lecture du livre "L'insurrection qui vient" du Comité Invisible fait d'une personne un terroriste, à force d'en parler elle risque de bientôt avoir à en dénombrer des milliers sur son territoire. Ce livre, pour qui prend le temps de le lire, n'est pas un "bréviaire terroriste", mais un essai politique qui tente d'ouvrir de nouvelles perspectives.
Aujourd'hui, des financiers responsables de la plus grosse crise économique mondiale de ces 80 dernières années gardent leur liberté de mouvement, ne manquant pas de plonger dans la misère des millions de personnes, alors que nos enfants, eux, uniquement soupçonnés d'avoir débranchés quelques trains, sont enfermés et encourent jusqu' à 20 ans de prison.
L'opération policière la plus impressionante n'aura pas été de braquer cagoulé un nourrisson de neuf mois en plein sommeil mais plutôt de parvenir à faire croire que la volonté de changer un monde si parfait ne pouvait émaner que de la tête de détraqués mentaux, assassins en puissance.
Lorsque les portes claquent, nous avons peur que ce soient les cagoules qui surgissent. Lorsque les portent s'ouvrent, nous rêvons de voir nos enfants revenir.
Que devient la présomption d'innocence?
Nous demandons qu'ils soient libérés durant le temps de l'enquête et que soient evidemment abandonnée toute qualification de terrorisme.
Les parents d'Aria, Benjamin, Bertrand, Elsa, Gabrielle, Julien, Mathieu,Yldune
PS: Nous tenons à saluer et à remercier les habitants de Tarnac qui préfèrent croire ce qu'ils vivent que ce qu'ils voient à la télé.
www.soutien11novembre.org
Pour ceux qui veulent plus d'informations:
"Terroristes d’ultra-gauche" : Comment justice et presse prennent le train de la police
A lire sur le même sujet, publié dans Politis du 20 novembre et disponible en accès libre : Présumés coupables
Dimanche 16 novembre, neuf membres présumés d’une « cellule invisible » qualifiée « d’ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome » par la ministre de l’Intérieur, ont été mis en examen pour « destructions en réunion en relation avec une entreprise terroriste ». Quatre d’entre-eux ont été mis en liberté sous contrôle judiciaire et cinq incarcérés. Sans qu’il existe, en l’état actuel de l’enquête, la moindre preuve qu’ils aient de près ou de loin participé aux actes de malveillance qui avaient perturbé une semaine plus tôt le trafic des TGV Nord, Est et Sud-Est. Ce qui n’a pas empêché la plupart des médias de répéter les vraies-fausses informations répandues par les policiers pour accréditer l’existence d’un « groupe de terroristes », basé à Tarnac en Corrèze, en train de préparer des sabotages. Quelques informations méritent pourtant d’être examinées de plus près, d’autant qu’elles n’ont pas été répercutées par la presse.
Le groupe cellule invisible existe-t-il ?
Pour la Sous-direction anti-terroriste (SDAT) et pour la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), la réponse est positive depuis au moins sept mois, depuis qu’elles ont reçu instructions de « trouver des terroristes français ». Mais ce groupe n’a jamais existé comme structure et le mot choisi à dessein par la police et la justice pour les désigner n’a été inspiré que par la signature collective d’un livre, « L’insurrection qui vient » (éditions La Fabrique). Livre théorique plutôt fumeux qui n’a rien d’un « manuel de sabotage ». Il n’a fait l’objet d’aucune procédure depuis sa parution, le 22 mars 2007, et reste en vente libre pour 7 euros. Une seule réalité : une partie des résidents de Tarnac participaient systématiquement à des manifestations depuis leur installation progressive en 2002.
