09/02/2012
La Grèce, un cobaye pour «expérimenter le modèle de faillite contrôlée»
Nouveau plan de rigueur, nouvelles restrictions budgétaires, nouveaux sacrifices : la population grecque déjà au bord de l'asphyxie ne voit pas la fin de ce goulot d'étranglement. Car comment relancer la croissance si la population a à peine de quoi vivre ? Panagiotis Grigoriou n'en finit pas de dénoncer les décision politiques prises dans les hautes instances, et voit son pays comme le « premier cobaye dans le processus du démantèlement des règles démocratiques en Europe ».
Dimanche 5 février. De l'heure du laitier à celle du petit déjeuner, puis entre midi et jusqu'à l'heure du thé et bien ensuite, la Troïka et « nos gouvernants » négocient paraît-il. Réunions en cohorte. Ministres Papadémiens, chefs des partis Papadémiens, et enfin Papadémos lui-même en chair, en os et en agios, à un moment tardif de la soirée, rencontrant le patron du lobby bancaire européen (IIF) Charles Dallara et le représentant des créanciers, Jean Lemierre, conseiller de BNP Paribas.
A l'issue de sa réunion avec les trois chefs des partis, PASOK (P.S. grec), Nea Dimokratia (droite) et LAOS (extrême droite), le Premier Banquier-Ministre s'est empressé de déclarer à la presse qu'un premier accord sur quatre points semble acquis :
«[sur] des mesures [à prendre] afin de réduire les dépenses publiques de 1,5 % du PNB durant 2012, [sur]des garanties sur la pérennité des caisses de prévoyance et de retraite et [sur] le traitement du manque de compétitivité par des mesures adéquates, comme l'abaissement du coût salarial et non salarial, afin de de renforcer l'employabilité et l'activité économique. Enfin [nous allons prendre des mesures sur] la recapitalisation des banques, associée à des moyens permettant la promotion de l'intérêt général ainsi que celle de leur autonomie en tant qu'entreprises. »
Et la réunion avec les chefs des partis se poursuivra lundi. Et ce lundi dejà à 18h, les stations de métro les plus proches du Parlement seront fermées par prévention, ah les manifestants reviennent. Seulement, la chaîne allemande ARD a suggéré dimanche soir qu'a l'heure de la tisane, « une rencontre tenue secrète a eu lieux entre Lucas Papadémos et le patron de la première banque allemande Deutsche Bank, président en même temps de l'IIF, Joseph Ackerman », information pourtant aussitôt démentie par les autorités « grecques ».
Les chefs politiques du Mémorandum n'avaient pas bonne mine à la sortie de la réunion.
« J'ai sauvé le 13e mois, voire le 14e, la bataille était très rude » a déclaré Antonis Samaras, chef de la droite (N.D.).
« Je ne contribuerai pas à l'explosion révolutionnaire alimentée par la misère, [cette même explosion] qui par la suite brulera toute l'Europe » a dit Giorgos Karatzaferis (extrême droite) visiblement énervé.
Décidément, toutes les cultures ne se valent pas, à commencer par celle des banques !
Enfin, Giorgos Papandréou, apparemment n'a rien déclaré, et c'est mieux ainsi, sauf que « cet escroc politique, vient d'adresser une lettre à Papadémos, lui demandant à rester en place jusqu'au terme de la … législature, à savoir, 2013. »
Nuit blanche entre dimanche et lundi pour « nos » dirigeants de la dernière heure.
La culture des banques, une « culture de guerre »
Entre temps déjà dimanche soir, devant le « Parlement », des citoyens, pas très nombreux visiblement, ayant suivi l'appel se réclamant des Indignés sur Internet, ont voulu occuper le pavé, se heurtant aussitôt aux unités des MAT (CRS grecs). Et tous les partis de la gauche ainsi que les syndicats viennent de lancer un appel aux citoyens : Résistons, demain Lundi, et après demain mardi, tous dans la rue.
