16/05/2010
Quatre articles critiques de Jean-Paul Gavard-Perret à propos d'Eskhatiaï
Cathy Garcia-Canalès, « Eskhataï, Salines suivi de Mystica Perdita »,
Editions de l'Atlantique, coll. Phoibos, 82 pages, 18 euros.
Frontières, limites extrêmes, seuils deviennent pour Cathy Garcia une manière d’explorer ce qui tient à l’incessant devenir de son « moi ». Il n’est pas encore (ou pas encore assez) ce qui ne le confond pas avec le néant et maintient ce dernier à distance. Pour devenir il faut laisser au
temps le temps ne serait-ce que celui des « épapillonnements » qui font dire à la poétesse :
« je flaire lèche croque
ton grain de peau
accroche à mes cheveux tes grains de folies ».
Il faut donc le temps de faire l’amour, de divaguer parmi ses ruines, parfois se retirer, se mettre à l’abri de ses vagues.
Cathy Garcia nous dit : à chacun sa manière de vivre et ce n’est qu’une fois mort qu’on rentre dans la chronologie. Mais c’est au présent que l’auteure écrit autant la solitude que la fusion. C’est pourquoi nous répondons à son appel, aux injonctions de sa « Mystica Perdita » notre frangine, notre noire sœur.
POETIQUE DU PRESENT
Cathy Garcia-Canalès, « Eskhataï, Salines suivi de Mystica Perdita »,
Editions de l'Atlantique, coll. Phoibos, 82 pages, 18 euros.
Cathy Garcia écrit au présent sa propre histoire sans entrer dans les
détails. N'en surgit que la mystique et sensuelle moelle. Son présent est
riche de tout un passé et s'engrosse encore d'avenir. Ce présent poétique
actualise en nouveauté des faits et gestes antérieurs et les projette pour
que nous réfléchissions sur le sens de notre propre existence. Ce présent
transmute des causes et des effets. Et en lui la mémoire fait merveille.
Elle échappe au morcellement sinistre des instants où le présent n'est qu'un
point insignifiant entre le poids d'un passé nécrosé et la vanité d'un
avenir douteux.
Ce présent poétique est la reprise des instants écoulés par une présence qui
leur porte secours et en répond quel que soit leur poids de douleur et de
joie, de solitude ou de partage. La poésie transforme notre vie sinon en
destin en occasion de sens là où il y a le plus souvent folie qu'il ne faut
pour autant renier :
"Marcher c'est tracer des signes
Traverser des frontières
Délirer c'est sortir du sillon
Alors extravaguons »
Rappelle la poétesse. Elle nous invite à un strip-tease plus qu'intégral,
plus nu que nu :
« Dénudez-vous que l'on entende
Danser les os
Sur la musique du vent ».
Danse de vie et de mort, succession de jouissances et d'épreuves. Nous
vivons d'amour et d'eau fraîche, d'air et de lumière, de spectacles, d'amour
et d'abandon. Nous vivons de ces jouissances et de ces douleurs intimes,
intérieures, secrètes.
Nous sommes toujours à la frontière non seulement d'un qui nous sommes, d'un
qui nous devenons mais aussi du doute sur notre propre hypothèse sauf bien
sur si d'un corps à l'autre passe le rituel de vie qui fait que nous nous
sentons. Et quand l'autre corps se retire et que nous le sentons fondre, son
absence fait que nous ne vivons pas en songes de sable mais en « poissons de
sang ».
Il ne faut rien demander d'autre que ce surgissement entre jaillissement et
tsunami . Cathy Garcia nous apprend l'indépendance pour assurer la
transcendance de l'en face, de l'enfance. Son livre grave et joyeux se doit
d'être entendu comme une délivrance. Son érotisme dit l'indicible. Et c'est
par delà à un examen de conscience que la poétesse nous convie dans le jeu
du masculin et du féminin. Et si la première parole sortant d'un visage est
un « ne me fais pas de mal » c'est que la première propriété de l'animâle
est de faire le mal. Mais si l'on perçoit cela dans l'autre c'est que, femme
ou homme, le mâle nous habite également...
Jean-Paul Gavard-Perret
FAIRE CLAQUER LA LANGUE
Cathy Garcia-Canalès, « Eskhataï, Salines suivi de Mystica Perdita », Editions de l’Atlantique, coll. Phoibos, 82 pages, 18 euros.
Le livre de Cathy Garcia ne prétend pas mettre le grain de sel poétique pour aciduler l’émotion du lecteur. Elle ne lui fait pas plus miroiter la possibilité de trouver une réponse univoque et définitive à la question qui anime son livre. Son interrogation peut se résumer ainsi : « Et vous, vous savez ce qu’il en est de l’amour ? ». Et l’auteure en sait un maximum sur la question et celle, adjacente, de ses joies et de ses peines, de son brûlant et de ses glaciations. Elle s’en fait l’écho et trouve là un réservoir de sa création. Mais elle sait que si l’être dans l’amour est à la recherche d’un nouveau langage aucun grammairien ne sait quoi en dire vraiment. D’autant qu’un coup de dés jamais n’abolira son hasard. La poétesse se « contente » donc de montrer comment il bouleverse le temps, la vie et la poésie loin des images-clichés et des métaphores décolorées. Cathy Garcia ne manque pas d’audace et pour se soustraire au risque du mutisme et de l’aphasie elle cherche de nouveaux sons dans sa poésie. Bref elle fait claquer sa langue en sachant que le raclement aspiré du crachement fait aussi une belle consonance.
