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26/10/2012

Les nanomatériaux vont-ils échapper au filet sanitaire européen ?

LE MONDE |18.10.2012 à 11h14• Mis à jour le22.10.2012 à 09h58

 

"Extrême déception", "profondes inquiétudes"... Associations de consommateurs, ONG environnementales et syndicats font assaut de critiques contre Bruxelles. Objet de leur colère : une communication de la Commission européenne sur les nanomatériaux faite, début octobre, au Parlement, au Conseil et au Comité économique et social européens. Le document – le premier sur le sujet depuis 2008 – écarte en effet l'idée d'une réglementation spécifique à ces produits et à l'évaluation de leurs risques. Ce qui revient, estiment les représentants de la société civile dans une réponse qui sera adressée vendredi 19 octobre à la Commission, à laisser les mains libres aux industriels, sans contrôle de la toxicité de produits toujours plus nombreux sur le marché.

Automobiles, carburants, électroménager, équipements de sport, appareils électroniques, panneaux solaires, ciments, peintures, crèmes solaires, chaussettes, poudres alimentaires, pansements, instruments médicaux... Plus de 2 000 articles de consommation courante contiennent des nanoparticules, dont la taille est de l'ordre du milliardième de mètre (50 000 fois moins que l'épaisseur d'un cheveu).

Le marché mondial des nanomatériaux serait de 11 millions de tonnes, d'après les services de Bruxelles, pour une valeur de 20 milliards d'euros. Et le secteur des nanotechnologies représenterait entre 300 000 et 400 000 emplois directs en Europe. Ce qui en fait un secteur-clé pour "la croissance, l'emploi, l'innovation et la compétitivité" aux yeux de l'exécutif bruxellois.

LES NANOPARTICULES PEUVENT PÉNÉTRER DANS LES POUMONS

La médaille a toutefois un revers. Les nanoparticules présentent des risques particuliers, encore mal connus, pour la santé et l'environnement. Leur taille infinitésimale, qui leur donne des propriétés remarquables (résistance, souplesse, conductivité, adhérence...), les rend aussi extrêmement réactives. Or elles sont susceptibles de pénétrer sous la peau ou dans les poumons, et de se disperser dans l'air, le sol ou l'eau. Une récente étude réalisée par l'administration française a montré que des nanoparticules pouvaient altérer la qualité et le rendement de cultures.

Comment prendre en compte cette dangerosité ? Par "une approche de la sécurité au cas par cas", répond la Commission. A ses yeux, "les nanomatériaux sont semblables aux substances et produits chimiques normaux". Elle estime donc que la réglementation générale appliquée aux produits chimiques au sein de l'Union – le système d'enregistrement, d'évaluation et d'autorisation Reach – est "le cadre le plus adapté à la gestion des nanomatériaux". Seule est envisagée une "modification des annexes de Reach, afin de préciser la façon dont les nanomatériaux doivent être pris en considération".

Pour Monique Goyens, qui dirige le Bureau européen des unions de consommateurs, "Bruxelles fait primer l'objectif de croissance économique et adopte la politique de l'autruche pour ce qui est des risques". Comme pour tout autre produit chimique, défend-elle, "le principe "pas de données, pas de marché" devrait s'appliquer".

"La protection des travailleurs s'est-elle perdue dans le nano-cosmos ?", ironise la Confédération européenne des syndicats. Quant aux Verts du Parlement, ils jugent "très trompeur de suggérer que les règles générales, conçues pour des substances normales, sont appropriées pour les nanomatériaux".

Ceux-ci passent en effet à travers les mailles du filet sanitaire de Reach. Car ce règlement ne s'applique qu'aux productions chimiques de plus d'une tonne par an, seuil loin d'être atteint pour beaucoup de nanomatériaux. En outre, le dispositif de déclaration ne distingue pas les formes nanométriques des formes classiques. Or un même produit peut prendre de multiples nanoformes, dont les propriétés et donc la toxicité sont radicalement différentes. Bruxelles reconnaît d'ailleurs que, dans les dossiers d'enregistrement actuels, "seules quelques informations visent précisément la sécurité d'utilisation des nanomatériaux spécifiques".

"UN EXAMEN AU CAS PAR CAS EST IMPOSSIBLE"

Des évaluations de risques sont certes menées, à l'échelle communautaire (notamment par l'Autorité européenne de sécurité des aliments) ou nationale. En France, l'Agence de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a publié cinq rapports depuis 2006. Mais les conclusions sont parfois édifiantes : chargée d'expertiser un matériau contenant des nanotubes de carbone, produits en France par Arkema, l'Anses a relevé, en avril, "un manque d'informations sur son potentiel toxique et écotoxique et l'absence totale d'éléments relatifs aux scenarii d'exposition et au cycle de vie du produit".

"Prétendre évaluer les risques au cas par cas, c'est noyer le poisson", estime David Azoulay, du Center for International Environmental Law, une ONG d'avocats spécialisée dans le droit environnemental. "Un examen au cas par cas est impossible. Il faudrait des années et on serait toujours en retard", pense aussi Olivier Merckel, responsable de ce dossier à l'Anses. Celle-ci travaille à "une méthodologie d'évaluation des risques spécifiques à des groupes de nanomatériaux". Et elle va désormais publier un rapport annuel regroupant toutes les données disponibles sur ces produits.

Parmi les Vingt-Sept, la France est en pointe dans ce domaine. Suite au Grenelle de l'environnement, l'Anses tiendra, à compter du 1er janvier 2013, un inventaire des substances nanoparticulaires mises sur le marché, afin d'en assurer la traçabilité. Un exemple qui pourrait être suivi par l'Italie, la Belgique ou le Danemark.

Suivre à la trace ces particules lilliputiennes ne suffira cependant pas à contrôler leur innocuité. En juin, douze pays, dont la France, avaient pressé Bruxelles d'améliorer "sans retard" la réglementation sur les nanomatériaux. Le chantier reste entier.

Pierre Le Hir

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