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30/08/2014

Europe à vendre

 

 

Duflot : «On fait payer à tout le monde la constitution du patrimoine des plus riches»

 

De passage à Libération, Cécile Duflot réagit à la proposition du gouvernement de permettre aux propriétaires de loger des membres de leur famille dans des logements bénéficiant d’une défiscalisation. Pour l’ancienne ministre du Logement, cette mesure, annoncée ce vendredi par Manuel Valls «à certaines conditions», n’est «pas très juste» car elle conduit «à faire payer à tout le monde la constitution du patrimoine des plus riches».

«On peut accepter la défiscalisation si la contrepartie, c’est de produire des logements avec un niveau de loyer modéré pour des familles à revenus modérés, déclare-t-elle. Si ça contribue à loger les enfants de ceux qui ont déjà le plus d’argent, car ils peuvent défiscaliser, qui vont en plus bénéficier des aides au logement, et à la fin des fins qui vont se constituer un patrimoine transmis par leurs parents, on a une logique d’accumulation de la rente et des moyens sur ceux qui ont déjà le plus d’argent. Ce n’est pas très juste, car on fait payer à tout le monde la constitution du patrimoine des plus riches».

Tonino SERAFINI et Cyrielle BALERDI

 

 

18/08/2014

Artiste médium – L’Art fantastique… entre vision et rébellion d’Élisa Amaru et Odile Alleguede

 

Ed. TrajectoirE, juin 2014.

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208 pages, 19 €.

 

Voici un ouvrage très intéressant qui donne un bon panorama d’une forme de création insolite, parfois appelée spirite ou médium, souvent touchant à l’art brut, mais qui s’exprime aussi ou s’est exprimée chez des musiciens, comme Robert Schumann, des écrivains comme William Blake, Robert Desnos et Fernando Pessoa dont peu connaissent le syndrome de multi-personnalités avéré et dont il a usé pour écrire des ouvrages fort différents sous différents noms, et puis des artistes qui par ailleurs ont vécu une vie très simple ou d’autres encore ayant connu la célébrité. Art spirite, art brut, art fantastique, art visionnaire, autant de termes décrivant un domaine où la conscience laisse place à quelque chose de plus incontrôlable, aux prises avec des dimensions invisibles, souvent mystiques ou obsessionnelles, mais pas toujours imaginaires. Beaucoup de questions aujourd’hui encore restent sans réponse, tellement nous en savons peu finalement sur le cerveau et le psychisme humains quand il s’agit de pénétrer et comprendre des domaines considérés comme irrationnels.

 

Ce livre est plus un inventaire qu’une véritable recherche de fond, mais il ouvre cependant pas mal de pistes en ce qui concerne la création atypique, compulsive, la création spontanée, incompréhensible, inexplicable, lorsqu’elle s’empare par exemple de personnes qu’absolument rien ne destinait à devenir des artistes. L’expression artistique comme exutoire, auto-thérapie, moyen de survie ou bien véritablement un pont entre différentes formes de réalités ? Sans doute un peu tout à la fois, et bien d’autres choses encore.

 

Ainsi nous découvrirons et redécouvrirons, classés dans un ordre chronologique, les univers à la fois insensés au premier abord mais exigeant des capacités hors normes, de ces artistes malgré eux, internés ou pas, comme le mineur Augustin Lesage (1876-1974), peintre et guérisseur, le cantonnier Marcel Storr (1911-1976), le plombier-zingueur Fleury Joseph Crépin (1875-1948), Fernando Nanetti (1927-1994) et ses graffitis spirituels ; Yayoi Kusama née en 1929, dont l’obsession des pois a fait sa célébrité et qui est un étonnant exemple d’artiste assimilée à l’art brut, vivant depuis 1975 dans un hôpital psychiatrique de Tokyo, mais qui a également trouvé sa place et sa renommée dans les milieux huppés de l’art contemporain ; d’autres qui semblent véritablement possédés par des artistes disparus, comme l’incroyable brésilien – le Brésil étant la terre spirite par excellence -le peintre entrancé Luiz Antonio Alencastro Gasparetto, né en 1949, qui réalise, parfois dans l’obscurité la plus complète, avec une rapidité stupéfiante, des tableaux reproduisant à la perfection le style d’une cinquantaine de grands peintres disparus de différentes époques, avec jusqu’à leur propre signature authentifiée par des spécialistes, tableaux qui seraient donc réalisés par ces maîtres eux-mêmes canalisés par le médium en transe ; et donc des artistes médiums au sens littéral du terme, comme la suédoise Hilma af Klint (1862-1944), pionnière de l’abstraction moderne avant Kandisky à qui on en a attribué la paternité, la suissesse Catherine Élise Müller (1861-1929), Victor Simon (1903-1976) ou Marjan Gruzewski (1898- ?). Il est d’ailleurs question aussi de Chico Xavier (1910-2002), le scribe psychopompe, le plus célèbre des médiums brésiliens.

 

On y trouvera également l’américain Louis Wolfson, le « Transchizo «, né en 1931 et aujourd’hui millionnaire (grâce à une méthode pour faire mentir les jeux de « hasard »), écrivain « fou » et génie des langues qui haïssant obsessionnellement la langue maternelle a mis au point un incroyable système de conversion d’une langue à l’autre par le son et le sens, malgré qu’il ait eu, après avoir été déclaré schizophrène, le cerveau toasté au cours de son enfance et adolescence, interné pour un total de 18 mois en plusieurs fois avec force électrochocs, insulinochocs, médications abrutissantes et pire…

 

Il est évident que chaque siècle pose sa marque et aussi donc la façon dont ont été appréhendées, voire provoquées, ces expériences hors normes, ainsi le XIXe siècle fut le siècle des tables tournantes, le siècle spirite, le XXème plus celui des traumas de guerre, de l’art brut et des internements abusifs et le XXIe ?

 

La liste n’est pas exhaustive, vous en découvrirez bien d’autres ainsi que des liens, des lieux et une riche biblio/vidéo/audiographie, dans ce livre abondamment illustré qui a le mérite d’attirer l’attention sur des phénomènes que trop souvent on a eu tendance à ranger dans des dossiers classés, estampillés du terme générique de « maladie mentale », parce que cela dérangeait ou dérange encore (bien que le travail de Dubuffet pour mettre en valeur l’art brut a conduit aussi à l’excès inverse) certains dogmes du milieu de l’art d’une part et des milieux médico-scientifiques d’autres part. Nous pouvons espérer cependant que le XXIe siècle sera justement le siècle où il sera possible de faire de la véritable recherche sur ces manifestations, en ne fermant aucune porte mais bien au contraire en ouvrant bien grandes toutes les portes de toutes les perceptions...

 

« Si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est, infinie »

 

William Blake

in Le Mariage du Ciel et de l’Enfer.

 

 

Cathy Garcia

 

 

 

Élisa Amaru 5.jpgÉlisa Amaru est journaliste orientée web et presse écrite. Elle se consacre à la gestion de contenu éditorial et digital. Pour cela, elle fonde en 2010 le blog Le Mot et la Chose sur le portail de LeMonde.fr. Dédié aux actualités littéraire et artistique, Le Mot et la Chose agit comme une vitrine numérique, dans le but de renvoyer de l'information ciblée au plus grand nombre. Passionnée depuis longtemps par le monde de l’Art et ceux qui le font, Élisa Amaru continue à tisser des liens étroits avec les grands acteurs de la scène artistique et culturelle internationale. 

 

odile alleguede_.jpgOdile Alleguede est journaliste indépendante à Paris, responsable de collections éditoriales, écrivain, et en charge d'une agence de communication éthique et collaborative. Ingénieur et universitaire, elle collabore en permanence avec diverses publications, des magazines de presse papier et web, et plusieurs éditeurs, touchant aussi bien les domaines scientifiques et culturels, que littéraires. Membre des JNE (journalistes de la nature et de l’environnement), sa curiosité englobe des domaines aussi différents que l’histoire, les arts, la psychologie, la philosophie, l’écologie, les sciences humaines et sociales, etc. Notamment passionnée par les démarches originales et les initiatives marginales, elle s’intéresse aux pistes alternatives de la société, aux tendances émergentes et, en particulier à tous ceux qui les initient, ces hommes et femmes qu’un parcours atypique loin des consensus continue, parfois, à transformer en parias.

