14/03/2009
Kazakhstan / Essais nucléaires - Une « population mutante »
Berick, la trentaine, veut vivre et pouvoir un jour voir le visage de sa mère. Aveugle et difforme depuis sa naissance, il dépend totalement d'elle pour manger, se déplacer, s'habiller ou se laver. Il a du mal à parler. Il communique grâce à la musique et quant il nous a accueilli chez lui, à Semipalatinsk dans le nord-est du Kazakhstan, il a voulu jouer de la Dombura, l'instrument national.
Berick est le seul des dix enfants de la famille avec cette malformation. Quant elle était enceinte, sa mère travaillait dans une ferme à quelque 30 kilomètres du champ de tir du Polygone. Un espace de 18 500 m², plus grand que l'Ile-de-France ou Israël, où pendant quarante ans les Soviétiques on fait exploser une bombe atomique par mois à titre expérimental : 116 à ciel ouvert, les 340 autres sous terre.
Un passeport d'irradié et une pension de 120 euros par mois.
Elle n'a pas vu le champignon atomique, mais elle a vu une lumière s'élever dans le ciel. « Les docteurs m'ont dit que c'est pour cela qu'il est malade », dit-elle d'une voix basse, « mais je voudrais qu'il se fasse opérer pour qu'il puisse au moins voir ». Comme toutes les victimes de l'atome au Kazakhstan, Berick a un passeport d'irradié qui lui donne accès à des soins gratuits et à 120 euros de pension par mois, mais cela ne lui permet pas d'être opéré. « On doit trouver nous-mêmes un financement », soupire sa mère. « Quand il était petit, à l'âge de treize ans, des médecins italiens l'ont opéré, maintenant il faudrait recommencer, mais je ne sais pas à qui demander ».
Ils étaient 1 600 000 à vivre et à servir de cobayes humains dans des villages éparpillés autour du Polygone. Quatre générations plus tard, tous sont encore malades sous différentes formes. Il y a par rapport au reste du pays 40 % d'augmentation des taux de cancers, quinze années d'espérance de vie perdues, des suicides deux fois plus nombreux dans cette région qu'ailleurs, de! s naissances prématurées de plus en plus fréquentes à cinq mois, et des bébés monstrueux comme Berick.
Il n'empêche, pour Zhanbolat Gilmanov, haut fonctionnaire du ministère kazakh de l'énergie, le lien entre ces maladies et les explosions atomiques reste à démontrer. « Même si humainement c'est une tragédie », souligne-t-il, « il était nécessaire pour la science de connaître les effets de l'atome. Ce n'était pas qu'une question de guerre froide, l'humanité se devait de passer par là ».
« Les gènes sont touchés et c'est irrémédiable »
Le docteur Nailya Chaijunova n'est pas d'accord. C'est elle qui a découvert Berick lorsqu'elle a commencé à faire, une fois le Polygone fermé avec le départ des Soviétiques, une étude systématique des villageois aux alentours du champ de tir. Son constat est terrible : « Les gènes sont touchés et c'est irrémédiable. Cette population est génétiquement modifiée, elle est mutante ».
Les autorités kazakhs sont prévenues, mais n'agissent pas. « Il faudrait clôturer le Polygone qui reste libre d'accès », martèle le docteur, « fermer les fermes d'élevages qui sont à proximité et qui affectent la chaîne alimentaire, et informer la population des dangers de la radiation ». Pour l'instant, la seule préoccupation du gouvernement kazakh est de rendre dans environ deux ans 95 % des terres du Polygone à l'agriculture bien qu'encore radioactives.
Un non-sens absolu selon Toleukhan Normagambetov, chef de la maternité de Semipalatinsk, lui-même gravement touché par la radiation : « Nous avons muté en même temps que ces terres, on peut donc manger de ses produits, le mal est fait, mais pourquoi contaminer les autres ? » Bonne question. Courant 2009, le Kazakhstan doit rejoindre l'Organisation mondiale du commerce et inonder le monde de ses produits agricoles.
Source : Dernières Nouvelles d'Alsace - 1.2.2009 - Angélique Kourounis
10:10 Publié dans NUCLEAIRE | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Sommes nous donc arrivés à un stade sociétisé à ce point cinglé que son seul but soit de développer des attitudes qui le rendent encore plus cinglé ??? À découvrir ce genre d'aberration une immense colère me saisit et s'ajoute à celle déjà ressentie devant le non sens de la surconsommation, du profit, du pouvoir, et autres assassinats de l'équilibre vital. Merci Cathy pour ta farouche volonté de dénoncer ce type d'horreur, peut-être un jour à force de lutter contre l'imbécillité mortifère ambiante, la vie sur la planète pourra-t-elle échapper à ce cloaque infâme que concoctent l'argent outrancier, l'indifférence, et les apprentis sorciers de tout poil.
Écrit par : Ile | 15/03/2009
J'avais déjà lu par ailleurs des articles, j'en ai toujours aussi froid dans le dos. Ce visage jamais on ne peut l'oublier, ce visage est la faute de l'imbécilité humaine, c'est le mot utilisé. Apprentis sorciers comme le dit Ile le mot est plus juste, nous serons ce qu'ils feront de nous en connaissance de cause et méconnaissance de conséquences.
Écrit par : lutin | 16/03/2009
La rubrique pourrait s'appeler : "quand la bête a le pouvoir" tant ce qui est cité là est une forme de diabolisme au sens, jeter loin et séparer. Cette humanité sacrifié au nom d'une épreuve que l'ensemble de l'humanité devrait purger, comme un forme de fatalisme... De déresponsabilisation hélas...
Il se passe une chose assez semblable en Biélorussie du Sud, là où Tchernobyl a le plus frappé. Dans les zones contamniées qui ne devraient pas être habitées, des villages subsistent. Et le gouvernement accélère ce qu'ils appellent la réhabilitation. Il s'agit non pas de réhabiliter les terres par une quelconques amélioration en vue de cultures saines, mais plutôt d'un programme d'aide au discenrment alimentaire des populations en place, en vue de diminuer peu à peu les aides à ces zones et faire comme si il n'y avait plus de problèmes... L'IAEA et certains organismes pro nucléaires européens ont d'ailleurs aprticipé à cette conception des choses. Selon l'IAEA, il n'y a que 56 morts liés à Tchernobyl. Les irradiations provoquent des maladies qui pourraient survenir pour d'autres raisons. Elles apparaissent aussi bien plus tard que l'événement qui en est la cause. COnséquence : difficile de prouver qu'une maladie ( cataracte, cancer de la tyroïde, certaines malformations mais ce n'est pas le plus courant, les suicides ou l'infertilité )seraient du à la catastrophe... Il faut savoir que l'IAEA s'est basée sur les mesures consciemment erronée et falsifiées des autorités russes...
Écrit par : flo | 16/03/2009
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