Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

22/02/2013

Greek crisis now, un blog de Panagiotis Grigoriou, historien et ethnologue

le 20 février 2013

Le muet et le parlant

 

Athènes 20/02 - Grande manifestation syndicale unitaire
La journée d’hier (19/02) était pluvieuse et…. bien curieuse. En fin de matinée les (rares) téléspectateurs branchés sur la chaîne publique NET ont découvert ces séquences surréalistes de la visite du Président Hollande à Athènes : descendre la rue Hérode Atticus en compagnie d’Antonis Samaras à pied, pas de voix off, aucun commentaire ni analyse pour cause de grève des journalistes. Un rare moment de… vérité, deux hommes politiques seuls, le bruit de la ville, le chant des oiseaux du jardin botanique d’en face, enfin une belle image, à notre portée et à la hauteur du monde, c'est-à-dire la nôtre. En début d’après-midi, vers 15h, la grève des journalistes des médias publiques déjà jugée… illégale, les commentaires ont aussitôt repris sur la chaîne NET, les dernières heures de la visite du Président français ont ainsi été couvertes, dont son allocution prononcée devant la communauté française au Lycée franco-hellénique.

François Hollande et Antonis Samaras - 19/02
François Hollande a, à juste titre remarqué, combien ses interlocuteurs grecs issus du monde politique se sont exprimés en français, tous sauf un : le ministre des Finances Yannis Stournaras, il a préféré la langue des marchés (d’après ses propres explications saisies sur le vif) et… des banques du vaste monde dont il est issu. Pour le reste, les mesures de sécurité ont été visiblement draconiennes, ce qui est normal, les automobilistes compatissants l’ont bien compris sans trop broncher. Certes, le Président français n’avait rien à craindre (des habitants du territoire en tout cas), il n’y a pas eu une seule manifestation ou rassemblement, comme lors de la visite d’Angela Merkel en Octobre dernier, ce qui en dit déjà… assez long du sens commun à propos de la géopolitique de l’Europe actuelle, vue d’ici-bas : nous ne sommes pas dupes, nous savons (et à nos dépens) qui dirige véritablement en ce moment l’astéroïde de l’U.E…. car nous devenons ses débris.
 
"Non à l'euro" - Place de la Constitution - 20/02
Malgré les efforts du « gouvernement » Samaras dans la communication (et on peut le comprendre), la visite de François Hollande est presque passée inaperçue, car "déjà manquant d’originalité", telle fut le (non) ressenti chez nous hier. La presse de gauche (et anti-mémorandum) souligna tout simplement que la France s’intéresse évidement à la grande… braderie des bijoux de la baronnie chemin de fer, distribution d’eaux, prospection pétrolière, régie d’électricité… derrière l’Allemagne bien entendu, rien de très original en somme (par exemple To Pontiki sur son portail internet - 20/02). Paradoxalement (!) la pluie a cessé cette nuit, et c’est sous un soleil radieux que notre vie... normale a pu reprendre ce matin, un mercredi, décrété de surcroit, journée d’action nationale par tous les syndicats, décidément, le pays bouge (encore) comme il peut.
 
Notre ville, nos écrans du vivant se sont alors préparés en vue de cette transition… vers le « parlant », après les séquences du « muet relatif » de la veille. J’ai d’abord croisé ces innombrables policiers et autres RoboCop sur le trottoir, devant la centrale de la police athénienne. Ils s’apprêtèrent à prendre du service, et d’ailleurs bien souriants, en attente de cette grosse journée de grande manifestation. Jeunes hommes, très jeunes et visiblement conscients d’appartenir à une variante entomologique bien spécifique dans la taxinomie des choses et des êtres sous le régime de la… « Gouvernance », ils s'amusaient entre eux sous le regard ahuri des autres. Pauvres gens finalement, au sens propre et figuré : « J’ai loué un 37m2 depuis peu depuis que je suis fait muter à Athènes. Le coût reste exorbitant... pour mes 800 euros de salaire par mois… c’est dur », expliquait à ses collègues un jeune policier. Effectivement. Et « nos » policiers aux 800 euros, ils ont été nombreux ce matin au centre-ville (et par la suite devant le "Parlement"), à laisser passer les piétons sous surveillance et bien souvent, non sans un certain…. frottement avec eux. Nos trottoirs sont si étroits en ce moment, au même titre que la démocratie je dirais.
 
Devant le "Parlement" - 20/02
J’avais déjà lu quelque part, sans doute à travers un récit littéraire, combien ce « frottement » avait déjà connu ses heures de gloire jadis. Lors des grandes manifestations des démocrates et des gens de gauche dans ce pays, vers 1965 par exemple. On connait la suite : la dictature des Colonels en 1967. Pavlos, rencontré peu après au beau milieu du cortège à la grande manifestation entre Pedion Areos et la place de la Constitution, m’a alors posé cette même question devenue récurrente : « Je crois que nous vivons un temps pré-dictatorial, pas toi ? ». Le frottement y est sans doute…. pour quelque chose. Peu avant, place Omonia dans un café, un jeune homme n’a pas eu d’autres mots plus… démocrates pour exprimer son désarroi : « Demain monsieur c’est mon anniversaire, j’ai tout juste trente ans et je n’ai pas de travail… j’ai honte d’être là, assis dans ce café accompagné de ma maman, surtout parce que c’est elle qui paye mon café ». Devant le café et sur la place, avait lieu le rassemblement organisé par le syndicat du KKE (parti communiste), se séparant volontairement des autres forces syndicales et politiques. Le rassemblement pro-KKE fut pourtant bien moins nombreux que d’habitude, tandis que l’autre rassemblement, a été suivi par des dizaines de milliers de personnes.
 