 

 Cet article est en ligne sur le site de la Cause Littéraire :

http://www.lacauselitteraire.fr/artiste-medium-l-art-fant...

 

 

 

 

 

La voie de l'amour, documentaire de Branko Stanković (Serbie) -2009

L’histoire du moine Ambroise devenu ami de la louve Alfa et d’autres animaux sauvages.

 

 

16/08/2014

L’éjaculation féminine ou le nectar sacré

 

Peu d’études sur le sujet, des avis divergents de la part des chercheurs et des médecins, des tabous, de fausses croyances encore trop présentes et pesantes, en somme l’éjaculation féminine et toutes les émissions de fluides diverses associées est un sujet très controversé.

Dans beaucoup de cultures, l’éjaculation féminine était considérée comme l’un des aspects essentiels au plaisir féminin. Parmi elles, je citerai par exemple les celtes, les romains et grecs de l’antiquité, les tantrikas… Les taoïstes considéraient que cet élixir avait le pouvoir légendaire d’inverser le processus de vieillissement. Au japon au XVIème siècle, on récoltait ce flot dans des bols conçus à cet effet. Ils le considéraient comme un aphrodisiaque et ceux qui le consommaient étaient plus heureux et comme régénérés. Pas si absurde lorsque l’on sait que dans ces émissions féminines on retrouve des traces de sérotonine qui est un neurotransmetteur. (Cette molécule est utilisée dans certains médicaments ayant une action sur la quantité de sérotonine et ont des effets bénéfiques sur la dépression.)

Dans notre culture en revanche, des tabous et des fausses croyances existent et persistent :

Certains médecins ont avancé le fait que l’éjaculation féminine avait une fonction anti-bactérienne et que l’organe qui en était responsable c’était atrophié au fil du temps avec l’accession à l’hygiène des femmes modernes. L’éjaculation servirait donc d’autonettoyant, hum…

Du fait que les chercheurs et médecins eux-mêmes s’obstinent à nier cette partie de la réponse sexuelle féminine, certaines femmes ont même cherché à faire réparer cette « incontinence coïtale » par la chirurgie.

En fait, il y a encore peu de temps, on pensait que l’éjaculation féminine était un phénomène très rare, d’où le terme femme fontaine (après la femme à barbe), mais des études récentes, faites par des scientifiques qui en avaient marre de se voiler la face, ont démontré que toutes les femmes avaient la capacité d’éjaculer, que ce phénomène n’était pas si différent de l’éjaculation masculine… et qu’il n’avait d’ailleurs rien à voir avec de l’incontinence urinaire.

Bon mais dans la pratique c’est quoi, comment, où, pourquoi ? Autant de questions qui ne resteront pas sans réponse puisque je vais tout vous raconter :

Les études ont prouvé l’existence de la prostate féminine et certains composants biochimiques sécrétés au cours d’une excitation intense, dans la prostate sont comparables à ceux du sperme, dont l’antigène prostatique spécifique (APS) qui est produit par une seule glande du corps humain, il s’agit de la prostate masculine, enfin c’est ce qu’on pensait jusque là… Eh oui !

Il existe deux types d’émissions féminines : il y a le fluide prostatique éjaculatoire (qui a la consistance du sperme) et la giclée (appelée squirt par les chercheurs américains qui est incolore et inodore). Ces fluides sont expulsés par le canal urétral (ho dis donc c’est encore comme les hommes). Et même si la sensation est proche de l’envie de pipi, pas de panique il n’en est rien…

La sécrétion de fluide prostatique est une réponse à l’excitation sexuelle.  Les canaux et les glandes composant la prostate féminine (dont les glandes de Skene qui sont les plus importantes) ne peuvent s’empêcher de produire ces émissions involontaires avant, pendant ou après l’orgasme ou même sans orgasme.

Mais les tabous et les fausses croyances ont réprimé cette réponse purement physiologique au point que la plupart des femmes ne savent plus éjaculer. Elles émettent des quantités infimes et imperceptibles de fluide prostatique. Quant à celles qui savent encore éjaculer, celles-ci sont susceptibles de « gicler » et peuvent expulser des quantités allant de 25 à 100ml. C’est à ce moment là que l’on parle de « femme fontaine ».

Encore un point où les avis divergent; il s’agit du point de départ de cette éjaculation. Certains diront que la stimulation du point G est le déclencheur, d’autres la stimulation du clitoris : eh bien je peux vous dire avec une certitude absolue après avoir fait quelques recherches et expériences que ces zones érogènes sont toutes les deux des déclencheurs !

Une éjaculation féminine peut survenir plusieurs fois durant la stimulation ou l’acte sexuel et n’impose aucune période réfractaire (la voilà la différence avec l’homme !). Sachez aussi qu’avec l’expérience  il est possible de contrôler cette éjaculation.

Si vous souhaitez découvrir l’éjaculation féminine mais que vous n’êtes pas sûre de vous, exercez-vous en solo afin de comprendre et d’apprendre. Mettez de côté les croyances et les tabous. Détendez-vous, prenez le temps et appréciez les sensations de l’éjaculation.

Si vous avez un ou une partenaire de jeu, ne le/la prenez pas par surprise, c’est toujours mieux de parler de cela avant tous les deux afin de savoir si votre partenaire est prêt(e) à vivre l’expérience avec vous. Aidez-le/la à mettre  de côté le tabou qui entoure l’éjaculation féminine en le/la préparant à l’avance. Les partenaires qui apprécient, diront que c’est un fabuleux cadeau que vous leur offrez, un remerciement profond au plaisir qu’il/elle vous aura donné.

Mais votre partenaire n’est pas forcé d’aimer ne l’oubliez pas, soyez indulgente, avec le temps peut-être qu’il ou elle changera d’avis.

En quelques mots, la ressemblance avec l’homme encore une fois en terme de sexualité est flagrante, nous sommes bien égaux et n’avons rien à leur envier… Et je terminerai sur une chose essentielle, même si l’éjaculation est une expérience intéressante et plaisante, elle n’est pas nécessaire au plaisir… on peut avoir une sexualité très épanouie sans cela donc ne vous mettez pas la pression.

A savoir : Uriner immédiatement après les rapports sexuels (afin d’évacuer les bactéries qui sont entrées dans l’urètre) permet d’éviter les infections urinaires. 

 

Source : http://cabinetsdecuriosites.fr/au-fond-des-choses/chroniq...

 

 

 

 

15/08/2014

Moins c'est mieux

 

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(auteur ?)

 

 

 

 

 

Ashérah-Ishtar, déesse-mère des hébreux, épouse de Baal-Yahvé, et Saint-Esprit du Ménorah

A travers les éléments qui suivent, il semble que l’on soit  passé d’une déesse-mère unique (Ashérah), à un couple divin marié (Ashérah et Baal), puis pour finir, à un dieu-père unique (Yahvé). On découvrira que les sacrifices d’enfant furent une pratique courante pour les divinités associées à Baal.

Ishtar, la déesse-mère de Pâques

Ishtar-Easter déesse-mère de Pâques, équinoxe du printemps, retour de la vie

Pâques est la fête de l’équinoxe du printemps, le retour de la vie de la déesse-mère Ishtar (Easter) :

  • les cloches réveillent la nature,
  • les œufs représentent la source de la vie, et de la naissance du monde,
  • les lapins représentent la sexualité féconde et débordante.

Ishtar fut une déesse primordiale mésopotamienne, qui avec l’arrivée du patriarcat, fut affublée d’un mari, Baal. Avec le temps, Baal devint Yahvé, et Ishtar devint Asherah. Puis elle fut effacée sous le nom de Shekinah, l’esprit saint féminin du ménorah, l’arbre sacré de vie.