Par rapport aux modalités traditionnelles de la poésie Cathy Garcia contribue de manière déterminante au développement de la recherche d’un langage pluri-expressif aussi bien dans sa poésie que dans le passage d’une forme d’expression à une autre. En un contexte de massification elle remet en question la construction identitaire. Les textes qu’elle rassemble ici ose l’humour, la dérision, le corps comme ce que nous nommons faute de mieux l’âme. Tout chez elle est une affaire de « ponts » capables de suggérer les sources de jouissance ou d’accablement ou des deux à la fois. Il y a donc dans ce livre un mouvement dialectique dont l’écriture est la caisse de résonance. La culture populaire et l’expérimentation s’y croisent. Elles donnent lieu à des hybridations pour le moins étonnantes dans le tangage et certains excès capables de produire une unité et une dissémination. Se croisent et s’entrecroisent des harmonies et des désharmonies rythmées par différents éléments. Tout dans ce texte fait la navette entre diverses frontières afin que les idées toute faites craquent.
Jean-Paul Gavard-Perret
ET CATHY GARCIA CREA LA FEMME
Cathy Garcia-Canalès, « Eskhataï, Salines suivi de Mystica Perdita », Editions de l’Atlantique, coll. Phoibos, 82 pages, 18 euros.
Les poèmes de Cathy Garcia tourne autour d’elle-même mais sans la moindre effusion de l’égo. Saurons-nous tout d’elle ? Non sans doute. Mais sa silhouette féminine est mise à nu comme de l'intérieur dans un mouvement poétique rappelant parfois des "glissements" à la Bacon par des effets de déchirures qui ramène l’être à sa douleur, à sa solitude.
Par sa voix de fantômes, par ses belles épaules Cathy Garcia permet de faire jaillir de la masse brute de la vie l’écume des sensations et des émotions. On est « dans » la femme plus qu’autour par la présence de sa poésie tellurique puisque passé par le baptême du feu.
Cathy Garcia sait qu’il n’y a pas d’avènement de la poésie sans un certain sens du rite de la fusion. Mais aussi à ce sur quoi cette fusion butte : l’immobilisation du désir et son achèvement chez l’un qui entraîne l’inachèvement chez l’autre. Mais de ce dernier émerge aussi le langage poétique. C’est sans doute pourquoi chez la poétesse la nudité n’est jamais scabreuse et ne contient rien de frelaté. Loin d’une pathologie sentimentale elle offre une sensation vitale. Même lorsque celle-ci s’affaisse sous le poids de la vie des émotions plus complexes.
Le lecteur est soumis à un régime qui oscille entre le plaisir et la douleur par effet de miroir. La poésie devient un lieu sobrement lyrique d’épaississement autant que d’éclaircissement Chaque texte en sa concentration comme en ses élancements produit un renversement : ce qui est matière perd en densité, ce qui est de l'ordre de l'impalpable devient matière. On est là aux sources du langage : la forme décompose le monde pour le recomposer autrement et dans l’espoir de la chimérique expatriation du feu intérieur.
Sans aucun didactisme mais avec un sens du plaisir il n'est plus question de psychologisme mais de séries de transferts afin que chaque être comprenne que la femme est le "rempart de l'avenir" dont parlait Kandinsky mais qui terrorise le mâle. Le poésie redevient un processus actif capable de laisser naître les sensations les plus diverses.
Cathy Garcia ne met pas son travail au service d'une idée, d'un projet conçu préalablement à l'oeuvre. Il n'y a pas à proprement parler chez elle de plan de création, si ce n'est l’appel à la liberté de la sensation et de l’imaginaire au sein de l'étreinte nécessaire de la vie. De la sorte l’oeuvre acquiert une vibration spirituelle mais tout autant charnelle et quasi tactile. Il ne s'agit plus de la mettre au service de quelque chose. Il ne s'agit pas non plus de lui attribuer une simple grille de lecture symbolique. La forme poétique se génère par elle-même à travers la force "intérieure" dont témoigne la créatrice. En parfaite liberté elle métamorphose le monde dans une vision aussi ironique que douce, empreint de larmes et de volupté. Il y a là des rires et des soupirs. Dans les « sonorités » de sa poésie Cathy Garcia les fait « entendre ».
Jean-Paul Gavard-Perret
15:36 Publié dans CG 2010 - ESKHATIAÏ (Ed de L'Atlantique) | Lien permanent | Commentaires (0)
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