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10/01/2012

Yukio Hayakawa : le courage contre la censure de Fukushima

 

Source : http://kibo-promesse.org/2012/01/yukio-hayakawa/

Séismes, radioactivité, contamination…une situation explosive

Depuis le début de la crise de Fukushima, de nombreux scientifiques, spécialisés dans le nucléaire ou non, se sont positionnés quant à l’attitude à avoir face à la catastrophe et ses conséquences. Après presque 10 mois depuis le début des tragiques évènements nous pouvons le dire : la gestion de la crise tant par tepco que par le gouvernement japonais a été aussi catastrophique que la situation elle-même : la désinformation, la censure, les camouflages et mensonges ne sont plus à prouver. Qu’ils soient japonais ou étrangers, avec le gouvernement ou avec les victimes, la tension permanente concernant cette situation est palpable sur le plan mondial, car suscitant systématiquement polémiques, approbations ou consternement. On a beaucoup entendu parler des déclarations de scientifiques ou de politiques de l’archipel sur la situation sanitaire, parfois irréalistes et pleine de déni. En France aussi, nous avons eu droit à ceux qui minimisent Fukushima. La confiance des japonais mais aussi des citoyens du monde s’est retrouvée fissurée face à la malhonnêteté et à l’irresponsabilité des dirigeants qui n’ont, après tant de temps toujours pas pris la peine d’évacuer la population dans les zones les plus menacée dans le tôhoku, et, pire encore on parle de la levée du périmètre de la zone d’exclusion des 20-30 Km à Fukushima. Dans ce contexte effarant d’absurdité, notre attention s’est portée sur l’un de ceux qui a choisi d’aller à contre-courant de ces tendances. C’est en soutenant les victimes et futures victimes en diffusant des informations utiles, et en essayant de faire prendre conscience aux japonais de la gravité de la situation qu’il s’est fait remarquer : cet homme, c’est Yukio Hayakawa.

 

Hayakawa : auteur d’une carte de contamination du cesium plus précise que celle du gouvernement japonais

Yukio Hayakawa, un conférencier universitaire engagé

En effet, ce professeur de l’université de Gunma, située à quelques kilomètres au nord-ouest de Tokyo, a décidé d’aller totalement contre le courant actuel déniant les événements, et d’informer les gens par différents moyens. Volcanologue et expert en géologie à la base, il a créé quelques mois après la catastrophe de Fukushima une carte indiquant les foyers de radioactivité dans le pays.

 

Comparatif avec la carte du gouvernement japonais

Carte du gouvernement face à celle d'HakayamaComparatif des deux cartes. A gauche, celle du professeur.

 

La carte en question, bien plus inquiétante que celle diffusée par le gouvernement, affiche des zones de radioactivité là où l’état n’a parfois rien signalé. Ici, c’est un parallelle entre celle de Hayakawa et celle du gouvernement, donc certaines parties ne sont pas visibles.

La carte complète du gouvernement peut etre trouvée à sur le site du ministère japonais. Sur ce site, on peut voir sur la carte des régions entières qui ne sont pas couvertes parce que soit-disant « trop éloignées », alors que les radiations ne se sont de toute évidence pas arrêtées à une ligne précise. En réalité, elles se diffusent en tâches de léopard. Sur cette même carte il est écrit que les taux de radiations naturels sont compris dans les relevés, signifiant que la majorité du plan distribuée par le gouvernement indique un danger presque nul, à part pour les alentours immédiats de Fukushima.

La carte du professeur a finalement obtenu une certaine renommée grâce à sa fiabilité ainsi qu’aux mises à jour qui y sont régulièrement faites.

 

Yukio Hayakawa, provocateur mais stratège

Le buzz qui renverse les japonais sur twitter

Mais le professeur Hayakawa n’avait pas fini de faire parler de lui. Plus récemment, il a publié sur son Twitter une phrase dure et sans détours :

« Ne cultivez pas les champs dans la zone contaminée de Fukushima. Si vous le faites, vous empoisonnez les consommateurs. Vous êtes comme les gens qui ont essayé de tuer des citoyens avec du sarin. »

Dans ces phrases, il compare les agriculteurs de Fukushima aux terroristes de la secte AUM, qui avaient tué et blessé de nombreux japonais en diffusant du gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995…

Fujisan mécontent, le logo du Twitter de Hayakawa

 

Un buzz stratégique pour diffuser l’information

Mais ce message n’était pas juste une provocation gratuite. Dans un pays où tout le monde évite à tout prix l’offense en s’exprimant à son prochain, en une période où le silence et la dissimulation règnent, il a compris qu’il fallait se manifester de manière directe pour faire réagir les gens. Défi réussi : il a généré un buzz allant même au-delà des frontières du Japon.