Lire Philippe Annaba – Les dieux usurpateurs de la mythologie sumérienne spolient la déesse primordiale

La première religion sans déesse

L’Ancien Testament est le premier livre sacré à ne faire intervenir aucune divinité féminine et ose ce que les patriarcats précédents n’avaient pas fait : éradiquer toute trace de culte féminin. Lorsque la Grande Déesse était considérée comme immortelle, immuable, toute-puissante, le concept de filiation par le père n’était pas encore connu. Si la Déesse a longtemps régné seule dans les mythes de Sumer, un frère-époux apparaît à ses côtés au premier temps patriarcal, puis suivent des dieux Pères alors que la déesse devient fille-épouse avant d’être bibliquement éliminée. Yahvé est le premier Dieu sans concurrence féminine qui vient clore la mise en place progressive des patriarcats dans cette région du monde avant-gardiste pour avoir vu débuter le néolithique, son agriculture et l’élevage.

L’épouse de Dieu

Yahvé (El, le dieu) eut une compagne, Asherah (de l’hébreu אשרה), qui est le prénom d’Elat (la déesse). Elle était vénérée avant -600. Asherah est souvent vue comme la version cananéenne de la déesse Athirat (ou ʼAṯirat), une importante déesse-mère au culte répandu au Moyen-Orient. Asherah est connu dans la Bible comme la "Reine du Ciel" (Jérémie 7.18, 44.17) et est appelée "Artémis" par les Ephésiens dans le livre des Actes (chapitre 19). Le mot "Asherah" est trouvé au moins 40 fois dans l’Ancien Testament. Il fait référence à un objet en bois utilisés dans le culte de la parèdre de Baal, c’est-à-dire Asherah.

La compagne du Léviathan

Anat, déesse sémitique de Palestine, sera recyclée en épouse de Baal qui s’accapare de son pouvoir de fertilité, et se fait appeler à sa place, « le Seigneur des sillons des champs », après avoir vaincu un serpent monstrueux nommé Léviathan, encore un symbole de la déesse Mère (épisode révélé par les fouilles de Ras-Shamra, ancienne Ugarit). C’est un comportement  récurrent dans l’histoire du patriarcat, de diaboliser son ennemi, afin de justifier les pires exactions à son encontre. À noter une fois de plus que les rédacteurs de la Bible s’inspireront de ces récits mythiques antérieurs :

« … Yahvé châtiera avec son épée dure, grande et forte, Léviathan, le serpent fuyard, Léviathan, le serpent tortueux, il tuera le dragon qui habite la mer. » Isaïe 27,1.

« Réveille-toi, Seigneur, réveille-toi vite et agis avec vigueur. Réveille-toi comme autrefois, dans le lointain passé. N’est-ce pas toi qui abattis le monstre Rahab, le dragon des mers ? » Isaïe 51, 9.

En effet, Léviathan, symbole de la grande Mère, ressurgit sans cesse dans la mémoire et le cœur du peuple hébreu.

Une déesse combattue par les premiers monothéistes

Les autels, les piliers et les idoles, condamnés par Yahvé, étaient placés dans les bosquets d’arbres. Le nom de la déesse Cananéenne Asteroth signifie “arbre sacré” mais cette traduction est redondante dans la mesure où tous les arbres étaient sacrés pour les peuples antiques de l’Europe et du Proche Orient. Les arbres étaient révérés comme divins avant que des images sculptées d’arbres fussent érigées pour être vénérées.

La représentation d’Asherah est un arbre, le palmier-dattier, utilisé dans son culte par les canaanites et les phéniciens. Leurs dattiers sont appelés asherim. Son nom phénicien vient du grec dattier. Ils habitaient les cités-états phéniciennes de Sidon et de Tyr (Liban). La phénicienne Jézabel épousa Ashab, roi samaritain d’Israël, et amena avec elle l’adoration de ces arbres. Cette pratique passe en Israël et sera combattue par le prophète Élie, et dénoncée par Jérémie. Les tribus d’Israël emmèneront cette pratique avec eux à Babylone.

Et dans la Bible il est expliqué que c’est seulement lors des réformes de Josias et d’Ezéchias que fut enlevé du temple de Jérusalem l’emblème d’ASHERAH (un poteau sacré appelé "ASHERE"). Le Pentateuque en parle quatre fois comme des idoles à détruire :

  • "Ezéchias fit ce qui est agréable à Yahvé, imitant tout ce qu’avait fait David, son ancêtre. C’est lui qui supprima les hauts lieux, brisa les statues, coupa les Ashérah et mit en pièces le serpent d’airain …" (Rois II 18, 3-4)
  • "Et il fit emporter Ashérah hors de la maison de l’Éternel (Yahweh), hors de Jérusalem, dans la vallée du Cédron, et il la brûla dans la vallée du Cédron, et la réduisit en poussière, et en jeta la poussière sur les sépulcres des fils du peuple." (Rois II 23, 6)
  • "Et il brisa les statues, et coupa les poteaux symbolisant Ashérah et remplit d’ossements d’hommes les lieux où ils étaient." (Rois II 23,14)
  • Deutéronome, chapitre 16 : "Tu ne te planteras point d’emblème d’Ashéra, aucun arbre, auprès de l’autel que tu dresseras à l’Éternel ton Dieu."
  • Et le roi Josias, vers -630, « ordonna [...] de retirer du sanctuaire de Yahvé tous les objets de culte qui avaient été faits pour Baal, pour Ashera et pour toute l’armée du ciel [...]. Il supprima les faux prêtres que les rois de Juda avaient installés et qui sacrifiaient [...] à Baal, au soleil, à la lune, aux constellations et à toute l’armée du ciel. [...] Il démolit la demeure des prostituées sacrées, qui était dans le temple de Yahvé[...] ».

La destruction des temples de la Déesse

Présente dans les récits précédents connus de cette région, Lilith disparaît du travail de copier/coller et de réécriture biblique sélective. Si le culte de la déesse existe toujours en Palestine au moment où émerge Yahvé, ce sont les empereurs chrétiens de Rome et de Byzance qui firent fermer les derniers temples de la Déesse vers l’an 500 de notre ère.

Lire Lilith, première épouse d’Adam, démone de la luxure voleuse d’enfants, et ancienne déesse-mère

« Vous détruirez tous les lieux où les nations que vous allez chasser servent leurs Dieux, sur les hautes montagnes, sur les collines et sous tout arbre vert. Vous renverserez leurs autels, vous briserez leurs statues, vous brûlerez au feu leurs idoles, vous abattrez les images taillées de leurs Dieux et vous ferez disparaître leurs noms de ces lieux-là » [Deutéronome 12, 2-3].

Dans les faits, ce sont bien les cultes du féminin qui sont visés : Montagne, Arbre, Serpent honni, pierres levées et pieux sacrés,
figurines représentant une femme debout soutenant ses seins avec ses mains, déesses nues de la fertilité consacrée à l’ancienne déesse Asherah épouse de YHWH. Vers la fin du VIIIe s. av. J.C., on se mit à proclamer que seul YHWH devait être honoré, en y incluant une revendication territoriale, et c’est au VIIe s. av. J.C., pendant le règne du roi Josias, que les dirigeants de Jérusalem ont jeté l’anathème sur la moindre trace de vénération des déités étrangères, extirpant les rituels propitiatoires pour la fertilité de la terre et la bénédiction des ancêtres avec la destruction de tous les sanctuaires locaux, le Temple de Jérusalem devant être reconnu comme « l’unique » lieu de culte, avec aussi la purification de l’idolâtrie initiée par Salomon avec son harem de femmes et dont le « cœur ne fut plus tout entier à Yahvé », qui suivit même Astarté, « reine du ciel », à laquelle des Juives offraient encore des gâteaux peu avant la destruction du royaume de Judée par Nabuchodonosor en 586 avant J.-C.

