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03/06/2015

Ma Fille Folie (Mia Figlia Follia),, Savina Dolores Massa

mars 2015, traduit de l’italien par Laurent Lombard, Edition: Editions de l'Ogre

Ma Fille Folie, Savina Dolores Massa
 
200 p. 21 €   
 

Ma Fille folie est le récit d’une illumination, celle de l’impossible fécondation puis de l’incroyable maternité de Maddalenina, la folle du village, une invalide de cinquante ans. Bénie par les saints et pénétrée par un cierge consacré, elle se voue à trois époux dont elle appelle l’attention et l’amour par sa présence silencieuse : un jeune garçon, descendant d’une noble famille décadente, un professeur humilié par ses amours inverties, un paysan solitaire et stérile comme les terres qu’il s’obstine à labourer. Chacun dévoilant peu à peu ses secrets sous l’œil limpide de la Mère que tous ignorent ; chaque apparence de respectabilité se fissurant devant cette vieille petite fille, mal fagotée, mal chaussée.

Maddalenina s’en vient visiter Maria Carta, la guérisseuse devenue muette, vieille femme assise devant sa maison, vouée à l’observation d’un prunier aussi décrépi qu’elle. Maddalenina lui confie toutes ses pensées, ses sensations de future mère, elle lui raconte ses extases, ses espoirs et revient sur son enfance, sa vie de femme mise à l’écart par tous les membres du village sarde. Dans sa langue malhabile et crue, elle pose d’incessantes questions, elle met à nu son être innocent, et sans s’en rendre compte, les travers de tous les bien-pensants qui se vautrent dans le vice, tout en jouant les grenouilles de bénitiers.

Saluons le travail d’orfèvre du traducteur qui parvient à dénouer et renouer tous les fils de cette écriture protéiforme, nabron contenant tous les travaux d’aiguilles du récit.

« Plein de gens marchent toujours deux par deux, moi, quand il pleut, j’ai même pas mon ombre à côté. J’aime bien quand je me vois double dans une vitre, ça me fait un peu passer le mal au cœur que j’ai pas compris pourquoi il me vient, quand je fais un tour, le mal au cœur. Tu crois que je devrais en parler à mon docteur, de ce mal au cœur ? Mais celui-là il ne veut pas que j’aille à son cabinet, Va-t’en chez toi, il m’a dit la seule fois où j’y suis allée, C’est moi qui passerai te faire une visite ».

Maddalenina est repoussante et saine, elle pue et elle embaume les fruits de la terre, elle est obscène et sainte. En elle se rejoue une étrange trinité dont les figures masculines sont exclues : ici, s’imposent la Mère, la Fille et l’Esprit saint du corps féminin. La Vierge vit une conception maculée avec un improbable godemichet. Face à elle, face à sa logique aussi absurde qu’imparable, Maria Carta tente de résister, de s’accrocher à la vie, à ses souvenirs. Est-elle encore là, dans ce corps décharné, asséché, privé de sève ?

« La puanteur de sa merde annonce sa venue une demi-heure avant qu’elle n’arrive, même à ciel ouvert. Mais moi je suis sûre que ce n’est pas la raison pour laquelle on la chasse. Je crois que c’est parce qu’elle est vivante, malgré tout ce qu’elle combine d’étranger à leurs habitudes. Ses discours sans queue ni tête n’entrent pas dans leur logique habituelle. Ce n’est pas facile d’apprendre à comprendre d’autres langages. Ça fatigue. C’est un risque de voir remises en cause des certitudes héritées. Même moi elle m’épuise, elle est dépourvue de raison : nous le croyons et nous le disons. De la nôtre du moins. Nous lui disons, Va-t’en, comme à un chien dont nous craignons qu’il veuille nous mordre la grosse veine du cou ».

Voici un ouvrage qui a fait scandale en son pays, qui fera scandale ailleurs. Pourquoi ? Parce qu’il nomme, hume et décrit la merde ? la jouissance ? Parce qu’il blasphème avec jubilation et sans revendications ? Parce qu’il s’affranchit du regard des hommes et des normes de la langue ? Parce qu’il rend floues les limites de la narration ? de la raison et de la folie ? de la vie et de la mort ? Parce que la marge dérange encore et toujours l’univers en place ?

Saine est la parole de la folle et bienvenu son questionnement. Saine est sa foi comme est grande sa corporalité. Splendide est la langue qui se joue et se démultiplie pour en rendre compte, et leur donner leur part de matérialité.

 

par Myriam Bendhif-Syllas

 

Savina Dolores Massa est une écrivain et une poétesse sarde. Ma Fille folie est son deuxième roman.

 

Source : http://www.lacauselitteraire.fr/ma-fille-folie-savina-dol...

 

 

 

 

 

 

 

 

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