07/08/2014
Expérimentations indiennes: comment le revenu de base change la vie
Une expérience de versement d’un revenu de base modeste aux habitants de certains villages les plus pauvres de l’Inde a transformé leurs vies. Cela pourrait fournir un programme anti-pauvreté efficace pour tous les pauvres de l’Inde. Mais quelle sera la réaction du gouvernement de Narendra Modi ?
Article publié en licence creative commons sur le site OpenDemocracy.net. Traduction depuis l’anglais par Audrey D’Aquin.
L’idée d’un revenu de base soulève des questions bien au delà de la province de Madhya Pradesh en Inde. Historiquement, des personnalités comme Bertrand Russell, André Gorz, Martin Luther King, et JK Galbraith se sont tous exprimées en faveur d’un revenu de base. Le revenu de base n’était pas seulement une réforme souhaitable dans le nord et le sud pendant les années 1970 et 1980, sa mise en place est devenue indispensable depuis la crise financière de 2008, pour apporter stabilité et dignité à une nouvelle classe de travailleurs, pour répondre aux exigences du capitalisme mondial, qui créent un état d’insécurité chronique pour de nombreuses vies humaines, balancées entre inactivité professionnelle intermittente et des emplois précaires pour des salaires incertains dans un marché néo-libéral « flexible ». Pour eux, le monde de l’après-1945 de démocratie sociale, sécurité de l’emploi et des avantages sociaux est un passé révolu.
Au Royaume-Uni, le Parti Vert a adopté un revenu de base, ou «revenu citoyen», dans son programme. En Écosse, la Fondation Jimmy Reid a publié Au lieu de l’anxiété, un rapport plaidant pour un régime de revenu citoyen afin de fournir une nouvelle forme de sécurité sociale « pour le bien commun ». Compte tenu de la réponse réactionnaire du public face au système de prestations et aux bénéficiaires de l’État, il semble très peu probable qu’un parti travailliste, déjà sur la défensive sur l’aide sociale, ait le courage de promouvoir une telle idée au Royaume-Uni. Ici, la conditionnalité est l’ennemi de notre système de protection sociale qui se détériore, corrompu et déformé, certes pas autant qu’en Inde, mais par les coupures dans les prestations et l’accumulation des conditions punitives, des sanctions qui poussent les demandeurs d’emploi à recourir aux banques alimentaires, et passer des tests biaisés de handicap, le tout sous fond de diabolisation vicieuse des allocataires.
Il existe des groupes et des mouvements pour le revenu de base dans de nombreux pays. L’idée frémit sous la surface de la pensée politique classique à travers l’Europe, l’Amérique du Sud et la majeure partie du monde. L’idée a effectivement atteint le peuple Suisse, où il y aura prochainement un référendum sur l’opportunité d’introduire un Revenu de Base. Ce revenu de base a fait ses preuves dans des projets pilotes, au Canada, en Namibie ainsi qu’en l’Inde, mais le gouvernement des deux précédents pays y est hostile. Il existe une certaine activité sur le terrain. L’idée est plus avancée au Brésil où Bolsa Familia (« Bourse familiale »), un système de revenu de base universel, est entrée en vigueur en 2004 et est en cours d’introduction par étapes. La Bolsa Familia a depuis considérablement réduit la pauvreté là où elle s’applique. Inévitablement, elle a été dénoncée comme une incitation à la paresse, mais la Banque mondiale, qui a mené une enquête sur ce régime, a conclu que ce n’était pas le cas. En fait, la Bolsa Familia aurait même encouragé le travail plus difficile et l’esprit d’entreprise.
Étude de cas : Madhya Pradesh, en Inde
Les pires situations de pauvreté, faim et malnutrition du monde se trouvent en Inde, où les deux tiers des 1,2 milliard de la population vivent dans la pauvreté et la moitié des enfants souffrent de malnutrition.
