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03/05/2008

L’équilibre climatique pourrait basculer d’ici sept à dix ans

28 avril 2008

L’équilibre climatique de l’hémisphère nord pourrait « basculer » d’ici sept à dix ans, provoquant une hausse aussi subite que sensible de la température moyenne du globe, en raison de la disparition de plus en plus prévisible de la calotte polaire en été et du réchauffement de l’océan Arctique.

Louis-Gilles Francoeur, Le Devoir, 24 avril 2008

C’est ce qu’affirme Louis Fortier, océanographe de l’université Laval, qui est aussi le directeur d’Articnet, le plus important programme de recherche en réseau sur les changements climatiques à travers le Canada. Ce programme comprend notamment un important volet d’études dans l’océan Arctique lui-même avec le brise-glace Amundsen. Ce dernier est présentement en pleine dérive pour étudier la polynie circumpolaire, soit le mouvement des glaces en fractionnement à la fin de l’hiver.

Le professeur Fortier, qui prononcera ce soir, au Cœur des sciences de l’UQAM, une conférence sur l’accélération des changements climatiques au-delà de toutes les prévisions [1], rejoint les conclusions de plusieurs autres éminents chercheurs, dont James Hansen, qui dirige le Goddard Institute de la NASA. Hansen soutient depuis quelques semaines que l’humanité a franchi en 1990 le seuil critique dans le dossier des changements climatiques, lorsque la concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère terrestre a dépassé le cap des 350 parties par million (ppm). Nous en sommes présentement à 385 ppm et cette concentration augmente au rythme de 2 à 3 ppm par année. Goddard comme Louis Fortier estiment cependant que la partie n’est pas perdue, mais « que le monde doit se réveiller et vite ! »

Selon Louis Fortier, les scientifiques ne peuvent plus hésiter et « doivent dire ce qu’ils savent », quitte à risquer de passer pour alarmistes.

« Les scientifiques du Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (GIEC) ont été trop timides, dit-il dans une entrevue donnée au Devoir. Le GIEC est commandité par les gouvernements » et ses conclusions doivent faire l’objet de consensus qui ne sont pas arrêtés uniquement par des scientifiques mais aussi par des politiques.

« Cet imprimatur politique, précise Louis Fortier, fait en sorte qu’on arrache toutes les dents de ses rapports. On en est rendu au point où on voit des sceptiques se réfugier derrière les conclusions du GIEC de 2004 pour dire que ce ne sera pas si pire, après tout. Présentement, on sent un remords monter parmi les chercheurs parce qu’on n’a pas été assez ferme, qu’on n’a pas assez défendu nos conclusions. On a plié devant le barrage des négationnistes pour mitiger nos conclusions. C’est grave, parce que les politiques vont certainement nous reprocher de ne pas les avoir avertis à temps. On a aussi été influencé par l’opinion publique qui ne veut pas entendre parler de catastrophes alors que des solutions existent pourtant, dont plusieurs cependant ne veulent pas entendre parler. »

Une accélération forcenée

Pour Louis Fortier, notre équilibre climatique actuel dépend du « bilan radiatif » de notre hémisphère, c’est-à-dire de sa capacité de réfléchir plutôt que d’absorber une importante proportion des rayons solaires grâce au pouvoir réfléchissant de la vaste calotte polaire. Par contre, ce qui se passe présentement accélère la mutation du climat au-delà de toutes les prévisions, dit-il, parce que plus la calotte polaire fond rapidement en été, plus l’océan Arctique absorbe la chaleur solaire, ce qui accélère la fonte de la glace l’année suivante parce qu’elle est moins épaisse d’une année à l’autre.

Tout se passe comme dans l’habitacle d’une voiture stationnée en été, donne-t-il en exemple. Si on enlève les réflecteurs du pare-brise, on provoque une hausse soudaine de la température intérieure. Or, dit-il, on prévoyait il n’y a pas vingt ans que la calotte polaire disparaîtrait vers 2070-2080 si les concentrations de gaz carbonique continuaient d’augmenter. Puis, des modèles plus perfectionnés ont prédit que l’océan Arctique serait libre de glace solide en été vers 2030. Et au rythme où on mesure maintenant la diminution du couvert de glaces, précise Louis Fortier, cela va se produire vraisemblablement dans sept ans environ, vers 2015, à moins d’épisodes météorologiques imprévus.

