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03/07/2010

De l’absence des poètes… par JM Bongiraud

Source : http://parterreverbal.unblog.fr/de-labscence-des-poetes/#comment-275

 

L’humanité s’est construite lentement, elle a poursuivi son chemin entre espoir et crainte ; de l’étape primaire où l’homme était terrifié par les éléments naturels, en passant, pour ce qui concerne le monde occidental, par le miracle philosophique grec, l’apogée romaine, le souffle de la « Renaissance », et la révélation des Lumières, pour finir par s’éteindre et se désagréger sous l’accélération irrationnelle de la technologie. Il est faux de croire que les choses allaient « naturellement », qu’il en fut toujours ainsi. L'humanité a connu des soubresauts, des reculs pour sans doute mieux avancer tant que l'homme demeurait le complice, voire l'enfant, au sens de l'être, produit organique de la nature. Il construisait son monde parfois en lutte contre les éléments, tout en respectant l’harmonie existante.  Mais le monde, depuis plusieurs décennies, est en « mue » perpétuelle, tous les liens qui existaient avec son environnement cèdent de plus en plus rapidement, et pour l'avoir déjà écrit, ces liens  universels mettent en danger la terre entière. Il ne peut donc poursuivre dans cette voie sans que nul ne puisse y trouver à redire. Le symptôme le plus alarmant de notre époque est cette coupable attitude des politiques et de ceux qui les soutiennent. De croire également que l’homme pris comme individu n’y est pour rien est tout aussi hypocrite. On peut toutefois s'interroger sur les possibilités de sursaut, de résistance, voire de révolte qui nous habite, quant on sait que l’autorité est entre les mains de « démocrates » inconstants et soudoyés, et que le pouvoir dans celles d’hommes invisibles dispersés aux quatre coins de la planète, s’abritant en haut de leurs buildings derrière des vitres teintées ! Face au quidam, tentant d’une voix éraillée de crier son désarroi, il n’y a plus rien, qu’une souffrance plus ou moins visible, latente, une résignation d’esclave, une chair, un visage, un esprit qui se désagrège dans ce milieu où l’absence, l’absence de réponse, l’absence de présence, l’absence de vie est outrageusement entretenue par ces esprits invisibles. Ils sont devenus les dieux de notre Olympe moderne que l’on ne voit pas mais qui disposent des êtres d’une manière si concrète que leurs excès leur sont d'avance pardonnés par l'abominable et subtile pression médiatique !

 

L'humanité par de grands esprits est parvenue plus ou moins à contrôler sa fougue, sa frénésie. Ces génies, puisque leur talent dépasse la mesure commune des autres hommes,  lui ont fait découvrir son corps, son esprit, ses relations au cœur de ses membres, sa nécessité de vivre en accord avec la nature. Ils ont enseigné la vie en société, l'influence des astres sur la terre… certains ont tenté de par leur raisonnement de montrer une voie politique nouvelle, anarchiste, communiste… périlleuse certes, mais dont l'accomplissement est porteur d'espérance. L'immense orgueil humain gâche ces entreprises. Si l'on faisait la somme de tous les écrits de ces philosophes, poètes, des tableaux de ces peintres, chacun serait effaré de cette gigantesque entreprise élaborée au cours des siècles, non pas fabriquée pour uniquement témoigner de l'humanité, mais pour appeler l'homme à la vigilance, à la réflexion, à la décence. Aujourd'hui encore on peut les lire, les voir, les entendre, et j'en rencontre, j'en croise de ces êtres fraternels. Leur pensée, imprégnée de leur propre souffrance, organisée autour de leur lucidité  face aux événements de l'histoire, tente d’ameuter, de rameuter la populace, persuadée qu’elle est que ces êtres invisibles sont les garants de leur avenir ! Je les entends, je les lis, je les écoute, ceux qui sont déjà passés, ceux qui passent. Car autant que le présent, le passé ne doit pas nous échapper comme cela se passe actuellement. Ces femmes, ces hommes sont philosophes, sociologues, chercheurs… ils ne sont pas poètes.

 