Le rôle des services spéciaux américains
Le couple « principal » des accusés aurait été repéré en janvier 2008 dans une manifestation organisée devant le bureau de recrutement de l’armée américaine qui se trouve depuis des années sur Times Square, à Manhattan. Ni la première ni la dernière des manifestations dans ce lieu symbolique de New York. Quelques jours plus tard, le couple aurait été interpellé avant la frontière canadienne pour « défaut de papiers ». Premier mystère : ce serait bien la première fois, depuis septembre 2001, que des policiers américains laissent filer des étrangers avec des papiers suspects. Deuxième incohérence : dans leurs premières distillations « d’informations » aux journalistes, les policiers français expliquent que ce couple était soupçonné d’avoir participé à une dégradation du bureau de recrutement. Jusqu’à ce que l’on apprenne que « l’attentat » a eu lieu en avril, Julien et Yldune étant à cette époque revenu en France depuis des mois. La version officielle française dit pourtant que les services spéciaux américains ont (auraient) signalé le couple deux jours après « l’attentat ».
Un groupe sous surveillance ?
Oui. Selon nos informations, au moins depuis deux ans et demi, comme la plupart des groupes ou des individus participant régulièrement à des manifestations. La mise en fiche particulière, avec suivi par des officiers de police, des manifestants considérés comme « actifs » ou « récidivistes » a été ordonnée le 25 mars 2006 par Nicolas Sarkozy lors d’une réunion au ministère de l’Intérieur, au lendemain des premières manifestation anti-CPE. Michèle Alliot-Marie a pris le relais en étendant le système de suivi.
Le groupe était-il infiltré ?
La question se pose : à en croire ceux qui ont approché des membres du groupe, dans le XXe à Paris et en Corrèze, il n’aurait jamais été question, au delà des discours, du moindre passage à l’acte. Si la pose des fers à béton sur des caténaires est prouvée, ce qui n’est pas encore le cas, il se dit dans l’entourage du groupe que parmi les personnes relâchées (il y a eu 21 interpellation le 9 novembre au matin) figurerait un personnage qui a beaucoup insisté, il y a trois mois, pour un passage de la théorie à la pratique, idée qui rencontrait des résistances. L’histoire des milieux anarchistes est riche d’inflitrations-provocations dans lesquelles la police n’intervient qu’après l’acte illégal « suggéré ». Soupçons à rapprocher d’un témoignage accusateur sous X (anonymat donc garanti) fait « spontanément » jeudi dernier par un membre du « groupe » dans une brigade de gendarmerie du Puy-de-Dôme.
La ministre de l’Intérieur réinvente le délit d’opinion
Le 13 novembre, un représentant du Parquet de Paris a déclaré : « Les éléments recueillis ne permettent pas de les présenter comme coupables, le délit d’opinion n’est pas criminalisé en France ». Le procureur de Paris, sur instructions, a estimé le contraire. Au début de l’enquête, le 8 au matin, les gendarmes ont annoncé disposer d’empreintes et de traces ADN. Dimanche, elles n’existaient plus. Les mises en examen, comme l’expliquent les avocats, ont donc été essentiellement faites sur des présomptions puisqu’en l’état actuel de l’enquête, il n’existe aucune preuve. Mais il est vrai que des policiers ont confié aux journalistes à propos de Julien : « Vous savez, il est très intelligent ». Ce qui constitue sans aucun doute une circonstance aggravante.