Ghodakhurd et Jagmal Pipalya sont deux villages isolés dans le Madhya Pradesh, l’un des états les plus pauvres de l’Inde, où la malnutrition infantile et la mort de maladies diarrhéiques sont monnaie courante. Les habitants pauvres des deux villages ont participé à une expérience sociale audacieuse sur 12-17 mois en 2011-13 qui a transformé leurs vies individuelles et collectives. Tout les adultes dans les deux villages, et sept autres villages de la région, ont reçu un « revenu de base » régulier, variant entre 200 ou 300 roupies (£ 2 à £ 3) chaque mois, indépendamment de leurs salaires et autres avantages sociaux, subventions, aide sociale publique, emploi, caste, sexe, âge ou nombre d’enfants (qui ont reçu 100 roupies, versés à leurs mères). Les prestations étaient délibérément modestes, car elles ont été conçues pour agir comme une base pour assurer uniquement les besoins de subsistance.
Un rapport final sur cette expérience financée par l’UNICEF doit être publié à une grande conférence à New Delhi en Décembre 2014 (un résumé sera également publié, en hindi et en anglais). Mais il est déjà clair qu’un système de revenu de base national pourrait transformer la situation des pauvres à travers l’Inde, et modifier de manière significative l’approche traditionnelle de l’Inde pour faire reculer la pauvreté.
SEWA, une Association des femmes travailleuses indépendantes, remarquable organisation syndicale coopérative de 1,2 millions de membres, qui est basée en grande partie dans le Gujarat et le Madhya Pradesh, a participé à l’organisation de ce dispositif expérimental. SEWA assiste les travailleuses vulnérables de l’économie informelle et organise des entreprises coopératives, y compris une banque, des clubs d’épargne, etc. Ses membres sont essentiellement des travailleurs agricoles, vendeurs de rue, travailleurs des briqueteries, travailleurs à domicile (en particulier dans le Madhya Pradesh, les femmes qui ramassent des feuilles de tabac pour la confection cigarettes bidis bon marché qu’elles roulent aussi), ainsi que d’autres travailleurs marginaux. SEWA est si peu représentative d’un syndicat conventionnel que d’autres syndicats en Inde se sont ligués contre elle et ont tenté de lui nier sa légitimité.
Le caractère inconditionnel du versement en espèces a été la clé du succès de l’expérience. Sarath Davala, le coordonnateur de recherche de la SEWA sur l’expérience de revenu de base, a travaillé en étroite collaboration avec syndicats des villageois et les habitants. Il explique que le système actuel de lutte contre la pauvreté de l’Inde est délabré, ne parvenant pas à atteindre les personnes les plus pauvres de l’économie informelle avec lesquels SEWA travaille. Cet échec est officiellement reconnu : la Commission de planification de l’Inde a calculé que l’énorme programme de dépenses atteint seulement un peu plus d’une personne pauvre sur quatre.
Davala explique qu’il y a 321 régimes de protection sociale dans le Madhya Pradesh. Le plus souvent il s’agit de subventions en nature : distribution de nourriture, de kérosène, de céréales, de légumineuses, de gaz, de travail rémunéré, de latrines. Ces aides sont soumises à des conditionnalités strictes en matière de genre, caste, appartenance ethnique, âge, profession, nombre d’enfants:
« Il est très complexe pour les gens de répondre aux règles imposées par la bureaucratie. C’est très difficile si vous êtes analphabète. Les gens doivent prouver toute une série de choses, même là où ils vivent, pour obtenir le droit aux prestations », dit-il. « La conditionnalité signifie intermédiaires et intermédiaires ce qui implique la corruption. Les fonctionnaires prennent leur ponction – de nourriture, de briques, tout, et, comme disent les villageois, « ils abandonnent nos papiers dans un coin. Un versement monétaire inconditionnel contourne ce système, il libère les gens et leur donne contrôle et dignité ; et les économies réalisées par la cessation de ce régime bureaucratique lourd pourraient être réinvesties dans un système de versement en espèces plus généreux.
J’ai vu et entendu la preuve de la corruption et de l’inefficacité des systèmes officiels de protection sociale lors de mes visites à Ghodakhurd et Jagmal Pipalya. J’ai vu et entendu, aussi, les preuves de la façon dont les transferts d’argent modestes non seulement ont donné aux gens plus de contrôle sur leur vie, mais ont aussi permis de les libérer, au moins temporairement, de l’économie de rente, des prêts usurieux des propriétaires exploiteurs et des employeurs, et de la dette qui en résulte. Après les prières communes, les femmes de SEWA organisatrices, assises sur des coussins autour d’une moquette au bureau local de la SEWA, ont confirmé ce que j’avais vu et entendu et expliqué combien les paiements de revenus de base ont transformé la vie de village. « Avant, certains des hommes avaient l’habitude de s’asseoir et jouer aux cartes sous l’arbre de banian dans le centre du village », dit Rajmani, qui est un haut dirigeant SEWA. « Ils ont commencé à acheter des semences et des engrais avec l’argent et les joueurs de cartes ont disparu » (le centre du village est appelé Choupal, c’est un lieu pavé pour s’assoir, sous l’arbre).
