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04/02/2012

Greek crisis - Carnet de notes d'un anthropologue en Grèce

Source : http://greekcrisisnow.blogspot.com/2012/02/farine-et-neig...

Farine et neige

 

 

 
Grèce - Thessalie - 02/02/2012
Il neige abondamment chez nous depuis mercredi. De Salonique et par endroits, jusqu'au sud du Péloponnèse. La mauvaise réputation du mois de février n'est plus à faire. Au beau milieu de ce mois de Gamélion chez les anciens, mais nous ne célébrons plus les mariages comme eux. Nous ne célébrons plus grand-chose tout court.
 
 
 
Nous n'aimons pas la neige et ce jeudi matin en Grèce centrale, y compris en plaine, nous en avons pratiquement un mètre au sol. Si on y ajoute la Troïka et les siens chez les «nôtres», c'est encore pire. Car déjà tôt mercredi matin, la compagnie d'électricité a coupé le courant à des dizaines de foyers à la bourgade de Neochori du département de Serrès, frontalier avec la Bulgarie. Ce village, dans sa totalité pratiquement, avait refusé de payer la nouvelle taxe, incorporée aux factures d'électricité depuis l'automne dernier. Devant le tollé général en plus du direct à la télévision, et par -10°C, la machine a fait partiellement marche arrière. Ailleurs dans le pays, des syndicalistes électriciens ou retraités, rétablissent le courant passant outre. Certes, pas partout. Les foyers sans électricité se comptent désormais par milliers, pas seulement à cause de la taxe … électrocutante, mais parce que tout simplement, les habitants n'arrivent plus à régler leurs factures. Le principal syndicat chez les électriciens, GENOP, vient d'annoncer jeudi matin que si la compagnie décide d'appliquer la loi sur la taxe immobilière, elle doit alors priver de courant 500.000 foyers (www.skai.gr).
 
 
 
Étant à moitié dans l'échec, et complétement embourbés, les para-gouverneurs Papadémiens, ont fait adopté au «Parlement» dans la nuit du mardi au mercredi, leur nouvelle trouvaille : au bout de quatre mois de non versement de cette nouvelle taxe, le fisc ouvrira la procédure adéquate, allant jusqu'à la saisie du bien immobilier en question. Andreas Andrianopoulos, homme politique appartenant à la pensée néo-libérale … sérieuse, avait déjà prévenu de ce dérapage en octobre dernier : «Pour éviter le pire et devant ses échecs, le gouvernement se résout à saisir au fond la propriété privée, en imposant les biens immobiliers de façon impitoyable. C'est une violation de la démocratie et des droits élémentaires, dont la propriété qui constitue un droit sacré» (http://www.newsbomb.gr/opinions/story/79584/boyliazoyme-g... – Andrianopoulos est associe en tant que chercheur «Public Policy Fellow», au Woodrow Wilson Center à Washington - www.andrianopoulos.gr).
 
 
 
La tension monte alors d'un cran. J'ai entendu les gens au café du coin hier avant la neige, se déclarant très déterminés: «Qu'ils viennent saisir, nous avons nos fusils de chasse et ils sont chargés...». Stathis, artisan - petit commerçant en faillite, s'est montré pourtant plus perplexe : «Eh les gars, moi j'ai payé la taxe de l'électricité car je ne veux pas avoir des embrouilles avec le fisc. Mon atelier où j'employais six personnes est en faillite depuis octobre comme vous savez, donc je dois de l'argent à la sécurité sociale, aux impôts et aux banques, je recherche plutôt … où me planquer... ». Ce Stathis n'a pas été un grand tricheur, ce qui est également bien reconnu de tous ici. Il n'a, ni compte en Suisse, ni deuxième maison, ni deuxième voiture, ni de deuxième chance finalement. Certes, la gestion de son entreprise n'était pas toujours très brillante, mais travaillant également lui-même du matin au soir, il n'a jamais voulu laisser ses ouvriers sans salaire. Originaires tous, du même village, c'était aussi une question d'honneur, d'orgueil même. Je ne dis pas de solidarité, car elle n'est pas si naturelle, sauf entre membres d'une parentelle, d'un clan et encore. La méta-culture pré-bancaire, (et «prêt bancaire» pour certains), a eu aussi comme conséquence dans les campagnes, la désarticulation de certaines solidarités, disons organiques, accentuée par le modèle unique et imposant, du consommateur orgueilleux. Donc Stathis avec son ex-entreprise d'ameublement ne sauvera peut-être pas … les meubles. Il attend seulement la suite, résigné mais souriant. «Nos parents ont vécu l'enfer jadis, qu'ils aillent se faire f... ces gouvernants et l'euro». Et au café, on a trinqué. «Amen» !
 