Les neuf de Tarnac
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> *Quand Mathieu B., 27 ans, se souvient de son arrestation, il a cette image, à la fois drôle et amère, d'hommes encagoulés de la police antiterroriste cherchant /"des explosifs dans les pots de confiture de/ (sa) /mère"/. Etudiant il y a encore peu en mastère de sociologie à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), il fait partie des neuf jeunes arrêtés le 11 novembre et mis en examen pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste"./ Cinq d'entre eux -/"le noyau dur",/ pour le parquet - doivent, en plus, répondre du chef d'accusation de /"dégradations en réunion sur des lignes ferroviaires dans une perspective d'action terroriste"/, les fameux sabotages de caténaires de la SNCF.*
*Ce n'est pas le cas de Mathieu. Il a été remis en liberté sous contrôle judiciaire, comme trois autres, après quatre jours de garde à vue. Des heures et des heures d'interrogatoire dont il retient ceci : "On est ton pote. On va te foutre en taule. On est d'accord avec toi. Tu as de la merde dans le cerveau parce que tu as lu des livres. On va aller te chercher un sandwich. Tu reverras jamais ton fils."/ Lorsque nous l'avons contacté, il a demandé un peu de temps pour réfléchir parce que /"ce type d'expérience est assez difficile à relater"./*
Comme lui, la plupart des neuf interpellés sont des étudiants brillants ultradiplômés. Tous fichés pour leur appartenance, selon les mots de la ministre de l'intérieur, Michèle Alliot-Marie, à /"l'ultragauche, mouvance anarcho-autonome"./ Julien Coupat - présenté par la police comme le chef de file et dont le nom a été mis en avant -, 34 ans, a fait une grande école de commerce, l'Essec, puis un DEA, avant d'enchaîner un début de doctorat à l'EHESS en histoire et civilisation. Au dire de son père, il envisageait de se lancer bientôt dans des études de médecine. Son amie, Yldune L., 25 ans, fille d'universitaire, a eu la mention très bien à son master d'archéologie. Benjamin R., 30 ans, a fait Sciences Po Rennes et a passé un an à l'université d'Edimbourg en sociologie du développement et responsabilité environnementale. A Rouen, Les plus jeunes, Elsa H., 23 ans, et Bertrand D., 22 ans, sont respectivement en première année de master d'anglais et en licence de sociologie. Trois se distinguent : Gabrielle H., 29 ans, inscrite depuis septembre dans une école d'infirmières, Manon G., 25 ans, musicienne, premier prix de clarinette dans son conservatoire, et Aria T., 26 ans, qui a longtemps joué le rôle d'une ado un peu rebelle dans une sitcom populaire en Suisse, /Les Pique-Meurons/. Aucun n'est en rupture familiale. Les parents, dirigeant de laboratoire pharmaceutique, médecin, ingénieur, universitaire, prof ou de la classe moyenne, continuaient à les voir régulièrement. Yldune, l'étudiante en archéologie, incarcérée depuis sa mise en examen le 15 novembre, habitait encore chez son père et sa mère. Pas de rupture donc. Mais tous avaient décidé de vivre selon des canons différents de ceux de leur milieu, à l'écart de la société marchande.
Un jour de 2003, en quête d'une ferme /"pas trop chère",/ Julien Coupat débarque dans le bureau de Jean Plazanet, alors maire communiste de Tarnac, un village de 335 habitants sur le plateau de Millevaches, en Corrèze. L'affaire est vite conclue : une bâtisse, des dépendances, 40 hectares. Le Goutailloux. /"Ensuite, j'ai vu arriver un groupe de jeunes, très sympas, serviables",/ raconte avec enthousiasme Jean Plazanet. Ils reprennent l'épicerie du hameau. La gérance est confiée à Benjamin R., qui a l'expérience de l'animation d'un lieu de vie alternatif pour avoir fait fonctionner un squat - l'Ekluserie - à Rennes. C'est le plus écolo de la bande. Entre 16 et 19 ans, il a travaillé bénévolement dans des associations de protection du gibier d'eau, des rapaces et des loutres. Il a brièvement présidé la fédération des Jeunes Verts européens.
A Tarnac, le groupe élève des moutons, des poules, des canards, ravitaille les personnes âgées alentour. /"Je ne crois pas me tromper en disant que l'un des buts était de se donner les moyens matériels et affectifs de fuir la frénésie métropolitaine pour élaborer des formes de partage",/ dit Mathieu B.
Ils fuient le travail salarié, rejettent le système capitaliste et l'hyperconsommation. Sans concessions, ils bannissent les téléphones portables. Par refus de la sujétion, plaident-ils. Par souci de clandestinité, pense la police. Leur radicalité est dans leurs écrits, leurs lectures, leurs comportements, estiment amis et réseaux. Elle s'est traduite en actes, soupçonnent les enquêteurs qui les surveillaient depuis le printemps et affirment avoir vu deux d'entre eux à proximité d'une des caténaires endommagées la nuit du 8 novembre. Des /"projets d'attentats consommés", a estimé le procureur de Paris, Jean-Claude Marin.