Résister c'est le mot juste. Car cette culture des banques est bel et bien une culture de guerre. Il n'y a que la grande presse « autorisée » en Europe qui emballe encore les « marmites » et autres obus des bancocrates, dans du papier cadeau, les désamorçant presque ainsi :
« La Grèce [est] à la recherche de l'union politique pour faire passer l'austérité. Impliqué dans deux négociations compliquées avec ses créanciers institutionnels et privés, Athènes demande aux partis politiques de s'engager à appliquer les impopulaires réformes d'austérité », note Le Monde.
A la télévision, bien de chez nous, autrement dit chez ces « grandes » chaînes appartenant aux nababs de la corruption, ces malheureux journalistes de service, s'émeuvent prétendument encore, comme dimanche soir sur la chaîne ANT1 :
«Qu'on en finisse, le peuple est exsangue, la classe politique est responsable de tout et de la trahison d'abord, mais trouvons au moins la solution, un accord, le moins pire possible, car ce que la Troïka nous demande est démentiel. Déjà toutes ces mesures depuis le premier Mémorandum nous ont mis dans un tel état de catastrophe, c'est un échec total, il ne faut pas continuer dans la même direction, il nous faut enfin une lueur d'espoir, reprendre même timidement, le chemin de la croissance. »
La « mise à mort » des politiciens rêvée par le peuple
Tout d'abord, évoquer « l'union politique demandée aux partis politiques » c'est faire acte de camouflage ou au mieux preuve de naïveté. Ces partis politiques ne représentent pas les citoyens. Il ne l'ont jamais fait, sauf que le clientélisme et la corruption d'en bas permettait à de nombreux Grecs une petite faveur et un salut provisoire, tel un petit poste ou la légalisation d'une construction illégale, un petit droit sur les miettes des fonds structurels européens.
Puis il y a la corruption d'en haut. Celle des bancocrates, qui sont les vrais tenants du royaume des cieux. Et au pays réel de Bruxelles ils sont rois. C'est ainsi que depuis plusieurs mois, affirme Aris Chatzistephanou dans l'hebdomadaire Epikaira, les preneurs d'image, les photographes et les arrangeurs des relations publiques des instances eurolandaises ont reçu la consigne officieuse de ne plus montrer Angela Merkel et Nicolas Sarkozy en train de s'entretenir avec les représentants du lobby des banques, du IIF notamment.
Car ces derniers, participent désormais et pleinement à toutes les négociations entre les chefs d'État et de gouvernement, leur dictant la politique à suivre. À chaque sommet ils sont là, et c'est pour sauver la face et surtout pérenniser la Grande Corruption, que le Conseil européen ainsi que le Parlement européen, font semblant d'exister comme si de rien n'était. Donc autant que cette question ne soit pas ouvertement abordée durant les campagnes « électorales » en France et bientôt en Allemagne, ces dernières n'ont strictement aucun sens. C'est pour cette raison précisément que si on laisse encore un peu de temps à ces lobbys, les « élections » seront supprimées tout simplement, c'est pour bientôt.
Dimanche soir à Athènes, ces mêmes représentants de la Troïka ont exigé à siéger au sein de la réunion entre Papadémos et les chefs des partis. Et encore une fois, pour sauver encore la même face, les hypopoliticiens grecs ont dit «non».
Chez nous pourtant nous ne sommes plus dupes. La réaction spontanée dans la rue et la première idée qu'elle nous passe par la tête vis à vis de ces politiciens ne fait plus dans la nuance : « A mort ! »
Mais même si nous revenons au petit jeux des élections évitant si possible l'anomie généralisée, eh bien, les résultats qui se profilent, semblent signer déjà, la mise à mort politique de ces formations.