La calotte polaire de l’océan Arctique, explique le chercheur, a perdu l’été dernier 1,2 million de kilomètres carrés supplémentaires par rapport à 2006. Il y a une trentaine d’années, cette calotte affichait une surface de 8 millions de km2, mais elle n’en compte plus aujourd’hui que 4 millions.

Et, le plus inquiétant, ajoute ce spécialiste des glaces, c’est que la proportion de la « glace pluriannuelle », celle qui est forte et qui durait de deux à 11 ans, diminue sans cesse parce que son épaisseur diminue, ce qui la rend plus friable et la fait passer dans la partie vouée à la fonte annuelle. « De la glace de 10 ans, dit-il, il en reste très peu au pôle Nord. »

Avec la disparition prévisible de la calotte polaire d’ici quelques années, prévoit ce chercheur, c’est tout le bilan radiatif de notre hémisphère qui va soudainement basculer, faute d’apports en froid et en fraîcheur pour maintenir les températures tempérées actuelles. Il faut donc, dit-il, devancer de 30 ans les prédictions du GIEC, ce que corrobore aussi la fonte beaucoup plus rapide que prévu des glaces du Groenland. Cela est d’autant plus compréhensible et inévitable que les modèles prévisionnels utilisés par le GIEC ne tiennent pas compte de la réduction de l’albédo (le pouvoir réfléchissant) de la calotte polaire, tout comme ces modèles ne tiennent pas compte de la diminution de l’épaisseur des glaces.

Un chercheur de l’École navale supérieure d’océanographie des États-Unis a voulu intégrer ces variables et ces conclusions dans un modèle : les conclusions se sont avérées tellement inquiétantes, explique Louis Fortier, que ce chercheur a décidé de ne pas les publier « pour ne pas faire peur au monde ».

Un seuil déjà dépassé

James Hansen, le grand patron du Goddard Institute de la NASA, soutient que le seuil de 550 ppm de gaz carbonique ne tient plus, ce qui correspond en gros à une augmentation de la température moyenne de 6 oC. Ce seuil a souvent été évoqué comme celui de la catastrophe climatique totale ou de l’irréversibilité des changements.

Hansen soutient aujourd’hui que même le taux de 450 ppm préconisé par l’Europe comme objectif pour la deuxième phase de Kyoto est trop élevé car, à son avis, si les modèles mathématiques prédisent que c’est le nouveau seuil de l’irréversibilité, la paléontologie nous apprend au contraire que c’est autour de 350 ppm qu’il faut situer ce seuil critique, soit la concentration de CO2 atmosphérique des années 90.

Louis Fortier se dit d’accord avec les conclusions de James Hansen, « si on veut sauver la civilisation ».

Si la température moyenne augmentait de 2 à 6 oC sur la planète, dit-il, le climat entrerait dans une phase qui pourrait durer entre 10 000 et 15 000 ans, avant de revenir à ce qu’on connaît aujourd’hui. C’est ce que nous apprennent les traces laissées par le début de l’éocène, il y a 54 millions d’années, le seul moment documenté où on a vu basculer le climat aussi rapidement. Et il a fallu alors quelque 20 000 ans pour que se modifie cette tendance.

La disparition de l’albédo arctique va aussi chambarder profondément cet écosystème et reconfigurer la géopolitique internationale car, dit-il, cette nouvelle mer sera ceinturée par les grandes puissances que sont les États-Unis, l’Europe et la Russie, tout comme il y a 2000 ans les grandes puissances se sont concentrées autour de la Méditerranée.

Et les enjeux économiques, voire alimentaires, seront importants car déjà des pays comme la Corée s’équipent de grands pétroliers capables de naviguer même en hiver dans l’océan Arctique, alors que le Canada ne prévoit pas s’équiper pour patrouiller son propre territoire.