Les villageois ont pu dépenser l’argent comme bon leur semblait. Mais la plupart d’entre eux ont utilisé cet argent pour la réhabilitation de leurs maisons et la construction de latrines (18 au total) ; le stockage et l’approvisionnement alimentaire en achat de gros ; payer les frais de scolarité et envoyer leurs enfants à l’école, leur payer un uniforme ; investir dans des semences et des pesticides, des chèvres et des bœufs, et au moins une vache Jersey — qui a conduit à un significatif passage de travail rémunéré à l’auto-culture ; acheter des machines à coudre pour son sa propre entreprises de fabrication de chemisiers, jupons ; le traitement des maladies telles que la tuberculose et la cécité, et traitement de blessures. Souvent, les villageois ont mis en commun l’argent supplémentaire, par exemple, pour acheter un poste de télévision communautaire, réparer le clocher de leur temple, créer une caisse ou un fond de prêts pour les mariages (qui sont onéreux dans la société indienne).
J’ai demandé aux organisateurs de village si les villageois avaient gaspillé les prestations en espèces pour boire ou peut-être en des saris et bijoux. À l’unanimité, ils ont secoué la tête. Bhanumatie Rimjha témoigne :
Tout le monde, toutes les personnes officielles, ont rit à l’idée de donner de l’argent aux pauvres. Ils disaient que les pauvres sont irresponsables, ils ne savent pas quoi faire avec l’argent, ils sont déclassés, ils ne peuvent pas gérer les comptes bancaires. L’idée est folle. Nous étions parfois nous-mêmes pris de doute, mais nous avons été très surpris à chaque fois que nous avions une histoire à raconter. C’est notre histoire : les pauvres sont responsables pour eux-mêmes et leurs familles. Cela leur serait préjudiciable de dépenser leur argent en alcool. Nous avons appris que nous pouvons toujours faire confiance aux pauvres. Plus tard, une femme âgée nous disait philosophiquement, “Les imbéciles le sont restés, mais les sages ont fait bon usage de l’argent pour leur travail.”
Les transferts d’argent, versés sur des comptes bancaires, organisés par SEWA, ont également changé la condition des femmes des villages. Dans les villages il existe une forme de purdah (réclusion physique entre les sexes) hindou pour les femmes mariées, en présence d’autres hommes plus âgés dans les règlements ou dans des espaces publics locaux. Mais la distribution de transferts monétaires sur une base égale, avec les femmes également responsables des prestations pour enfants, les a amenées dans les affaires communales du village, prenant place dans des lieux précédemment occupés exclusivement par les hommes (comme dans Choupal). Parce que les paiements sont égaux, ils sont aussi capables d’amener à prendre des décisions en matière de dépenses sur son propre compte.
Sarath estime que le travail de SEWA au fil du temps avec les centres pour enfants, les groupes d’épargne, les prêts supplémentaires et ainsi de suite, a contribué à la résilience et au bon sens des villageois ; et comme SEWA travaille avec les femmes sur les activités du village, elles sont d’avantage promues. Les organisateurs du village m’ont dit que les castes normalement ne « se rassemblent » pas, mais les femmes de différentes castes dans les villages se sont réunies, pour l’élevage, l’achat de vaches et animaux, et autres formations financières et d’autres réunions et lors de réunions avec SEWA. En outre, les prestations ont réduit la migration vers les villes, plus de villageois sont restés à travailler sur leurs petites fermes.
Le placard est vide
Nous atteignons Ghodakhurd, cahotant et brinquebalant le long d’une irrégulière piste poussiéreuse traversant des champs de blé et de buissons d’ail. Nous nous arrêtons pour parler aux femmes en saris lumineux qui ramassent l’ail. À côté de la piste, des motocycles brillants sont stationnés en tas car une congrégation de villageois célèbre le départ d’un jeune homme pour l’armée. Les motos modernes brillent sous le soleil brulant ; la chaleur semble presque solide. Les villageois d’ici sont dits « Bhils », c’est à dire historiquement considérés sous la domination britannique comme « aborigènes », et aujourd’hui, dans le cadre de la politique de discrimination positive de l’Inde, reconnus comme une « tribu répertoriée ».