Il a permis la diffusion du danger des radiations quitte à aller à l’encontre des informations officielles, et à ses risques et périls.

L’information se propageant, certains individus scandalisés ont adressé une plainte à l’université de Gunma et il a reçu un avertissement officiel du président de son université :

« Nous sommes une université nationale soutenue par l’argent de l’état. Toutefois, les commentaires du prof. Hayakawa sur internet ont blessé la population et les fermiers de Fukushima. Il est interdit pour ses employés de salir le nom de l’université de Gunma. Nous comptons sur vous pour vous retenir sur internet. Si vous continuez ce genre de discours inapproprié, nous prendrons contre vous les mesures disciplinaires nécessaires. »

 

Face à la vérité, la répression

La loi du silence et les techniques de pression sociale : Hayakawa menacé par la faculté

 

 

Hayakawa en a témoigné sur son compte twitter. Cette lettre marque une prise de position définitive pour l’état autant que pour Hayakawa : c’est une menace claire de la part de certains officiels dirigée vers tout ceux qui voudraient trop parler de Fukushima et des dangers liés. En conséquence, de nombreux japonais soutiennent l’action du prof, tandis que l’université cherche à limiter son influence.

Par la suite, à une conférence de presse, alors qu’il tentait de s’expliquer sur tous les tenants et aboutissants de cette histoire en faisant face aux journalistes dans son propre bureau au sein des locaux de la faculté, Hayakawa s’est vu refuser le droit d’utiliser l’électricité du lieu « pour des affaires personnelles ».

« Absurde » dira l’un des journalistes qui ne bougera pas d’un iota, bien qu’étant prié de quitter les lieux par le responsable de l’université. Hayakawa, agacé mais déterminé à faire cette conférence coûte que coûte, finira celle-ci sans lumière et sans courant électrique, dans le noir!

Les journalistes présents n’ont pas compris les raisons de l’acharnement de la faculté à refuser de donner l’autorisation de faire cette interview, le laboratoire étant à l’écart des universitaires, et la réunion ne dérangeant personne. Le responsable de la faculté a finit par demander les pièces d’identités de tous les journalistes présents, avant de quitter la salle.

Etaient présents: Tokyo Shinbun, Kyodo News, Yomiuri, TBS, and IWJ ( le journaliste Yasumi Iwakami)
.

Hayakawa pendant la conférence.

 La conférence de presse de Hayakawa

 

On ne peut qu’imaginer que ce genre d’ostracisme va continuer envers lui, mais en s’affichant aussi clairement aux yeux du gouvernement et de TEPCO avec courage, il ne pouvait que s’attendre à de tels retours. On peut se demander de qui a émané la plainte pour que Hayakawa se fasse si durement exclure dans un lieu comme l’université, où la recherche, l’apprentissage, l’accès au savoir, et la liberté d’expression devraient normalement laisser place à de la tolérance et à la communication.

Au lieu de tout cela, c’est la liberté d’expression qui est bafouée en plein coeur de l’université de Gunma. Qu’en auraient pensé les élèves du professeur?

 

L’opposition citoyenne au déni de réalité : affaire à suivre

Soutien des internautes et hashtag solidaire

Par ses actions, le nom de Hayakawa Yukio est maintenant connu hors des frontières du Japon même dans des milieux non spécialisés. Le blog du professeur Hayakawa connaît une fréquentation croissante depuis qu’il est au centre d’une telle polémique. Son Twitter est de plus en plus suivi, un mouvement de sympathisants ont  même lancé massivement sur twitter le hashtag #save_hayakawa pour lui venir en soutien dès les premières difficultés qu’il a pu rencontrer.

