14/09/2012
Nations Unies, Conseil des Droits de l'Homme : droits des peuples autochtones et grands barrages – le cas du Brésil
Exposé écrit présenté conjointement par France Libertés: Fondation Danielle Mitterrand, le Society for Threatened Peoples, organisations non gouvernementales dotées du statut consultatif spécial, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples, organisation non gouvernementale inscrite sur la liste. Planète Amazone, Amazon Watch, ICRA (International Commission on the Rights of Aboriginal peoples), des ONG sans statut consultatif partagent également les opinions exprimées dans cet exposé.
Conseil des droits de l’homme
Vingt et unième session
Point 3 de l’ordre du jour
Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils,
politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris
le droit au développement
Rappel du précédent état des lieux du respect des droits des peuples autochtones au Brésil
Lors de la dix-neuvième session du Conseil des Droits de l’Homme, nous avons alerté le Conseil sur le fait que l’Etat brésilien ne respectait pas les droits des peuples autochtones tels que garantis par la Convention n°169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, en particulier dans la mise en oeuvre de sa stratégie énergétique en Amazonie. En effet, la construction de nombreux barrages hydroélectriques, dont l’emblématique Belo Monte, ainsi que l’assouplissement de son code forestier menacent les modes de vie de nombreuses populations autochtones qui dénoncent l’absence de consultation.
Le Brésil s’est vu rappelé ses obligations à maintes reprises: par l'Institut Brésilien de l'Environnement, puis par le Ministère Public Fédéral, par la Cour Suprême du Brésil, par James Anaya, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des populations autochtones, par la Commission interaméricaine des Droits de l’Homme,1 et enfin par la Justice fédérale de la région du Pará.
En réponses à ces actions, «la présidente du Brésil, Mme Dilma Rousseff, décida de suspendre les relations de son gouvernement avec la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) de l’Organisation des États américains (OÉA)»2 en rappelant son ambassadeur et ne participa pas à l’audience fixée par l’OEA à Washington le 27 octobre 2011. Sous la pression du Secrétaire Général de l'OEA, la Commission a modifié les mesures conservatoires dans cette affaire et n'a plus exigé du Brésil que le projet soit suspendu.3
Puis le Procureur Général de l'Union au Brésil déposa une procédure administrative contre les procureurs fédéraux et obtint le 9 novembre 2011 une révision du premier jugement fédéral du 27 septembre 2011 qui avait ordonné la suspension des travaux.
Aggravation en 2012 du non-respect des droits territoriaux des populations autochtones du Brésil
Deux évènements en 2012 ont laissé entrevoir l'espoir que le Brésil se soumettent à ses obligations constitutionnelles et internationales.
En mars 2012, l’OIT a prié le Brésil de «prendre les mesures nécessaires pour consulter les peuples autochtones concernés sur la construction de l'usine hydroélectrique de Belo Monte, celle-ci risquant d'avoir des effets irréversibles (articles 6 et 15 de la Convention)» puis «de transmettre les informations sur les résultats des procédures en cours devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme et devant le tribunal fédéral du Pará».
Parallèlement, au Brésil, le Tribunal régional fédéral de la première région (TRF1) a annoncé le 14 août 20124 avoir «ordonné l'arrêt des travaux parce que les indigènes n'avaient pas été consultés avant le début de la construction» lors d'un jugement tenu la veille sur la requête du Ministère Public Fédéral du Pará. «En 2005, quand le parlement brésilien5 a approuvé ce chantier, il a exigé une étude d'impact environnemental postérieure au lancement des travaux et non préalable comme l'ordonne la loi», a souligné le tribunal.
Mais les actes posés par le gouvernement brésilien ces derniers mois semblent démontrer une volonté de s'affranchir de toutes les contraintes liées aux droits territoriaux indigènes inscrits dans la Constitution de 1988, et il est attendu que le consortium public Norte Energia, en charge des travaux, fasse appel du dernier jugement fédéral.
En mai 2012, le gouvernement brésilien a donné son accord, après y avoir apposé 12 vetos et 31 amendements, à la loi visant à réformer le Code forestier de 1965. Cette loi a été approuvée par le Congrès en avril 2012 et doit encore être approuvée par le Sénat.
Si l'exigence de préserver intacts jusqu'à 80% des forêts dans les grandes propriétés en Amazonie et 20% en forêt tropicale a été conservée par le gouvernement, celui-ci a en revanche accepté plus de flexibilité pour les petits propriétaires, sans mettre de garde-fous pour surveiller toute déforestation. Or, cette mesure est ambiguë et dangereuse car des grandes entreprises agricoles peuvent acheter des terres, les revendre pièce par pièce aux petits propriétaires qui représentent le quart des exploitations agricoles. Ainsi le déboisement peut se faire au détriment de la Loi.
Ce déboisement affecte de plusieurs façons les populations autochtones. Couper la forêt au profit de cultures agricoles intensives détruit les lieux de vie et les ressources vivrières de ces peuples. Ils sont expulsés de leurs terres avec violence. L’exemple des Guarani de Laranjeira Nanderu ou d’Apyka’y est emblématique puisque qu’aujourd’hui nombre d’entre eux vivent dans des campements improvisés au bord des routes, après avoir vu leurs maisons incendiées et des hommes de mains armés tirer sur les membres de leur communauté pour pouvoir récupérer leurs terres.