Revenir à la Reine du Ciel, du bonheur et de la prospérité

Les lamentations de Jérémie (jérémiades), chapitre 44

Même la Bible recèle le souvenir de ces temps de paix sous l’égide de la déesse Mère. Le prophète biblique raconte comment il vint à Pathros en Egypte après la destruction de Jérusalem par Nabuchodonosor. Il y rencontra un groupe de réfugiés israélites en colère. Ceux-ci reprochaient au prophète sa loyauté envers celui qu’eux-mêmes regardaient comme un dieu mâle usurpateur du ciel, Jéhovah, auquel ils attribuaient tous leurs malheurs. Jérémie interpelle les Judéens résidant en Égypte parce qu’ils rendent hommage à Astarté, la reine du Ciel, alors qu’Yahvé a interdit de rendre un culte à d’autres dieux que Lui. Défiant le saint homme, ces gens lui annoncèrent qu’ils allaient retourner aux coutumes de jadis et brûler l’encens devant la Reine du Ciel, lui adresser des offrandes et des libations :

« Ce que tu as dit au nom du seigneur, nous ne l’acceptons pas. De toute façon nous allons remplir nos promesses de brûler de l’encens à la Reine du Ciel et de lui verser des libations, comme nous le faisions, nous et nos pères, nos rois et nos chefs dans les villes de Juda et de Jérusalem. Nous avions alors du pain à satiété, nous étions dans l’abondance et nous ne savions pas ce que c’était que le malheur. Or depuis que  nous avons cessé d’offrir l’encens à la Reine du Ciel et de lui verser des libations, tout nous manque, et nous périssons par le glaive et la famine. » Jérémie, 44, 16 à 18.

Un vaste panthéon mondial de déesses-arbres

On retrouve plus de quarante fois le mot Hébraïque asherah dans les cinq premiers livres de la Bible, parfois pour indiquer “la présence cultique puissante de la divinité féminine appelée Asherah”, parfois pour indiquer les idoles en bois sculpté utilisées pour la représenter. Asteroth-Asherah-Astarte était originaire de la Palestine et du Proche-Orient mais elle appartenait à un vaste panthéon de divinités d’arbres que l’on trouve sur toute la planète: les tendres hamadryades de la mythologie Grecque, telle que Daphné le laurier; l’Isis Egyptienne qui est souvent représentée comme un tronc d’arbre bourgeonnant d’une abondance de rameaux feuillés; et les apsaras sensuelles aux yeux de biche de la mythologie Hindoue, dont la Reine Maya, la mère du Bouddha. Lorsque les cultes de la Déesse furent supprimés, lorsque ses idoles furent mises à bas, lorsque ses bosquets feuillés furent dévastés, les Juifs inventèrent la menorah pour remplacer ce qu’ils avaient détruit. Le chandelier aux sept branches est une abstraction schématique émanant de la nature, une imitation spectrale d’une asherah, un arbre-sacré.

Ménorah et Saint Esprit, l’arbre de vie de la déesse Ashérah ?

La ménorah (hébreu : מְּנוֹרָה IPA [mnoː'ɾaː]) est le chandelier (ou candélabre) à sept branches des Hébreux, dont la construction fut prescrite en Exode 31 à 40 pour devenir un des outils du Tabernacle et plus tard du Temple de Jérusalem. Ce mot « Menorah » provient du préfixe « Mé » indiquant la provenance d’une chose, associé à la racine hébraïque NorahNourah, de Nour,Nor (flamme) au féminin. MéNoRah signifie donc « de la Flamme », « qui provient de la Flamme » ; cette flamme, selon la Kabbale, n’est autre que la Schékhinah ou présence féminine de Dieu.

Les vieilles gravures du Néguev montrent que, à l’époque où ils étaient encore polythéistes, les Hébreux adoraient le dieu YAH (YAHWE) et sa parèdre la déesse ASHERAT ou ASHERAH. Sur ces gravures, le nom de YAH est souvent associé à un bélier ou un taureau alors que celui d’ASHERAH est associé à une MENORAH. ASHERAH était également connue par les Cananéens d’Ougarit (Syrie) sous le nom d’ATHIRAT. Elle semble avoir été représentée par un poteau de bois car son nom pouvait être traduit par "Bosquet", "Jardin", "Arbre" ou "Lieu sacré". En fait, il est possible que ce poteau n’ait pas été un mat lisse mais ait porté sept branches. Un tel poteau d’ASHERAH muni de sept branches pouvait donc avoir la forme d’un chandelier MENORAH. Un "ARBRE DE LUMIERE" comme disent certains.

D’ailleurs la description de la MENORAH, dans Exode 25, 31-40, montre qu’elle a un aspect trés végétal.

"Et tu feras un chandelier d’or pur : le chandelier sera fait d’or battu ; son pied, et sa tige, ses calices, ses pommes, et ses fleurs, seront tirés de lui.
Et six branches sortiront de ses côtés, trois branches du chandelier d’un côté, et trois branches du chandelier de l’autre côté.
Il y aura, sur une branche, trois calices en forme de fleur d’amandier, une pomme et une fleur ; et, sur une autre branche, trois calices en forme de fleur d’amandier, une pomme et une fleur ; ainsi pour les six branches sortant du chandelier.
Et il y aura au chandelier quatre calices en forme de fleur d’amandier, ses pommes et ses fleurs ;
et une pomme sous deux branches sortant de lui, et une pomme sous deux branches sortant de lui, et une pomme sous deux branches sortant de lui, pour les six branches sortant du chandelier ;
leurs pommes et leurs branches seront tirées de lui, le tout battu, d’une pièce, d’or pur.
Et tu feras ses sept lampes; et on allumera ses lampes, afin qu’elles éclairent vis-à-vis de lui.
Et ses mouchettes et ses vases à cendre seront d’or pur.
On le fera, avec tous ces ustensiles, d’un talent d’or pur.
Regarde, et fais selon le modèle qui t’en est montré sur la montagne."

Une autre descriptions se trouve dans Zacharie 1,2-3 et 7 :
"Et il me dit : Que vois-tu ? Et je dis : Je vois, et voici un chandelier tout d’or, et une coupe à son sommet ; et ses sept lampes sur lui ; sept lampes et sept conduits pour les lampes qui sont à son sommet ; et deux oliviers auprès de lui, l’un à la droite de la coupe, et l’autre à sa gauche… (Ces sept lampes) ce sont là les yeux de l’Éternel qui parcourent toute la terre.

Arbre de lumière, buisson ardent, la matrone de Dieu

Il est même possible que le buisson ardent, par lequel YAHWE a prix contact avec Moïse dans le désert, soit la même chose que cet ARBRE DE LUMIERE. En effet, il manifestait la présence de Dieu… hors, dans le temple de Jérusalem, le chandelier MENORAH était également le symbole de la présence de Dieu. Cette "présence de Dieu" portera plus tard le nom de SHEKINAH, et on en parlera parfois comme si elle était une entité à part entière. On ira même jusqu’à en faire une sorte de parèdre de YAHWE sous le nom de MATRONIT (Matrone). Certains rabbins assimilaient aussi la SHEKINAH à l’ESPRIT SAINT de Dieu, celui-ci étant un nom féminin dans les langues sémitiques.

Shekinah, le féminin divin dans le temple de Salomon

File:The Shekinah Glory Enters the Tabernacle.jpg

Shekinah, Shechinah, Shechina, ou Schechinah (hébreu: שכינה), est l’orthographe anglaise d’un nom hébreu grammaticalement féminin de Dieu dans le judaïsme. Le mot signifie originale «demeure» ou «présence», et désigne la demeure de la Présence Divine de Dieu, en particulier dans le Temple de Jérusalem.

Le Saint Esprit, mère du Christ

Quand aux Judéo-Chrétiens Nazaréens, ils faisaient de cet ESPRIT SAINT féminin la mère de Jésus. Saint Jérôme a écrit à ce sujet :

“Dans cet évangile écrit ‘selon les Hébreux’, qui est lu par les Nazaréens, le Seigneur dit : ‘Il y a un instant, ma mère, le Saint-Esprit, m’éleva’ (…) Selon l’évangile écrit en langue hébraïque que les Nazaréens lisent (…..) nous trouvons ceci : ‘Il arriva que, tandis que le Seigneur remontait de l’eau, toute la source du Saint-Esprit descendit et reposa sur lui et lui dit : Mon Fils, parmi tous les prophètes, je t’attendais pour que tu viennes et que je puisse reposer en toi. Car tu es mon repos, tu es mon fils premier-né qui règnes pour toujours’."