 
Car le père de Stathis fut résistant durant la précédente occupation. Partisan aux rangs du Front National de Libération (EAM), la plus importante structure politique armée en Grèce entre 1942 et 1946, animée par le Parti Communiste, conserve bien ses souvenirs. Le vieux Pavlos, c'est le nom du père de Stathis, raconte encore ces années, sans la moindre émotion dans la voix : «On crevait ou on tuait, puis en 1947, durant la Guerre Civile, j'ai dû faire mon service au sein de l'Armée Nationale, l'armée de l'État quoi, contre les communistes, pendant ce temps, mon oncle, communiste, était déjà en exil sur une île de l'Égée. Nous avions souffert tous, et cela nous rattrape, car le temps dur s'en va, mais il peut revenir, comme le vent de la montagne, là, en face». Pavlos, né en 1917, était même sorti hier matin avant la neige, pour se préparer un peu de petit bois, a-t-il dit, son fils.
 
 
 
Mais la nouveauté se trouve peut-être en train de constituer ses munitions ailleurs. Non pas dans les armes, mais dans les représentations. Ainsi Stathis, tout comme son père, sympathisants P.C. tous les deux, n'ont plus la ligne si dure. Autrement-dit, ils n'obéissent plus aussi facilement aux vues d'en haut. «Rester politiquement seuls n'est pas forcement une bonne chose», disent-ils, se démarquant ainsi de la position isolationniste du P.C grec, vis à vis des autres mouvements ou partis anti-Mémorandum. Puis, Christophoros, le gendre de Stathis, ex-cadre local au PASOK (le P.S. Papandréen grec) partage ce même avis. Et il n'a plus aucun lien avec le PASOK. De toute façon, toutes les organisations de ce P.S. bien balkanique, se sont … balkanisées jusqu'au bout. En réalité, elle sont dissoutes, ce parti n'existe plus, il n'y a que ses dirigeants, les députés, les ministres, et leur liquide amniotique, encore juteux ! Mais jusqu'à quand ?
 
 
 
Seuls certains retardataires de l'histoire dans ces campagnes, issus de la droite dite classique, espèrent et se disent prêts à voter pour le chef de «leur» parti, la Nouvelle Démocratie de Samaras. C'est ainsi que Samaras et sa Nouvelle Démocratie, vieille de 37 ans déjà, espère «gouverner» notre planète des singes au jour d'après. Courte vue pour une ambition minable. Seul l'ancien maire de la bourgade ici, parait-il, avait mieux prévu faisant dans le … développement durable. Avant la reforme réunifiant sa commune avec celle de la ville voisine (reforme désastreuse partout dans le pays), eh bien, cet adepte de la Nouvelle Démocratie, s'est retiré de la vie publique, ayant préalablement augmenté sa fortune personnelle, selon les allégations au moins de ses concitoyens, de cinq millions d'euros en deux mandats.
 
 
 
Hier, dans un autre village assez proche, les discussions n'ont guère varié. Sauf que le climat était lourd, à cause du décès d'un de leurs, la semaine dernière. Un homme la quarantaine, père de deux enfants, fut tué par un arbre à proximité de la rivière. Il était en train de le couper pour en faire du bois de chauffage. «Tout le monde le fait, même sans autorisation, sinon on va mourir aussi de froid. Et toutes ces interdictions c'est de la foutaise, du temps de la guerre et avant, dans les années 1930 et jusqu'aux années 1960, nos grands parents coupaient les arbres de la même façon et pour la même raison, personne ne venait alors nous faire la loi, nous étions bien chez nous...».
 
