Le réalisateur Vahe Abrahamyan a été interviewé par GrèceHebdo à propos de son nouveau court- métrage Stolen Futures (2015) centré sur les difficultés propres aux immigrés de la deuxième génération en Grèce qui ont du mal à obtenir la nationalité grecque. Le film, co-réalisé avec Petros Yassemis, suit Samy (Samuel Akinola), jeune diplômé de l'école grecque, d'origine africaine, qui fait face à la réalité d'être adulte sans papiers et étiqueté comme enfant immigrant. Né à Erevan, en Arménie, Vahe Abrahamyan a déménagé en Grèce avec sa famille en 1992, après l'effondrement de l'URSS. Il a fait des études de droit à Athènes à Paris ou il vit actuellement.
C’est le fruit d’une longue expérience personnelle et collective de la vie d’un immigré de la deuxième génération en Grèce. Puis un jour en travaillant sur les deux premiers livres de mon ami, l’écrivain Gazmend Kapllani, j‘ai découvert les témoignages d’autres jeunes de la deuxième génération d’immigrés, d’origine africaine surtout. Cela m’a révolté encore une fois. Ces jeunes, par rapport à moi venu d’Arménie ici à l’âge de 11 ans, ont eu en plus le «malheur» d’être nés en Grèce… Là les choses se compliquent encore davantage, car la Grèce refuse de les inscrire à l’état civil et le pays d’origine de leurs parents leur refuse souvent un passeport sous prétexte qu’ils «n’existent pas», puisqu’ils ne sont inscrits nulle part...
Impossible donc pour eux de s’inscrire à l’université, d’avoir une couverture sociale, de travailler, de voyager, la liste des « impossible» est longue… Même si certains réussissent finalement à obtenir un passeport du pays d’origine de leurs parents- tel fut mon cas- ceux-ci doivent régulièrement justifier leur existence légale dans le pays, exactement au même titre qu’un immigré fraîchement arrivé, sous peine d’expulsion. Mais expulser vers où…?
Impossible donc pour eux de s’inscrire à l’université, d’avoir une couverture sociale, de travailler, de voyager, la liste des « impossible» est longue… Même si certains réussissent finalement à obtenir un passeport du pays d’origine de leurs parents- tel fut mon cas- ceux-ci doivent régulièrement justifier leur existence légale dans le pays, exactement au même titre qu’un immigré fraîchement arrivé, sous peine d’expulsion. Mais expulser vers où…?
Nous sommes devenus une génération «d’éternels immigrés», rejetés et trahis des deux côtés, sans points de repère… 200.000 enfants. Les «enfants du Pays Imaginaire», comme je le dis à la fin du film. C’est pour moi le symbole d’une société, d’un pays sclérosé qui ne sait pas accueillir et prendre soin de ses propres enfants, de son propre avenir. Car nous sommes fils et filles de la Grèce.
Un jour donc je discutais avec un ami proche en Grèce, Petros Yassemis, une autre sorte d’«immigré» lui aussi… Bien que né de parents grecs, il est né et passé une partie de son enfance à l’étranger et n’est arrivé en Grèce que plus tard. Il venait de voir une émission sur ces jeunes de la seconde génération. Nous nous sommes fixé comme objectif d’écrire un scénario ensemble, à distance, et de tourner ensuite un film à ce sujet pendant le mois d’été où je serais en Grèce. Le résultat a été ce petit court- métrage de fiction inspiré d’histoires vraies, vécues par des enfants de la deuxième génération d’immigrés en Grèce. Nous espérons que le film contribuera à la sensibilisation du public autour de cette question sociale cruciale, car un grand nombre ignore l’existence même du problème.
Est-ce que vous vous identifiez comme Arménien, Grec, Français, Européen ou rien de tout ça ?
Je suis tout ça en même temps. Et c’est bien souvent ça qui met les nationalistes, les fachos etc. dans tous leurs états. Ils n’arrivent pas à réaliser que l’on puisse assimiler en tant qu’être humain une multitude d’identités en harmonie l’une avec l’autre. C’est une source de richesse inépuisable, où chacun est libre de puiser les éléments qu’il préfère. Nous sommes tous uniques.