Le PASOK (P.S. grec) par exemple, serait en phase de devenir le 5ème parti au Parlement, 120 de ses 153 députés devraient alors rentrer chez eux, pour peut-être mieux gérer (pour certains d'entre eux en tout cas) leur fortune, en partie acquise par les pots-de-vin versés par les grands corrupteurs banquiers, vendeurs d'armes ou de savonnettes, allemands, français et autres, et ensuite par leurs frères jumeaux locaux, moins cachotiers car plus balkaniques.
L'occupation de la Grèce par l'Allemagne
Voilà ou nous en sommes. D'où l'empressement de Giorgos Papandréou souhaitant le prolongement du « mandat » de Papadémos. L'homme politique le plus haï de la Grèce nous donne encore des conseils. Il est évident que ce personnel politique n'a rien à perdre, sinon tout.
Leurs cadres se font huer tous les jours, les ministres sont insultés à chaque occasion. Le dernier exemple date de dimanche avec deux d'entre eux appartenant à l'extrême droite, le premier à Trikala (Thessalie) et l'autre dans le Péloponnèse. Ainsi ces gens « décident » et « négocient » les détails de l'occupation dans laquelle se trouve notre baronnie, tandis que leurs formations politiques sont pratiquement des coquilles vides ou sinon au moins, toxiques.
La stratégie des journalistes de service, qui s'émeuvent prétendument du « peuple exsangue », s'inscrit dans le même cadre. Écran de fumée.
Non, le Mémorandum ne constitue pas un échec comme l'a suggéré encore récemment Angela Merkel, car son but est désormais clair : tenir tout un peuple sous l'anéantissement matériel et moral, de surcroit divisé, et ainsi en finir avant l'heure avec les révoltes en gestation.
Ce que les Papadémiens viennent de parapher est tout simplement la première occupation officielle des temps nouveaux en Europe. La « dette » deviendra « applicable law » suivant le droit anglais, les « évaluations » des agents de l'État s'effectueront par une structure française, et la collecte des impôts, la gestion en somme de l'État profond, sera en phase de transfert vers l'Allemagne, laquelle a déjà créé un Secrétariat d'État aux affaires grecques. Il s'agit du secrétaire d'Etat allemand à l'Emploi et aux Affaires sociales, Hans-Joachim Fuchtel, homme de confiance d'Angela Merkel, à la tête désormais de la « Conférence gréco-allemande » (fondée il y a 2 ans à Thessalonique et composée de représentants de collectivités locales) dans le but officiel, de débloquer des projets de développement bénéficiant de subventions européennes, en priorité dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures et du tourisme.
Notons que les Fondations des principaux partis allemands (Adenauer du CDU, Herbert du SPD, Naouman du FDP et Bell des Verts) contribueraient en ce sens aux études nécessaires à la préparation des dossiers, alors que le Consulat général d’Allemagne à Thessalonique serait le coordinateur des opérations, (voir la Revue hebdomadaire de la presse hellénique du nord du 3 au 9 décembre 2011). Eh oui, les temps changent !
En 1918, Salonique était sous les ordres du futur Maréchal Franchet d'Espèrey (ayant succédé aux généraux Sarrail et Guillaumat depuis 1916), faisons donc le pari qu'en 2016, Hans-Joachim Fuchtel ou ses successeurs feront alors la loi.
Si on y ajoute la Goldman Sachs et les divers autres oncles d'Amérique, on peut penser que c'est déjà acquis, la Grèce est une variante du cas de l'Irak, la première du genre en Europe.
Nous nous le disions ainsi encore ce matin autour d'un café simple pris dans une cafeteria publique au sein d'une administration, ce qui en soit est une mesure d'austérité après avoir déjà bu un café dans une salle normale vendredi et avant hier. D'ailleurs les cafés … civils sont moins pleins ! Donc nous savons.
Un cobaye entre les mains des puissants
«Ce qui se met en place les amis, c'est la tyrannie. Selon les envies des " créditeurs et des marchés ", mois après mois, il sera décidé combien de l'argent récolté par eux, sera attribué au remboursement de la dette et ce qu'il en restera seulement, servira à faire tourner nos écoles, nos hôpitaux, tout.
