Mutagenèse... Qu'est-ce qui se cache derrière ce mot quelque peu ésotérique ? Beaucoup de choses, et en particulier un ensemble de techniques visant à faire muter artificiellement des organismes vivants. Cette manipulation génétique s'inscrit donc dans le champ général de la recherche sur les OGM. Mais avec certaines ambiguïtés qu'il est bon de débusquer...
Rappelons tout d'abord rapidement ce que sont les OGM. Le généticien Christian Vélot en donne une définition dans son excellent livre OGM, un choix de société (Editions de l'aube, 2011) : « La définition officielle dit qu'un OGM est un organisme vivant – quand on dit " organisme vivant " on pense tout de suite à un animal mais ça peut être un végétal, un microbe – dont on a modifié de façon non naturelle, c'est-à-dire par l'intervention de la main de l'homme, ses caractéristiques initiales. Comment les a-t-on modifiées ? Soit par addition d'un ou plusieurs gène(s) dit(s) " étranger(s) " (c'est-à-dire venant d'une autre espèce), soit par suppression, par remplacement ou modification d'au moins l'un des gènes de cet organisme. » Concernant la mutagenèse elle-même, l'article du site Inf'OGM (mars 2008) que nous citons, avec un glossaire, à la suite de cette introduction, explique que c'est un ensemble de méthodes « permettant de modifier le génome d'un organisme vivant ».
Ces " modifications " sont menées « par l'utilisation d'agents énergétiques (rayons gamma, rayons X...), chimiques, ou par culture de cellules exposées à des agents sélectifs – comme un herbicide. » On voit donc que la mutagenèse peut être considérée comme une des branches de la recherche fondamentale et appliquée sur les OGM.
C'est ce qui fait dire aux opposants aux manipulations de la mutagenèse que celles-ci sont destinées à produire des " OGM cachés ".
De nombreuses actions anti-mutagenèse sont menées régulièrement (l'une, récente, s'est déroulée le 2 septembre dernier, dans la Drôme, dans l'Isère et près de Lyon : fauchage de tournesol muté, débats...), au même titre que contre les parcelles de plantes OGM. Les Faucheurs volontaires sont bien sûr à la pointe de ce combat, comme la Confédération paysanne. Celle-ci expliquait, en mai 2009 : « Après les OGM, l'industrie semencière continue son combat pour s'accaparer le vivant, en misant sur la technologie de mutation (naturelle ou dirigée, par radiation par exemple). Après la phase de recherche, ces groupes sont passés en France aux essais de démonstrations pleins champs (pour le tournesol). Cette technique d'origine biotechnologique pose des problèmes de même ordre que ceux des OGM (agronomiques, environnementaux, sanitaires). Des risques importants de contamination et de résistances (déjà constatées sur le blé) sont d'ores et déjà prévisibles sur les tournesols, et de façon encore plus préoccupantes sur le colza ».
Il y a de nombreuses mutagenèses
Les laboratoires et les grandes firmes agro-industrielles qui travaillent sur ces mutations, de leur côté, ne désarment pas, malgré les oppositions citoyennes qui contestent ces recherches, en France comme partout dans le monde. Ainsi par exemple, BASF, prenant acte en janvier dernier du rejet des OGM par les européens, a annoncé que « le développement et la commercialisation de tous les projets OGM exclusivement destinés au marché européen sont arrêtés », tout en annonçant son intention de se concentrer sur les marchés nord et sud-américains...
De leur côté, certains professionnels jouent sur l'ambiguïté des protocoles des techniques de mutagenèse : celles-ci peuvent en effet être des manipulations ne faisant pas intervenir de transfert de gène(s) d'une espèce de plante à une autre. C'est la différence qui existe entre mutations spontanée et aléatoire (voir glossaire ci-dessous). Ainsi le CETIOM, Centre technique interprofessionnel des oléagineux métropolitains, peut-il affirmer (site reporterre.net, août 2009) que la mutagenèse est « une méthode ancienne de sélection », ce qui n'est pas faux. Mais cet argument passe sous silence les mutations volontaires effectuées en laboratoire – et en plein champ : « Un malentendu s'est introduit avec la technique de sélection variétale utilisée pour la création de nouveaux hybrides de tournesol : la mutagenèse », explique le CETIOM. « Celle-ci n'est pas une technologie de transfert de gène d'une autre espèce et elle est très utilisée en création variétale. De nombreux exemples : en horticulture le chèvrefeuille, la pastèque sans pépin, le riz, le tournesol... Toutes les agricultures bénéficient de la technique de la mutagénèse depuis plus de 50 ans. La plupart des variétés utilisées en agriculture conventionnelle et biologique en sont soit directement issues soit possèdent dans leurs ancêtres des variétés ayant bénéficié de cette technique. »
En fait, la mutagenèse qui intéresse les agro-industriels est bel et bien celle qui met en œuvre « toute production volontaire de variabilité génétique chez un organisme vivant, par l'utilisation d'agents énergétiques, chimiques, ou par culture de cellules exposées à des agents sélectifs », ainsi que le précise le court article du site Inf'OGM que voici, avec son glossaire (les intertitres sont de la rédaction de La Lettre du Larzac).
J.-F. Capelle
Une "production volontaire de variabilité génétique"
Ces traitements, énergétiques, chimiques ou sélectifs, utilisent les mêmes protocoles scientifiques. Des semences, du pollen ou encore des cultures de cellules de la variété de plante à modifier sont exposés au traitement choisi. Dans le cas du traitement des semences et du pollen, on provoque spécifiquement la mutation. Dans le cas de l’exposition de cellules à l’herbicide, on révèle des mutants préexistants. Les chercheurs sélectionnent ensuite les individus viables : semences aptes à germer, pollen capable de féconder, cellules non tuées par l’herbicide. Les plantes obtenues sont ensuite sélectionnées sur leurs caractéristiques agronomiques, selon les opportunités commerciales identifiées. Celles présentant des propriétés non désirées mais a priori intéressantes sont conservées pour faire l’objet de recherches plus poussées. Pour celles présentant une caractéristique recherchée, on poursuit leur mise au point, à savoir l’identification précise du gène muté.
Petit glossaire de la mutation Mutant : se dit de cellules ou d’individus porteurs d’un ou plusieurs changements héréditaires (mutation) dans la séquence de l’ADN, à l’exception des échanges génétiques se produisant naturellement lors de croisement et/ou de recombinaisons naturelles. Ces changements affectent l’expression d’un ou plusieurs gènes. Mutation spontanée : mutation survenant naturellement, sans intervention volontaire. La fréquence de ces mutations dépend des espèces et de leur environnement mais reste généralement faible. Mutation aléatoire : c’est une mutation qui peut toucher n’importe quelle partie du génome et apportant une modification non définie. Elles peuvent être spontanées ou provoquées par des agents dits mutagènes (rayons X, produits chimiques...), ayant la propriété d’augmenter significativement la fréquence des mutations spontanées. Plantes transgéniques : selon la directive européenne 2001/18, un OGM est “ un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été altéré d’une façon ne se produisant pas naturellement lors de croisement et/ou de recombinaisons naturelles ”. |
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