"Je suis un communiste, du temps de la Commune de Paris",/ a dit un jour Julien Coupat à son père. Les neuf se réservent de longues heures
pour la lecture et l'écriture. Mais bougent aussi beaucoup. Certains font des milliers de kilomètres pour visiter des squats politiques, participer à des contre-rassemblements à l'occasion de G8 ou de sommets européens. Le 3 novembre, plusieurs se sont retrouvés à Vichy lors de la réunion des ministres de l'intégration des Vingt-Sept.
Autant de manifestations qui se sont soldées par des heurts avec la police.
Julien Coupat ne réside pas à demeure à Tarnac, où est née la petite fille qu'il a eue avec Gabrielle H., il y a trois ans. A Paris, il fréquente les milieux intellectuels. Il a tissé des vrais liens avec le philosophe italien Giorgio Agamben, rencontré lors d'un séminaire. Ils jouent de temps à autre au football, le philosophe l'a aidé au moment du lancement de la revue/Tiqqun/ en lui trouvant un imprimeur en Italie. Julien Coupat était membre du comité de rédaction de cette publication éphémère influencée par le situationnisme.
"Il est de la mouvance postsituationniste avec le langage qui va avec, c'est un très bon connaisseur de Guy Debord",/souligne Luc Boltanski, directeur d'études à l'EHESS. /"C'était un étudiant brillant, quelqu'un d'extrêmement gentil",/poursuit le sociologue qui l'a distingué sommément dans la préface de son livre /Le Nouvel Esprit du capitalisme/ (avec Eve Chiapello, Gallimard 1999). /"Le genre de type qui en sait plus que ses profs,/ assure Eric Hazan, son ami depuis six ans./Pour lui, les modes d'action et les mots du passé sont à laisser tomber. Ce n'est pas un philosophe spéculatif."/ Cet éditeur parisien a publié /L'insurrection qui vient/ (éd. La Fabrique, 2007), un ouvrage signé "Comité invisible", qui excite la curiosité policière depuis plusieurs mois. Le style relève de la littérature "situ" fascinée par l'émeute. Il y est évoqué le sabotage des voies de TGV pour bloquer la machine économique et créer un état de chaos /"régénérateur"/. Julien Coupat est désigné comme l'auteur principal du livre. Le parquet de Paris lui attribue le rôle de penseur et de dirigeant d'un groupe terroriste. A ce titre, il encourt vingt ans de prison.
"Julien m'a dit : "Moi je veux vivre dans la frugalité"/, confie son père, un ancien médecin qui a cofondé un laboratoire pharmaceutique, aujourd'hui à la retraite. /Il aurait pu devenir directeur financier de Barclay's."/ Mais ce fils unique qui vit avec 1 000 euros par mois a tourné le dos à l'univers très cossu où il a grandi, dans les Hauts-de-Seine. /"Quelque part, cela a dû être un formidable accélérateur de sa réflexion",/ réfléchit le père à haute voix, au milieu des riches demeures nichées dans une sorte d'enclave boisée. M. Coupat, qui a découvert Tarnac il y a un an, a acheté la maison jouxtant l'épicerie. Il a également acquis pour son fils, dans le 20e arrondissement de Paris, un ancien atelier d'artisan de 50 m2 qui devait héberger un futur projet de journal militant. Indûment présenté dans la presse comme un loft luxueux, il servait pour l'heure de refuge à Julien et Yldune.
Effondrés, choqués par l'étiquette /"terroristes",/ les parents tentent de faire face, tétanisés à l'idée de /"trahir"/ leurs enfants par une phrase maladroite, un mot de trop. En une semaine, ils ont dû tout apprendre : les avocats, les couloirs du palais, la pression des médias. La mère de Gabrielle H. a passé 72 heures en garde à vue.
Celle d'Yldune revit en permanence la scène de sa fille tirée du lit, menottée, et tremblant si fort que les policiers ont appelé SOS-Médecins. A l'association d'archéologie dont elle est membre depuis huit ans, on s'offusque que des "pinces de forge", saisies lors des perquisitions, puissent être retenues comme des pièces à charge pour le sabotage des voies ferroviaires. /"C'est une spécialiste du néolithique et du coulage du bronze, on l'a vue des dizaines de fois manier ces pinces pour ses recherches !",/ s'insurge un ami.
