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29/12/2015

UE - Le Parlement dénonce les excès des brevets sur le vivant Eric MEUNIER

Source : http://www.infogm.org/5882-europe-parlement-denonce-exces-brevet-sur-le-vivant

décembre 2015

 

Le jeudi 17 décembre, les députés du Parlement européen ont adopté à une forte majorité [1] une résolution, non contraignante, qui demande à la Commission européenne de clarifier les règles légales pour que les produits (végétaux ou animaux) obtenus par des techniques de sélection reproduisant des phénomènes naturels [2] soient exclus de la brevetabilité.

 
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La brevetabilité du vivant est en pleine expansion dans l’Union européenne. Le 25 mars 2015, la Grande Chambre de l’Office européen des brevets (OEB) confirmait en effet qu’un produit végétal est brevetable même s’il a été obtenu par un procédé non brevetable qui « consiste intégralement en des phénomènes naturels tels que le croisements ou la sélection » [3] [4].

Par ailleurs, les nouvelles techniques de biotechnologie, brevetables, permettent, de facto, de breveter tous les produits qui en sont issus... et par ricochet, certains caractères des plantes dits « natifs » parce qu’ils existent ou peuvent exister naturellement. Le langage courant a consacré l’expression très approximative et réductrice de « gène natif ». Il ne s’agit en effet que très rarement d’un seul gène et la plupart du temps, aucune séquence génétique n’est clairement identifiée. Un caractère, « trait » ou « unité fonctionnelle d’hérédité » brevetable est dans les faits constitué de l’association d’une fonction (résistance à un insecte, tolérance à un herbicide, caractères nutritionnel...) à son support physique héréditaire qui n’est pas obligatoirement décrit avec précision et dont seule la présence est identifiée par des paramètres génétiques, moléculaires, chimiques ou physiques. Ces paramètres, dématérialisés pour pouvoir être compilés dans des bases de données informatiques, sont qualifiés d’« information génétique » ; « génétique » parce qu’elle identifie un support héréditaire, même en l’absence d’indication du moindre paramètre strictement génétique.

Des brevets sur les « gènes natifs » légalement possibles en Europe

L’Union européenne a réglementé son droit des brevets en adoptant en 1998 la directive 98/44. Selon cette directive, l’identification du lien entre une information génétique et une fonction exprimée par certaines plantes ou certains animaux peut être qualifiée d’invention brevetable dès lors qu’elle est nouvelle et susceptible d’application industrielle. Ce brevet s’applique alors à toutes les plantes, à tous les animaux et à leurs produits contenant l’information génétique et exprimant la fonction décrite dans le brevet, qu’ils soient ou non issus de la multiplication du produit breveté ou de l’utilisation du procédé breveté.

Pour les agriculteurs et les obtenteurs de nouvelles variétés, cela pose un sérieux problème : si une séquence génétique brevetée se trouve « naturellement » ou suite à une contamination « accidentelle » dans leurs semences, leur usage est de facto soumis à l’autorisation du détenteur du brevet. Pour les agriculteurs, cela les oblige tout simplement à acheter chaque année des semences brevetées afin de pouvoir amener la preuve qu’ils ont payé les droits de licence qui sont exigés dès qu’une rapide analyse de leur récolte révèle la présence du marqueur génétique d’un brevet. Pour les obtenteurs, cela remet en cause le régime de propriété intellectuelle portant sur les variétés de plantes adopté en Europe, le Certificat d’Obtention Végétale (COV). Ce COV prévoit en effet une exception pour les obtenteurs qui leur permet non seulement de sélectionner une nouvelle variété en utilisant une variété protégée par un COV, mais aussi de commercialiser la nouvelle variété ainsi obtenue sans rien devoir au propriétaire du COV. Ce qui n’est pas le cas pour le droit européen des brevets, pour lequel l’obtenteur doit obligatoirement obtenir une licence d’exploitation s’il veut travailler avec une plante portant un caractère breveté. D’où le problème qui se pose aujourd’hui aux agriculteurs et aux obtenteurs, qui de plus ne savent souvent même pas si les plantes qu’ils cultivent ou qui sont les bases de leur sélection variétale sont couvertes par des brevets ou non.

Les professionnels des semences, industries comme organisations de la société civile, se sont donc mobilisés [5]. Mais les objectifs ne sont pas les mêmes. En effet, de nombreuses organisations de la société civile réclament depuis longtemps une interdiction totale des brevets sur le vivant. Les industries souhaitent, elles, renforcer leur compétitivité.