Tel mois tel hôpital fermera, tel autre mois les instituteurs ne recevront pas de solde ou sinon peu, donc je comprends, même ici en campagne nous allons constituer des stocks, spaghettis, les enfants les aiment bien, riz, huile et sel. »
Pavlos regardant les autres a aussitôt confirmé.
« J'ai déjà commencé, car vous savez, à part la pénurie, les pillages et la faim, je crains désormais la guerre. Je trouve très louche que la Troïka exige de ses sbires que le nombre des étudiants aux Académies Militaires soit réduit à hauteur de 70 %, dès la rentrée 2012, on peut supposer en plus que la Police soit également concernée, alors qu'en pensez vous ? »
Sakis, l'instituteur baisse la tête, le regard dans le vide.
« Je pensais pouvoir me contenter de mon salaire réduit, huit cent euros mensuels, mais je réalise qu'ils veulent nous virer carrément. Guerre ou pas, moi, ce que je sais, c'est que n'ayant jamais utilisé le piston pour une promotion ou une mutation par exemple, je partirai le premier. Je le vois venir. Déjà qu'à l'école c'est sauve qui peut. Tout le monde espionne tout le monde. Ma vie contre ta mort. Quelle solidarité et quels syndicats ? Des foutaises désormais, des foutaises je vous dis, salut, je m'en vais, au diable la Troïka et nous tous avec.
Je rentre chez moi, car mon frère vient de retrouver notre chat, égaré depuis hier midi à cause de la neige. Il était sorti pour faire ses besoins, mais il a été surpris par tant de changement. La neige et la Troïka c'est pareil, nous perdons nos repères, non ? Mon frère vient de m'envoyer un sms. Donc je préfère rentrer et m'occuper du chat, lui au moins il a été récupéré, malheur à nous, car nous sommes bien irrécupérables ...»
Sakis est parti, insistant devant le serveur. Il a réglé la note : un chocolat, deux cafés simples et un thé, le tout pour onze euros. Finalement peu après, nous nous sommes tous quittés.
« Au revoir les amis, à la prochaine, maintenant nous l'avons pigé, il faut sortir carrément de l'Union Européenne, ce truc est une vraie m**** ! »
Effectivement, la Troïka est en train d'expérimenter le modèle de la faillite contrôlée, pesant uniquement sur les épaules du peuple, c'est à dire un état de défaut, sans les conséquences attendues sur les « bailleurs », à savoir la cessation des paiements, l'esclavage en plus étant livré de série... mais sans ABS.
La Grèce est donc un laboratoire. Le Mémorandum, la bancocratie et la mise sous tutelle de son peuple par l'infantilisation orchestrée, en font le premier cobaye dans le processus du démantèlement des règles démocratiques en Europe, même si ces dernières étaient en somme assez boiteuses.
Ce processus est déjà accompli pour ce qui est des instances centrales de l'Union Européenne, et il s'appliquera donc progressivement aux nations, pays par pays. En dehors de cette problématique tout débat politique en Europe devient un leurre.
Comme les guerres « périphériques » en Irak ou en Libye. Car ces conflits étaient aussi des essais dans la gestion du profit dans l'installation du méta-capitalisme. Le profit désormais est celui procuré par l'effondrement des sociétés humaines.
Et pour en arriver là, il faut provoquer des crises alors graves, tantôt par le levier des « dettes souveraines », tantôt par les interventions directement armées. Mais on peut s'attendre également à la combinaison de ces deux techniques.
« Du chaos ils sortiront de l'argent », déclarait ainsi Naomi Klein dans les pages de l'Epikaira.
Panagiotis Grigoriou
Greek crisis - Blogueur associé | Mardi 7 Février 2012
Carnet de notes d'un anthropologue en Grèce : http://greekcrisisnow.blogspot.com/
21:32 Publié dans QUAND LA BÊTISE A LE POUVOIR | Lien permanent | Commentaires (0)
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