Et Origène en concluait ceci (dans In Jer. 15,4) :

“C’est une preuve dans leur croyance (aux Nazaréens) que l’Esprit-Saint est la mère du Christ."

La vraie Trinité

De là, il n’y aurait plus qu’un pas à faire pour dire que la trinité chrétienne du Pere, du Fils et du Saint-Esprit correspond en fait à une famille divine composée d’un Dieu-père, d’un Dieu-fils et d’une Déesse-mère. Étrange manière utilisée par la déesse ASHERAH pour réapparaitre auprés de YAHWE ! Et c’est d’autant plus paradoxal que les Hébreux avaient essayé de se débarasser de cette déesse en en faisant le démon ASHTAROTH.

Un avatar d’Hathor et son Sycomore ?

Chez les anciens Egyptiens, ce qui se raproche le plus de l’Arbre de Vie de la déesse ASHERAH c’est le SYCOMORE (ficus sycomorus) de la déesse HATHOR (déesse de l’amour et de la fertilité). Cet arbre poussait dans le monde des morts et servait à nourrir et désaltérer les BA (âmes) afin de leurs rendre la vie.

Lire aussi Tanit, déesse-mère berbère de Carthage (phéniciens de la Tunisie antique), et épouse sacrificielle de Baal-Moloch (prototype de Yahvé)

 

 

 

http://matricien.org/matriarcat-religion/judaisme/asherah/

 

 

 

Origines de l’islam : ses racines païennes matriarcales – les 3 déesses de la Kaaba

 

Aujourd’hui encore, les fouilles archéologiques sont quasi-interdites en Arabie Saoudite, à croire que cela en dérangerait certains.

L’arrivée du patriarcat en Arabie

Le patriarcat s’est installé progressivement par la guerre à partir du IVème millénaire avant Jésus-Christ, et semble commencer à Sumer en Mésopotamie. Les anciennes déesses-mères ont été conquises, assimilées, puis remplacées, par les nouveaux dieux-pères (Olympiens, Aesirs nordiques…). Il en est de même avec les divinités matriarcales arabes (Allat, Uzza, Manat), désormais dominées par les nouveaux dieux conquérants venus de Babylone (Hu-Baal).

Paganisme matriarcal : les 3 déesses-mères de l’Arabie pré-islamique, Al-Uzza, Allat et Manat

L’évolution des différents types de mariages arabes pré-islamiques témoigne de la patriarcalisation progressive de la péninsule arabique. L’islam n’en est que la dernière étape.

Matriarcat bédouin : statut élevé et liberté sexuelle de la femme arabe avant l’islam

Le croissant lunaire, symbole de la déesse primordiale

L’étoile et le croissant, aujourd’hui vus comme des symboles de l’Islam, ont longtemps été utilisés en Asie Mineure et par certains peuples turcs, avant l’arrivée de l’Islam. L’origine du croissant et de l’étoile comme symboles date des temps de Babylone et de l’Égypte ancienne. Il a été suggéré que les tribus turques, durant leurs migrations d’Asie centrale vers la Turquie aux alentours de 800 après JC, ont adopté ce symbole des tribus et états locaux dans la zone du Moyen-Orient actuel, qui a adopté à son tour ces symboles. On retrouve aussi trace de ce symbole dans les cultes pré-islamiques du proche-orient aux côtés d’autres symboles et rituels païens adoptés par l’islam. Il est à noter que le symbole lunaire accompagné de l’étoile a également été adopté par d’autres divinités, pour Artémis chez les Grecs, Diane chez les Romains. L’adoption des rites païens au sein de l’église catholique romaine explique aussi le rapport étroit entre la lune et la Marie virginale. Le croissant de lune est en rapport avec les cycles menstruels, symbole du pouvoir de procréation des femmes.

Drapeau de guerre Ottoman (1453-1798), orné de Zulfikar, le sabre trouvé par Mahomet

L’origine du drapeau est sujette à de nombreuses légendes en Turquie, et certaines contredisent l’histoire du drapeau ottoman. Parmi les légendes les plus répandues, on trouve :

  • Le croissant de lune et l’étoile étaient des symboles saints pour les tribus turques pré-islamiques, tandis que le rouge est la couleur cardinale pour le sud.
  • Le rêve du premier empereur ottoman dans lequel un croissant et une étoile apparaissaient sur sa poitrine, présageant de la future prise de Constantinople par sa dynastie.
  • Un croissant et une étoile sont apparus à Mehmed II la nuit de la chute de Constantinople en 1453.
  • Une autre théorie date de l’empire byzantin, mettant en lumière le fait que le croissant et l’étoile ont été utilisés comme symboles de Byzance durant des siècles. Lorsque des Ottomans prirent Constantinople, ils adoptèrent ces symboles pour l’Empire Ottoman (la lune représente la déesse grecque Artémis, et les étoiles la Vierge Marie). L’étoile et le croissant de lune étaient cependant symboles de la déesse égyptienne Isis plus tôt.

Jérusalem, première direction de la prière islamique

La Mecque était le sanctuaire pré-islamique le plus important de toute la péninsule arabique. A l’origine, la ville n’était pas au centre de la religion musulmane, les croyants se tournant vers Jérusalem. La direction de la prière (la kiblah) répond à des règles très strictes énoncées par Mohammed dans le Coran. Au début, la kiblah correspond à la direction de Jérusalem (s.2, v.36), pour satisfaire les convertis d’origine juive ou chrétienne. Puis, afin d’asseoir définitivement son autorité tout en contentant la masse des nouveaux fidèles d’origine païenne, la kiblah se tourne vers la Mecque, haut lieu millénaire païen. La vénération de la pierre fut une occasion pour Mohammed de ramener vers lui les païens.

Les 3 déesses de La Mecque

A la Mecque (مكة), avant l’Islam, la tribu des Quraïch (قريش) adoraient une triade de trois divinités féminines, il s’agit d’Allat (اللآت), al-‘Uzza (العُزة) et Manat (مناة), ils citaient leurs noms au cours de leurs tournées (الطواف) autour du Ka’ba (الكعبة). Selon Ibn al-Kalbi, les Quraysh avaient coutume de faire le tour de la Ka’aba en disant : "Au nom d’Allat, d’ʿUzza, et de Manat la troisième idole. Elles sont réellement les "al-gharānīq" (femmes de condition supérieure ) Dont il faut demander l’intercession." Comme aujourd’hui, les pèlerins se rasaient la tête.

Hubal, le nouveau dieu-père des déesses

Alors que pour les Nabatéens (Pétra en Jordanie), Allat était la mère de tous les dieux, pour les autres Arabes, Allat, al-‘Uzza et Manat étaient les filles d’Allah (الله جل جلاله), et étaient les intermédiaires entre Dieu et les hommes pour obtenir ses bénédictions. Allah (le-dieu) est le titre du dieu lunaire Sîn-Hubal (Baal), pièce rapportée tardivement de Mésopotamie dans le panthéon arabe, qu’il domina par la suite à La Mecque. De ce dieu, très peu de temples, de représentations, et de traces écrites nous sont parvenues jusqu’à aujourd’hui. Le terme Allah est antérieur à l’islam puisque le père de Mahomet s’appelle lui-même Abd’Allah, c’est à dire, "le serviteur du dieu".

