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10/04/2012

J'ai lu Mémoires du Serpent de Michel Host

Note parue sur :  http://www.lacauselitteraire.fr/memoires-du-serpent.html

 

Mémoires du serpent, Michel Host

Hemann éditeur, 2010, 170 pages, 22 €

Dans ces Mémoires du Serpent, on y entre et on y plonge même, avec un plaisir quasi enfantin, et il s’agit bien de cela, d’une fable fantaisiste et ludique, mais néanmoins pleine de fond et de sens. Ces Mémoires du Serpent ne sont rien de moins que la véritable histoire de la Genèse, narrée par celui qui en fut le maître d’œuvre, connu sous le nom de Satan et bien d’autres noms encore plus ou moins désobligeants, et à côté de laquelle la version de la Bible fait figure de mauvaise et lugubre plaisanterie.

« Pourquoi ne m’ont-ils pas reconnu, moi leur créateur, si visible, à leurs pieds parmi les herbes, dans les trous de la terre, ou sous leurs yeux dans les branches des arbres ? Mon nom est Heywa. Je suis l’envers et l’endroit, je suis la vie riante et belle, la vie sombre et laide, je suis le commencement et la fin, le serpent coloré qui aime à dérouler ses anneaux dans les ténèbres et dans la lumière ».

Edmund Orpington, professeur anglais fraîchement retraité, décide d’acquérir pour ses vieux jours un vieux château des Highlands, hanté comme il se doit (mais ceci est une autre histoire), le château de Deathstrike. Outre la population locale des plus accueillantes, il y fait la connaissance de la jeune et charmante Miss Ophélia Mac Callahan, qui deviendra sa nouvelle gouvernante. C’est elle qui conduira le professeur, lors d’une de leurs excursions, dans un souterrain oublié où ils découvriront, après quelques fouilles guidées par un mystérieux reptile, ces mémoires transcrites à cet endroit même par le moine Paphnuce, au XIe siècle. Miss Mac Callahan deviendra alors aussi une assistante à la traduction de ces textes rédigés en latin, non pas en anglais, mais en français, langue bien plus à-propos selon le professeur.

 

« Porter des santés à l’Écosse, à ses collines venteuses, à ses averses rafraichissantes, à ses brouillards impénétrables, à ses habitants valeureux… fit monter la chaleur ambiante de plusieurs degrés Celsius ».

Michel Host avec ce livre s’est fait plaisir et nous prenons tout autant le nôtre, bons vins, bonne chère, soutiennent nos deux traducteurs, et de là à passer aux plaisirs de chair, nous patienterons encore quelques chapitres… Un minimum pour aller au fond du sujet, si gentiment et joyeusement subversif (certains voudront peut-être dresser le bûcher ?).

Nous noterons qu’en cela, nos deux protagonistes et avec eux au moins une bonne partie de la population locale, voire de l’Écosse toute entière, sont les dignes créatures de leur créateur qui, après avoir inventé l’espace et mis le temps en marche, créa sa première œuvre incontournable : le premier bar du monde.

« je vis clairement que “cela était bon”, et cela l’était bel et bien : il fallait que nous nous désaltérions mes aides et moi, la tâche de créateur n’étant pas si simple et la chaleur paradisiaque s’avérant accablante ».

Un roman plein d’humour et de bonnes manières y compris envers les animaux.

On connaît Michel Host pour son amour de la langue et de la culture hispanique, aussi est-il surprenant de voir ce livre prendre place en Angleterre, mais il a eu donc vite fait de déménager en Écosse, et l’Écosse on le sait, n’est pas l’Angleterre. Il faut souligner que l’auteur règle subtilement ses comptes avec certaines manières anglo-saxonnes, avec la présentation de deux démons infréquentables pour leurs pairs, Time is money et My taylor is rich, qui, bannis pour tentative de corruption du couple originel pas même encore réveillé, s’en iront construire la City avant de se répandre plus tard Outre-Atlantique.

