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15/06/2013

BRÉSIL • Le "nouveau Far West"

 

La mort d’un Amérindien tué par la police dans une grande propriété occupée du Mato Grosso do Sul a déclenché une vague d’indignation. Le journaliste et universitaire Felipe Milanez va jusqu'à parler de "terrorisme d’Etat".
 
Un dessin de Kazanesvky
Un dessin de Kazanesvky
              
La crise de la question amérindienne a pris ces dernières semaines une tournure dramatique. Des conflits anciens sont en train de ressurgir partout au Brésil, du Sud à l’Amazonie.

Que ce soit sur le chantier du mégabarrage de Belo Monte, sur les lieux de la future centrale hydroélectrique de São Luiz do Tapajós [le Tapajós est un des affluents de l’Amazone], ou bien dans les fazendas [grandes propriétés rurales] du Mato Grosso, du Mato Grosso do Sul, du Paraná, du Rio Grande do Sul, de Santa Catarina et du Pará [Etats du sud et de l’ouest du pays], ou bien encore dans les terres convoitées par les compagnies forestières des Etats du Rondônia et d’Amazonas. Brusquement, la campagne a pris des airs de "nouveau Far West". Les protestations des Amérindiens sont suivies par l’action de tueurs à gages.

Les grands propriétaires en appellent même à l’armée. La mort d’Adenilson Kirixi Munduruku [le 7 novembre 2012] et celle d’Oziel Terena [le 30 mai 2013], tous deux tués par la police fédérale, sont la face visible d’un problème que le gouvernement est non seulement incapable de résoudre, mais qu’il attise à travers notamment les déclarations de plusieurs ministres soutenant l’action de la police, tout en s’en prenant à la Fondation nationale de l’Indien [Funai, organisme gouvernemental mettant en application les politiques liées aux peuples indigènes], et le silence de la présidente Dilma Rousseff. Une des raisons de l’aggravation des conflits est la volonté de la part des Amérindiens et de leurs soutiens de répondre [aux agressions] et de se montrer.

Une inversion des rôles

La violence à leur encontre, dictée par le groupe ruraliste présent au Congrès [véritable lobby de l'agrobusiness, il compte près de la moitié des sièges au Parlement] et au gouvernement, a explosé. Aussi bien en milieu rural que dans les médias où se développent attaques racistes et inversion du rôle de la victime, celle-ci devenant l’agresseur. "Les Indiens envahissent des fazendas", peut-on entendre au journal télé. Mais n’est-ce pas plutôt les fazendas qui ont envahi les territoires amérindiens en conflit ? Ces derniers jours, les pires moments de la dictature semblent de retour au vu des déclarations du gouvernement – qui voit l’Embrapa [organisme de recherche sous tutelle du ministère de l’Agriculture] comme l’institution la plus apte à faire des recherches anthropologiques – et des réactions des intellectuels et des mouvements sociaux dénonçant la violence.

Quand le pouvoir mobilise les forces de l’ordre pour attaquer les plus faibles, c’est qu’une situation de terrorisme d’Etat est à l’œuvre. C’est ce qui se produit actuellement au Brésil à l’égard des Amérindiens. Si les ruralistes sont interviewés, écrivent des articles et sont présents partout, les Amérindiens n’ont pas la chance de pouvoir s’exprimer. Ils leur restent uniquement les réseaux sociaux pour manifester leur indignation. Ils mettent en ligne des manifestes qui ne trouvent aucun écho dans les médias, mais qui circulent et provoquent le débat.

"Guerre juste"


Leurs critiques et celles de leurs soutiens ciblent les ruralistes et même Dilma Rousseff : "Comment cette femme arrive-t-elle à dormir en sachant que la frange la plus fragile du peuple brésilien, les peuples autochtones, est en train d’être assassinée par la police fédérale dans leurs villages et que leurs enfants sont assassinés par des hommes de main de l’agrobusiness sur leurs terres envahies par des soi-disant propriétaires terriens ?" se demande ainsi sur Facebook Cláudio Romero, qui travaille depuis près de quarante ans à la Fondation nationale de l’Indien (Funai).

Le démantèlement des droits amérindiens va de pair avec la destruction des droits en matière d’environnement, à l’instar d’un Code forestier vidé de sa substance, qui sert moins à protéger les forêts qu’à favoriser les cultures productrices de matières premières à grande échelle. Par le passé, le gouvernement s’est dit "otage" du lobby ruraliste. Mais ce dernier est sorti de l’opposition et a décidé de soutenir le pouvoir depuis la campagne électorale de Dilma Rousseff en 2010. Pour une meilleure gouvernance, le gouvernement s’est donc allié à ce secteur. Une alliance qui s’inscrit de plus en plus dans un contexte de "guerre juste".

Les Amérindiens subissent une déculturation, une déterritorialisation, une déshumanisation. Ils doivent ouvrir la route au soja, à la canne à sucre, à l’élevage bovin et aux barrages sans opposer de résistance. Dans le cas contraire, toute la violence à leur égard est justifiée et soutenue par l’Etat. Comme du temps de la colonisation où les "guerres justes" étaient utilisées comme justification à l’esclavage des Amérindiens – un esclavage auquel ils n’échapperont pas s’ils se retrouvent dans les champs de canne à sucre du Mato Grosso do Sul.

CONTEXTE — Le triste sort des Guaranis-Kaiowás

La mort le 30 mai d'Oziel Gabriel sur
des terres revendiquées par son peuple, les Terena, une ethnie présente pour
l'essentiel dans le Mato Grosso do Sul, a une nouvelle fois mis sous les
projecteurs ce riche Etat du centre-ouest du Brésil. Outre les Terena, 43 000 Guaranis-Kaiowás,
la deuxième population amérindienne du pays, vivent encerclés par des fermes d'élevage
et de vastes champs de soja et de canne à sucre. Les enfants souffrent de
malnutrition et les leaders communautaires sont tués. Selon le CIMI, une organisation
catholique de défense des populations autochtones, sur les 503 Amérindiens
assassinés au Brésil entre 2003 et 2011, 279 étaient des
Guaranis-Kaiowás - auxquels il faut rajouter les suicides : un
Guarani-Kaiowá se donne la mort tous les six jours et demi, précise
le CIMI, un taux record en Amérique du Sud.

 

Source : http://www.courrierinternational.com/article/2013/06/10/l...

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