"Jadis les Colonels, à présent les banquiers" - Athènes 20/02
 
"Déjà tôt ce matin des militants de l’extrême-gauche" - 20/02

Ajouter une légende
 
Le rassemblement pro-KKE - Place Omonia - 20/02
Déjà tôt ce matin des militants de l’extrême-gauche, postés devant le musée archéologique préparaient leur manifestation, banderoles, drapeaux, sonos et petite librairie… marxiste – léniniste. On n’effacerait pas si facilement les références d’une certaine vieille gauche européenne, vieilles d’un (si) bon petit siècle… qu’elle-même. Au moins, l’ambiance y était. Malgré la résignation et la peur, si savamment inculquées d’en haut et d’en bas (et… par frottement), c’est la joie qu’elle prédominait. Plus la colère : « Non, nous ne sommes pas morts et nous ne nous rendrons pas. Sauf que nos chefs [chez Syriza] n’ont pas réalisé combien la base, voire certains cadres du mouvement se radicalisent jour après jour. Nous leurs briserons les os... aux nôtres aussi, nous n’avons pas d’autre choix… sinon nous mourrons… comme déjà nos illusions ; les plus naïves parmi elles en tout cas. Il en faudrait dix fois plus de monde dans les manifs déjà, et des actions plus ciblées. Passer et revenir sans cesse devant le Parlement n’a plus de sens. C’est connu, c’est balisé… c’est nous mettre dans la gueule du loup. J’ai 57 ans, je suis ouvrier métallo et syndicaliste. Je n’ai plus de temps, je ne peux plus attendre… les gens sont responsables de leur destin, ils doivent bouger, de même que nos chefs syndicalistes et politiques des partis de la gauche… » (Yannis, rencontré parmi les manifestants, 20/02).
 
Athènes 20/02
Devant le musée archéologique - 20/02
Sous le Parthénon - 20/02
Nous nous radicalisons, peut-être parce que nous réalisons désormais la maigre distance qui nous sépare des… concitoyens-mendiants. Eux, la tête baissée ne regardent même plus les manifestants qui défilent. Nos univers sociaux se croisent sans se rencontrer parfois. Comme lorsque deux journalistes d’un hebdomadaire de la droite populiste ont questionné en pleine manifestation un retraité sur…. l’éventualité de ses difficultés : « Vous rigolez ou quoi Madame, d’où venez-vous, de quelle planète ?».
 
"Vous rigolez ou quoi Madame..." - 20/02
Dans un café - 20/02


 


"Peuple en avant - Hors UE" - Athènes 20/02
"Eux, la tête baissée ne regardent même plus les manifestants qui défilent" - Athènes 20/02
Une question à poser plutôt à Antonis Samaras. Sous le titre : « Les investissements étrangers arrivent», une nouvelle affiche nous informe que « désormais c’est en Grèce qu’on va construire les vaisseaux de l’Empire Galactique. Un grand accord commercial vient d’être signé entre la Grèce et l’Empire Galactique, et ceci, grâce aux efforts titanesques du premier Ministre Antonis Samaras, lequel vient de rencontrer Dark Vador au siège même de l’Empire Galactique. Cet accord prévoit la construction des navires et autres vaisseaux de l’Empire en Grèce, puisque selon les déclarations de Dark Vador, après les reformes du monde du travail chez nous, la main d’œuvre est moins chère en Grèce que sur la planète Tatooine. Bravo la Grèce ».
 
« Les investissements étrangers arrivent » - Athènes 20/02
C’est vrai que depuis tous ces derniers événements qui n’en finissent pas, nous avons tout perdu sauf notre sens de l’humour : « La liberté ou photoshop » voit-on sur un mur place de la Constitution, là où précisément un militant Syriziste paresseux a abandonné l’étendard de son mouvement à la dispersion de la manifestation.
 
« La liberté ou photoshop » - Athènes 20/02
"La place a aussitôt repris ses habitudes" - 20/02
 
Place de la Constitution, terminus. La place a aussitôt repris ses habitudes… de temps de paix, sauf pour ce qui est des pertes sur le champ de la guerre sociale, ou plutôt faite contre la société. Un jeune homme, un tout nouveau mendiant a pris procession de l’angle, situé à droite sur l’embouchure du métro. Bien habillé et propre, visiblement il n’est pas un sans-abri, Il exhibe sa pièce nationale d’identité, sa carte d’inscription au chômage, ainsi qu’un autre document, attestant de son licenciement : « Je suis grec, je suis au chômage, aimez-moi s’il vous plaît ». La Grèce, la vraie vie… muette et parlante.
 
« Je suis grec, je suis au chômage, aimez-moi s’il vous plaît » - Athènes 20/02

 

Source : http://greekcrisisnow.blogspot.fr/

Vous pouvez soutenir cette action en faisant un don.

Les commentaires sont fermés.