La Kaaba, temple de la déesse Allat

Ka’aba signifierait cube en arabe, mais la Ka’aba elle-même serait l’ancienne "Kaabou", du mot grec qui signifie ‘jeune fille’, et désigne la déesse Astarté, c’est-à-dire Aphrodite dans la mythologie grecque qui correspond à la Vénus Romaine et l’al-‘Uzza (العزى) des Arabes considérée comme la déesse de la fertilité. Les anciens chroniqueurs rapportent qu’avant l’avènement de l’islam (jahilya, l’ère de l’ignorance), il y avait 24 ka’bas dans la péninsule arabique, mais celle de La Mecque était vénérée par toutes les tribus. Selon des recherches saoudiennes, il existait dans la région de nombreuses Ka’bas (tawaghit) consacrées chacune à une divinité, auxquelles les fidèles se rendaient certains jours déterminés pour procéder à des rites comprenant entre autres une déambulation circulaire et des sacrifices. Les plus importants semblent avoir été les ka’abas des déesses Allat à Taif, d’Uzza à Nakhlah et de Manat près de Qudayd.

Les prêtresses d’Allat

Elle fut célébrée par sept prêtresses nues qui gravitaient sept fois autour de cette pierre, une fois pour chaque planète (soleil / lune / mars / mercure/ vénus/ Jupiter / saturne). A ce jour, les hommes qui gardent la Kaaba sont encore appelés "fils de l’Ancienne Femme","fils de Saba", en arabe "Beni Shaybah". La déesse Allat avait un surnom, ou un titre supplémentaire, Saba prononcé Shaybah, signifiant sage-femme, ou, "Celle de l’ancienne sagesse". Avant l’Islam, les gardiens du Sanctuaire étaient des prêtresses appelées "Bathi-Sheba","filles de l’Ancienne Sage Femme". Bethsabée, "fille de Saba" signifie, ‘‘prêtresse de la maison de Saba". Les musulmans ont gardé ce sanctuaire cubique, et marchent encore autour, tout comme on le faisait à l’époque où on vénérait la Déesse.

Le culte des pierres

Vénérer une pierre est typiquement païen. On appelle ces pierres divines béthyle (de l’hébreu béthel "pierre sacrée"), et est une pratique polythéiste classique de l’antiquité. La pierre de la Kaaba n’échappe pas à cette règle. Cette pierre faisait en effet l’objet de vénération pré-islamique. Le culte pré-islamique des pierres peut être rapproché à des cultes lithiques des bétyles qui furent répandus dans tout le Proche Orient dès la plus haute antiquité. En effet ce culte rendu à une pierre n’est pas isolé dans l’Antiquité : on peut citer la pierre noire d’Émèse dont Héliogabale fut le grand-prêtre avant de devenir empereur romain, la pierre noire de Dusares à Petra, et c’est sous la forme d’un bétyle qu’en 204 avant J-C que Cybèle, la déesse-mère phrygienne de Pessinonte, fait son entrée à Rome. Dans de nombreuses cités orientales, des pierres sacrées sont l’objet de la vénération des fidèles, telles l’Artémis de Sardes ou l’Astarté de Paphos. En Arabie ce n’était pas une exception car le culte des pierres était omniprésent dans la société pré-islamiques. Par exemple la "pierre rouge" était la divinité de la ville arabe au sud de Ghaiman, ou la "pierre blanche" dans la Kaaba d’al-Abalat (près de la ville de Tabala, au sud de La Mecque).

La pierre noire, vulve d’Allat ?

Beaucoup d’occidentaux, surtout des sages-femmes, ont observé que l’écrin de la pierre noire, à l’angle de la Kaaba, a une forme de vulve, avec une tête de bébé qui en sort. Le mot Hajj (pèlerinage islamique à La Mecque) est dérivé de «Hack» qui veut dire friction en langue Arabe car il y avait un rituel païen dans lequel les femmes frictionnaient leur partie génitale sur la pierre noire espérant ainsi augmenter leur fertilité.(Dr.Jawad Ali dans son livre «L’histoire des arabes avant l’Islam» partie 5,page 223). Elle enduisaient la pierre avec le sang des menstrues et tournaient nues tout autour.

Une survivance de culte phallique à La Mecque ?

La Lapidation de Satan (arabe : رمي الجمرات, Ramy al-Jamarat signifiant « lancer [de pierre] sur les cibles [piliers] ») est une cérémonie pratiquée par les musulmans lors de leur pèlerinage ( Hajj ), au cours de laquelle ils jettent des pierres, qu’ils auront collectées durant une phase antérieure du pèlerinage, sur trois rochers qui symbolisent le diable.

Des pèlerins de Shiva ?

Lingams et yonis sur les ghâts, à Varanasi.

Ce rite s’effectue le 3e jour du pèlerinage à Mina en Arabie saoudite, à 5 km à l’est de La Mecque. Les trois piliers de pierre (un petit, un moyen et un grand) furent remplacés par les autorités saoudiennes en 2006 par trois murs de pierre, pour prévenir les accidents. Si l’écrin de la Pierre Noire de la Kaaba fait irrémédiablement penser à un vagin, les 3 piliers semblent représenter des phallus, ce qui confirmerait que La Mecque ait été un sanctuaire païen dédié à des cultes de fertilité. Sur la photo ci-dessus, le pilier phallique est entouré d’un muret circulaire, qui pourrait indiquer un vestige de culte de Shiva, ce qui semble confirmé par la tenue des pèlerins, vêtus de blancs et rasés comme des brahmanes hindouistes.

 

Source : http://matricien.org/matriarcat-religion/islam/origines-i...

 

 

Matriarcat Zapotèque (Mexique) : Juchitan, la ville mexicaine des travestis

 

Source : Fantasme Travesti le 7 avril 2013

Elles boivent de la bière et fument le cigare

A Juchitan, ville zapotèque du Mexique, les muxe sont reconnus comme un troisième sexe et bénéficient d’un statut social valorisé. Ils perpétuent les traditions et renforcent ainsi la cohésion ethnique du groupe. A Juchitan de Zaragoza, les femmes boivent de la bière et fument le cigare. Et certains hommes portent… des jupes à fleurs. Au sein de leur communauté zapotèque, les travestis sont reconnus comme un genre à part. Descendants d’une grande civilisation de l’ère précolombienne, ces Amérindiens se caractérisent, en plus de leur anticonformisme, par leur âme rebelle.

Représentante en bijoux fantaisie

EIle, c’est Casandra de Lamord. Du moins, c’est le nom qu’elle s’est choisi pour pavaner en public. En équilibre sur des talons aiguilles, elle évite de trop se mouvoir et reste figée dans une attitude provocante. Une minijupe couleur treillis découvre ses jambes et un bustier noir, ses épaules plutôt carrées. Sa longue chevelure d’ébène, soulevée par une brise automnale, lui confère un air glamour dont elle aime jouer. À 22 ans, cette représentante en bijoux fantaisie préfère minauder que parler. Son regard de braise, agrandi par un épais trait d’eye-liner, semble fuir, pour ne jamais se poser par crainte d’affronter la réalité ou d’être démasquée. Lorsqu’elle s’exprime, flattée de l’intérêt qu’on lui porte, c’est avec parcimonie, sans trop d’adjectifs. Sa voix naturellement grave souffre alors quelques ratés dans la gamme des aigus. La plupart des « copines », avec lesquelles elle échange ce soir des bises colorées de rouge et pailletées de gloss, ont les mêmes soucis de justesse. Et les cris perçants qu’elles poussent en chœur pour encourager leur équipe de basket rivalisent avec les hurlements des oiseaux zanates, dans une cacophonie redoutable pour les tympans.

L’une des plus grandes civilisations préhispaniques

Mais ici, à Juchitân de Zaragoza, ville mexicaine de 120 000 habitants située sur l’isthme de Tehuantepec, réputée libérale et anticonformiste, cela ne choque personne. D’ailleurs, dans la foule bigarrée rassemblée pour ce match amical, en face de l’église San Vicente Ferrer (saint patron local), chacun sait bien que Casandra de Lamord et ses pairs ont une empreinte vocale et un corps d’homme mais qu’elles épousent une identité de femme et que l’accord entre les deux peut, par conséquent, présenter quelques fausses notes. Dans ce fief de la communauté amérindienne zapotèque, héritière de l’une des plus grandes civilisations préhispaniques, les homosexuels masculins, travestis ou non, sont acceptés par la population comme un troisième sexe, bénéficient d’un statut social valorisé et sont communément désignés sous l’appellation de muxe -une déformation du mot espagnol mujer (femme).