Cette situation devient d’autant plus préoccupante qu’une ordonnance publiée le 17 juillet 2012 revient sur les droits territoriaux des populations autochtones du Brésil et met un coup d’arrêt à la démarcation des terres indigènes entamée en 1989 et pourtant loin d’être terminée. Cette démarcation, inscrite dans la Constitution de 1988, permet de reconnaître des droits inaliénables aux terres indigènes.
Une fois acquise, la démarcation accorde aux communautés autochtones l'usufruit exclusif des richesses du sol, des rivières et des lacs. Il est aussi expressément reconnu que les terres des peuples autochtones sont inaliénables, qu'on ne peut en disposer et qu'elles ne peuvent être assujetties au droit de prescription. Le territoire est déclaré propriété de l'Union. Et le gouvernement fédéral a la responsabilité de délimiter, protéger et respecter toutes leurs propriétés (art. 231). Cet article fait preuve d’une prise en considération des principes énoncés par la Convention 169 de l’OIT.
L’ordonnance 303 publiée au Journal Officiel le 17 juillet 2012 prévoit à l’inverse que «l’usufruit des richesses du sol, des rivières et des lacs existants sur les terres indigènes peut être relativisé chaque fois qu’il existe un intérêt relevant de l’intérêt public de l’Union».
Cette ordonnance est l’aboutissement d’un lobby de l’agrobusiness appuyé par des parlementaires et des sénateurs qui demandaient la mise en votation de la proposition d'amendement constitutionnel6 prévoyant un transfert de compétence du Gouvernement au Congrès national.
L’ordonnance 303 répond ainsi aux souhaits chers à la Confédération Nationale de l’Agriculture et à la Fédération de l’Agriculture et de l’Élevage du Mato Grosso do Sul. Mais aussi, elle répond à l’attente de l’administration brésilienne qui cherche à extraire de nombreux minerais présents en Amazonie. Les barrages construits sur les rivières d'Amazonie fourniront l'électricité nécessaire à l’exploitation de ces mines. 21 barrages sont planifiés d’ici 2020. Et la transformation des rivières en voies d'eau d'expédition réduira les coûts de transport vers des ports d'escale. Seulement ces gisements et ces rivières se trouvent en grande partie sur des territoires indigènes.
En conséquence, le procureur de l’Etat du Mato Grosso do Sul a déclaré que les études de démarcation de terres indigènes devaient être refaites, avec la participation du gouvernement local, qu’il «est nécessaire d’annuler ce qui a déjà été fait et recommencer au début, en modifiant les groupes techniques.»7
Si l’on met en perspective le travail incessant de revendication et les campagnes internationales menées depuis plus de 20 ans par les leaders autochtones comme le cacique Raoni Metuktire-Kayapo ou les porte-parole Guarani-Kaiowá, pour obtenir la démarcation et l’homologation de leurs terres ancestrales, nous pouvons imaginer le désarroi que cette ordonnance va susciter au sein des populations. La démarcation du territoire des Kayapo entamée en 1994 est encore incomplète: la zone de Kapot Nhinore, identifiée en 2010 seulement, étant toujours en suspens concernant son homologation. A l’aulne de cette nouvelle ordonnance, le peuple Kayapo découvre aujourd’hui que tout est à refaire. Et cette situation n’est qu’un exemple parmi les revendications territoriales des populations autochtones du Brésil.
Ainsi les populations autochtones d’Amazonie brésilienne voient leur droit à la terre et leur droit de réserve sur son usage, par une consultation libre et informée, particulièrement bafoués par l’Etat brésilien.
Recommandations
Les peuples autochtones du Brésil, dont les droits sont menacés par les activités économiques (industrie minière, hydroélectrique, pétrolière) et par la nouvelle législation brésilienne, relayés par nos organisations, demandent:
• que l’Etat brésilien respecte les recommandations de l’OIT concernant le droit à un consentement libre, préalable et éclairé des populations autochtones affectées par des projets industriels ou agricoles, puis transmette les informations sur les résultats des procédures en cours devant la CIDH et devant le tribunal fédéral de Pará;
• que l’Etat brésilien renonce à adopter un nouveau Code forestier qui ouvre la porte à une appropriation illégitime des terres indigènes et menace l’écosystème amazonien;
• que l’Etat brésilien abroge l’ordonnance 303 qui va à l’encontre des droits territoriaux inaliénables des populations autochtones acquis par la Constitution de 1988;
• que l’Etat brésilien reprenne et termine la démarcation des territoires indigènes débutée en 1989.
1 Mesure préventive de la CIDH: MC 382/10.
2 «Le Brésil suspend ses relations avec la Commission interaméricaine des droits de l’Homme», Centre d’Etudes interaméricaines (05 mai 2011).
3 Amnesty International-Rapport 2012.
4 Dépêche AFP, 14 août 2012 à 23:59.
5 Décret législatif 788/2005.
6 (PEC 215/2000).
7 «Quase três décadas após queda do regime militar povos indígenas ganham o seu AI-5, denuncia indigenista», Segunda, 23 de julho de 2012, Instituto Humanitas Unisinos.
Date de l'article : 12/09/2012
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