Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/06/2014

Brésil - 1999

 

Et encore une fois, le Brésil...

 

 

Aéroport de Sao Paulo sous la pluie, escale avant Rio, et l'avion redécolle. Musique latino sur les oreilles. Je ne sais pas encore que je suis au Brésil. Appréhension. Manque de sommeil, angoisse, je suis presque maussade. Non, je n'ai vraiment pas encore réalisé que ce que je vois là en bas, à travers le hublot, c'est le Brésil. Pour la quatrième fois !

  

Chaud le Brésil, une chaleur qui dilate le cœur, qui enfièvre les regards, une chaleur lourde et lascive qui ruisselle entre les cuisses. Bouffées douces de maconha, frisson vert acidulé des caïpirinhas, déloyales et délicieuses. Chaud et le temps s'étire tout en longueur, en langueurs moites et palpables, traversé de violents éclairs qui déchirent l'atmosphère imprégnée de sensualité. Le cœur est à l'orage.

 

Chaud et pourtant demeure le qui-vive, l'urgence, le vacarme des rues, le grondement des moteurs, les cris, les sifflements, le crissement des pneus sur l'asphalte. Au coin d’une rue, sur le trottoir, des fleurs, des bougies dont la cire a coulé, des fruits… Rituels macumba. Les postes de radio égrainent leur musique, rythmes salsa qui font danser des oreilles aux orteils. Poussière humide, friture et jasmin, étalages bariolés de fruits charnus et sucrés. Le son des voix se confond avec le reste, séduction de la langue, musique de vie.

 

La magie suinte de la terre et des murs fendillés, magie blanche, magie noire, magie du sang mêlé. Mulato, caboclo, cafuzo… Petits chats sauvages, rapazes, pivetes, enfants des favelas. La vie est à ce point tordue qu’on va jusqu’à donner aux bidons-villes un nom de fleur sauvage. La favela est une fleur qui poussait sur les mornes… Y fleurit-elle encore entre les entassements d’ordures, de tôles et les coulées de boue ? Favela da Rocinha, Morro da Babilônia... Multitude d'enfants aux corps têtus et fragiles. Leurs peaux crasseuses gorgées de soleil. Leur regard fier et farouche, brûlant de hardiesse, de curiosité. Ces enfants me fascinent et la violence de leur enfer encore une fois me révolte.

 

Je vois le vaste océan là-bas, qui lèche et sanctifie le rivage de ses langues d'écumes, raconte en boucle sa longue histoire, ses peines infinies. Le vieil océan qui pour combler sa solitude, à l’heure où le soleil chavire, berce la lumière moribonde, pendue aux flots de la baie de Guanabara. C’est Iemanja la déesse, qui nous protège et charrie nos débris, nos ordures, nos scories. Une fois l’an, pour l’honorer, les fidèles vêtus de blancs de l’umbanda, jette dans ses bras bleus des brassées de glaïeuls et plantent des milliers de petits soleils sur ses flancs ensablés. Il se peut qu’au même moment, certains finissent sous un bus, écrasés, en robes blanches ensanglantées. A Rio, le drame est un fait divers. 31 décembre 1994, minuit moins cinq. Ceux qui étaient avec moi s’en souviennent encore. Jamais encore je n’ai pu raconter ça par écrit. Heureusement après, il y a eu Paraty, puis Sao Paolo, 1995, Belo Horizonte et Ouro Preto, 1998 et aujourd’hui Rio encore. La boucle est bouclée, mais ici je n’écris pas. Ici je vis, je vis à fond.

 

 

Chaud… et la chaleur boit à même les corps, en extrait les plus intimes parfums pour les répandre ensuite, huiles saintes sur la terre. Terre de feu, de sang, qui rend fou, vivant, obscène et entier, tellement la mort est omniprésente ! Une terre où les sans-terres luttent sans arme, une terre où l’enfant sans père, ni mère, voudrait bien pouvoir laisser couler des larmes. Trop grandes richesses côtoient trop grande détresse.

 

Terre de bois rouge, ma terre-aimant ! C'est encore toi que je vois à travers le hublot, mais c'est déjà le retour et comme à chaque fois, je n'ai pu que vivre, vivre vite et beaucoup, même trop parfois. Et maintenant en escale à Sao Paulo, sans quitter l'avion, je pense à quoi ? Je sais que je reviendrai un jour, dans six mois, dans un an, je n'en sais rien et cela n'a aucune importance.

 

 

Cathy Garcia, janvier 1999

 

 

 

Les commentaires sont fermés.