Le principal soutien de la mère

« Dans le vocabulaire zapotèque du XVIIe siècle, il existait déjà des noms spécifiques pour les hommes efféminés. Cette société ancienne n’était sans doute pas fondée sur une bipolarité des genres mais sur un modèle qui en prenait au moins trois en compte. Ce qui est récent, et date des années 1970, c’est de se travestir au quotidien, précise Marinella Miano Borruso, anthropologue à l’École nationale d’anthropologie et d’histoire (ENAH), de Mexico. D’après la culture traditionnelle, la différenciation sexuelle commence socialement à partir de l’âge de 3 ans. Auparavant, on désigne l’enfant sous le terme deba’du’huini ou « créature ». S’il a un sexe masculin mais développe un comportement et des goûts féminins, on le classera dans une catégorie de genre intermédiaire et on lui enseignera aussi bien à travailler les champs qu’à tenir une maison. Au sein de la famille, il deviendra le principal soutien de la mère. »

Le meilleur des fils

Abraham, 27 ans, dit Kenya, a décidé de quitter Tapachula, sa ville natale, pour s’installer définitivement à Juchitan. Afin de pouvoir se travestir en toute liberté, sans risquer d’être agressé ou même tué.

Alejandro, 11 ans, est issu d’une « lignée de muxe ». « Le frère de son grand-père paternel l’était ainsi que deux de ses oncles. L’un d’eux a arrêté de se vêtir en femme, après son mariage. Aujourd’hui, il élève trois enfants et vit quelque part aux États-Unis », explique tranquillement Maria Virgen, 33 ans, la maman d’Alejandro, en chassant les mouches de son étal de fruits et légumes. Légèrement maniéré, son petit garçon porte un short, des tongs roses offertes par une tante et du vernis pailleté aux pieds. Mais ne revêt une robe, depuis deux ans, que pour les vêlas (fêtes). C’est son amie Erika, muxe de 23 ans, qui lui prête les tenues. « Alejandro est né ainsi, souffle Javier, le papa, résigné et fier, tandis que son fils distribue quelques tapes viriles à sa sœur cadette. Il a commencé à marcher comme une petite fille puis à jouer à la poupée. » Depuis, celui que sa maman considère comme « le meilleur des fils » apprend à la seconder dans les tâches ménagères, en cuisinant de l’iguane, en lavant le linge et en s’occupant de la benjamine. À la question : « Te sens-tu garçon ? », le petit homme répond spontanément : « Je ne sais pas. » Puis il lance avec force : « Je ne veux pas être un homme, je veux faire de la décoration ! » Or, dans cette société où la division des tâches est très marquée, la décoration est exclusivement un métier de femme ou… de muxe.

Gardiens d’artisanat ancestral

Souvent stylistes, coiffeurs, chorégraphes pour les nombreuses vêlas, les muxe sont aussi brodeurs de costumes traditionnels, et perpétuent des coutumes artisanales ancestrales, souvent délaissées par les femmes, renforçant ainsi davantage la cohésion ethnique du groupe. À la mort de leur mère, ils héritent de son autorité morale et deviennent l’élément unificateur de la famille, en veillant aux besoins de ses membres.

Ils travaillent plus qu’un homme et qu’une femme réunis

Lors du bal bisannuel des "folles", la jeune reine Maria Fernanda Ire fête sa couronne sous des projecteurs internationaux, tandis que la bière coule à flots.

« Ils travaillent plus qu’un homme et qu’une femme réunis, dans la mesure où ils savent accomplir les tâches allouées aux deux », reconnaît Silvia Santiago Pineda, présidente du bureau municipal de Développement intégral de la famille (DIF) et épouse du maire de Juchitân (issu du Parti révolutionnaire institutionnel, PRI).

Les piliers de la communauté

Les femmes sont leurs principales alliées. Des alliées de poids. Imposantes physiquement, dominantes socialement, puissantes économiquement, les Juchitèques sont considérées comme l’emblème de la société, le pilier de la communauté, et les garantes de la transmission de la culture. Ce sont elles qui enseignent la langue zapotèque – parlée par près de 80 % de la population – et transmettent, de ce fait, une conception spécifique du monde. On les aperçoit dans les rues, transférant péniblement le poids de leur corps d’un pied sur l’autre, affrontant les bourrasques du vent du nord avec leurs larges jupes (enagua) et leurs tuniques (huipil) régionales brodées de fleurs aux couleurs flamboyantes, un sac Winnie the Pooh ou Titi à la main. Sur les marchés, vendant, entre autres, du chocolat, des poissons ou des fleurs. Dans les vêlas, en tant qu’organisatrices ou invitées installées au premier rang.

Gardiennes de la résistance ethnique

De caractère indépendant et bagarreur, insoumis et travailleur, elles ont orchestré la résistance ethnique au fil des siècles, en défendant leur spécificité tout en l’enrichissant d’éléments extérieurs.

« Les immigrants européens, nord-américains et libanais qui se sont installés par vagues successives sur l’isthme au moment de la construction d’une voie de chemin de fer et d’une route se sont rapidement intégrés grâce à leur aide, et la culture zapotèque a prévalu sur les caractéristiques des autres autochtones et des métis », constate Marinella Miano Borruso, spécialiste de la région depuis seize ans.

Aux hommes il leur reste la politique

Malgré leur rôle majeur, ces femmes sont, pour l’instant, très peu représentées en politique, secteur réservé aux hommes, de même que dans les arts, la pêche et l’agriculture. C’est donc dans cet univers très « compartimenté », où le féminisme rivalise avec le machisme, parfois dans de violentes scènes conjugales (dues en grande partie à l’alcoolisme), que les homosexuels masculins ont réussi à trouver leur place.

Fils-fille brodeuse traditionnelle

A 36 ans, Oliver habite avec Sabina, sa mère, âgée de 73 ans l’a toujours soutenu dans ses choix vestimentaires et dans son mode de vie contre l’avis de son mari, aujourd’hui décédé. Celui qu’elle désigne tantôt comme "mon fils", tantôt comme "ma fille" brode des tenues traditionnelles.

La semaine culturelle annuelle des travestis

Ni vraiment homme, ni tout à fait femme, les « folles », comme ils se surnomment, manifestent une telle présence sociale qu’une semaine culturelle annuelle leur est dédiée, avec défilé de mode, projection cinématographique, mais aussi messe d’action de grâce célébrée en mémoire de leurs camarades morts du sida et, surtout, deux fêtes, dont la Vela de las Intrépidas Buscadoras del Peligro. Créée il y a vingt-huit ans, cette soirée attire des centaines d’homosexuels et d’hétérosexuels, de tout âge, de toutes classe sociale et nationalité. Ainsi que les flashs et les projecteurs des photographes et des cameramen du monde entier, intrigués par ce rassemblement surréaliste où le kitsch se mêle à l’anachronique. On y croise des personnages hauts en couleur, qui semblent échappés d’une fiction. Ainsi Camélia, héroïne d’une telenovela, qui se trémousse sur l’air de La vida es un carnaval (La vie est un carnaval), avec une ombrelle, dans une robe longue du XIXe siècle, le visage poudré de blanc, le sourire sanguin. Ou la reine Maria Fernanda Iere, qui tout à la joie de son couronnement, agite fièrement son sceptre. Mais aussi Vickie, l’une des très rares femmes à porter un pantalon noir et une chemise blanche, tenue masculine réglementaire.

Les couples de danseurs les plus improbables se forment, homme-femme, femme-femme ou, en y regardant de plus près, femme-muxe ou muxe-muxe. On finit par ne plus trop savoir. Les tenues les plus minimalistes (string couvert d’un voile noir transparent) côtoient les plus traditionnelles. Les frontières entre les genres s’envolent et les tabous tombent. Chacun s’abandonne en toute tranquillité à ses fantasmes identitaires les plus fous. On descend des coronitas, petites bouteilles de bière, on mange des tantales, on rit, on flirte, on savoure la permissivité juchitèque.

