Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/03/2014

Démolition de Jean-Christophe Belleveaux

 illustrations de’Yves Budin

Ed. Les Carnets du Dessert de Lune, 2013.

 

 

93ab54c4.jpg

 

78 pages, 11 euros.

 

  

Démolition de Jean-Christophe Belleveaux se lit une fois puis se relit, en espérant cette fois en ressortir moins essoufflé. Démolition aurait pu aussi bien s’intituler débordements et suffocation, car il s’agit principalement ici d’évacuer un trop-plein, comme annoncé dans la première phrase du recueil, en italique, comme l’auteur se citant lui-même :

 

 

Le monde est trop plein, ma poitrine en déborde

 

  

Pas de majuscule, on y entre de plein pied ou comme un de ces pavés dans la mare et les retours à la ligne n’ont rien de convenu, mais donnent le ton saccadé qui nous place d’emblée dans la tête de l’auteur, comme à bord d’un véhicule à embarquement immédiat. Nous voilà secoués, soubresautés, subissant des embardées avec toutefois quelques moments où le trajet semble s‘apaiser mais pas pour longtemps. Le chemin n’a rien d’une autoroute, mais bien plutôt un de ces chemins de terre, pleins de trous et de bosses, qui mènent on ne sait où, l’idée même d’une destination étant hors de propos.

 

  

faire bonne figure, s’accommoder

d’infinitifs qui ont le style

d’une serpillière

 

je suis fatigué

 comme tout le monde

  

tout le monde trop-plein

de trop de choses

 

 

Et la plume de l’auteur contredit sa fatigue en étant ici pareille à un moteur qui s’emballe et qui chercherait à se faire taire lui-même. Des sentiments de vanité et désenchantement prennent le lecteur à la gorge et lui donnent envie à lui aussi, de recracher le trop-plein, la dégueulasserie qui frôle souvent le dégoût de soi.

 

  

je ne vais pas continuer à écrire

 « les vaches se tiennent debout sous la pluie »

 par exemple

 

je ne vais pas non plus

sortir sous la pluie

ni me taire ni mourir tout de suite

 

 

Il y a au départ de l’écriture une plaie, impossible à refermer. Les mots en guise de cautérisation, autant verser de l’eau dans un trou de sable.

 

Je lèche ma plaie

J’écris avec ma langue

 

 

Celui qui écrit ne peut que continuer à écrire, dans une vertigineuse mise en abîme, une toile dont on finit par voir la trame à force de l’user, écrire même pour dire rien.

 

mais plus pur que le rien

pourquoi en voudrais-je

de cette baudruche

 

pureté brûle, viole,

met des fils de fer barbelés

 

 

Pour interroger le silence. Deux mots déjà, deux mots de trop. À devenir fou. Les mots sont à la fois le fond où l’auteur se noie et le radeau qui le sauve.

 

 

seulement voilà

ça s’effrite dedans, ça craque

et l’écriture jette ses oiseaux noirs

sur la page étale

 

 

(…)

 

je ne peux plus compter

sur le mauvais ficelage

de ce radeau

 

Les mots, filet balancé au néant, pour y pêcher quoi ?

 

Donnez-moi de l’amour

à cause de mes phrases

beaucoup d’amour anonyme

non prononcé

 

 (…)

 

j’aligne les mots les signes

les hameçons

Qui ne pêchent rien

j’aligne

 

 

(…)

 

c’est un tango absurde avec le manque

 une posture à foutre en l’air

 à coups de revolver

 

 

Et puis il y a tous ces voyages, ces échappées dont les images restent gravées, des mots encore et cette atroce certitude qu’ils ne réparent rien, que les mots ne résolvent rien, ne ressuscitent rien.

 

je me suis bagarré avec tout ça, j’ai fait du doute un habit à peu près supportable

la grande fatigue, elle, me jette au bord de l’impudeur : tout déballer, faire le tri ou alors foutre le feu tout de suite à l’entière baraque

 

  

Démolition, c’est le poète qui se débat avec sa solitude.

  

sommes-nous

l’ange et moi

symétrique aussi

sommes-nous

l’ange de l’autre

 

 

(…)

 

puis–je étrangler

au nœud coulant de mon blabla

ma solitude

 

Car celui qui se construit de mots en vient à douter de sa propre consistance.

 

et puis ça se fissure

on ne sait pas bien

on n’a plus

qu’une vapeur d’âme

un crachin

 

 

(…)

 

RIEN

 

Se débrouille pour me dissoudre

 

 

Reste à rire de soi, que ce soi de maux soit de mots, soit ! Le pied de nez de celui qui ne saurait vivre sans eux, même s’il est tenté de les démolir, comme un taulard voudrait casser les briques des murs qui l’enserrent.

 

et pas de pioche encore

pour les briques du mur

mais ça viendra

ça va casser futur proche

ça s’éboulera langue et sourire

boomerang.

 

  

Et le lecteur en reprendra bien encore une fois.

A noter aussi, les superbes illustrations d’Yves Budin.

 

  

Cathy Garcia

 

 

  

belleveaux2.jpgJean-Christophe Belleveaux naît par hasard en 1958 à Nevers-en-France. Se prolonge par faiblesse, notamment dans la vaine animation d'une revue de poésie, "Comme ça et autrement" durant sept années, dans de vagues études de Lettres et de langue thaï, en résidence d'écriture et lectures publiques, dans de tenaces errances à travers les fuseaux horaires et le labyrinthe existentiel. Mourra par rencontre, comme tout un chacun.

 

 

 

 

 

Commentaires

Superbe décortication analytique! Et, moi aussi "j'en pince" pour ce poète!

Écrit par : Nadie | 13/03/2014

Les commentaires sont fermés.