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07/09/2007

Nanotechnologies dans la chaîne alimentaire...!

27 juin 2007,
Par Christian Berdot


Le nano-lait au goût de coca et la nano-mayonnaise allégée font partie des produits en préparation à l’Université de Wageningen en Hollande. Les chercheurs de cette université parlent ouvertement de leur travail, ce qui est tout à fait inhabituel dans le domaine des nanotechnologies car les applications nanotechnologiques à un domaine aussi sensible que l’alimentation, sont normalement tenues secrètes. Alors que le groupe de consultants « Helmut Kaiser » estime que plus de 300 nano-aliments sont déjà sur le marché, le Projet sur les Nanotechnologies Emergentes du Woodrow Wilson Institute ne trouve que trois produits dont l’étiquetage dévoile leur contenu nanotechnologique !
Dans le passé, des géants de l’alimentaire comme Kraft ou Nestlé communiquaient ouvertement sur les recherches nanotechnologiques qu’ils menaient, dans le but de créer des aliments intelligents, agissant interactivement avec le consommateur pour « personnaliser » les aliments, changer la couleur le goût ou les éléments nutritifs sur demande. Dans leur vision de l’avenir, il serait un jour possible :
 de mettre au point des aliments intelligents qui détecteraient si un individu est allergique à un composant d’un aliment donné et pourraient bloquer l’ingrédient en question ;
 de fabriquer des emballages « intelligents » relâchant une dose de molécules de calcium pour les personnes souffrant d’ostéoporose ; de manufacturer des aliments “fonctionnels” avec des contenus nutritifs renforcés et des produits qui pourraient être commercialisé pour leurs propriétés favorisant la santé ;
 de fabriquer des nano-emballages « intelligents » permettant de rallonger considérablement le temps des produits alimentaires dans les rayons et de les transporter encore plus loin ;
 ou enfin, grâce à la nano-surveillance, de suivre les aliments du champ, et à travers toute la chaîne de transformation, jusqu’au supermarché et au-delà.
L’exemple le plus connu symbolisant « l’aliment du futur » à base de nanotechnologies, était un produit de Kraft, une nano-boisson sans goût, contenant des centaines d’arômes dans des nano-capsules. L’idée étant qu’un émetteur de micro-ondes pourrait être utilisé pour déclencher la libération de la couleur, de l’arôme, de la concentration et de la texture, au choix de l’individu. Cette boisson « intelligente » fit beaucoup de bruit internationalement et demeure l’exemple le plus cité de nano-aliment.
Ces dernières années cependant, Kraft a senti, comme les autres grands de l’alimentaire, l’inquiétude monter à propos des aliments nanotechnologiques et ne parle plus publiquement de ses recherches sur les nano-aliments. Pour mieux se distancer de la recherche dans les nano-aliments, Kraft a même cédé son Nanotek Consortium de recherches nanotechnologiques, auparavant très en vue, à son partenaire Philipps Morris USA (appartenant aussi à Altria) et l’a renommé « Réseau Interdisciplinaire des Sciences et Technologies Emergentes ».
Par contre, en refusant de parler de l’utilisation qu’elles font actuellement des nanotechnologies dans la production alimentaire et de dévoiler leurs plans pour le futur, les compagnies alimentaires portent un coup très dur à la transparence. Sans obligation d’étiquetage des nano-aliments pour les fabricants, ni la moindre volonté de la part des firmes de le faire volontairement, il est impossible pour les citoyens de choisir ou de refuser de manger des nano-aliments. Les firmes peuvent d’autant plus facilement abuser la confiance des citoyens, que les gouvernements faillissent à leur devoir qui est de réglementer les produits alimentaires nano et de s’assurer que les employés, les citoyens et l’environnement ne sont pas exposés dangereusement à des nano-matériaux
La Royal Society anglaise a soulevé de sérieuses inquiétudes à propos des risques sanitaires et environnementaux posés par la nano-toxicité dans son rapport de 2004. La Royal Society recommandait que « les ingrédients sous forme de nanoparticules soient soumis à un examen complet de toxicité par les services concernés, avant qu’ils ne soient autorisés à être utilisés dans des produits » (Section 8.3.3 : paragraphe 24 & 23).
Pourtant, trois années se sont déjà écoulées et il n’y a toujours aucune obligation pour les fabricants de mener des tests de toxicité des nano-ingrédients avant leur diffusion dans la chaîne alimentaire ou l’environnement.
