09/07/2013
Guerriers amoureux de Jean-Louis Costes
Edition Eretic, avril 2013, 286 pages, 17 €.
Dégueulasse, dégoûtant, obscène, scato, taré… et drôle, corrosif, rarement ennuyeux et bien écrit. Costes est un écrivain, n’en déplaise à ceux qui ne supportent pas qu’on puisse écrire caca dans un roman. Les qualificatifs péjoratifs ne manquent pas pour qualifier l’écriture de Costes, et chacun à un moment ou à un autre, comme dans un effet miroir, se verra confronté à ses limites. Ça en devient presque initiatique, certains laisseront tomber de suite, d’autres ne voudront même pas toucher le livre, d’autres iront plus loin, voire jusqu’au bout pour se sentir comme les deux antihéros de l’histoire : de vrais hommes, voire de vraies femmes. Ce qui est intéressant d’ailleurs, ce serait de savoir combien finalement vont jusqu’au bout en prenant des airs dégoûtés ? Costes se lit-il en cachette comme une revue porno ? Il me semble que c’est la même chose avec ses performances, il met le public face à un miroir, le plus extrême possible. Ainsi, d’autres iront jusqu’au bout peut-être parce qu’ils découvriront que ça les excite, ils en apprendront ainsi sur eux-mêmes et libre à eux ensuite d’en chercher le pourquoi, comment, papa, maman, etc. D’autres iront jusqu’au bout, même si par moment le roman leur tombe sur le moral comme un gourdin goudronné, sans doute parce qu’eux même sont autant dégoûtés que fascinés par l’humanité, au point de la chercher partout, et c’est un peu comme Dieu, elle se cache parfois là où on n’ira jamais la chercher. Pour Costes, c’est très certainement au fond d’un trou de balle. Plus clinique que pornographique, son roman plonge obsessionnellement dans les entrailles, au propre, c'est-à-dire crade, mais aussi paradoxalement au plus profond de l’âme humaine. C’est un constat pas très réjouissant d’ailleurs, Costes exagère mais jusqu’à quel point ? Ne mettrait-il pas plutôt le doigt et plus dans ce que l’on ne veut pas voir ? Ou juste à doses homéopathiques par le biais d’infos aseptisées ou au cinéma, pour le frisson. La crasse, la folie, la déchéance, la drogue, la violence et le sexe comme antidépresseur, on baise comme on hurle, pour se sentir vivant. Les épaves sont légions dans une société où règne mensonge, lâchetés, corruption et cupidité, et dire qu’on ne peut rire de tout, c’est bon pour celles et ceux qui n’ont pas encore goûté au grands fonds, ceux qui ont un arôme de chiasse, de poissons pourris et de fûts percés, où la vie ne vaut pas un clou et l’enfance se viole au petit-déjeuner. Nul n’ignore que l’humain, confronté à certaines situations et substances, peut devenir une créature bien plus cruelle et dégénérée que le plus féroce animal, mais c’est toujours l’autre, si possible le plus loin et le plus étranger possible. L’écriture de Costes pourrait jouer une sorte de rôle cathartique. En endossant toutes les perversions, toutes les saloperies humaines, le lecteur en ressort lavé, purifié, soulagé peut-être. Ouf, ce n’est pas lui ! Pour qui veut lire entre les lignes, au delà de la provocation, cette vulgarité est l’arbre qui cache la forêt. En rester là, ce serait passer à côté de la grande fragilité, l’évidente sensibilité et une lucidité écorchée vive, de l’auteur. Un roman pertinent, mais oui, qui dresse un constat sans pitié du monde actuel, cru, grinçant et souvent insoutenable, aucun puritain ni survivrait, mais le côté trash ne leurrera pas le lecteur déniaisé. Costes a un humour et un sens de l’autodérision qui sauvent de tout, c’est drôle et désespéré. Le paradoxe du titre, Guerriers amoureux en dit bien plus long qu’il n’y parait. En filigrane permanent, une quête d’amour, de paix, de beauté et de simplicité, toujours empêchée par un monde dingue qui part en couille, ravagé par le crack depuis la banlieue parisienne jusqu’au fin fond du désert ou de la jungle amazonienne. On a beau se voiler la face, serrer les fesses et se pincer le nez, le monde il est aussi comme ça, beaucoup même. C’est donc, littéralement, un roman d’aventures extrêmes, que jamais aucune marque sportive ne voudrait sponsoriser.
Cathy Garcia
Jean-Louis Costes est né le 13 mai 1954 à Paris. Père militaire, mère catholique pratiquante, il a été éduqué par les pères des collèges catholiques. En 1968, il tombe amoureux d'une jeune fille de son lycée Anne Van Der Linden qui deviendra plus tard décoratrice et actrice de ses shows. Il quitte sa famille et vit tel un zonard, paumé et drogué. En 1972, il obtient son baccalauréat et débute des études d'architecture à l'école des beaux-arts de Paris. Il obtient le diplôme. En 1978, il voyage à travers l'Afrique, l'Asie et l'Amérique du Sud (La Guyane deviendra son lieu de prédilection). Dans les années 80, il se réfugie dans la cave de sa grand-mère pour se consacrer uniquement à la musique. La cave désormais sera son milieu ambiant préféré, non par goût mais par nécessité. Il s’échappe aussi dans une cabane au milieu de la forêt guyanaise pour respirer. Artiste underground, subversif, amoral, transgressif, antihéros complètement déjanté. Sur scène et dans ses livres, aucune limite, il exploite tous les tabous, les thèmes les plus ambigus, scatologie en tête. On l’aime ou le plus souvent on le déteste, mais on ne peut rester indifférent. Ses réalisations, quel que soit le domaine via lequel il éructe, littéraire, performances live, films ou musique, toujours au degré maximum de la provocation aux yeux d’une certaine normalité en tout cas, sont toutes guidées par un sens aigu de l’autodérision, de l’absurde et de la bouffonnerie, avec beaucoup d’humour et en filigrane dans la surexcitation et l’explosion des sens, une quête de transcendance. Son cheval de Troie est la nullité. C’est en réalité une immense farce au sens mystique du terme, et cela peut évoquer le théâtre de l’absurde de Jodorowski ou celui de la cruauté d’Artaud. En 1986, il a publié chez Fayard, Grand-père, l’histoire d’un grand père arménien, cosaque, légionnaire, bagnard et collabo.
Pour en savoir plus : http://jeanlouiscostes.free.fr
Mais l’antre de la bête est ici : http://www.costes.org
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