Le mouvement d’accaparement de terres se poursuit et s’aggrave. C’est le constat tiré par un nouveau rapport de l’ONG Grain, basée à Barcelone, qui recense près de 500 cas d’accaparement de terres dans le monde dans 78 pays [1]. Plus de 30 millions d’hectares sont concernés, une superficie à peu près équivalente à celle de la Finlande ! La carte ci-dessous, réalisée par Grain, recense les transactions foncières qui ont débuté à partir de 2006 et sont menées par des investisseurs étrangers au pays (la carte recense les superficies supérieures à 500 hectares et destinées à la production de cultures alimentaires) [2] :
L’Afrique, l’Europe de l’Est et le Pacifique demeurent des régions très convoitées. Selon Grain, ce sont « des pays dans lesquels l’agro-industrie est déjà implantée et dans lesquels l’environnement juridique favorise les investisseurs étrangers et les exportations ». Parmi les cas recensés, celui de l’Australie où la Consolidated Pastoral Company (CPC), appartenant à 90 % à la société britannique de capital-investissement Terra Firma Capital, détient un portefeuille foncier de 20 ranchs couvrant une superficie de 5,7 millions d’hectares. L’équivalent de la Croatie ! « Ces élevages de bétail australiens sont intégrés verticalement avec, en Indonésie, deux parcs d’engraissement en joint-venture, qui contiennent plus de 375 000 bêtes », précise Grain.
Les autres pays faisant l’objet d’accaparement de terre sont ceux « dans lesquels les infrastructures d’exportation sont déjà construites et où l’on peut obtenir pour un prix modique des superficies importantes ». Au Mozambique par exemple, des demandes de permis couvrant 607 236 ha sont en cours d’examen. Le principal soutien de ce « projet agricole » est la National Holding, une société des Émirats arabes unis, holding de la famille royale d’Abu Dhabi. Selon une ONG mozambicaine, ce projet pourrait provoquer le déplacement forcé de plus de 500 000 familles.
« Méga-transactions foncières »
Quelques-unes des « méga-transactions foncières », qui ont suivi la crise alimentaire et financière de 2008, se sont depuis retournées contre leurs protagonistes ou ont échoué. En 2009, l’indignation publique à propos du projet de Daewoo sur 1,3 million d’hectares à Madagascar a aidé au renversement du gouvernement, ce qui a conduit à la suspension de la transaction. « En 2011, l’assassinat du leader libyen Mouammar Kadhafi a mis fin au projet de riziculture du régime sur 100 000 hectares au Mali », illustre Grain.
Le groupe indien Siva, qui avait accumulé un portefeuille de près d’un million d’hectares de terres agricoles pour des plantations de palmiers à huile, essuie maintenant des procédures de faillite aux Seychelles. Foras, la branche privée de la Banque islamique de développement, qui était sur le point d’acquérir 700 000 hectares de terres agricoles dans toute l’Afrique pour un énorme projet de riziculture, a disparu. D’autres transactions de grande ampleur ont été révisées à la baisse. Au Cameroun par exemple, après de nombreuses protestations, le projet Herakles visant à raser des milliers d’hectares de forêts pour les convertir en une gigantesque plantation industrielle de palmiers à huile, a été réduit de 73 000 à 19 843 hectares.
Nouvelles formes d’accaparement
Si le rythme de ces « méga-transactions foncières » s’est ralenti depuis 2012, « beaucoup de ces transactions sont de plus en plus souvent reformulées et rebaptisées "investissements responsables" ». L’accession aux terres agricoles s’inscrit désormais dans une stratégie d’entreprise visant à bénéficier des marchés carbone, des ressources minérales et en eau, des semences, des sols et des « services environnementaux ». « Au fur et à mesure des vicissitudes des transactions foncières, les politiciens et les états-majors des sociétés s’emploient à faciliter leur réussite », dénonce Grain.
Mais sur le terrain, ces transactions intensifient les conflits et se traduisent par une violente répression. « Des militants des droits fonciers sont détenus et emprisonnés, des journalistes sont harcelés par des procès en diffamation [c’est le cas de Basta ! avec deux plaintes en diffamation sur ce sujet, ndlr] ». Pire : « Des dirigeants paysans et autochtones sont régulièrement assassinés », déplore l’ONG. « Mais ce travail difficile et courageux est crucial si nous voulons changer le cours de l’accaparement des terres et d’une agriculture dominée par les grands groupes industriels, et créer un puissant mouvement mondial en faveur de la justice et de la souveraineté alimentaire ».
Sophie Chapelle
Pour aller plus loin :
le rapport de Grain et la base de données 2016 sont disponibles ici et là
tous les articles de Basta ! sur l’accaparement de terres
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