Nous sommes un petit groupe : Sarath, deux des organisateurs du village de Sewa, Guy Standing de la SOAS, ardent défenseur du revenu de base et auteur de « The Precariat » et « The Precariat Charter », le chercheur de SEWA Pratik, un photographe et moi. Standing, qui dirige le programme de recherche, est là pour interviewer les villageois et recueillir les derniers témoignages sur l’impact des transferts d’argent. Nous allons d’une maison étonnamment spacieuse en boue et paille à l’autre, des divans de bois et jute sont déplacés dehors dans des avant-cours ou nous nous asseyons, parfois sous des vérandas. Du grain est étalé devant les maisons débordant des sacs ; une famille de chèvres de toutes tailles se promène dans un jardin. « Basic Income Goats », dit Guy, « les chèvres du revenu de base Il n’y avait guère de chèvres avant les transferts d’argent, mais elles ont été un bon investissement, maintenant la population de chèvres a triplée. »
Rajoribai, la première femme a qui nous parlons, a acheté une hache et des chèvres avec son revenu de base, mais la plupart de celui-ci a servi pour acheter des stéroïdes et autres médicaments pour traiter sa paralysie et son gonflement des jambes. Poulets et poussins gambadent, quelques poussins sont roses, après avoir été vaporisé lors de Holi, la fête religieuse des couleurs, pendant laquelle les gens jouent, se poursuivent et se colorent.
Aussi Pauvre qu’elle soit, Rajoribai n’a pas de carte de pauvreté — le laissez-passer officiel pour les documents officiels de subsistance — et donc elle a emprunté des semences au propriétaire. Au moment de la récolte, elle doit payer pour utiliser la machine de battage et remettre au propriétaire deux fois plus de grains. Ses trois fils sont naukars, des travailleurs asservis mal payés, qui travaillent à la briqueterie. Son voisin nous montre sa carte de pauvreté, un livret d’écorné avec des gribouillages officiels de partout. Pendant cinq mois, les responsables du magasin d’alimentation lui ont dit qu’ils n’avaient pas de stock, et puis qu’il n’était pas venu au bon moment. Il a sa propre petite entreprise et a également travaillé comme ouvrier occasionnel à la briqueterie locale. Il a investi ses revenu de base dans les semences et les pesticides et a travaillé sa terre. Sa récolte a été bonne — 22 quintaux (100 sacs d’un kilo), plus du double de la récolte habituelle. Voudrait-il que le système de revenu de base perdure ? Il joint ses mains dans une prière silencieuse et explique que, avec le revenu de base, il aurait de l’argent à disposition pour acheter des engrais et des pesticides au bon moment ; car auparavant, il devait attendre que le propriétaire daigne lui accorder un prêt, une attente qui perturbait son calendrier de récolte.
L’école du village se vide à l’heure du déjeuner. Les jeunes filles en uniformes bleus lumineux jouent a trap-trap, sprintent, rient, se colorent mutuellement, sur un terrain qui passe pour la place du village, une souche d’arbre mince sert de «camp». Sur le chemin, deux petits garçons jouent à la pétanque avec trois billes, dans la poussière. Nous parlons à Ghodakhurd sarpanch, l’élu chef du village, qui sert d’homme de liaison entre les villageois et la bureaucratie. Il était contre le régime de revenu de base au début ; maintenant il reconnaît qu’il a bénéficié au village. Alors que nous le quittons, le magasin d’alimentation du village est fermé. Guy et moi regardons à travers grâce à des lacunes dans la paroi du magasin d’alimentation. Comme le placard de Old Mother Hubbard, le vaste intérieur et vide et balayé.