 
 
Nous voilà donc au milieu du gué. Non pas de la restructuration de la «dette», mais de nos vies. Jusque là, nombreux ont été ceux, qui croyaient le Mémorandum s'épuisant, entre deux débats à la télévision et quarte pétitions par jour sur internet. D'autres encore, se disaient bien, qu'enfin toutes ces grèves répétées et les manifestations parfois massives, apporteraient de l'eau au moulin de la révolution. Décidément il n'y a, ni révolution ni moulin, mais c'est de la farine que nous manquons désormais. Certains analystes encore, ayant occupé les médias alternatifs, présumés anti-Mémorandum, pensaient peut-être en faire carrière ainsi, mais seront-ils sinon, les seuls scénaristes du prochain film ? Et que dire des employeurs qui ont cru avoir trouvé le moment propice dans la nouvelle pédagogie de l'esclavage, supprimant les salaires à leur personnel restant, État compris, que vont-ils pouvoir récolter finalement ?
 
 
 
Parmi les nouvelles du moment, on distingue celle, rapportée par le reportage issu des hôpitaux. Un agent hospitalier (ambulancier dans un établissement public), découvrant sa fiche de paye de Février, et son salaire s'élevant ainsi à 250 euros, après maintes déductions et réductions, il a subi un arrêt cardiaque et … il a été sauvé, seulement parce qu'il se trouvait sur son lieu de travail. Ainsi ranimé, il pourra rappeler à nos dirigeants politiques d'abord, à Madame Merkel ensuite et aux bancocrates surtout, qu'effectivement ... «Arbeit macht frei»; quant au chômage n'en parlons plus !
 
 
 
Dans nos médias depuis deux jours, on revient également sur ces vols massifs de gasoil à répétition, en Crète et ailleurs, à tel point que certains engins de déneigement se sont retrouvés étant à sec. Sur l'île de Minos même parait-il, que certains voleurs n'ayant pas trouvé de gasoil dans le réservoir d'un camion, ils ont alors mis de la terre pour s'en venger. Donc cela devient très «tendance» que de mettre des vigiles partout, autour des engins, à la gare, derrière le poulailler. Heureusement qu'une Association pour la Protection des Animaux Sauvages, s'est émue et à juste titre, de la mort d'un chat sauvage (Felis silvestris silvestris) au Nord du pays, nous rappelant un peu ... nos émotions de l'avant-guerre (quotidien Ethnos - www.ethnos.gr - 01/02/2012).
 
Felis silvestris silvestris
 
Nous apprenons tout de même qu'il y a toujours ces courageux grévistes dans certaines usines et entreprises, comme les métallos du Pirée, mobilisés depuis plus de 90 jours et bien d'autres, dont les médias autorises ne s'attardent pas trop. Ces gens demeurent pourtant très déterminés. Lorsqu'ils montent sur Athènes, pour encercler par exemple la villa de leur patron dans les quartiers huppés sous la neige, ou lorsqu'ils protègent leur entreprise fermée mais occupée. Ils disent qu'ils n'ont plus rien à perdre et ainsi, ils iront jusqu'au bout. Mais encore lequel ?
 
 
 
