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02/06/2011

Les dizaines de millions de morts d'Adam Smith

Source : http://comite-de-salut-public.blogspot.com/2011/04/les-dizaines-de-millions-de-morts-dadam.html

 
"Presque sans exception, les historiens modernes qui écrivent sur le XIXe siècle dans le monde d’un point de vue euro-américain ignorent les sécheresses exceptionnelles et les grandes famines qui ont alors frappé ce que nous appelons aujourd’hui le « tiers-monde ». (...)

[Or], non seulement des dizaines de millions de paysans pauvres sont morts de façon atroce, mais ils sont morts dans des conditions et pour des raisons qui contredisent largement l’interprétation conventionnelle de l’histoire économique de ce siècle. Ainsi, par exemple, comment expliquer le fait qu’au cours du même demi-siècle qui a vu la famine en temps de paix disparaître d’Europe occidentale, elle se soit propagée de façon aussi dévastatrice à travers le monde colonial tout entier ? De même, comment considérer les déclarations autosatisfaites sur les effets bénéfiques et salvateurs des chemins de fer et des marchés céréaliers modernes quand on sait que des millions de gens, en particulier dans l’Inde britannique, ont rendu leur dernier soupir le long des voies ferrées et aux portes des entrepôts de céréales ? Et, dans le cas de la Chine, comment expliquer le déclin impressionnant de la capacité d’intervention de l’Etat en faveur des populations, notamment en matière de prévention des famines, qui semble être étroitement associé à l’« ouverture » forcée de l’empire à la modernité imposée par les Britanniques et les autres puissances coloniales ?

En d’autres termes, il ne s’agit pas de « terres de famine » échouées dans les eaux stagnantes de l’histoire mondiale, mais du sort de l’humanité tropicale au moment précis (1870-1914) où sa force de travail et ses ressources sont absorbées par la dynamique d’une économie-monde centrée sur Londres . Ces millions de morts n’étaient pas étrangers au « système du monde moderne », mais se trouvaient en plein processus d’incorporation à ses structures économiques et politiques. Leur fin tragique a eu lieu en plein âge d’or du capitalisme libéral ; en fait, on peut même dire de nombre d’entre eux qu’ils furent les victimes mortelles de l’application littéralement théologique des principes sacrés d’Adam Smith, de Jeremy Bentham et de John Stuart Mill. Et pourtant, le seul historien économique du XXe siècle qui semble avoir bien saisi que les grandes famines victoriennes (au moins dans le cas de l’Inde) étaient des chapitres incontournables de l’histoire de la modernité capitaliste fut Karl Polanyi, dans son ouvrage de 1944, La Grande Transformation. « La source réelle des famines des cinquante dernières années, écrivait-il, est le marché libre des céréales, combiné à un manque local de revenus. » (...)

« La mort de millions de gens » était en définitive un choix politique : l’avènement de telles hécatombes exigeait (pour reprendre la formule sarcastique de Brecht) « une manière brillante d’organiser la famine ». Les victimes devaient être déjà complètement vaincues longtemps avant leur lente déchéance et leur retour à la poussière"

"Adam Smith, un siècle plus tôt, avait affirmé dans La richesse des nation (à propos de la terrible famine bengalie de 1770, provoquée par une sécheresse) que " la famine n'est jamais due à une autre cause qu'à la violence du gouvernement quand il essaie de remédier, par des moyens impropres, aux inconvénients d'une disette". Les injonctions de Smith à l'encontre de toute tentative de réguler le prix des céréales pendant les famines faisaient partie depuis des années de l'enseignement prodigué au fameux collège de la Compagnie des Indes Orientales".
Mike Davis, Génocides tropicaux (Ed. La Découverte)
Passionnante lecture en cours, dont je reparlerai régulièrement ici au fur et à mesure de ma progression. Mais déjà, les bases sont posées : on glose sans cesse sur les milliards de morts du stalinisme pour tenter de faire oublier les dégâts objectifs de l'économie de marché et ce depuis des siècles. 
Sans doute qu'on ne peut, tout de même, pas accuser le capitalisme de déclencher les sécheresses et les inondations bibliques qui ont ravagé L'Inde, le Brésil, la Chine et l'Afrique de la fin du XIXème siècle ; il n'empêche que ce sont des millions, des dizaines de millions de paysans pauvres qui auraient pu être sauvés d'une fin atroce si les autorités coloniales avaient accepté d'encadrer les prix des céréales et d'entraver la spéculation. Elles n'en ont évidemment rien fait et leur refus catégorique de, même pas interrompre, mais au moins tempérer quelque temps le pillage du Sud a conduit à la catastrophe planétaire dans ce qu'on appellera plus tard le "Tiers-Monde".
Plus d'un siècle plus tard, ils n'ont d'ailleurs ni changé d'idéologie, ni de manière de faire. Pour des résultats absolument similaires et les quelques défenseurs de cette secte ici égarés iront demander au milliard de personnes en sous-nutrition ce qu'elles en pensent exactement.
Ils pourront faire et dire ce qu'il veulent : le capitalisme est l'organisation consciente de l'injustice et de la destruction. Il faudra qu'ils vivent avec cette vérité.
Concurrence libre et non faussée

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