Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

05/11/2010

Édito de Traction Brabant n°37 - Patrice Maltaverne

J’ai eu à vivre une géniale expérience il y a quelque temps. Je devais lire de la poésie dans un bar mais comme j’ignorais ce que les gens attendaient de moi, j’ai dû me reprendre à plusieurs fois avant de pouvoir remplir ma mission.

La première fois, je me préparai à donf, révisais mes classiques, et plus particulièrement Baudelaire, pour une conférence qui devait durer la demi-heure. Mais, parvenu à la moitié de mon laïus, je me rendis compte que le people s’emmerdait grave, malgré la beauté des petites proses du père Charles, vu que les clients faisaient plus de bruit qu’un nid d’abeilles délogé en plein midi. Du coup, je me suis dit, merde, Baudelaire, ça a pris un sacré coup de vieux et je laissai tomber alors le 19e siècle.

La fois suivante, je modernisai la chose. Plus de présentation longue et fastidieuse. Avec Desnos, j’entrai au cœur du sujet. Il s’agit d’un poète lyrique, et qui est allé jusqu’au bout de son engagement. Ça, je me suis dit, ça va les faire rêver. Je résumai donc la vie de l’auteur en cinq minutes. Hélas, lorsque un mec de 1,90 m fit mine de me renverser sa bière sur la tête, je dus convenir que Desnos devait être également démodé.

La troisième fois, je présentai rien du tout, puisque ça fait prof et que ça emmerde tout le monde. Je ne dis plus que les noms et n’hésitai pas à couper les poèmes de plus de dix vers. Las ! Au bout de dix minutes, les clients s’esclaffèrent en me conseillant d’aller me coucher.

Je commençais à douter de l’intérêt de la poésie, quand soudain, j’eus une illumination : il n’y a pas que la poésie dans la vie, il y a aussi la performance !

La quatrième fois, donc, je gueulais des bribes de poèmes. Pour ce faire, je pris le n°4 de Traction-brabant que j’avais préalablement découpé en morceaux. J’en semais des bouts partout autour de moi, j’éructais, je smurfais dans le bar et finis par me crocheter la jambe avec un pied de chaise. Hélas, sitôt relevé, les nanamecs me dirent que j’étais un vilain prétentieux et je dus balayer les confettis jusqu’à minuit.

La cinquième fois, en fin de période probatoire, j’étais déjà tellement bourré quand j’entrai dans le bar que je ne pus prononcer une seule parole et me mis à tourner comme une toupie, avant d’atterrir au comptoir et là, les autres me reconnurent comme l’un des leurs. J’étais enfin tombé dans la prestation culturelle. Pas difficile et très difficile à la fois puisqu’il s’agissait surtout de croire en son rôle de bouffon.

Il est vrai que les gens les mieux payés de la planète ne font que ça.

 

 

P.M.

 

 

 

 



Les commentaires sont fermés.