Car ces temps-ci, nombreux sont également, ceux qui acceptent la soupe populaire épiscopale sans avoir jamais apprécié les ecclésiastes dans le passé, mais ils n'ont plus d'autre choix. Mercredi soir déjà, sur la chaîne de la télévision régionale de Volos (en Thessalie), entre deux déneigements réussis, le représentant syndicaliste des enseignants, relevait un autre bout de la couverture pédagogique du Ministère : «Il y a six mois, notre Ministre de l'Éducation, niait la réalité de la malnutrition dans laquelle se trouvent nombreux enfants à l'école, déclarant qu'il s'agissait de la mauvaise propagande syndicaliste. Elle en revient aujourd'hui, et elle réclame notre contribution à son programme urgent, c'est à dire, la mise en place et la distribution des mini-repas aux élèves, par un système de tickets d'alimentation, suivant certains critères. Nous disons oui à Madame la Ministre mais attention. Cette mesure doit être globale, c'est à dire concerner tous les élèves si possible. Car nous avons constaté que les enfants ont aussi  leur dignité, et qu'ils n'avouent pas facilement avoir faim. Il y a la honte également. Donc, soit nous devons deviner, soit nous devons établir une enquête pour comprendre la situation des familles et cela dépasse notre rôle et surtout nos possibilités. Hier encore, j'ai donné en cachette, une pièce d'un euro à un enfant, afin qu'il s'achète un croissant à la cantine de l'établissement. Il venait de prendre un médicament antibiotique et il n'avait rien mangé depuis la veille au soir. Je dois vous dire que certaines cantines, enregistrent une baisse de 60% de leur fréquentation. D'autres, réservent une partie de leurs produits à la distribution gratuite connaissant désormais les … cas les plus dramatiques. Un désastre... », (en Grèce, il n'y a pas de cantines scolaires, organisées par les services municipaux, seulement ces mini-cantines, proposant sandwichs et autres «repas» rapides, gérées par leurs propriétaires – entrepreneurs si on peut dire, donc tout est payant).
 
 
 
Restant alors dans notre grande bataille pour la nutrition, et dans ce cadre, le président de l'Union syndicale Paysanne, Tzanetos Karamichas de son coté, vient de déclarer aux journalistes (www.in.gr), «qu'un retour à la monnaie nationale n'est pas synonyme de catastrophe alimentaire, et qu'il faut arrêter de calomnier les producteurs, car en réalité et en moyenne, nous sommes auto-suffisants, à hauteur de 94%». Est-ce vrai ? Si oui donc, nous pouvons alors sans parmesan et sans Papadémos aux commandes ?
 
 
 
Notre gouvernance imposée, tout injuste qu’elle soit, elle devient petit à petit insignifiante pour beaucoup d'entre nous. Les mesures d'austérité, les négociations, les chiffres, les taxes, perdent toute signification aux yeux de ceux qui se battent pour la survie. À noter que le regard sombre de ces concitoyens justement, n'est plus du tout correct, ni politiquement, ni autrement. Il y a comme un parfum de déshumanisation qui plane dans l'air frais. Coïncidence ou pas, sur les ondes de notre unique radio culturelle et musicale, on diffusait hier, une émission spéciale sur la musique sous la République de Weimar, après une émission consacrée à Théo Angelopoulos. Peu avant sa mort il avait exprimé ses profondes inquiétudes : «Notre époque est devenue très sombre. Mais c'est aussi de notre faute, car collectivement et au niveau politique, nous avons négligé la culture, un choix mortel finalement».
 
Mikis Theodorakis et Manolis Glezos - Athènes 01/02/2012 - (source www.epikaira.gr)
 
Pourtant mercredi dernier à Athènes, Mikis Theodorakis, Manolis Glezos (héros de la Résistance - de 1941-1944), et bien d'autres, ont annoncé publiquement la transformation du mouvement «Spitha» - (l'Étincelle), en un front de Résistance plus vaste et mieux organisé. «Nous ne sommes pas un parti – a dit Mikis Theodorakis – seulement nous voulons en quelque sorte fédérer toutes les organisations qui luttent contre la Troïka et les politiciens traîtres, mais évitant les clivages partisans entre nous». Manolis Glezos a pour sa part formulé un appel destiné aux partis (de la gauche), «pour enfin soutenir cette action en participant, mais mettant de côté, tout esprit dirigiste».
 
 
 
Au même moment pratiquement, le Ministre Délégué à l'Économie, Pantelis Oikonomou, annonçait la suppression d'une taxe dite «taxe sur les produits de luxe» pour tout véhicule non utilitaire importé, dont la valeur dépasse les 20.000 euros. Décidément, y compris dans ce pays ... la farine du diable ne fait pas de bon pain, et nous, entre farine et poudreuse, nous déneigeons alors depuis ce matin par nos propres moyens.
Grèce - Thessalie - 02/02/2012

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