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17/11/2014

Histoire du tableau “Assassinat dans un restaurant de San Pedro Sula”

Ariel Torres Funes (28 ans) est un journaliste et écrivain hondurien (du Honduras). La peinture fait partie des passions auxquelles il se consacre à titre amateur et épisodique. Il m’a confié, au détour d’une conversation, que le désir de peindre l’envahissait quand il se trouvait confronté à une situation personnelle ou émotionnelle qu’il n’était capable d’endurer qu’à travers la création artistique – sans qu’il n’éprouve, pour cela, le besoin de faire cas des critères purement formels, et encore moins de l’idée d’une approche théorique des arts.

La spontanéité d’un tel processus créatif est très fréquente au Honduras – étant évident que je me réfère là essentiellement aux expériences des artistes amateurs ne vivant pas de leurs créations et n’ayant jamais étudié dans une quelconque école des Beaux-Arts.

 
Dans un pays comme le Honduras, il t’arrive de plonger dans la peinture ou l’écriture, parfois, pour la simple raison que tu n’as pas d’autre moyen de digérer la réalité. C’est un tel processus qui m’a guidé dans ma formation d’écrivain. L’écriture ou la peinture, dans cette perspective-là, remplissent une mission thérapeutique importante en t’aidant à combattre ou à interpréter d’une manière plus claire les sentiments de frustration provoqués par un tel pays.
 

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En ce qui concerne ce tableau précis maintenant, il a pour sujet un assassinat qui a eu lieu dans un restaurant de la chaine états-unienne Pizza Hut, dans la ville de San Pedro Sula (considérée comme la plus violente du monde), capitale industrielle du Honduras et deuxième plus grande ville après Tegucigalpa.
 
Ariel m’a dit, un jour que nous étions à évoquer ce thème, qu’il avait cette image gravée en lui et qu’elle ne lui laissait jamais de répit. "J’irais même jusqu’à dire qu’elle m’a foutu en l’air des jours entiers", m’a-t-il avoué par la suite.
 
Le patron de Pizza Hut au Honduras est Jorge Canahuati, un des plus puissants oligarques de notre pays, propriétaire non seulement d’un grand nombre d’entreprises, mais également de la moitié des journaux diffusés sur un plan national.
 
Comme l’assassinat s’est produit dans un de ses établissements, il a décidé qu'exceptionnellement aucun des médias qu’il possède ne relaterait cet événement – on sait aussi qu’il a exercé des pressions sur d’autres périodiques qui ne lui appartiennent pas, afin de ne pas ternir l’image de ses restaurants, qui, par ailleurs, investissent des sommes colossales dans la publicité.
 
Il s’agit là d’une des rares exceptions de non-diffusion d’images violentes consentie par ces journaux qui ne refrènent pas vraiment, quotidiennement, leurs publications des photos les plus horribles qui soient.
 
Au Honduras, comme dans nombre d’autres endroits du monde, les dirigeants des grands groupes médiatiques ne se soucient guère de la santé mentale de la population. De fait, les élites honduriennes n’ont jamais considéré la population du Honduras comme citoyenne ; les journalistes, leur emboîtant le pas, n’utilisent ce terme qu’avec parcimonie, parce que l’employer impliquerait tacitement que les personnes possèdent aussi des droits. Sur la plan sémantique, ce n’est pas la même chose d’appeler quelqu’un citoyen que de le considérer seulement comme un habitant.
 
Je ne parle même pas de tous les qualificatifs péjoratifs quotidiennement employés par la presse, qui, de manière continuelle, attisent le racisme, la xénophobie, la violence sexiste, le mépris des pauvres et la liste pourrait se poursuivre encore quelque pages…
 
Les journaux du Honduras – sans exception – alimentent une culture du mépris observable tant au niveau de la sélection des informations que du traitement qu’il en est fait, ou encore des images et du vocabulaire utilisé.
 
Le problème de la presse jaune (ou à sensations) au Honduras est qu’elle est la seule existante au format papier. Il n’y en a pas d’autre. Nous disposons de quatre périodiques à tirage national et les quatre, comme on dit de manière familière, “pissent le sang”.
 
Au Honduras, les médias sont l’instrument idéologique le plus puissant qui existe, par-dessus même les partis politiques. Et, sans l’ombre d’un doute, plus que le reflet de la société, ils sont le reflet de leurs dirigeants. C’est surprenant et effrayant de voir la manière qu’ils ont, par exemple, de décrire la personnalité de leurs propriétaires.
 
Tu peux essayer d’ouvrir un journal de Canahuati et, quand tu en seras venu à bout, tu auras l’impression d’avoir fait une promenade dans un cimetière clandestin. La sensation qu’ils te laissent, c’est que la mort et le mépris de la vie humaine ont atteint, à la fois, un haut degré de perversion et un niveau de légitimité incontestable. Cette réalité, dans un petit pays aux moyens limités, aux canaux d’expression réduits, est parfaitement insupportable.
 
Effectivement, cette peinture, qui aura fini accrochée à un des murs de la maison d’Ariel, accompagnée d’une version gravée dans le bois de ce poème dont je suis l’auteur, est un bon témoignage de l’état de terreur parallèle parasitant les modes de communication au Honduras.
 
 
José Manuel Torres Funes
 
traduction en français de Laurent Bouisset : http://fuegodelfuego.blogspot.fr/
 
 

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