16/06/2008
Elikura Chihuailaf Nahuelpan Et Leonel Lienlaf
La poesie mapuche ou l'identité revendiquée
par Diomena Carvajal
Dans un lointain pays nommé le Chili, il était une fois un peuple fier et courageux qui ne voulait pas se soumettre. C’est ainsi que nous devrions commencer cette présentation littéraire, comme un conte raconté aux enfants, les jours d’hiver au coin du feu, ou bien le soir, pour les endormir en rêvant aux lointains exploits des courageux indiens.
Elikura Chihuailaf Nahuelpan et Leonel Lienlaf font partie de cette lignée de mapuches dits «pacifiés», mais jamais vaincus. Il nous faudrait remonter un peu dans l’histoire de la conquête du Chili, pour trouver peut-être une explication, afin de comprendre le parcours de ces deux poètes exceptionnels. Et nous garderons ce dernier qualificatif pour parler d’eux, car exceptionnels ils le sont tant comme personnes que comme symboles d’une identité jamais reniée et toujours revendiquée.
Elikura Chihuailaf Nahuelpan: Le Poète Bleu
Elikura Chihuailaf naquit en 1952, dans une petite ville du sud du Chili appelée Quechurewe, au sein d’une famille d’indiens cultivateurs. Dans sa « Lettre confidentielle aux chiliens» («Recado confidencial a los chilenos») dont le site «Letras» [1] a publié quelques extraits, il dit: «Je n’ai pas la prétention de croire que peut-être vous me connaissez déjà et qu’il vous intéresse de savoir qui est celui qui vous adresse cette lettre où je raconte un peu de ma vie, et où je raconte ma diversité mapuche…» et il ajoute «dans ma culture les prénoms expriment un désir partagé des parents : Elikura, signifie «pierre transparente», Chihuailaf, est «brume qui s’étend sur un lac» et Nahuelpan «tigre et puma».
Très jeune il fréquente l’école de son village, au sein de sa communauté. Il raconte le choc ressenti lorsqu’il découvre les livres : «J’ai connu les livres qui me montraient d’autres cultures, une autre façon de vivre et aussi ils me montraient les «araucanos». Il s ‘agissait de livres qui me parlaient, qui nous parlaient de choses qui n’avaient aucun lien avec notre vie quotidienne, au sein de la communauté…» et il continue «mon intérêt pour aborder les livres est dû peut-être au fait de les savoir «autres», c’est ce qui me poussa à vouloir en savoir plus sur cette autre chose».
Quand ses parents se voient contraints d’émigrer vers une autre ville plus au sud, il entre comme interne au lycée de Temuco : «Le lycée se trouvait sur une colline, la colline Ñielol («L’œil ou le maître de la Caverne…»), bordé par une grande avenue de châtaignier, éternellement dressés au cœur d’un automne, lui aussi, éternel, semblable à celui où j’ai commencé à écrire» […]. «En écrivant, je pensais que je pouvais parler avec les autres des expériences qui me paraissaient plus proches, à force d’être éloignées, de ces choses qui me parlaient fort : les voix de mon enfance. Des voix où le ruisseau qui coule dans les bois commence à nous révéler les mystères de la vie et de la mort : l’arrivée de l’eau et de l’esprit sous la lune cendrée (l’automne, mon extérieur-intérieur; mon intérieur-extérieur). Et le ruisseau qui grossit peu à peu en nous communiquant sa musique, son arôme, sa brillance, son langage. Puis, la tristesse du temps comme celui où l’ on dirait que la vie va finir comme un corps qui se dessèche en Eté, le corps qui reste vide sous la lune des fruits abondants…»
Il est interne au lycée de Temuco, en apprenant des choses qui ne parlaient pratiquement pas de son monde à lui, des choses qui lui étaient complètement étrangères, tandis qu’il rêve des bois où habite sa communauté et se souvient des narrations de ses parents et de ses grands-parents.
Depuis les temps lointains de la conquête le peuple mapuche s’est réfugié dans l’oralité. Le récit des exploits de guerriers où les esprits de la nature, sont toujours présents. C’est une façon de communiquer leur culture pour qu’elle refuse de mourir, pour qu’elle ne meure pas.
«[…] Près du feu j’entendais chanter ma tante Jacinta et j’écoutais les récits et les devinettes des gens. Un poète n’existerait pas s’il ne s’alimentait de la mémoire d’une famille, de celle qui appartient à sa propre culture et pour moi cette culture là était belle, parce qu’il y avait beaucoup de tendresse» […] Il ajoute: «Mon expression écrite n’arrive pas à atteindre l’immensité de cette mémoire qui ne demande qu’à être écrite…».
