Aux prises avec l’insaisissable
Le dernier opus de Cathy Garcia Canalès peut se lire de diverses façons. Emporté par ses images et prophéties, on glissera dans le courant de cet énergique « jus de poème » (p. 25) teinté d’une menace, d’une urgence indéfinies. Ou bien, attentif aux clés de lecture qui pourraient éclairer l’intention première de la poétesse, on lira peut-être le journal d’une maladie, d’un affrontement au « temps de mort » (p. 18), d’une subversion de tous les déterminismes – ceux du corps, ceux du temps – opérée par la parole poétique grâce à laquelle « la crue du vivre déferlera » (p. 29).
L’être dont on entend ici la voix explore des mondes de sensations et fusionne avec ce qui l’environne : l’annonce « nous irons allumer / un feu de souches veinées / dans le taillis des rides » (p. 13) superpose les veines du bois et les plis de la peau, en même temps que le passé et l’avenir. Tous les poèmes du recueil disent l’ambivalence des choses (ce dernier oiseau, « il chante / il fiente / fluide et serein », p. 34), l’articulation des valeurs opposées et des perceptions contrastées (« la caresse des fumées / la rosée des broussailles / et le poivre des dentelles », p. 17), et entre les strophes se joue l’alternance perpétuelle du bon et du mauvais.
C’est dans ce mouvement, dans ces oscillations que se déploie la réinvention de la légèreté, de la liberté, de l’affirmation de soi comme sujet sentant, vivant avec une volontaire intensité. Au cours de l’épreuve, « dans la cuve du crâne on entend / l’étrange ressac de l’acide / l’esprit cataracte éclate les coutures / tandis que dévalent par maints orifices / les pensées mornes en ruisseaux de plumes » (p. 25), et la matière poétique est tout humeurs, fluides : sang, salive, larmes, venin…
On ne sait si l’invitation qui clôt le recueil s’adresse au lecteur, lui proposant de vivre à son tour dans sa chair cette odyssée de douleurs et de luttes – provocation paradoxale en ce qu’elle est aussi une consolation –, ou si elle est adressée à l’instance poétique par sa propre voix concluant elle-même à sa puissance vitale, ici attestée.
Maëlle Levacher
http://www.lelitteraire.com/?p=43437
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