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12/06/2009

Pérou : Quand le chien du jardinier montre ses dents

par Javier Diez Canseco

Le Pérou, divisé et discriminatoire, vient à nouveau d’exploser. Alan García et son cabinet ont donné l'ordre de déloger – à feu et à sang – les autochtones qui occupaient Corral Quemado et les zones proches de la route Fernando Belaunde, déchaînant une sanglante vague de violence. Avec troupes de choc, véhicules blindés et hélicoptères, jets de lacrymogènes et tirs à balles réelles, ils ont allumé l’incendie. Celui-ci s’est rapidement propagé depuis les hameaux d’Utcubamba et Bagua Chica, jusqu'à la caserne de pompiers n° 6, où 38 policiers étaient retenus. Le bilan n’est pas précis, car les cadavres auraient être jetés dans le fleuve, mais nous savons que des dizaines d’autochtones, civils et policiers, sont morts, leurs familles les pleurent sans pouvoir récupérer leurs corps, et d’anciennes cicatrices se rouvrent.

Tel un croisé médiéval contre les infidèles, García a décidé de mettre fin à la revendication autochtone, qui, avec une grande fermeté, s’oppose à son plan de bradage de l'Amazonie découpée en parcelles au bénéfice des grandes entreprises extractrices de matières premières, au mépris des droits des communautés et de l'environnement.

Maintenant, de manière psychotique, c’est un soi-disant complot, même international, une manipulation d’indigènes ignorants. Mais García avait annoncé ses plans aux communautés et aux petits propriétaires ruraux dans « Le chien du jardinier ». En octobre 2007, il avait dit que la modernité et le progrès allaient de pair avec de gros investissements et des entreprises transnationales. L'investissement « a besoin de propriété (de la terre) sûre, mais nous nous avons fait l’erreur d’attribuer des petits lots de terrain à des familles pauvres qui n'ont pas un centime pour investir ». Il poursuivait, catégorique : « C’est de la démagogie et un mensonge de dire que ces terres ne peuvent pas être touchées parce qu'elles sont des objets sacrés et que cette organisation communale est l'organisation originaire du Pérou ». Et il soulignait : « … dans tout le Pérou (il y a) des terres en friche parce que le propriétaire n'a pas de formation ni de ressources économiques, par conséquent sa propriété n’est qu’apparente. Cette même terre vendue par grandes parcelles apporterait la technologie dont les membres des communautés profiteraient également». C’est on ne peut plus clair : la propriété des pauvres « est apparente » et inutile faute de capital. La propriété réelle, que l'État doit imposer, c’est la grande propriété.

Avec les dispositions législatives que le Congrès lui a déléguées pour « adapter la législation au Traité de libre-échange avec les USA », sans scrupules et manoeuvrier, il a cru trouver l'occasion d'imposer sa vision révélée. Il a lancé une offensive contre les communautés et l'Amazonie avec des décrets législatifs (DL) sans consultation (en violant la Convention 169 de l'OIT et d'autres) et a provoqué la réaction des peuples amazoniens. Les efforts pour aboutir par la négociation ont été vains jusqu'à ce qu'en août 2008, grâce à une grève, ils arrachent la dérogation à deux DL et la révision des autres. On assista ensuite au retour du jeu de bascule et de la tromperie. Le 9 avril une seconde grève fut décrétée. Mais là, le Congrès avait penché du côté de García et fit échouer la discussion et sur l'approbation antérieure de ses propres décisions de déroger aux DL anti-amazoniens. Entretemps, Simon ([e Premier ministre, Yehude Simon, NdT] biaisait par un « dialogue » et jouait la montre, cherchant à ignorer les leaders de l'Association Interethnique de Développement de la Forêt Péruvienne (Aidesep), et il préparait la répression.

Le gouvernement savait que beaucoup de gens de la zone étaient des anciens combattants de la guerre du Cenepa [conflit avec l’Équateur en 1995 dans le District de Cenepa, dans la province de Condorcanqui, zone frontalière,NdT], réservistes ou ronderos [membres des milices d’autodéfense communautaires nées dans les années 1970 dans le Nord du pays et instrumentalisées par le gouvernement au cours de la lutte contre le Sentier lumineux dans les années 80, NdT]. Les autochtones ont averti que dans cette lutte, il y allait de leur vie , même s’ils ne voulaient pas de violence. Mobilisés massivement, ils ont recherché plusieurs fois la voie des négociations, qui s’est avérée infructueuse. Mais García faisait pression sur le cabinet et sur Cabanillas [Mercedes Cabanillas, ministre de l'Intérieur, NdT] pour en finir avec le conflit. Ainsi est née l’opération maladroite du « jour de l'environnement » - aujourd’hui prétendue réponse à un complot - qui, avec les premiers morts, a déchaîné des colères plus grandes, des ressentiments plus profonds et une sanglante et une cruelle suite de morts et de blessés. L’exécution des policiers détenus et entravés à l’intérieur de la caserne n° 6 est condamnable et inacceptable, elle révèle qu'il y a des secteurs qui - sans direction - peuvent libérer toute sorte de démons.

Les persécutions et la décapitation de la direction des communautés autochtones, l’Aidesep, se poursuivent, ce qui va accentuer le chaos et la riposte débridée, tandis que le Président de la Cour Suprême en personne dénonce les pressions politiques sur le pouvoir judiciaire.

La situation a suscité l’appel à une Journée Nationale de Lutte le 11 juin avec divers arrêts de travail et mobilisations régionaux. Il y a urgence :

1) Le gouvernement devrait déclarer temporairement inapplicables (« vacatio legis ») les DL contestés, tandis que le Congrès traiterait les requêtes en inconstitutionnalité et de dérogations ; 2) Le Congrès devrait inscrire les thèmes à l’ordre du jour et les résoudre, sans fuir ses responsabilités ;
3) Le cabinet Simon-Cabanillas doit s’en aller et assumer sa responsabilité politique dans cette tuerie ;
4) Appeler à une investigation internationale de ce qui s'est produit, étant donné la dénonciation par Villa Stein (président de la Cour Suprême) des pressions politiques sur le pouvoir judiciaire, l'illégitimité du Congrès et de l'Exécutif ;
5) Nommer une commission de médiation : peut-être le Défenseur du Peuple, les évêques amazoniens et Salomón Lerner [professeur qui a présidé la Commission Vérité et Réconciliation, qui a enquêté sur les événements de 1980 à 2000, NdT] ;
6) Arrêter les persécutions contre les dirigeants autochtones nationaux à Lima, lever l'état d’urgence et le couvre-feu.

García, le grand responsable - qui répète sa gestion brutale de la révolte des pénitenciers de juin 1986-, doit partir. Et nous, nous devons continuer à demander une assemblée constituante qui reconnaisse un Pérou plurinational et qui défende ses ressources naturelles, parmi d'autres changements, pour le refonder.

Article publié dans La República le 08 juin 2009

Source : http://alainet.org/active/30753

 

Traduit par Esteban G., révisé par Fausto Giudice, Tlaxcala
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