À Jagmal Pipalya, la veille, l’inadaptation totale du régime de protection sociale du gouvernement était encore plus criante. Une fois de plus, les femmes ramassent le blé à la main, bien que je vois un tracteur dans le paysage. La tôle ondulée ou les toits de tuiles des maisons ici sont largement couverts par des journaux et des pierres, je suppose pour la protection contre le vent de la mousson et les pluies qui coupent ces villages du monde quatre mois par an. Il y a 25 ménages dans ce hameau du village, appelé par les villageois harijan Basti, et peuplés par d’anciens «intouchables», maintenant tous classés comme «castes» d’après la Constitution indienne. Nous nous asseyons sur des divans et une foule se rassemble. Un homme montre une latrine qu’il a construit pour lui-même ; son voisin nous montre une latrine effondrée. Les fonctionnaires lui ont tout simplement remis des quantités insuffisantes et briques et de ciment, et gardé le reste ; la pluie a fait la suite. Les briques et les gravats sur le bassin sont les restes du programme d’assainissement total du gouvernement.
Nous parlons à Sajanbai, une veuve démunie de 70 ans dont les fils sont partis. Elle est gardée par ses voisins avec une contribution occasionnelle d’un fils. Pendant la saison de la mousson, elle a glissé et s’est cassé la jambe. Le village était isolé et elle du a endurer pendant deux jours. Des voisins l’ont emmené à l’hôpital pour un traitement qui a coûté la majeure partie des 6000 roupies, qu’elle a commencé à payer avec son revenu de base et ses économies. Elle s’est vue refuser la carte de pauvreté.
J’apprends alors que sur près de 70 personnes du hameau qui ont demandé la carte de pauvreté, seulement quatre l’ont obtenue. Kamla Chouhan, l’organisateur SEWA, me dit que les 70 personnes sont toutes des « extrêmement pauvres » et le personnel SEWA a constaté que les refusés étaient tous admissibles. « Ils ont rempli les formulaires, mais ils ont été refusés. Ils ne savent pas pourquoi. Ils ont besoin de photos, empreintes digitales, trop de choses. » Elle est allée au panchayat, le bureau local du gouvernement dans un autre village, en leur nom. Les responsables étudient encore leurs demandes. Certainement que pour eux, la commission est follement généreuse.
Mesurer l’impact du revenu de base
L’expérience de revenu de base a été soutenue par un important programme de recherche, impliquant 93 employés en tout. Dans la région, douze villages non-participants, ou de contrôle, ont été étudiés à côté des villages de revenu de base pour fournir des statistiques comparatives. Des études détaillées ont eu lieu dans tous les villages, au début, à mi-parcours et à la fin du projet. Alors que j’étais dans le Madhya Pradesh, le noyau de l’équipe d’étude a tenu une réunion finale « tendue » pour préparer le rapport final que l’Unicef publiera en Décembre, ainsi que pour le livre grand public. Renana Jhabvala, coordonnateur national de la SEWA, et Guy Standing, qui est de facto le directeur des recherches préliminaires, ont partagé la direction de la réunion.
Des résultats préliminaires ont été rendu publics. Les chiffres confirment les conclusions que Guy, Renana et l’équipe pressentaient : loin d’encourager la paresse, le revenu de base a apporté « plus de travail, plus de productivité », en grande partie parce qu’il a permis plus de travail à « son propre compte » pour les paysans et d’autres possibilités de travail alternatifs à l’emploi salarié. Dans plus d’un village sur cinq, le revenu de base a augmenté la quantité de travail, deux fois plus que dans les villages témoins, et la plupart des villageois ont attribué les nouvelles fermes ou nouvelles activités à la subvention revenu de base. Les villageois qui touchaient le revenu de base ont augmenté leur cheptel de 70 %. Sarath explique :
Ainsi, le revenu de base, ce n’est pas seulement une question d’assistance, c’est aussi l’histoire d’un développement — d’une croissance inclusive et du bas vers le haut, qui a stimulé l’économie locale.