Les applications des nanotechnologies à l’agriculture présentent aussi un sérieux risque pour la souveraineté alimentaire. Comme les nouveaux nanoproduits seront contrôlés par des brevets, dans leur grande majorité détenus par des firmes du Nord, les nanotechnologies vont inévitablement renforcer le contrôle des multinationales sur la production alimentaire.
Les nanotechnologies sont l’antithèse fabriquée à l’échelle de l’atome et contrôlée par les brevets, des systèmes alimentaires contrôlés localement et écologiquement soutenables.
Pour l’agriculture, les nanotechnologies pourraient être la prochaine étape vers le plus « petit », en passant de la manipulation des gènes à celles des atomes. La manipulation des atomes pourrait permettre de remanier l’ADN des semences en vue d’obtenir de nouvelles propriétés dans les plantes, comme l’odeur, la période de croissance, les rendements, tout cela, en principe, sans modifier les traits héréditaires.
Les nanotechnologies pourraient aussi être utilisées pour fabriquer par manipulation atomique des engrais et des pesticides très puissant. Des nano-senseurs pourraient surveiller la croissance des plantes, les niveaux du pH, la présence des éléments nutritifs, l’humidité, les parasites ou les maladies, réduire de façon significative les besoins en main d’œuvre sur la ferme. Pour avoir une idée générale des potentiels des nanotechnologies sur l’agriculture voir le document du groupe ETC « Down on the farm ».
Pour certains partisans des nanotechnologies, au contraire, au lieu de présenter un risque pour la souveraineté alimentaire, elles seront une aubaine pour les paysans du Sud, en augmentant la productivité et en éliminant la faim.
Mais pour tous ceux qui connaissent le dossier des OGM, les promesses du lobby pro-nanotechnologies leur rappelleront les mêmes promesses, jamais tenues, faites depuis 20 ans par le lobby des biotechnologies…
Le journal britannique, le Guardian rapporte que le Dr Donald Bruce, un chimiste qui dirige le groupe de surveillance des technologies et de l’éthique pour « L’Eglise d’Ecosse » est très sceptique quant à l’aide que les nanotechnologies peuvent apporter aux pays du Sud comme le prétendent les industriels. Il y a 10 ans, M. Bruce siégeait déjà dans un comité qui étudiait les implications éthiques des manipulations génétiques. « On a dit aux gens que les OGM allaient nourrir le monde. Nous avons alors recherché les preuves montrant que ces technologies étaient utilisées pour satisfaire les besoins des petits paysans. Nous n’en avons pas trouvé une. L’industrie a recherché à satisfaire des intérêts agronomiques pas les intérêts des gens ». Il est fortement à craindre que la même logique de profit à court terme aux dépens de l’intérêt général ne soit le moteur des nanotechnologies. Comme pour les OGM, on nous fait déjà miroiter des progrès extraordinaires pour la santé, la protection de l’environnement, l’agriculture, la lutte contre la faim dans le monde… Pourtant, les premiers produits concernent des cosmétiques, des raquettes de tennis, produits destinés aux pays riches …
L’introduction précipitée des biotechnologies s’est soldée par un rejet mondial. Mais bien que les nanotechnologies interviennent encore plus profondément - au niveau de l’atome - dans la manipulation des aliments, du champ à nos assiettes, ces manipulations passent presque inaperçues auprès du grand public. Ceci est d’autant plus alarmant que d’après les estimations du groupe « Helmut Kaiser », le marché global des nano-aliments s’élevait déjà à 5,3 milliards de dollars états-uniens en 2005 et atteindra les 20,4 milliards en 2010. Toujours d’après ce même groupe, d’ici 2015, les nanotechnologies pourraient être utilisées dans 40% des aliments industriels. Il faut impérieusement procéder à une évaluation critique des nanotechnologies avant leur introduction dans la chaîne alimentaire.

Les Amis de la Terre réitèrent leur demande de moratoire sur toute commercialisation de nano-produits et toute recherche en vue de la commercialisation de produits nanotechnologiques, tant qu’aucun cadre réglementaire contraignant, basé sur le principe de précaution n’est en place pour contrôler cette nouvelle technologie très puissante et tant que les citoyens ne sont pas activement partie prenante du processus de décision.
 
 

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