Je m’identifie donc comme citoyen du monde, ayant des racines, des origines et des influences diverses. Mon séjour de deux ans en Chine par exemple m’a apporté encore tout un nouveau chapitre d’influences. L’essentiel c’est d’être un être humain tout simplement. L’amour, la haine, la vérité, le mensonge sont partout pareils, l’essence de l’être humain ne dépend pas d’identités nationales. La sensibilité humaine est un travail constant au niveau personnel. Ensuite le collectif en profitera et s’imbibera de ce travail personnel de chacun.
Etre étranger en Grèce correspond à quoi ?
Un étranger est d’abord isolé du reste de sa grande famille qu’il laisse derrière lui. Je suis arrivé avec mes parents et mon frère. En tant qu’enfant il n’y avait plus de grands parents, plus de famille à la campagne. Tout ça est resté dans un autre monde qui s’écroulait à une vitesse acharnée derrière nous. Isolés, seuls, sans parler la langue. Ce n’est pas évident au début. Ensuite les petits pas d’adaptation tracent leur chemin. Nous, les enfants, on s’adapte d’ailleurs beaucoup plus vite. En tant qu’arménien j’ai reçu un accueil plutôt positif des Grecs. Les liens et destins historiques qui lient les deux peuples aident à ce que l’image de l’Arménien soit perçue amicalement dans la société grecque. Mais justement je trouve aberrant de fonder l’estime de quelqu’un sur ses origines. C’est un racisme primaire.
L’accueil a été loin d’être aussi chaleureux pour des Albanais, des Africains, des Pakistanais… la liste est longue. Eux sont souvent caractérisés comme des «hordes de barbares»… N’est-ce pas ridicule ?
Ensuite vient le chapitre «être un étranger face à l’Etat grec». Et ce chapitre est tout simplement tragique… Tu te sens comme un être de second rang. C’est comme ça que l’administration te traite. Elle n’est déjà pas efficace pour les citoyens grecs, mais pour les étrangers s’y ajoutent le racisme dur et l’impression qu’on te fait une grande faveur, rien qu’en t’adressant la parole… Pour traiter tes papiers, on verra, quand on a envie et puis enfin, n’oublie pas qu’on te fait une énorme faveur, tu peux toujours retourner chez toi.
Et arrivent les attentes interminables pour des papiers… des papiers qui arrivent périmés, avec un ou deux ans de retard et il faut tout recommencer à zéro. Tu voulais partir en Erasmus? Tant pis. T’es un être de second rang n’oublie pas. Peu importe que tu sois né dans le pays ou que tu aies passé la plus grande partie de ta vie dans ce pays. Tu as été, tu es et tu resteras un étranger. «On naît grec, on ne devient pas grec». C’est au moins ce qu’a stipulé le Conseil d’Etat en 2013 pour retirer une nouvelle loi sur l’acquisition de la nationalité grecque qui mettait fin à toute cette absurdité. Quelle horreur… Des pas en arrière et vers le nazisme. Là ce n’est pas l’Aube Dorée pourtant, c’est le Conseil d’Etat, la cours suprême administrative du pays ! Espérons que le nouveau gouvernement mettra fin à tout ça. Mais de toute façon il y a beaucoup de travail à faire dans la conscience collective sur l’image de « l’étranger» dans le pays. Cet étranger qui nous ressemble tellement finalement… Et n’est-ce pas cette ressemblance qui fait encore plus peur que les différences, comme le dit mon ami Gazmend Kapllani?
La montée du FN en France, de l'Aube Dorée en Grèce: est-ce que la xénophobie et le racisme se nourrissent de la crise?
Tout ce cancer se nourrit de la crise, mais la crise n’est pas la source. Le cancer y était depuis toujours, il guettait simplement le moment propice pour se répandre. La source de la xénophobie et du racisme c’est nous, ça vient de l’intérieur de chacun d’entre nous, tout comme la crise elle-même d’ailleurs. Seul un travail intérieur constant avec amour pour soi et pour les autres peut rejeter ce venin de peur qui empoisonne nos sociétés et les conduit comme on le voit bien, vers le chaos et la destruction. J’emprunterais cette phrase de Manos Hadzidakis: « …Le néonazisme ce n’est pas de la théorie, de la pensée et de l’anarchie. C’est un spectacle. Vous et nous. Avec comme acteur principal la Mort.»
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