 

save_hayakawaDes tweets de soutien au professeur

 

La prise de conscience s’étend chez les japonais

De nombreux japonais comptent à présent sur le professeur Hayakawa pour mettre à jour des cartes détaillées résultant de sa veille, et ont compris qu’ils ne pouvaient être indifférent envers le lynchage d’un homme qui, certes s’est montré provoquant mais qui a aidé à sa façon le peuple japonais, en tentant de les défendre contre les dangers de la radioactivité : Hayakawa se positionne clairement contre la commercialisation de nourritures contaminées, contre leurs productions initiales et pour un contrôle systématique de toute la chaîne alimentaire.

Qui peut lui en vouloir de l’exiger? Force est de constater que sans l’intervention de citoyens concernés comme lui, plus encore de population se retrouverait à avoir dans les assiettes, des produits contaminés par la radioactivité.

Certains internautes japonais ont aussi assez de tolérance et de sens de l’humour pour faire la part des choses, pour ne pas s’offusquer des déclarations de Hayakawa. Beaucoup semblent avoir compris le but majeur de l’acidité verbale du professeur : aider ses concitoyens à communiquer entre eux et sur la situation post-accident nucléaire, cesser le déni, entamer une prise de conscience sur la catastrophe.

Il est clair que les personnes parmi le gouvernement et TEPCO cherchant à minimiser et à cacher la situation ne seront pas de cet avis et feront tout pour entraver la liberté d’expression des individus comme Hayakawa.

La plus grande difficulté actuelle consiste à encourager, provoquer l’éveil des japonais face à la réalité. Car tous les citoyens japonais ont à présent la responsabilité d’agir pour leurs droits à la vie et à la santé.

Cependant des contraintes existent : comment des populations ignorants tout des dangers de la  radioactivité pourraient-ils avoir le moyen de faire la part des choses, ni même faire la distinction entre un scientifique disant que la radioactivité n’est pas dangereuse et un autre disant l’inverse?  Ce sont souvent les plus concernés qui nient l’importance du danger car ils préfèrent écouter l’option qui rassure psychologiquement, même si celle-ci s’avère être totalement mensongère.

 

Les précisions que la carte de contamination radioactive de Hayakawa fournit à ces concitoyens et ses déclarations cyniques et souvent brutales sur le réel danger de la radioactivité , donnent l’impulsion pour faire réagir : peu à peu, certains prennent à leur tour la décision de s’impliquer, d’en parler plus ouvertement, d’accepter les faits. De nombreux japonais se sont ainsi rendu compte qu’il était question de vie ou de mort pour certains d’entre eux.

 

L’implication citoyenne in situ : un citoyen muni de la carte de contamination de Hayakawa s’aventure dans les rues de Tokyo avec son compteur geiger

 
Les efforts de Hayakawa portent leurs fruits : des gens cherchent à savoir les risques qu’ils encourent, comme on peut le voir dans cette vidéo :  un japonais teste les environs en comparant les données sur les niveaux de radioactivité déclaré par le gouvernement, muni de la carte de Hayakawa :  il obtient un taux  de 2,35 microsievert/ heure en face d’un des établissements utilisé par Tepco. Il découvre alors au bord de la route, un peu de sable qui semble provenir d’ailleurs et c’est à cet endroit précis que le niveau de radioactivité a été mesuré.

Filmé à Tokyo, ce sable radioactif pourrait provenir directement de Fukushima : en effet, il semblerait que TEPCO ait fait déplacer une partie des débris  dans la capitale pour qu’ils soient incinérés comme l’indique l’ article de Fukushima Diary sur les débris radioactifs arrivant de la préfecture d’Iwate.

 

Le combat pour la vérité continue…

A ce jour, le professeur Hayakawa twitte et poste chaque jour sans relâche. Certains le traîtent de fou, d’autres l’insultent ou le menacent sur la toile. Son courage et sa « grande gueule » lui ont valu plus d’ennuis que d’admiration. Mais il se refuse de s’avouer vaincu : rien ne peut l’arrêter. Il veut à tout prix sauver son pays. Désormais 40 041 abonnés japonais le suivent via twitter!…

 

Cependant, face à toute l’histoire qui entoure le professeur et son combat, une question fondamentale se pose:

pourquoi mettre autant de bâtons dans les roues à un individu agissant dans le seul objectif de préserver la sécurité de sa famille, ses amis et citoyens de son pays? La liberté d’expression, garante essentielle d’une démocratie sans faille est-elle à ce point menacée au Japon?

10:04 Publié dans NUCLEAIRE | Lien permanent | Commentaires (0)

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