Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/10/2006

J'ai lu La douce récolte des larmes d'Edwige Danticat

181043.jpg

 (Grasset 1999)

Amabelle a huit ans quand ses parents se noient devant elle. Recueillie sur la rive du fleuve par une famille espagnole, elle devient la servante de l'épouse d'un colonel de l'armée. Elle aime Sébastien, un coupeur de canne à sucre. Elle l'aime, malgré malgré les cicatrices sur son visage et ses mains calleuses. Elle veut devenir sa femme. Tous les deux sont Haïtiens, utiles pour les Dominicains, mais pas vraiment bienvenus. Des rumeurs courent : dans certaines villes, les Haïtiens sont persécutés voire tués. Ils décident donc, avec des amis, de retourner en Haïti, mais c'est l'horreur qui les attend. Comme des milliers d'autres, Amabelle survit à ce bain de sang, mais elle est épuisée, disloquée, lorsqu'elle parvient sur l'autre rive du fleuve. Un ami de Sébastien l'emmène dans sa famille : ils ne parviendront pas à s'aimer, le souvenir de Sébastien qui a disparu lors du massacre est bien trop fort. 

Ce roman se déroule en 1937, sur l'île des Caraïbes divisée entre Saint-Domingue d'une part, Haïti d'autre part. La partie orientale de l'île, qui porte le nom de République dominicaine, fut occupée par l'armée nord-américaine entre 1916 et 1924, armée qui laissa le pouvoir aux militaires dominicains, dont l'un des chefs, le général Trujillo, exerça une dictature féroce à partir de 1930.

Lorsque le roman commence, Trujillo vient de décréter que les immigrés haïtiens, travaillant dans les champs de canne à sucre de Saint-Domingue, sont trop nombreux. Ils menacent selon lui de dévoyer la culture espagnole des Dominicains puisque Haïti (occupée elle aussi par l'armée américaine entre 1915 et 1934) n'est qu'une île méprisable, déclare-t-il, seulement peuplée d'anciens esclaves noirs, ne parlant pas espagnol mais seulement créole. Trujillo excite alors la haine raciale contre ceux qui sont désormais désignés comme des étrangers à renvoyer chez eux, même s'ils vivent à Saint-Domingue depuis plusieurs générations. Il lâche ses escadrons de soudards pour ratisser les villages.

Qu'ils soient domestiques depuis de nombreuses années au service de grandes familles dominicaines, simples ouvriers agricoles vivant comme des bagnards sur les grandes exploitations de canne à sucre, prêtres, jeunes ou vieux, hommes ou femmes, malades ou bien portants, les Haïtiens sont chargés de force dans des camions, entassés dans des prisons sommaires sous prétexte d'attendre qu'on les ramène à la frontière haïtienne. La plupart n'y parvinrent jamais, exécutés au cours du voyage, battus à mort dans les prisons, livrés au lynchage de la foule. Environ 20 000 Haïtiens, vivant et travaillant du côté dominicain de l'île, furent ainsi massacrés.


CE QUE J'EN PENSE :

La douceur, la lenteur de cette écriture sans heurts, m'a d'abord un peu déroutée. Une berceuse presque... mais si on se laisse bercer, c'est pour découvrir assez rapidement que la berceuse est empoisonnée. Faut dire que j'avais un léger à priori dû au titre, la traduction française ne rendant pas la force du titre original, The farming of bones (que l'on peut traduire grossièrement par "L'agriculture des os"), mais j'avais envie de lire Edwige Danticat depuis que j'avais découvert des extraits sur le net de We Are Ugly, But We Are Here. 
Son écriture ici, est comme de l'eau, qui coule, quoiqu'il arrive, comme le fleuve que l'on retrouve omniprésent dans le roman, presque comme un personnage à part entière. Fleuve qui tue, fleuve qui sauve, fleuve qui sépare, fleuve qui accueille. Et puis fleuve du temps que l'on n'arrête pas où les morts continuent pourtant de cotoyer les vivants.
Une écriture qui jamais ne déborde dans l'excès, pas de fièvre, mais des faits racontés à la première personne, avec un sens du détail presque chirurgical et cependant d'une très grande sensibilité. Une écriture douce et linéaire qui, au fur et à mesure que l'histoire bascule, n'en rend les faits que plus violents, brutaux, atrocement absurdes.
Un livre extrêmement digne, pudique et dont les divers goûts qu'il laisse en bouche demeurent longtemps après lecture.
Un livre auquel on continue à penser une fois refermé, un livre qui hante...