Les poètes existent, tout au moins ceux qui croient porter ce qualificatif. Ils sont nombreux à utiliser les pages des revues, à disserter autour d’une table sur le malheur poétique, de l’absence de visibilité du phénomène poétique, à chercher tel ou tel éditeur qui leur permettra de poser leur œuvre sur le catalogue des anthologies post-mortem, de s’exposer sur le monde Internet… Mais qu’écrivent-ils, que disent-ils, qu’attendent-ils de l’humanité et que veulent-ils pour elle ? J’essaie d’en lire, j’en lis, et quand ils ne s’exercent pas à quelque nouveauté stylistique, à s’ingénier à l’ornementation enfantine de leurs poèmes, à claudiquer avec leurs mots, à s’épancher sur leur vie avec un sentimentalisme naïf, voire à raturer le réel par quelque artifice, ils se trompent en voulant nous faire croire au pouvoir poétique, à son indicible phénomène, à sa présence ou à son absence, ce qui est un peu la même chose. Et ils égrènent leur moi philosophique, en badaud de leur propre esprit. Mais ils ne sont guère nombreux voire pas du tout à entendre le monde souffrir autour d’eux, à avoir senti que la poésie réclame l’inconfort, qu’elle est objet de lutte, qu’elle est non seulement l’engagement de l’esprit, mais celui du corps, et qu’elle ne peut s’adjoindre la nature en tant que « faire-valoir » quand celle-ci est déchiquetée, et qu’elle ne peut s’acoquiner au libéralisme quand celui-ci oppresse les plus démunis. Elle doit se faire le témoin de la médiocrité de la société, de sa déchéance culturelle. Elle doit être, non plus le lit dans lequel le professeur va se complaire et l'élève s'endormir, mais le brasier dans lequel le monde sentira son corps se révolter contre l'insupportable et stupide consensus actuel. Alors ces poètes présents qui se meuvent douillettement dans les draps des deniers publics, en résidence ici, en colloque là-bas, peuvent-ils rendre compte de cette apocalyptique existence qui est celle de millions de terriens ? Vivre dans ce conformisme ne peut engendrer ni révolte ni rébellion ! Et si je reconnais autant de misère dans la poésie qu’il en existe dans la musique ou la peinture, le nombre imposant de ces pseudo-artistes ne fait pas la grandeur de l’un ou de l’autre ! Les « assis » ne sont plus les bourgeois mais les poètes déguisés sous leurs avatars métaphoriques. La poésie n’a jamais pesé très lourd, et ce n’est pas parce que quelques-uns sont morts poètes en des temps obscurs, qu’aujourd’hui elle est parvenue à se frayer une quelconque reconnaissance : j’en vois tant de médiocres poètes, d’insignifiants poètes, d’ignares poètes qui parcourent les rues, les boutiques, les prix, les salons, les écoles pour comprendre que la poésie est à mille lieux de sa vérité. La poésie ne vaut plus rien, à l’instar d’autres arts, que l’on voit rabaissés au rang de l’exotisme culturel, et elle est encore moins considérée qu'une fleur en voie de disparition que l'on protège par décret ! Mais l'une fait peut-être plus que l'autre pour l'humanité ? Comprendre une œuvre, ressentir une peinture, être émotionné par une musique, au sens de leur témoignage passé, présent et futur, c’est faire un effort incessant et sans cesse renouvelé. Mais c’est faire figure de marginal, d’incompétent, de jaloux en ne voyant pas dans le dernier album de tel chanteur, dans la dernière toile ingrate de tel barbouilleur, dans le pénultième livre de tel journaliste-vedette, la magnificence de l’art alors que tout ceci n'est que le produit d’une sous-culture que l'on badigeonne ou saupoudre de modernité. Il est temps de réaffirmer que c'est loin de la fureur, du bruit que les oeuvres se forment et que rien n'est plus moderne que ce qui n'est pas encore ! Comment ces « pseudo-artistes » ne peuvent-ils pas voir la manipulation dont ils sont l’objet ? Mais peut-être aussi en approuvent-ils la manière ? Ou tout simplement aiment-ils la fange douillette du capitalisme ?

 

Mais il n’est pas dans mon intention de prôner un élitisme, tout aussi idiot et sans avenir que cette puérile culture remisée au rang d'objet de consommation, mais au contraire de tendre l’art, dans toute sa plénitude historique et présente, à ceux à qui on le masque. Nul n’est trop sot, ou trop bête, ou insuffisamment instruit pour partager, découvrir, comprendre l’art. Il ne lui manque que l’éducation, la vérité historique, le fil reliant l’art siècle après siècle et qui, en définitive, le relie à lui-même. Ceci n’est pas de la subjectivité, comme le laisse croire les imbéciles qui font figure de référence dans certains domaines, c'est en oublier la réalité du monde. On ne peut mieux préparer l’avenir qu’en comprenant, apprenant, tissant des liens avec le passé. Nulle œuvre poétique actuelle ne me rassure, pas même celle dont on vante les mérites, qu'elle soit naissante ou presque accomplie ! La réalité du monde les dépasse.

 

On ne saurait donc vivre aujourd’hui en écrivant de la poésie au coin d’un feu, alors que les mots perdent leur équilibre et leur richesse dans cet univers compacté, que la médiocrité remplace la modestie, que la fanfare arpente les rues au son des « vive l'argent » ! On est, on a toujours vécu au milieu de l’âtre, mais pour que l'humanité ne s'y brûle pas, ni ne s’y perde, la poésie doit être autant le souffle sur la braise que l'outre sur les flammes.

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