"J'ai lu tous les textes de Julien, je n'y ai jamais trouvé le moindre appel à homicide ou violence contre un individu, je suis révolté par tout ça",/ proteste le journaliste et chercheur Olivier Pascault, ancien condisciple de l'EHESS. Pour Giorgio Agamben, /"on ne va pas les traiter comme les Brigades rouges, ça n'a rien à voir ! On cherche le terrorisme et on finit par le construire, tout ça pour répandre la peur chez les jeunes gens"/. Les avocats Irène Terrel, Steeve Montagne, Cédric Alepée, Dominique Vallès, dénoncent une incrimination terroriste "démesurée", la "faiblesse" des dossiers et rappellent l'absence de casier judiciaire de leurs jeunes clients.
A l'intérieur de l'atelier du 20^e arrondissement, tout est figé, humide, en désordre. Sur la porte en contreplaqué, d'une écriture un peu enfantine, est inscrit : /"Ceci est ma maison, éphémère comme les précédentes. Les objets sont à la place que je leur ai désigné. Demain
je déménagerai et ils me suivront. D'eux ou de moi qui est le plus exilé ?"/ Un peu plus loin :/"Je suis comme un soldat qui ne porte pas
d'uniforme, qui a choisi de ne pas combattre mais qui se bat toute la nuit pour d'autres causes."/
A la presse, aux revues, aux syndicalistes & aux militants des droits de l'homme de tous les horizons. Dans la nuit, dimanche 16 novembre 2008.
JULIEN COUPAT N'EST PAS UN « TERRORISTE »
A l'heure où j'écris ce présent texte, Julien Coupat vient d'être écroué après 96 heures de garde à vue passées dans les services de la Brigade
antiterroriste.
Julien Coupat est mon ancien compagnon de séminaire, à l'EHESS. Il a suivi le séminaire « histoire de la pensée allemande » et soutenu brillamment un DEA autour des écrits de Guy Debord. Nous avons conduit quelques activités communes, dont de nombreuses réflexions et échanges de textes en vue de co-fonder ensemble une revue. Nous avons arpenté la rue Mouffetard à maintes reprises avec les yeux & les mains ouvertes vers la liberté, la désaliénation et l'action pour le progrès.
La revue Tiqqun est née sans moi. Des désaccords pratiques et d'existence nous séparaient. Républicain et nourrissant des analyses me portant à stimuler les actions collectives dans et pour le peuple dans la lutte des classes pour organiser l'union de luttes des classes populaires, nous n'avons pas poursuivi nos relations fraternelles mais le respect mutuel dans nos travaux a demeuré. Nous avons tout de même mis sur pied ensemble un atelier au cours d'un Congrès Marx International à Nanterre. L'orientation intellectuelle et partisane de Julien Coupat l'a mené dans les franges de la radicalité scripturaire.
Ni plus, ni moins. Toujours amical avec ses semblables, d'une gentillesse remarquable, les écrits de Julien Coupat sont certes radicaux mais qu'on nous comprenne bien : entre des écrits et les actions, il y a un monde qu'il n'a certainement pas franchi. Du ciel des idées au cieux de l'action, la béance est un drame grossi aujourd'hui par la procurature. Il est devenu le pion d'un jeu imbécile qui en révoltera plus d'un : l'hypertrophie du vocabulaire de la sanction.
Julien Coupat n'est pas un prolétaire mais un bourgeois entré en critique ; il y en a, il en faut ! Individualiste, Julien Coupat n'est pas républicain au sens strict. Il ne méconnaît pourtant pas les idéaux et espérances de l'esprit de la Révolution française, de la Révolution de 1848 et la Commune de 1871 et les milliers de déportés et fusillés, femmes, enfants et vieillards au cours de la répression sanglante orchestrée par Versailles. En rupture de ban avec les idées communes des si gentils mouvements politiques claniques et groupusculaires qui n'ont d'autres vues que de se satisfaire de la haute opinion qu'ils ont d'eux-mêmes, cela fait-il de julien Coupat un « terroriste » ? Non, trois non.