« Et dès qu’il leur prit la fantaisie de faire des enfants, j’envoyai ceux-ci plus loin encore, au-delà du grand océan, en un autre lieu qu’ils allaient nommer Wall Street, au bord du fleuve Hudson… Je l’avoue, mon ami, tout cela, qui fut plutôt mal inspiré, mis en œuvre de manière approximative, finira un jour selon le pire des scénarios. Inflation ! Récession ! Chômage ! Rhumatismes chez les banquiers ! Crise mondiale… ! Que sais-je encore ! »

Et nous nous régalons donc d’apprendre enfin la vérité sur l’histoire de nos commencements, mais petite critique, cependant, était-ce l’abondance de plus en plus rabelaisienne de mets et boissons ? Il semblerait que sur la fin, la traduction des Mémoires du Serpent soit un peu vite expédiée, afin sans doute de passer à la fête et au baptême, doux sacrilège, de deux chatons, personnages non négligeables de ce roman, devenus grands. De véritables bacchanales donc, qui devaient clore en beauté ce roman des plus pertinemment facétieux et si délicieusement épicurien.

 

Cathy Garcia

 

 

Michel Host.png Michel Host né en 1942, en Belgique, de parents français, vit actuellement entre Paris et un village de Bourgogne. A enseigné avec un immense plaisir la langue et la littérature espagnoles, successivement à des lycéens, des étudiants et des agrégatifs. A toujours écrit et aussi traduit de l’espagnol et du portugais. A publié des poèmes : Déterrages / Villes (Dumerchez, 1997) ; Graines de pages (Eboris, Genève, 1999) ; Alentours (L’Escampette, 2001), Poème d’Hiroshima (Rhubarbe, 2006). Figuration de l’Amante (Poèmes, Ed. de l’Atlantique, 2010).Des romans chez Grasset : L’Ombre, le fleuve, l’été (1983, prix Robert Walser), Valet de nuit (1986, prix Goncourt)… chez Fayard : Converso ou la fuite au Mexique (2002), Zone blanche (2004)… Des nouvelles : Les Cercles d’or  (Grasset, 1989), Heureux mortels (Grand prix S.G.D.L. de la nouvelle, Fayard, 2003)… etc. L’Amazone boréale (nouvelles, Ed. Luc Pire, Bruxelles, 2008). A traduit de Luis de Góngora : Les Sonnets (Dumerchez, 2002), la Fable de Polyphème et Galatée (L’Escampette, 2006), d’Aristophane, Lysistrata, (Ed. Mille & Une Nuits, 2009),3O Poèmes d’amour de la tradition Mozarabe d’al-Andalus (Ed.de l’Escampette, 2010), de Jorge Manrique, Coplas por la muerte de su padre (Ed. de l’Atlantique -Collection Hermès 2011).« La poésie m’est langue fondamentale, surgissement et violence, parfois traduisibles dans la langue maternelle. Son haut voltage n’est tolérable que par intermittence. Selon ma pratique, elle peut informer le roman, voire la nouvelle. » Direction d’ateliers d’écriture durant plusieurs années en milieux scolaires difficiles, professionnels et étudiants, au Blanc-Mesnil, à Bobigny, Nanterre, Cherbourg, Paris, et aujourd’hui à Muret. « Je suis né à la littérature et à la langue française dans l’exploration des poètes et penseurs de la Renaissance (Marot, du Bellay, Ronsard, Montaigne, Rabelais…). De là m’est venu naturellement un profond intérêt pour les classiques grecs, latins, allemands, espagnols et portugais notamment. Mes philosophes de prédilection : Socrate, Jésus, Jeremy Bentham, tous témoins d’une « morale naturelle » de fond : « Ne fais à autrui ce que tu ne voudrais qu’il te fasse, aime-le, ne porte pas atteinte à sa vie. » Mes devises : « Faisons provision de rire pour l’éternité. » (Marquise de Sévigné) – « Le combat est mon repos. » (Don Quichotte). Ces quelques lignes proposent un portrait subjectivement positif : je laisse de côté des défauts bien ordinaires, entre autres un art certain de déplaire, source de plaisirs et de déplaisirs selon les circonstances. Je ne puis me passer  de silence et de musique, de l’amour et de la conversation des femmes et des enfants ; de la confiance des animaux familiers ou non ; de l’amitié dans les travaux partagés ; d’un jardin où respirer, voir les arbres, les nuages, la beauté du monde, oublier les faux maîtres à penser, penser avec ma tête après avoir lu de vrais maîtres.»

 

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