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17/04/2013

PIERRE RABHI : LA SOCIÉTÉ CIVILE EST PORTEUSE DU CHANGEMENT

 

Pierre Rabhi : la société civile est porteuse du changement

 

Écologiste convaincu, expert international pour la sécurité et la salubrité alimentaires des populations et la lutte contre la désertification, Pierre Rabhi est agriculteur, philosophe, écrivain et conférencier. Il m'a été proposé de réaliser cette interview par téléphone dans le contexte de l'affaire Cahuzac.

* Homme singulier dans le paysage politique français, le scandale Cahuzac vous a-t-il sidéré comme beaucoup de citoyens ?

- Non, pas du tout. Tout est possible dans le contexte d'un monde glauque, d'une complexité infinie. Si ce genre de scandale est possible, c'est que la société le permet. Toute l'histoire de l'humanité est jalonnée d'exactions. L'être humain reste égal à lui-même. Les hommes politiques sont l'émanation de la conscience collective. Il y a une forme d'acharnement thérapeutique des politiques dans une logique d'enrichissement et de prédation de la terre et des hommes. La planète est devenue un supermarché et l'humanité se prétend avancée en consacrant bien plus d'argent à des activités destructrices comme la vente d'armes qu'à celles qui permettraient d'assurer la paix ou combattre la faim dans le monde.

* Toute votre vie vous vous êtes attaché à dénoncer la corruption qui affame l'Afrique et l'ensemble des continents et de souligner «qu'une grande partie de la dette du Tiers Monde se trouve dans les coffres des banques suisses ou des sociétés d'investissement» (Pierre Rabhi Le chant de la Terre, Rachel et Jean-Pierre Cartier, La table Ronde, oct 2012). Déjà, vous proposiez de faire le procès de la corruption. Comment sortir selon vous de la crise politique et morale que traverse notre pays ?

- Des mesures comme celles annoncées par le chef de l'État aujourd'hui sont sans doute nécessaires, mais non suffisantes. Ce n'est pas en changeant seulement la périphérie qu'on changera les choses. Le changement de société ne se fera pas par des éléments factuels mais par un être humain modifié. La grande indignité de notre société, c'est d'avoir réduit la vie au lucre. D'ailleurs, on entend peu les religions sur ces questions de corruption, de financiarisation du monde.

Infléchir les comportements en réaffirmant les règles du vivre ensemble, en passant par des actions judiciaires et des lois, est indispensable, mais le mal est beaucoup plus profond.

Pour résister, Il faut s'attacher à l'éducation. Les enfants sont formatés pour s'adapter à un système de compétitivité, de sélectivité, de recherche du bonheur à travers l'accumulation de biens matériels. Il y a une injonction permanente à posséder indéfiniment, entretenue par des médias qui manipulent les consciences notamment par la publicité.

On doit apprendre très tôt ce qu'est la vertu.

Par ailleurs, les citoyens sont souvent peu conscients de la puissance qu'ils ont face aux dérives de notre monde. Ils ont le pouvoir mais n'en usent pas. Il y a bien des façons de protester, de résister au diktat économique, le boycott en est une. Il faut identifier quelles sont nos contradictions et faire le choix de ce à quoi on peut renoncer, cibler ce sur quoi on peut agir. Bien parler, bien agir et apprendre. Il faut incarner la parole.

* Edwy Plenel rappelait dans un article du 25/02/2013 cette citation de Marc Bloch au sujet de "L'étrange défaite" de 1940 et des élites dirigeantes : «Faiblesse collective n'a peut-être été souvent, que la somme de beaucoup de faiblesses individuelles». Croyez-vous qu'elle s'applique au contexte français actuel ?

- Je ne juge pas les hommes, ils auront rendez-vous avec leur conscience. Mais je serais plus radical avec le système qui prédispose à la corruption. Les paradis fiscaux devraient être supprimés, c'est là où se concentrent les transgressions les plus préjudiciables à l'espèce humaine.

* Les affaires actuelles accroissent-elles selon vous le risque Front National ?

- Ce triste spectacle du monde, cette corruption, la décrédibilisation de la politique peuvent amener les gens vers les extrêmes dans un mouvement irrationnel pour se venger. Il faut combattre l'humiliation, le miroir aux alouettes que constitue le recours à l'ordre brutal par l'amour du prochain et la pleine conscience de l'unité du genre humain. L'humanité doit se réconcilier avec elle-même au-delà des frontières.

* Quel doit-être selon vous le rôle des médias dans la révolution de l'esprit que vous appelez de vos voeux ?

- Tout changement appelle un niveau de conscience collective important. Les médias peuvent participer à cette prise de conscience à condition qu'ils ne soient pas trustés. Beaucoup participent à la manipulation de l'opinion en exerçant une censure de l'information.

* «Le vrai courage c'est, au-dedans de soi, de ne pas céder, de ne pas plier, de ne pas renoncer» comme le disait Jean-Pierre Vernant cité récemment par Edwy Plenel dans un hommage à ce résistant ?

- Le vrai courage c'est de parvenir à associer l'amour, la bienveillance avec la nécessaire résistance contre tout ce qui dénature l'humanité. L'engagement est épuisant. Parfois je dis avec malice que j'aimerais bien pouvoir donner ma démission, mais à qui ?

 

 

* Quel espoir avez-vous ?

- Partout autour de nous, des gens inventent le futur en prenant des initiatives originales dans tous les domaines que ce soit l'éducation, le soin, l'agriculture, la solidarité, le crédit, le commerce... Les femmes forcent mon respect dans bien des circonstances par leur courage, c'est l'énergie des femmes qui sauve bien souvent, qui fait que la vie l'emporte. Il est possible que toutes ces initiatives conjuguées fassent prévaloir une société qui affirme toute la noblesse de la puissance absolue de la modération face au modèle actuel.

La société civile est porteuse du changement auquel nous aspirons. Nous ne devons pas renoncer ne serait-ce que pour les générations qui vont prendre la relève. On transgresse : il faudra qu'elles corrigent. Ce n'est pas juste.

Entretien réalisé le 10 avril 2013

Un article de nadja, publié par blogs.mediapart.fr

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