Julien Coupat a mené ses travaux honorablement avec tout le sérieux que je lui connais. Excellente plume littéraire, je peux ne pas être en
accord avec ses analyses, orientations théoriques et politiques. Loin de là. Reconnaissons-le pourtant parmi les intellectuels engagés qui n'a
jamais fait défaut à l'humanité : nulle tentation et nul appel à l'homicide ne transparaissent dans l'ensemble de ses écrits. Je le sais, nul appel au meurtre ne se lira jamais sous sa plume, malgré les épreuves du jour et de la nuit en enfermé. Il a par la suite fait paraître des livres collectifs, signant Théorie de la jeune fille et Bloom aux Editions Mille & Une nuits sous des noms d'emprunts. Ses textes provenaient tous de la revue Tiqqun. Il a ensuite préfacé un recueil de textes de Blanqui paru aux Editions de La Fabrique. Il a de même été l'une des plumes principales du Comité Invisible popularisant L'insurrection qui vient, toujours aux Editions de La Fabrique, texte éponyme d'une réalité en marche.
Cela fait-il de Julien Coupat un « terroriste » ? Non, trois non.
Que reproche-t-on à Julien Coupat ? D'écrire librement ?
De qui est-il le bouc émissaire ? D'une certaine idée de la liberté intellectuelle sous contrôle ?
De quoi est-il le bouc émissaire ? D'une paranoïa instrumentale de la part d'un Ministère aux ordres des dérives répressives du droit pénal européen pour criminaliser toutes orientations politiques et critiques de l'ordre anarchiste du règne de la marchandise capitaliste ?
Nous ne nous étendrons pas ici (ce n'est pas le moment, laissons travailler ses avocats) sur la procédure judiciaire qui frappe Julien Coupat et ses camarades sinon pour exprimer notre aversion pour cette exagération des qualifications pénales et ses mesures tournées vers l'incarcération. Hypertrophier des faits, quels qu'il soient, entraîne des dérives liberticides pour tous. Citoyens, soyez-en conscients !
L'esprit de Versailles ne doit pas passer !
Julien Coupat a-t-il ou pas commis les actes qu'on lui reproche ?
Qu'importe. Ce n'est ici pas le problème de ce présent texte. Il ne nous appartient pas de juger, même si justice est rendue « au
nom du peuple français ». La justice passera. Elle doit examiner les faits dans la sérénité. Et nous appelons à la sérénité des juges, enquêteurs et journalistes qui rendront compte de l'agitation médiatique décelable à l'instant. Nous appelons à leur examen des faits sans autre souci républicain que de clarifier une situation hors des délirantes accusations de terrorisme.
En effet, le peuple, sujet du droit, n'est pas et ne sera pas le bourreau des seules idées, même celles qui sont contraire à ses intérêts propres dans l'union réelle de sa classe appauvrie, en vue de son émancipation intégrale. Le peuple n'est pas et ne sera pas le bourreau d'actes de potaches pas encore prouvés sinon l'existence de quelques livres, quelques tracts, un baudrier d'escalade et des objets que tout à chacun peut posséder chez lui pour bricoler. Le bricolage n'est-il pas le loisir favori des français, comme nous l'assène la presse depuis quelque temps ?
La disproportion des qualifications pénales à l'encontre de Julien Coupat (« entreprise terroriste ») nous fait craindre des dérives judiciaires ultérieures. Des interpellés la semaine dernière, certains l'ont été parce qu'ils possédaient, dans leurs bibliothèques très fournies, L'insurrection qui vient (Ed. La Fabrique).
Que tous ceux qui possèdent J'irai cracher sur vos tombes de V. Sullivan alias B. Vian, un exemplaire de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1793 (pour rappel, elle appelle au renversement des gouvernements n'allant plus dans le sens de l'intérêt du peuple), ou encore L'insurgé de Jules Vallès se rendent en ce cas à la Brigade antiterroriste de suite.
Moi & toi & vous, nous pouvons tous du jour au lendemain subir quelque accusation que ce soit sous prétexte de nous faire sentir le poids de la répression au nom d'une lecture anti-républicaine du droit. La lecture du droit doit rester mesurée. En toutes circonstances. Pas d'exception en l'Etat de droit… à moins que le masque ne tombe définitivement !
