25/07/2015
Chers agriculteurs en colère, de quoi vous étonnez-vous ?
Je ne suis inscrit dans aucun parti ni syndicat, je ne suis pas un électeur bobo-écolo EELV, je ne travaille pas dans le secteur agricole ; je suis travailleur social. Rien à voir. Je suis un Mayennais qui a emménagé en Bretagne, dans le Coglais voisin.
Depuis plusieurs semaines, je lis dans les journaux locaux que des actions quasi simultanées sont organisées par les éleveurs devant des grandes surfaces de villes que je connais bien, comme Laval ou Fougères. Je tenais à vous dire que vos actions ne suscitent absolument pas l’empathie d’un citoyen comme moi.
Je m’explique. Je viens vous parler du fond et non de la forme.
C’est souvent la forme de vos actions qu’on vous reproche. Pas moi. La violence – même si elle est uniquement matérielle dans votre cas – règle rarement les problèmes. Elle prend le risque de susciter plutôt de la réaction du côté des forces de l’ordre au sens large (police, gendarmerie, préfecture...). Et à la fin, en général, ceux qui gagnent, ce ne sont jamais ceux qui sont en face des boucliers et des matraques.
Cependant, si la violence ne se justifie pas dans un contexte quelconque, elle peut toujours s’expliquer. Or, dans votre cas, je ne vois pas où est l’explication.
L’incohérence de vos positions
C’est donc sur le fond que je porte ma critique de vos positions. Vous vous êtes installés en acceptant de jouer le jeu de la soi-disant « modernité » qui vous fait raser vos haies et vos talus, acheter d’immenses engins à crédit ou encore investir, toujours à grands coups de crédits et de subventions, dans des salles de traite high-tech. Vous avez accepté de jouer ce jeu orchestré par une Union européenne ultralibérale et des banques qui s’enrichissent sur votre travail et sur vos réveils réglés à 4h30 du matin.
Aujourd’hui, vous vous plaignez des prix auxquels la grande distribution et ses intermédiaires vous achètent vos produits. Tout ça pour quoi ? Je suis désolé de le dire – et blesser n’est pas mon intention : pour produire des denrées de mauvaise qualité, impropres pour notre santé et mises en circulation dans un système qui encourage le gâchis en quantité industrielle. Quelle est votre cohérence de vouloir jouer ce jeu tout en critiquant le fait d’être pris pour les dindons de la farce libérale ? C’était écrit sur la boîte ! Pourquoi faire aujourd’hui les étonnés ?
Manifestation d’agriculteurs devant centre commercial près de Rennes, le 2 juillet 2015 (DAMIEN MEYER/AFP)
Dans ce qui m’apparaît comme de l’incohérence, combien des membres de votre syndicat sont allés faire leurs courses chez Carrefour, Leclerc, U, Netto, Liddl ou Leader Price le week-end dernier ?
Dans le Coglais, je connais deux adresses de paysans. Ils le sont encore. Ils ne sont pas encore devenus ces « exploitants » qui ne se contentent que « d’exploiter » la terre et les bêtes au lieu de la cultiver et de les élever. Ils produisent pour les uns légumes et œufs, pour les autres volailles. Une troisième adresse existe dans un village limitrophe du canton pour les volailles. Ces deux premières adresses font de la vente directe.
Ainsi peuvent-ils, eux, critiquer la PAC, l’Union européenne et la grande distribution. Ainsi sont-ils, eux, cohérents lorsqu’ils le font. Ainsi seraient-ils, eux, légitimes pour manifester leur colère face à ce que l’on nous vend dans les supermarchés.
Vivre de l’agriculture hors de ce système
Je suis petit-fils d’ouvriers agricoles devenus métayers au milieu du siècle dernier. Je suis Mayennais jusqu’aux os et j’ai fait le choix, après dix années passées en centre-ville de Rennes, de retrouver la campagne qui m’a vu grandir heureux. Je crois être attaché à la terre et à ces valeurs qui ont animé mes grands-parents. Or, la terre, ce sont eux qui me l’ont dit, elle produit simplement et naturellement, avec la force de nos bras – aidée de nos outils motorisés, ne soyons pas rétrogrades. Pas besoin de produits chimiques. D’ailleurs, les rendements sont meilleurs sur les petites exploitations qui diversifient leurs cultures.
Aujourd’hui, il est tout à fait possible de vivre de l’agriculture hors de ce quatuor infernal : chimie-UE-banques-gâchis. Cela existe déjà, d’ailleurs – vente directe avec ou sans Amap (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne). Aussi, celui qui décide volontairement d’entrer dans ce jeu, accepte d’être le dindon. Ou bien a-t-il toujours le choix de tourner le dos au productivisme et de partir faire une autre agriculture. Saine. Pour lui, psychologiquement, et pour nous, les consommateurs.
Vous qui devez aimer profondément l’agriculture, que faites-vous encore dans ce système ? Vous remarquerez qu’à aucun moment, je ne vous ai parlé de labels, de bio, d’écologie politique. Je ne mets pas non plus de majuscule quand je parle de la terre. Je parle de la matière et de rien d’autre. Je vous parle de bon sens, souvent qualifié à raison de « paysan » et de santé.
Par ces actions, vous vous isolez. Ayez également conscience que ce système vous fait passer pour des fainéants que vous n’êtes pas, et qui se contenteraient de grogner, salir et casser tout en profitant des subventions européennes. C’est bien sûr plus compliqué que cela. N’empêche qu’à la source de tout problème, il y a un choix individuel qui nous y a menés. Il est temps de le voir.
Source : http://rue89.nouvelobs.com/2015/07/10/chers-agriculteurs-...
20:11 Publié dans RÉSONANCES | Lien permanent | Commentaires (0)
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