Dans deux domaines vitaux pour les enfants pauvres de l’Inde, le revenu de base a apporté des avantages tangibles aux villages. Un enfant sur trois souffrant de malnutrition dans le monde vit en Inde, et plus des deux cinquièmes de ces enfants souffrent d’insuffisance pondérale. Neuf enfants sur dix dans les familles indiennes pauvres sont analphabètes. Bien qu’ils ont en apparence passé quatre ans à l’école, la réelle cause est l’absentéisme. Concernant la malnutrition, des tests basés sur l’indice z-score de l’OMS ont montré que le revenu de base versé aux familles du village a été associé à un meilleur rapport poids/âge chez les enfants, principalement chez les jeunes filles. Concernant la fréquentation et les résultats scolaires, une amélioration spectaculaire a été observée, grâce à des dépenses supplémentaires pour des uniformes scolaires, des frais, des sacs d’école, des vélos, de la papeterie. Près de deux tiers plus d’enfants, bien habillés, qui gardaient le bétail et travaillaient dans les champs et qui « auparavant étaient sales », ont commencé à aller à l’école dans les villages recevant le revenu de base ; en comparaison, le chiffre pour les villages de contrôle était de 22 %. Leur performance à l’école a augmenté de 68 % pour les villages avec transferts en espèces, 36 % pour les villages de contrôle. Les filles qui précédemment « restaient à la maison » ont commencé à aller à l’école dans les villages de l’étude. Selon un film sur le projet, « les filles de douze ans sont inscrites en neuvième classe et font les 4 km aller et retour pour l’école. »
On a aussi observé une augmentation de 10 % des dépenses en logements, un meilleur approvisionnement en eau à partir de puits tubulaires et un meilleur éclairage, des améliorations mesurables dans la qualité et la quantité de nourriture avec une alimentation variée et plus de fruits et légumes — qui a également conduit à l’amélioration de la santé, en particulier dans les villages tribaux. Il y avait une augmentation de près de 50 % des dépenses pour traitement médical et médicaments. Et de manière significative, l’anxiété a baissé de 13,4 % dans les villages où le revenu de base a été versé.
Quelles perspectives pour le revenu de base en Inde ?
Le triomphe de Narendra Modi, un néo-libéral autoritaire, lors des dernières élections générales en Inde, jette de l’ombre sur l’avenir des programmes à destination des plus démunis du pays. Les deux programmes de lutte contre la pauvreté phares initiés par la précédente coalition Alliance Progressiste Unie sont le système de Garantie de l’Emploi Rural Mahatma Gandhi et la Loi sur la Sécurité Alimentaire qui devait fournir de la nourriture subventionnée pour près des deux tiers de la population. Modi s’est déjà engagé a réviser l’ensemble du système anti-pauvreté qui, comme nous l’avons vu, est coûteux, paternaliste et corrompu. Ce qui semble certain, c’est qu’il va chercher à faire des coupures budgétaires. De plus, comme programme anti-pauvreté actuel est associé avec le parti du Congrès, il est susceptible de le subvertir. Mais à part cela, les intentions de Narendra Modi sont loin d’être claires, y compris sur la question de savoir si les transferts monétaires directs joueront un rôle dans son gouvernement, et lequel.
Il y a un danger clair qu’il puisse abuser de l’idée de revenu base dans sa volonté pour développer une alternative moins coûteuse au système bureaucratique existant. Ce n’est pas comme si l’idée de transferts directs en espèces était un anathème pour les néo-libéraux (Hayek a par exemple été attiré par l’idée). Une telle proposition n’est pas non plus entièrement hors de l’écran radar. En Novembre 2012, le gouvernement fédéral, sous Manmohan Singh, a annoncé une refonte des programmes d’aide, sous l’appellation de Transferts de Bénéfice Direct, et a commencé à mettre en œuvre un transfert de subventions sur les carburants et d’autres programmes de habituels, telles que des bourses d’études, en paiements en espèces. Cette tentative a avorté sur le terrain, et a rendu le projet pilote de la SEWA controversé, car les gens craignaient que cela puisse être un signe avant-coureur de la suppression des aides de l’État, plutôt qu’une mesure complémentaire. La gauche traditionnelle indienne a défendu les subventions et travaillisme rural du régime anti-pauvreté et craint que si Modi opte pour les transferts monétaires, ce soit dans le cadre d’une stratégie visant à privatiser les services sociaux.
Guy Standing affirme que les services sociaux doivent être considérés séparément, car en Inde, comme partout ailleurs, les services sociaux doivent être publics si l’on veut qu’ils soient universels et de qualité. Dans l’ensemble, il pense que le parti de Modi s’orientera vers les transferts monétaires. « La question est de savoir à quel degré ils seront ciblés, et si oui ou non ils seront conditionnels ».
Article original paru sur Open Democracy sous licence creative commons | Traduction Audrey D’Aquin
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