Les pêcheries de cette région, ajoute Louis Fortier, vont profiter des six mois de lumière et d’eaux libres, comme dans la mer du Nord. Si plusieurs espèces actuelles y sont vouées à la disparition - ours polaires, poissons et oiseaux - d’autres les remplaceront et la région deviendra une réserve alimentaire particulièrement convoitée.

Louis Fortier n’est pas sûr du tout que nous sommes collectivement prêts à faire face à des changements climatiques aussi importants et à si court terme, qui risquent de malmener la paix internationale avec leur cortège de réfugiés climatiques, d’affrontements pour le contrôle des eaux douces raréfiées, etc


Publication originale Le Devoir

Illustration : extension de la calotte glaciaire arctique, 1982-2007



[1] N.D.L.R. La conférence a été annulée ; voir http://www.coeurdessciences.uqam.ca/

 

Source : http://contreinfo.info/article.php3?id_article=1943

Affamer les pauvres, par Chomsky

16 mai 2007

La pression à la hausse sur les cours du maïs, qui devient désormais une ressource énergétique avec la filière Ethanol, a provoqué une augmentation de 50% sur les tortillas au Mexique, déclenchant des protestations parmi les travailleurs agricoles dont c’est l’alimentation de base. Loin des prétentions des thuriféraires de la mondialisation qui la présentent comme un mécanisme ne faisant que des gagnants, la réalité de la domination américaine sur les marchés déstabilise les plus faibles en Amérique Latine.

Par Noam Chomsky, 16 mai 2007, The International News

Le chaos provoqué par ce qu’on appelle l’ordre international est bien néfaste pour ceux qui se trouvent dans les niveaux inférieurs de la structure. Les tortillas [crêpes de maïs mexicaines] sont maintenant l’enjeu d’un conflit. Dans plusieurs régions du Mexique le prix des tortillas a augmenté de plus de 50%. En janvier, dans la ville de Mexico, des dizaines de milliers de travailleurs et de paysans ont manifesté sur le Zócalo, place centrale de la ville, pour protester contre le prix trop élevé des tortillas.

En réponse le gouvernement du président Calderón est parvenu à un accord avec les producteurs et les détaillants pour fixer une limite aux prix de la tortilla et de la farine de maïs, très probablement une solution temporaire.

La hausse des prix menace le principal produit alimentaire des Mexicains pauvres. C’est l’un des résultats de ce qu’on pourrait appeler l’effet éthanol, conséquence de l’acharnement des Etats-Unis à vouloir produire de l’éthanol à partir du maïs - substitut énergétique du pétrole, dont les principales réserves se trouvent bien sûr dans les régions du monde où l’ordre international est le plus menacé.

Ainsi l’effet éthanol aux Etats-Unis a fait monter les prix d’une bonne quantité de produits alimentaires, comme les céréales et la volaille. Il n’existe pas de relation directe entre l’instabilité au Moyen-orient et le coût de l’alimentation aux Etats-Unis, bien entendu. Mais comme toujours dans le commerce international les puissants font incliner la balance. Depuis bien longtemps l’un des objectifs de la politique extérieure des Etats-Unis a toujours été de créer un ordre global dans lequel les entreprises états-uniennes disposent d’un libre accès aux marchés, aux ressources et aux opportunités d’investissement. C’est ce qui est communément appelé le « libre échange », dénomination qui ne résiste pas au premier examen sommaire.

Cela n’est en rien différent de ce que la Grande-Bretagne, antécesseur dans la domination mondiale, avait imaginé durant la deuxième moitié du XIXème siècle quand elle adopta le libre échange, non sans avoir auparavant atteint une puissance industrielle bien supérieure à tous ses rivaux potentiels grâce à 150 ans d’interventionnisme étatique.

Les Etats-Unis ont dans une grande mesure suivi le même modèle. Généralement les grandes puissances désirent un certain niveau de libre échange lorsqu’elles considèrent que cela favorise les intérêts économiques qu’elles protègent. Cela a toujours été, et cela reste, l’un des caractères principaux de l’ordre international.