À la demande des semenciers, certains pays européens [6] ont déjà introduit dans leurs lois nationales une exception de recherche permettant d’utiliser librement un produit breveté pour des travaux de recherche ou de sélection sans rien demander ni payer au titulaire du brevet. Il en est de même du futur brevet unitaire européen. Mais, sans le droit de licence correspondant, cette exception ne permet pas de commercialiser un nouveau produit s’il contient encore l’information génétique brevetée, ou s’il est issu de la multiplication, « sous forme identique ou différenciée », du produit du procédé initialement breveté. Le nouvel obtenteur peut par exemple élaborer un nouveau produit - contenant la même information génétique déjà brevetée par ailleurs - dès lors qu’il l’associe à une nouvelle fonction suffisamment différente de celle qui est décrite dans le premier brevet, ou composé de nouveaux indicateurs d’une même fonction, ou encore apporter un perfectionnement important au procédé initialement breveté... Mais l’exception de recherche ne l’autorise pas à commercialiser son nouveau produit sans obtenir un droit de licence du détenteur du premier brevet, contrairement à l’exception de l’obtenteur d’un COV qui n’impose pas cette obligation.

Pour pallier les risques de blocage de l’innovation sans renoncer à leurs brevets, certains semenciers se sont organisés au sein d’une plate-forme internationale de licences pour les végétaux dans laquelle ils s’assurent l’accès à leurs brevets respectifs [7]. Leur objectif est de rendre ce système obligatoire par la loi afin d’avoir accès aux brevets des grandes multinationales qui refusent d’y adhérer volontairement.

Un Parlement qui conteste l’interprétation d’une directive qu’il a lui-même votée

La résolution adoptée le 17 décembre 2015 au Parlement européen demande notamment que « la Commission [européenne] clarifie d’urgence les règles existantes - en particulier la directive sur les inventions biotechnologiques - […] afin de veiller à ce que les produits obtenus par une sélection conventionnelle ne puissent être brevetés ». Elle demande également que « l’UE et ses États membres (...) [garantissent] l’accès et l’utilisation du matériel obtenu à partir de processus [sic, le terme correct est en fait "procédé"] essentiellement biologiques pour la sélection végétale ». A toutes fins utiles, la résolution demande à la Commission de transmettre à l’OEB cette clarification qui devrait alors être mise en œuvre (l’OEB ne dépend pas de l’Union européenne mais doit, de facto, suivre la législation européenne puisqu’une majorité de ses membres y est soumise et qu’elle sert de référence pour l’interprétation de ses propres règles d’exécution).

Le Parlement européen précise également sa propre interprétation de la directive européen selon laquelle « les produits obtenus à partir de processus essentiellement biologiques, comme les plantes, les semences, les caractères ou les gènes natifs, devraient par conséquent être exclus de la brevetabilité ». Par cette interprétation, le Parlement, qui est chargé de co-rédiger les lois européennes, conteste frontalement l’application par le juge d’une directive qu’il a lui-même approuvée.

Une résolution qui favorise les technologies génétiques et ignore les besoins des petits sélectionneurs et des paysans

Si cette résolution répond aux attentes des gros obtenteurs qui détiennent déjà de nombreux brevets qu’ils peuvent échanger pour avoir accès à ceux de leurs concurrents, sa portée est à relativiser car elle ne couvre pas les produits obtenus par les nouvelles techniques de biotechnologie, brevetables, et qui peuvent, par ailleurs, exister naturellement.
Ainsi, une séquence génétique qui a été modifiée par mutagenèse dirigée par oligonucléotide [8] n’est pas exclue de la brevetabilité par cette résolution alors même qu’une séquence ne pouvant pas en être distinguée peut exister à l’état naturel [9] et se retrouver de ce fait couverte par le brevet.

Préalablement au vote, la Confédération Paysanne et le Réseau Semences Paysannes avaient réagi à la proposition de résolution en soulignant l’insuffisance de la directive 98/44 à protéger les agriculteurs et les petits sélectionneurs [10]. Les deux organisations soulignaient ainsi, à la veille du vote au Parlement européen, que cette résolution « réclame certes l’interdiction des brevets sur les plantes issues de procédés naturels de sélection, mais qu’elle ne s’oppose pas à la brevetabilité de leurs gènes ou caractères natifs lorsqu’ils sont recopiés et ré-assemblés par les nouvelles techniques de modification génétique ». Pour elles, « si cette résolution devenait loi, toutes les plantes et tous les animaux contenant un gène ou un caractère natifs ainsi brevetés ne pourraient plus être cultivées ni élevés librement, y compris celles et ceux qui ne sont pas issus du procédé breveté, mais de procédés naturels de sélection ». En d’autres termes, les brevets sur les « gènes natifs » obtenus à partir de procédés essentiellement biologiques seraient peut-être interdits ; mais si l’obtention de ces mêmes « gènes » est possible par une nouvelle technique de biotechnologie brevetable, alors ces brevets resteraient autorisés dans les faits.

