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25/09/2015

Erri De Luca ou l’usage de la parole

                 

Par Robert Maggiori 23 septembre 2015 à 19:26

 

L'écrivain italien Erri De Luca, en 2008.Zoom L'écrivain italien Erri De Luca, en 2008. Photo AFP

Cela fait toujours froid dans le dos d’entendre qu’un écrivain puisse, dans une société démocratique, aller en prison pour avoir fait des «déclarations». En septembre 2013, dans une interview au site italien de l’Huffington Post, l’écrivain Erri De Luca, militant d’extrême gauche, écologiste de toujours, avait déclaré : «La TAV doit être sabotée.» La TAV, c’est la ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin, qui, depuis plus de vingt ans, est au centre du débat public en Italie : les gouvernements successifs ont maintenu le projet, en voie de réalisation, malgré la très forte opposition des habitants du Val de Suse. De très nombreuses manifestations ont eu lieu, parfois très violentes, avec des blessés parmi les forces de l’ordre et les opposants.

La déclaration de l’écrivain napolitain s’inscrivait dans ce contexte. De Luca n’a évidemment tué personne, blessé personne, n’a commis aucun acte délictueux. «Je n’ai jamais fait l’exaltation du sabotage, précisera-t-il. J’ai simplement dit que cette entreprise en Val de Suse doit être sabotée», parce que «inutile et nocive». Il a été accusé d’istigazione a delinquere, d’«instigation à commettre des actes de délinquance», d’«incitation au sabotage» – accusation qui pouvait lui valoir cinq années d’emprisonnement.

Au cours de la quatrième audience du procès, lundi, les procureurs Andrea Padalino et Antonio Rinaudo ont requis une peine de huit mois de prison, considérant que de nombreuses nouvelles attaques contre le chantier de la TAV avaient été lancées après les déclarations de l’écrivain (en sous-entendant l’existence d’un lien de cause à effet) ; que les paroles de De Luca, en raison de sa notoriété internationale, avaient un «poids déterminant dans le mouvement» (le mouvement No TAV) et par là impliquait sa responsabilité pénale ; mais également en reconnaissant, comme circonstances atténuantes, que l’auteur de Montedidio (prix Fémina 2002) avait eu une attitude exemplaire durant les procès et ne s’était soustrait à aucune question.

Nombre d’hommes politiques ou de responsables du projet de la TAV ont incité à «ne pas saboter la grande vitesse ferroviaire». Erri De Luca était d’opinion contraire : il voulait que l’on entravât le projet, qu’il ne pût être réalisé. Si le zèle accusatoire du parquet de Turin s’est affaibli entre la première et la quatrième audience (de cinq ans à huit mois de prison : verdict le 19 octobre), reste qu’il est impossible d’accepter qu’un écrivain – le plus doux des hommes au demeurant – finisse en prison pour avoir exprimé une opinion. «J’étais pour la quatrième fois dans cette salle de tribunal où mes paroles constituent le chef d’accusation, j’étais là à les défendre et à les répéter. Elles, mes paroles, sont à l’abri des condamnations, des détentions. Elles sont là, éparses dans les rayons de bibliothèque, elles sont prononcées en plein air au cours de centaines de rendez-vous au cours desquels les lecteurs décident de témoigner de leur soutien en les lisant à haute voix, en y mettant leur souffle et leurs pulsations. Si sur elles s’abattait une condamnation pénale, j’en assumerais la charge, moi qui suis leur porteur. Elles, mes paroles, restent et resteront libres de circuler.»

Robert Maggiori
 
 Source : http://next.liberation.fr/livres/2015/09/23/erri-de-luca-...
 
 
 
 
 
 
 

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