Le boom de l’éthanol relève de la même logique. Comme le signalent C. Ford Runge et Benjamin Senauer, spécialistes de l’économie agricole, dans le dernier numéro de Foreign Affairs, « l’industrie du biocombustible n’est pas activée par les forces du marché mais elle est depuis longtemps dominée par les intérêts de quelques entreprises », notamment par Archer Daniels Midland, le plus grand producteur d’éthanol.

La production d’éthanol se maintient grâce aux subventions de l’Etat et grâce aux tarifs douaniers forts élevés qui empêchent l’entrée de l’éthanol brésilien issu de la canne à sucre, nettement meilleur marché et de meilleure qualité. En mars lors d’un voyage du Président Bush en Amérique latine, la seule chose à laquelle il soit parvenu c’est à un accord avec le Brésil pour une production conjointe d’éthanol.

Mais Bush, tout en répétant la rhétorique du libre échange pour autrui soulignait que les hauts tarifs douaniers qui protègent les producteurs états-uniens seraient maintenus, ainsi que bien entendu tous les dispositifs d’aides gouvernementales pour cette branche.

Malgré les énormes subventions apportées à l’agriculture [états-unienne], financées par les contribuables, les prix du maïs et des tortillas ont augmenté très vite. L’un des facteurs c’est que les industriels commencent à utiliser les variétés de maïs mexicain qui sont meilleur marché. Cela fait monter les prix. Le Traité de libre commerce (TLC) de 1994 peut jouer un rôle de plus en plus important. Les déséquilibres initiaux du TLC ont eu pour conséquence d’inonder le Mexique de produits de l’agro-industrie subventionnée - contraignant bien des producteurs mexicains à abandonner leur terre.

L’économiste mexicain Carlos Salas après une analyse détaillée des données a signalé que, après une augmentation constante jusqu’en 1993, l’emploi dans l’agriculture a commencé à baisser avec l’entrée en vigueur du TLC, notamment parmi les producteurs de maïs - conséquence du TLC selon les conclusions de Carlos Salas et d’autres. Un sixième de la force de travail mexicaine dans l’agriculture a disparu depuis le début du TLC, et ce n’est pas fini. Cela fait baisser les salaires dans d’autres secteurs de l’économie et cela fait augmenter l’immigration vers les Etats-Unis. Ce n’est certainement pas tout à fait par hasard si le Président William Clinton a militarisé la frontière mexicaine -auparavant assez ouverte-, en 1994, juste au moment de l’entrée en vigueur du TLC.

Le Mexique auparavant autosuffisant sur le plan alimentaire est devenu dépendant des Etats-Unis du fait de la politique de « libre échange ». Le prix du maïs augmentant aux Etats-Unis, sous la pression des grandes entreprises et de par l’interventionnisme de l’Etat, on peut anticiper que les prix continueront d’augmenter de façon drastique au Mexique. De plus en plus les biocombustibles sont susceptibles d’« affamer les pauvres » dans le monde, disent Runge et Senauer, dans la mesure où les produits sont transformés en éthanol pour les privilégiés - le manioc en Afrique sub-saharienne pour prendre un autre exemple préoccupant.

De la même façon, dans le sud-est asiatique, les forêts tropicales sont taillées et brûlées pour produire de l’huile de palme destinée aux biocombustibles. Et aux Etats-Unis l’environnement est menacé par l’utilisation de grandes quantités d’intrants dans la production de maïs pour d’éthanol.

Le prix élevé de la tortilla, comme les autres soubresauts de « l’ordre international », montre le lien qui existe entre les événements du Moyen-orient au Midwest [« Moyen Occident », région centrale des Etats-Unis] et la nécessité d’établir des relations commerciales basées sur des accords vraiment démocratiques entre les personnes, et non sur des intérêts dont l’objectif principal ce sont les bénéfices des grandes entreprises subventionnées et protégées par l’Etat qu’elles dominent complètement, sans la moindre considération pour le coût humain.


Publication originale Starving The Poor - The International News , Traduction : Numancia Martínez Poggi Le Grand Soir