De même, la résolution du Parlement européen demande à l’Union européenne « d’autoriser la sélection avec des matières biologiques relevant de la portée d’un brevet ». Pour aller plus loin que cette exception de sélection déjà existante dans quelques lois nationales [11] et obtenir un accès libre et gratuit aux traits brevetés pour commercialiser les produits issus de leur modification par la nouvelle sélection, certaines associations de semenciers comme Plantum [12] revendiquent une « exception totale de sélection ». Mais le Parlement ne les a pas suivies. Sa résolution n’exclut en effet pas un accès payant. Elle renvoie au contraire aux articles de la directive qui définissent les procédures de licences obligatoires que le détenteur du brevet ne peut certes pas refuser d’accorder à ceux qui les demandent, mais qui restent sonnantes et trébuchantes.

Cette demande est jugée insuffisante par la Confédération Paysanne et le Réseau Semences Paysannes qui considèrent que l’application aux brevets de cette exception, qu’elle soit partielle ou totale, est sans intérêt pour les agriculteurs et les petits sélectionneurs. En effet, dDans le cas du droit de protection des obtentions végétale qui la définit, cette exception permet d’utiliser une variété protégée afin d’en sélectionner une autre. Cette utilisation peut se faire par des procédés qui s’effectuent naturellement comme le croisement et la sélection, à la portée d’un paysan ou d’un petit sélectionneur. Mais dans le cas du brevet, cette exception ne permet pas l’utilisation du trait génétique breveté pour l’intégrer par croisement dans une nouvelle variété, ni pour reproduire des semences contaminées ou contenant naturellement les gènes brevetés. Cela annulerait de fait le brevet qui protège toutes les plantes caractérisées par ce seul gène, ou trait, et non par l’ensemble du génotype des plantes qui caractérise une variété. Cette exception permet uniquement l’utilisation du trait génétique breveté pour en sélectionner un autre selon ces organisations qui expliquent donc que « seules les grandes entreprises de biotechnologie modifient les gènes pour en sélectionner d’autres. Les agriculteurs et les petits sélectionneurs ne pourraient jamais profiter d’une telle « exception totale de sélection ». Elle serait réservée au club fermé des biotechniciens qui se partageraient ainsi l’exclusivité totale de l’accès au patrimoine semencier et animal sélectionné et conservé par des centaines de générations de paysans ».

Les deux organisations appelaient donc les parlementaires européens à « refuser toute forme de brevet sur les plantes, les animaux, leurs composantes génétiques ou leurs caractères natifs obtenus ou pouvant être obtenus par des procédés naturels tels que le croisement et la sélection » et à « exiger une exception totale de l’agriculteur n’entravant d’aucune manière ses droits de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre ses propres semences et ses propres animaux de ferme, de vendre sa récolte, ses animaux et les produits qui en sont issus et d’accéder sans droit de licence à toutes les ressources génétiques dont il a besoin ». Définie par le droit des obtentions végétales, l’application de cette exception de l’agriculteur au droit des brevets serait, selon le Réseau Semences Paysannes, beaucoup plus forte que celle de l’exception de l’obtenteur. Contrairement à cette dernière qui ne permet d’utiliser le produit protégé par un droit de propriété intellectuelle que pour en sélectionner et en commercialiser un nouveau, l’exception de l’agriculteur permet de commercialiser un produit identique au produit protégé par le droit de propriété intellectuelle à partir du moment où il est issu de l’utilisation par les agriculteurs « à des fins de reproduction et de multiplication, sur leur propre exploitation, du produit de la récolte qu’ils ont obtenu par la mise en culture, sur leur propre exploitation » [13], de semences protégées par le droit de propriété intellectuelle. Les agriculteurs n’auraient ainsi pas besoin de modifier l’information génétique brevetée pour pouvoir utiliser leurs semences et commercialiser leur production.

La résolution adoptée par le Parlement européen est une résolution non législative, autrement dit un avis politique non contraignant pour la Commission européenne et l’Organisation européenne des brevets. Elle devient aussi un élément d’un possible débat à venir autour de la directive 98/44, même si elle ne demande pas explicitement que cette directive soit modifiée. Elle peut par contre constituer un argument de poids en cas de procédure auprès de la Cour européenne de justice, ou au cas où les États membres voudraient rouvrir la directive 98/44... Et les Pays-Bas ont déjà annoncé leur volonté de mettre à profit leur présidence de l’UE durant le premier semestre 2016 pour mettre ce sujet à l’ordre du jour du Conseil...

 

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