CG
 
 

 
 
Extrait : " Je suis dans mon lit et j'écoute la musique dans les arbres, les cosses des flamboyants qui s'entrechoquent et les oiseaux-mouches qui poussent des cris d'effroi. Ils connaissent le bruit des cosses des flamboyants en mouvement, mais c'est un bruit qui change sans cesse, assourdi ou aigu selon la force du vent.
Je ferme la porte et laisse dehors la douce brise nocturne qui atteint à peine mon corps dénudé, nu parce que Sébastien m'a fait croire que c'est comme une prière que d'être couché seul, sans vêtements, comme à la naissance, mais surtout parce que j'espère sentir la sueur se rassembler entre le sol de ciment et le creux de mon dos, de façon que, quand je me lèverai, il y ait un flot de transpiration qui roule sur mes fesses, devant, derrière et entre mes cuisses, le long de mes genoux, mes mollets, mes chevilles et ms doigts de pied, et qu'il n'y ait plus en moi une seule goutte de liquide pour pleurer."

medium_edwige_danticat.jpg


Edwidge Danticat est née à Port-au-Prince (Haïti) le 19 janvier 1969. Quand elle a deux ans, son père émigre à New York ; deux ans après, sa femme le rejoint. Danticat et un frère restent en Haïti chez un oncle et sa femme. À 12 ans, elle rejoint ses parents et s’installe dans une nouvelle langue et un nouveau pays. Aux Etats-Unis, elle découvre New-York et la communauté haïtienne de la diaspora. C¹est de cette rupture qu'Edwige Danticat tirera l'essentiel des thèmes abordés dans ses romans ; la relation entre la migration et la préservation d'une identité, le rôle des femmes dans la transmission des cultures d'origine, les questions liées à l¹apprentissage de la langue du pays d'accueil, etc. Dans la majeure partie de ses romans, les personnages sont des femmes qui se réapproprient leur histoire individuelle, leur personnalité, leur corps et leur sexualité. Cependant, même si l'auteur insiste sur le rôle des femmes dans les sociétés humaines en générale et haïtiennes en particulier, dans ses romans, les relations entre hommes et femmes ne sont pas conflictuelles. Les femmes qu¹elle raconte sont " souples et fortes comme des fleurs ". Une fois ses études secondaires terminées, Edwige Danticat entreprend des études de littérature française à Brown University. Elle obtient un Master of Fine Arts Degree et sa thèse de fin d¹études Breath, Eyes, Memory est déjà un véritable succès littéraire. Elle lui vaut l¹honneur d¹une publication en 1994 et constitue son premier roman traduit en français sous le titre, Le Cri de l¹oiseau rouge. Le réalisateur américain, Jonathan Demme a acheté les droits pour une adaptation cinématographique. Plusieurs romans suivront cette première publication dont La récolte douce des larmes qui obtient le prix Carbet de la Caraïbes en 1999. En parallèle de ses activités littéraires, Edwige Danticat a travaillé avec des réalisateurs tels que Jonathan Demme (Le silence des Agneaux, Philadelphia, La vérité sur Charlie, etc) ; notamment sur Beloved (adaptation cinématographique du roman de Toni Morisson) et Jean Dominique, the Agronomist, documentaire très remarqué dont la bande originale est signée Wyclef Jean, également haïtien immigré à New-York. Edwidge Danticat poursuit sa carrière d’écrivaine en se consacrant également à l’enseignement ("creative writing") – e.g., à New York University et à l’Université de Miami – et à de nombreux projets sur l’art et la culture haïtienne, comme l’indiquent ses collaborations avec les cinéastes Patricia Benoit et Jonathan Demme, et son engagement auprès de la National Coalition for Haitian Rights.

Oeuvres principales :

Romans / Novels:
Breath, Eyes, Memory. New York: Soho Press, 1994; New York: Vintage Books, 1995.
The Farming of Bones. New York: Soho Press, 1998; Penguin, 1999.
The Dew Breaker. New York: Knopf, 2004.

Récit:
After the Dance: a Walk through Carnival in Jacmel, Haiti. New York: Crown, 2002.

Nouvelles:
Krik? Krak! (recueil de nouvelles) New York: Soho Press, 1995; New York: Vintage Books, 1996.
"A Rain of Daffodils." Seventeen 53.4 (1 April 1994): 152- ; Literary Cavalcade 52.6 (March 2000): 4-9.
See also below – liens d’« île en île » – voir ci-dessous.

Anthologies:
The Butterfly’s Way: Voices from the Haitian Dyaspora in the United States. Edited with an introduction by Edwidge Danticat. New York: Soho Press, 2001.
The Beacon Best of 2000: Great Writing by Women and Men of All Colors and Cultures. Edited by Edwidge Danticat. Boston: Beacon Press, 2000.
Littérature pour la jeunesse:
Behind the Mountains: the Diary of Celiane Espérance. New York: Orchard Books, 2002.
Anacaona, Golden Flower. New York: Scholastic, 2005 (à paraître).

Distinctions littéraires:
1994 Fiction Award, The Caribbean Writer.
1995 National Book Award finalist, for Krik? Krak!
1995 Pushcart Short Story Prize.
1996 Best Young American Novelists Award, for Breath, Eyes, Memory by Granta.
1999 American Book Award, for The Farming of Bones.
1999 Prix Carbet de la Caraïbe, pour La récolte douce des larmes (The Farming of Bones).

Enregistrements / Recordings:
The Farming of Bones. Read by Rebecca Nicholas. Books on Tape, Inc., 1999. 

Commentaires

cela faisait longtemps que je voulais lire edwige danticat , merci de me la rappeller

Écrit par : aloredelam | 21/10/2006

Les commentaires sont fermés.