Julien Coupat n'est pas un terroriste.
Julien Coupat n'est pas et n'a jamais été le chef d'un gang.
Julien Coupat doit être dégagé des chefs de terrorisme.
Julien Coupat menotté écrira… encore & encore.
Solidarité avec Julien Coupat & ses amis, y compris s'ils ont commis des excès que nous ne jugerons pas même si nous ne les acceptons pas… mais certainement pas ceux de « terrorisme ». Pour le reste & les suites, nous agirons et communiquerons en conséquence.
Olivier Pascault
Chercheur & Journaliste + Place aux fous,
Philosophie & musiques, disciplines de l'indiscipline, radio libertaire, Comité Visible pour le droit de la défense de Julien Coupat & ses camarades
Ecrire à : place-aux-fous(arobase)voila.fr
Voici le texte de la pétition initiée par Eric Hazan et La Fabrique (éditions : http://www.lafabrique.fr) au sujet de l¹affaire des neuf inculpations de la semaine dernière (les soi-disant "terroristes" du Comité Invisible).
Il est possible de la signer en renvoyant votre nom et votre qualité (profession ou absence de profession, statut ou absence de statut) à
l'adresse suivante : lafabrique@lafabrique.fr
PÉTITION
Une opération récente, largement médiatisée, a permis d¹arrêter et d'inculper neuf personnes, en mettant en oeuvre la législation antiterroriste. Cette opération a déjà changé de nature : une fois établie l'inconsistance de l¹accusation de sabotage des caténaires, l'affaire a pris un tour clairement politique. Pour le procureur de la République, « le but de leur entreprise est bien d'atteindre les institutions de l'État, et de parvenir par la violence je dis bien par la violence et non pas par la contestation qui est permise à troubler l'ordre politique, économique et social ». La cible de cette opération est bien plus large que le groupe des personnes inculpées, contre lesquelles il n'existe aucune preuve matérielle, ni même rien de précis qui puisse leur être reproché. L'inculpation pour «association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste » est plus que vague : qu¹est-ce au juste qu¹une association, et comment faut-il entendre ce « en vue de » sinon comme une criminalisation de l'intention ?
Quant au qualificatif de terroriste, la définition en vigueur est si large qu'il peut s'appliquer à pratiquement n¹importe quoi et que posséder tel ou tel texte, aller à telle ou telle manifestation suffit à tomber sous le coup de cette législation d¹exception.
Les personnes inculpées n¹ont pas été choisies au hasard, mais parce qu'elles mènent une existence politique. Ils et elles ont participé à des
manifestations dernièrement, celle de Vichy, où s¹est tenu le peu honorable sommet européen sur l¹immigration. Ils réfléchissent, ils lisent des livres, ils vivent ensemble dans un village lointain. On a parlé de clandestinité : ils ont ouvert une épicerie, tout le monde les connaît dans
la région, où un comité de soutien s'est organisé dès leur arrestation. Ce qu'ils cherchaient, ce n'est ni l'anonymat, ni le refuge, mais bien le contraire : une autre relation que celle, anonyme, de la métropole.
Finalement, l¹absence de preuve elle-même devient une preuve : le refus des inculpés de se dénoncer les uns les autres durant la garde à vue est présenté comme un nouvel indice de leur fond terroriste.
En réalité, pour nous tous cette affaire est un test. Jusqu'à quel point allons-nous accepter que l'antiterrorisme permette n'importe quand d'inculper n'importe qui ? Où se situe la limite de la liberté d¹expression ?
Les lois d¹exception adoptées sous prétexte de terrorisme et de sécurité sont elles compatibles à long terme avec la démocratie ?
Sommes-nous prêts à voir la police et la justice négocier le virage vers un ordre nouveau ?
La réponse à ces questions, c'est à nous de la donner, et d'abord en demandant l'arrêt des poursuites et la libération immédiate de celles et ceux qui ont été inculpés pour l'exemple..
10:21 Publié dans NUCLEAIRE | Lien permanent | Commentaires (0)
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