Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

29/01/2010

Syto Cavé, Haïti

Ma
place parmi les vivants.

 

C'était ça, Thurgeau? Une plaisanterie!
L'ancienne maison a vacillé, puis est tombée de toutes
ses colonnes et de son grand balcon, comme quelqu'un
ayant l'air de demander pardon au temps. C'est ce
qui s'appelle un séisme, un vrai! Il a parcouru la
ville et une bonne part du pays. Il a mangé plein de gens.
Mangé! Littéralement! C'est-à-dire: Moulu! Avalé!
Ceux qu'il a laissés dehors, les autres morts, sont
alignés sur les trottoirs, certains à découvert, dautres
enveloppés dans des draps ou du platic
blanc.

 


Les
églises aussi sont agenouillées: La Cathédrale,
Saint-Anne, Saint-Louis-Roi-De-France, Saint Joseph.
Quelques fidèles prient haut et fort. Une prière en
colère, d'autres le font à voix basse, dans leur
coeur. Le Christ, qu'on croyait en équilibre précaire,
est resté perché sur son socle au fond de l'église du
Sacré-coeur, impassible solitaire au milieu des
ruines.

 


Rue
Thoby, dans la zone de Frères, on a recueilli le corps de
deux de mes tantes paternelles sous des décombres.
L'une d'elles qui était aussi ma marraine
s'apprétait à fêter son centenaire. “ Il ne me
reste qu'une dent, disait-elle. En mars, si Dieu me
prête vie, je vous la montrerai dans un large sourire”
Adieu ma belle!

 


Il fait
lourd. Difficile de marcher. On a la tête encombrée de
morts. Chaque jour, le nombre augmente. Et les secousses
n'arrêtent pas. On est sur le qui-vive. Elles peuvent
s'étendre jusqu'à trois mois, six mois, un an. Qui
sait?

 


Ma
mère et ses deux soeurs ont été sauvées de justesse par
l'un des mes fils et un néveu qui ont dû les forcer à
sortir, car elles ont eu peine à croire que la maison
s'écroulait. Elles sont aujourd'hui à l'abri
chez l'un de mes frères, à l'abri, mais perdues,
sans repères, ne parlant jour et nuit que de retourner chez
elles.

 


Un
proche a vu mourir cinq cents de ses employés sous
l'effondrement de sa manifacture.

 


 


Un
bébé de vingt- deux jours a été repêché vivant au bout
d'une semaine sous des décombres.

 


Et
puis, il y a l'immense majorité avec ses morts, ses
sans-abri, et d'autres morts qui s'ajoutent à la
liste des morts du séisme: Ceux qui sont morts, la veille
ou après, et ne trouvent pas leur place de mort à part,
avec cette singularité qui leur est dûe: Pompe-funèbre,
convoi,  messe, chant et oraison. Toutes
les morgues sont engorgées, les cimetières dévastés. Il
faut créer des fosses communes.

 


Il y a
aussi les rats, qui sont des gens, s'échappent des
prisons, s'attaquent à la popuation. Le chef de la
police a promis de les traquer. Et la ministre de la culture
et de la communication leur aurait, semble t'il,
demandé, dans un appel radiophonique de regagner
gentillement leur cellule.

 


Quelqu'un m'a appelé hier pour me demander
si je suis mort. Absolument, ai-je dû
répondre.

 


Une
amie m'a suggéré d'écrire, comme pour reprendre
ma place parmi les vivants.

 


                                                                                              

Syto Cavé

 

                                                                      

Port-au-prince 23 janvier 2010


   


envoyé par Gerald BLONCOURT

gerald.bloncourt@club-internet.fr
Je transmets ce message car :
"je préfère laisser parler ceux qui vivent ça plutot qu'en parler à leur place. Face à ce désastre, j'ai préféré me taire, que pourrais-je en dire, je ne suis pas là bas et je n'y connais personne sinon tout le monde en tant que compagnes et compagnons humains de cette vie, de ce temps, je suis effarée du boucan médiatique, publicitaire presque, humanitaire dit-on, il faut aider oui, c'est évident mais il faut aider les gens à se relever et à s'aider eux mêmes, de la façon qu'il souhaitent, et non pas celle qui leur sera imposée pour des raisons que je préfère ne pas évoquer, on connait trop bien la chanson... le malheur des uns fait bien trop souvent la fortune des autres..." Cathy Garcia à Gérard Bloncourt

Syto Cavé est né le 7 août 1944 à Jérémie (Haïti). Après les études au Petit Séminaire-Collège Saint-Martial et au lycée Pétion à Port-au-Prince, il hésite entre des études de droit et de sciences économiques. Influencé par Gabriel Imbert, Cavé s'inscrit de préférence au Conservatoire d'Arts dramatiques à Port-au-Prince. Il y reste quatre ans où il fait ses premiers pas dans les arts dramatiques. Avec Charles-Alexandre Abellard et François Latour, Cavé fonde la Société des Messagers de l'Art, un groupe qui fait des lectures de poésie et du théâtre (français et haïtiens), sur scène et à la radio.

En 1968, Syto Cavé s'exile aux États-Unis avec sa femme, l'écrivaine et peintre Yanick Jean, et s'installe à New York où il reste jusqu'en 1982. Les années newyorkaises sont marquées par plusieurs activités professionnelles. Il occupe, parmi d'autres, un poste dans le programme d'éducation bilingue de la ville. Avec d'autres Haïtiens en exil – Georges Castera, Jacques Charlier, Hervé Denis, Daniel Huttinot, Josaphat-Robert Large et Jean-Marie Roumer – il fonde la troupe de théâtre Kouidor. Pendant une dizaine d'années, cette troupe expérimentale et politisée fera des mises en scène dans diverses universités et salles (e.g., Columbia University, Brooklyn Academy of Music), jouant un répertoire allant de Brecht à Kateb Yacine, d'Ionesco à Césaire. Kouidor est présente à de nombreux festivals, en Martinique, Guadeloupe, France, au Canada et au Festival Latino-américain – participant avec, parmi d'autres, le Living Theatre, Augusto Boal et Gato Barbieri. La troupe explore de nouvelles formes de théâtre.

Syto Cavé est de retour en Haïti en 1982, rejoignant sa deuxième épouse, Régine Charlier. Avec Cayotte Bissainthe, Hervé Denis, Lyonel Trouillot et Pierre-Richard Narcisse, Cavé fonde l'Atelier des Arts et Spectacles (ADASA) à Port-au-Prince en 1983. En 1989, il fonde la compagnie théâtrale Vigie, avec Toto Bissainthe.

Syto Cavé a en son nom plus d'une douzaine de pièces pour la scène, en créole et en français. Elles continuent à être jouées en Haïti, aux États-Unis, en France, en Martinique et en Guadeloupe. En plus d'écrire et de mettre en scène ses propres pièces, il réalise des mises en scènes des œuvres d'autres auteurs, tels que Simone Schwarz-Bart (Ton beau capitaine, 1985-86), Ina Césaire (Rosanie-Soleil, 1987-88) et Claude Innocent (Ce fou d'empereur, 2000). Il vit à Pétion-Ville, où il continue à se consacrer au théâtre et à l'écriture.

Voir : http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/cave.html


Commentaires

Merci Cathy

Écrit par : Zoë Lucider | 29/01/2010

Les commentaires sont fermés.