Elikura Chihuailaf est fier de son bilinguisme, sa grand-mère ne lui racontait des histoires que dans sa langue vernaculaire, la langue de ses ancêtres le «mapuzungun». Son grand-père parlait l’espagnol avec difficulté et il disait que s’ils avaient su le parler davantage ils n’auraient pas été dépossédés. Ses parents ne parlaient que le mapuzungun lorsqu’ils débarquèrent à Temuco, pour y étudier et s’intégrer, et aussitôt installés ils réussirent à organiser un groupe d’étudiants, le «Newentuain» («Soyons forts!»), c’était vers les années 30. Par la suite, une fois mariés, ils envoyèrent leurs enfants pour qu’ils se forment et viennent grossir le contingent des maîtres et des maîtresses des écoles rurales afin d’instruire les enfants de leurs communautés. En somme une vie entière dédiée à la conservation de leur patrimoine culturel, n’excluant pas pour autant l’apport que l’Etat leur offrait [2]. Elikura réussit un diplôme de médecin obstétricien, dont il ne s’est jamais servi, parce que, dit-il: «je m’appelle « pierre transparente» et la pierre est le cœur qui doit être poli avec l’eau de l’esprit. Alors celui qui veut être transparent, doit travailler avec les mots…».
Traducteur de Neruda dans sa langue vernaculaire, il commente à son propos : On dit que Neruda a dit «La Araucana» [3] c’est bien, c’est un poème qui sent bon ; les mapuches vont mal, ils sentent la race vaincue et les usurpateurs sont impatients d’oublier, d’oublier tout…»
L’œuvre de Neruda a été traduite dans une centaine de langues, quelques unes de ces langues sont peu connues, mais, hélas, le poète n’a pas eu le bonheur de connaître une traduction en mapuzungun, maintenant c’est chose faite. Elikura Chihuailaf pénètre au plus profond des racines des mots employés par Neruda. Il y trouve «une compénétration avec la nature, l’amour des animaux, le respect à la vie dans tous ses domaines, la reconnaissance du patrimoine moral légué par ses aînés…» [4]
Elikura reçoit en 1994 le Prix de la meilleure œuvre éditée, décerné par «El Consejo del libro» («Le Conseil du livre»), pour son livre «Sueños azules y contrasueños » («Rêves bleus et contre-rêves») re-édité en 2000.
En 1977 il publie «El invierno y su imagen» («L’hiver et son image »), puis vinrent en 1988, «El país de la memoria» («Le pays de la mémoire»), en 1993 «Otros poemas azules» («D’autres poèmes bleus»), en 1994 «Sueños azules y contrasueños» («Rêves bleus et contre-rêves»).
Voici un échantillon de ses poèmes en mapuzungun:
Ñi pewma mew gvman
Ka Mapu mvlepun gvmaken
ñi Pewma mew
rofvlenew ti pu wechun wenu
ñi pu mawizantu mew
Mvte alvtuwlay ti rvpv
pu lamgen, pu peñi
ka witralen mvlen tvfachi Ko
mew, pifiñ
Kvpalelmu chi tamvn Kalifv
Kawel wirafkvlen wiñotuan
Kamapu kvpan, welu ñi kvmel
kaley ñi piwke
Eymvn mew ta choyvgen
Femgechi zuguafiñ taiñ ayin
pu Che.
Dans mes Rêves
Loin de ma terre je regrette
quand dans mes rêves
les sommets de mes montagnes
m’embrassent
La mer n’est pas si grande
mes sœurs, mes frères
et je suis debout sur ces eaux
je vous dis,
envoyez-moi votre cheval bleu
je reviendrai en galopant
Je viens de loin
mais mon cœur resplendit
Je suis votre fils, donc
Je parlerai ainsi
à notre Peuple
Aimé
Kalley Pewma Mew
Welu ñichaw egu tañi laku egu–
Lonko lechi lof
mew – welu kvme az zuwam
pukintu keygu
Pvchikonagen chi zugu avtram
kaken welu
ayekan chi pu kom zugu no
Welu feymu kvme kimlu ti
vlkantu trokiwvn
Fillantv pvram niel chi mogen,
welu pvchike
makan zugu no
Rêve Bleu
Je parle de la mémoire de mon enfance
et non d’une société idyllique
Là-bas, il me semble, j’appris ce qu’était poésie
les grandeurs de la vie quotidienne
mais surtout ses détails
l’étincellement du feu, des yeux,
des mains.
Assis sur les genoux de ma grand-mère
j’écoutais les premières histoires
des arbres
et des pierres qui dialoguent entre elles,
avec les animaux et avec les gens
NOTAS:
[1] [http://www.letras.s5.com/elicura05122.htm]
[2] Le Chili s’est longtemps targué d’être l’une des premières et plus durables démocraties du continent latino-américain… jusqu’à l’avènement de la dictature de Pinochet, et l’école obligatoire et gratuite était un de ses fleurons.
[3] Première poésie épique écrite sur le peuple araucan, par le soldat poète conquistador Ercilla.
[4] Edition Pehuén. Chile, 2000.
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© Diomenia Carvajal
LA CASA DE ASTERIÓN
ISSN: 0124 - 9282
Revista Trimestral de Estudios Literarios
Volumen VI – Número 21
Abril-Mayo-Junio 2005
DEPARTAMENTO DE IDIOMAS
FACULTAD DE CIENCIAS HUMANAS - FACULTAD DE EDUCACIÓN
UNIVERSIDAD DEL ATLÁNTICO
Barranquilla - Colombia
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