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15/04/2015

Mort de l'écrivain Eduardo Galeano, figure emblématique de la gauche latino-américaine

 

Le Monde.fr | 13.04.2015 à 16h03 • Mis à jour le 14.04.2015 à 08h11 | Par Julie Clarini

     

                                    

image: http://s2.lemde.fr/image/2015/04/13/534x0/4615129_6_3d36_eduardo-galeano-en-avril-2009_94716f5ada91b2f835865b7008843685.jpg

Eduardo Galeano, en avril 2009. Eduardo Galeano, en avril 2009. RONALDO SCHEMIDT / AFP

Le journaliste et écrivain uruguayen Eduardo Galeano est mort lundi 13 avril, à l’âge de 74 ans, dans sa ville natale, Montevideo, après avoir connu l’exil pendant plus de douze ans. Cet auteur prolifique, salué par la critique pour sa prose brûlante, toujours à fleur d’indignation, fut acteur et chroniqueur des luttes d’émancipation qui se sont déroulées sur le continent sud-américain dans le dernier quart du XXsiècle. Son nom restera associé au livre devenu un classique de la gauche latino-américaine, écrit en 1971 : Les Veines ouvertes de l’Amérique latine (traduit en français en 1981), une dénonciation cinglante du pillage des nations d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud par les puissances européennes et nord-américaine, traduite dans une vingtaine de langues. En 2010, le prestigieux prix littéraire Stig-Dagerman distinguait l’écrivain pour « avoir toujours été du côté des damnés de la terre, sans avoir cherché à être leur porte-parole ».

Son parcours, intensément politique, est le reflet d’une époque mouvementée où l’engagement se faisait autant par la plume que par les armes. Né le 3 septembre 1940, il débute très jeune dans la presse, comme journaliste et caricaturiste. A l’âge de 21 ans, il dirige Marcha, l’hebdomadaire-phare des intellectuels latino-américains de gauche, puis le quotidien Epoca. Chassé d’Uruguay par le coup d’Etat de 1973, Eduardo Galeano est également contraint de quitter l’Argentine, pays où il a trouvé refuge et fondé une autre revue, Crisis. Il choisit l’exil en Espagne, à Barcelone, en 1976, et ne revient dans son pays que dix ans plus tard, en 1985, alors qu’y débute la transition démocratique.

« Pour Obama, affectueusement. Hugo Chavez »

Son œuvre engagée témoigne de son attachement indéfectible à la lutte contre l’oppression. Sa trilogie Mémoires du feu (Les Naissances, 1982 ; Les Visages et les Masques, 1984 et Le Siècle du vent, 1986) traduite chez Plon, est une immense fresque inspirée par l’histoire de l’Amérique latine, des peuples précolombiens au XXsiècle : l’écrivain y donne à voir et à sentir, dans un puzzle de faits divers, de témoignages, d’extraits de discours, l’histoire d’un continent qui ploie sous la misère – des pages de prose « violentes, émouvantes, hurlantes de colère », écrivait Pierre Lepape dans Le Monde des livres, en 1988. Seul l’oubli tue véritablement, pensait Galeano, infatigable chroniqueur.

L’une des dernières personnes à avoir rendu visite chez lui à cette grande figure de la gauche latino-américaine est le président bolivien Evo Morales, nouvelle preuve que l’homme fut une figure importante et son œuvre un marqueur. Une anecdote autour de son essai Les Veines ouvertes de l’Amérique latine en témoigne :en marge du sommet des Amériques, en 2009, Hugo Chavez, le président vénézuélien, en avait offert et dédicacé un exemplaire à son homologue américain, Barack Obama — « Pour Obama, affectueusement ».

Aussitôt questionné sur ce geste, Galeano avait répondu que selon lui, ni l’un ni l’autre ne pouvaient comprendre ce texte, ajoutant : « C’est écrit dans une langue qu’Obama n’entend pas. C’est un geste généreux mais un peu cruel. »

Une partie de son œuvre est aujourd’hui disponible en français grâce à la maison d’édition québécoise Lux. Comme tous ses compatriotes, selon lui, il avait voulu être footballeur et avait consacré un très beau livre d’hommage à ce sport, en 1995 : Le Football, ombre et lumière (Climats, 1998). La parution d’un nouveau livre d’Eduardo Galeano, Mujeres (« Femmes »), est prévue jeudi en Espagne.

Eduardo Galeano n’avait jamais perdu la flamme, s’enthousiasmant en 2011 pour le mouvement des Indignés, en Espagne, rassemblé à la Puerta des Sol, à Madrid, qui était pour lui, disait-il, une « injection de vitamine E, pour “Espérance” ». Du reste, dans un entretien à un journaliste espagnol en 2012, il assurait : « Je crois que les mots ont un pouvoir, comme Serenus Sammonicus, qui, en 208, pour éviter la fièvre tierce, conseillait de se mettre sur la poitrine un mot et de se protéger grâce à lui nuit et jour : c’était abracadabra, qui signifie en hébreu ancien “envoie ta foudre jusqu’au bout”… Je choisirais également cette phrase. » Jusqu’à la mort.


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