Des femmes rebelles. Elles dominent la scène publique et tirent les ficelles économiques, mais n’ont pas le pouvoir absolu. Solidaires, elles s’unissent contre les violences conjugales.

Le lesbianisme est marginalisé

Cette douce folie ambiante masque des contradictions troublantes et des détresses profondes. Certes, à Juchitân, l’homosexualité masculine est institutionnalisée, mais le lesbianisme est marginalisé, considéré comme une maladie, une transgression du discours officiel sur une sexualité reproductrice. Par ailleurs, certains muxe se prostituent à Mexico pour arrondir leurs fins de mois et faire face au poids de leurs responsabilités familiales. Leur vie affective est une perpétuelle meurtrissure. « Trouver un partenaire hétérosexuel dans un couple transgenre, qui assume ma personnalité de femme et mon corps d’homme n’est pas facile… je n’ai pas encore trouvé mon identité. C’est la rencontre de l’amour qui contribuera à la définir », me confie d’un ton grave Ama-ranta, 26 ans, en caressant machinalement ses longues tresses enrubannées de jaune.

Quand les femmes sont inaccessibles hors mariage

« Solitaire, le muxe a des partenaires occasionnels (mayates) souvent fiancés ou mariés qu’il entretient, souligne Marinella Miano Borruso. Dans une culture où la virginité des filles avant le mariage est primordiale, il permet aux hommes d’exercer leur sexualité. C’est un corps pour le plaisir et l’affirmation d’une virilité, menacé en permanence par des femmes fortes, à tendance dominatrice. »

Des curés travestis en privé

Féministe, politicienne, et bientôt auteure, Amaranta s’est présentée aux dernières élections législatives mexicaines, en tant que « transgenre » – une première -, sous les couleurs de Mexico Posible. Son programme – dépénalisation du cannabis, légalisation de l’avortement et égalité des genres -lui a attiré les foudres de l’influent clergé catholique, au niveau national, et n’a pas remporté le succès escompté. À Juchitân, l’Église se montre soit indifférente, soit tolérante envers ce « troisième sexe ». Certains catéchistes sont d’ailleurs des muxe, non travestis pendant les sessions. « Ce qui importe, ce n’est pas qui ils sont mais ce qu’ils font. Leurs initiatives de prévention contre le sida sont très bonnes. À partir du moment où ils défendent la vie… », répond le Padre Hector Correo, 36 ans, curé de la paroisse San Vicente Ferrer.

Des travestis gauchisés

Malgré l’accident qui lui a coûté un bras, Amaranta parcourt les rues, encombrées de porcs noirs et de chiens errants, de la septième section, un quartier populaire où vivent la plupart des travestis, chargée de sacs plastiques pleins de boîtes de préservatifs. Cette sympathisante zapatiste milite depuis neuf ans dans des programmes pour « la promotion de la santé sexuelle » avec d’autres homosexuels. Ensemble, ils se manifestent comme un secteur de la population ayant des demandes spécifiques et commencent à revendiquer des droits de citoyens.« Ce caractère rebelle, nous l’avons hérité de nos ancêtres, qui ont lutté pour notre souveraineté en se révoltant contre le pouvoir étatique d’Oaxaca, dès le XIXe siècle », soutient Rogelia Gonzalez Luis, âgée de 42 ans, présidente du Parti de la révolution démocratique (PRD) local. Plus récemment, le mouvement politique radical de la COCEI (Coalition des ouvriers, paysans et étudiants de l’isthme), aujourd’hui désarticulé, a contribué, notamment dans les années 1980, à façonner une forte conscience citoyenne dont se prévalent aujourd’hui les muxe. Des revendications que certains ne voient pas d’un très bon œil. Des formes latentes de discrimination commencent à apparaître.

« L’une des plus visibles est l’interdiction faite aux travestis de participer à des vêlas, autrefois populaires », observe le sociologue Vicente Marcial Cerqueda. « Certaines personnes ne veulent pas qu’ils soient le porte-drapeau de Juchitân… », ajoute Griselda Lôpez Vâsquez, avocate exubérante de 28 ans, brusquement interrompue par une fanfare tonique. Tandis que nous essayons de poursuivre notre conversation, des chars allégoriques, précédés par des charrues tirées par des bœufs et des tricycles décorés de ballons gonflables, paradent devant des maisons peintes en bleu, vert, orange, et lancent des paquets de tortillas frites. « Nous avons un goût compulsif pour les fêtes, s’amuse Griselda. On en organise tous les jours de l’année sous n’importe quel prétexte, comme pour la vente d’une maison, une noce et aujourd’hui le septième anniversaire de ce quartier. » À Juchitân, la fantaisie transforme la réalité en un spectacle quotidien dont la rue est une scène privilégiée. Dans ce village urbanisé qui transgresse les règles du sens commun, on vit au rythme d’une symphonie inachevée qui passe sans transition du grave au léger, sous la baguette d’une communauté, consciente de sa différence, qui se nomme elle-même, avec poésie, le « peuple des nuages ».

Casandra de Lamard (en haut à droite) et deux de ses "copines" encouragent leur équipe de basket. Malgré la tolérance affichée, des formes de discriminations apparaissent envers les travestis. Issus de classes populaires, la plupart vivent dans le quartier de la septième section, connu pour ses bandes de narcotrafiquants.

 

 

La confédération des 6 nations iroquoises (USA) : inspiration démocratique des Pères Fondateurs

 

Les sauvages américains, des peuples démocratiques

Les immigrants venus en Amérique à l’époque coloniale cherchaient la liberté. Ils en ont trouvé l’exemple dans la confédération des Iroquois, comme chez d’autres nations indiennes du continent. Des rapports égalitaires régissent les relations entre membres d’une même tribu, car les Amérindiens éprouvent une aversion pour la subordination. Le chef, nommé par tous les membres du clan ou de la tribu (tout dépendant de la structure sociale) est remplacé selon le bon vouloir de ces derniers. Il joue un rôle de porte-parole, ses fonctions sont symboliques et son pouvoir limité. De plus, il ne retire aucun privilège de sa fonction. Ces concepts se sont largement propagés au sein des anciennes colonies britanniques, comme le montrent les propos tenus par Benjamin Franklin, Thomas Jefferson et John Adams à l’occasion de la Convention constitutionnelle de 1787.

Un rôle clé dans la diplomatie avec les européens

Dans tout l’est de l’Amérique du Nord, les nations indiennes avaient formé des confédérations avant l’arrivée des immigrants européens : les Séminoles dans ce qui est aujourd’hui la Floride, les Cherokees et les Choctaws dans les Carolines, et les Iroquois et leurs alliés les Hurons dans le nord de l’État de New York et dans la vallée du Saint-Laurent. Les colons connaissaient surtout le système de confédération des Iroquois, car ces derniers jouaient un rôle clé dans le domaine diplomatique, non seulement en ce qui concerne les relations entre les Français et les Anglais, mais également sur le plan des relations avec les autres confédérations indiennes. Appelés Iroquois par les Français, et Cinq Nations (et plus tard Six Nations) par les Anglais, les peuples iroquois s’appelaient eux-mêmes Haudenosaunee, ce qui signifie le Peuple aux longues maisons. Ils contrôlaient le seul passage terrestre relativement plat entre les colonies anglaises de la côte Est et les comptoirs français de la vallée du Saint-Laurent.

Des sociétés confédérales matrilinéaires

La famille iroquoienne est constituée de six confédérations, chacune regroupant de nombreuses nations amérindiennes. Les Hurons, les Pétuns, les Neutres, les Ériés, les Susquenhannocks et les Iroquois forment les six confédérations. Chacune d’elles regroupe un certain nombre de nations. Les Hurons-Wendat et les Iroquois sont les deux nations les plus connues de cette famille, ainsi que les Tobaccos, qui en comptait toutefois plusieurs autres à l’arrivée des Européens. Au sein de cette grande famille, deux sous-groupes se distinguent, qui s’étalent sur un territoire de plusieurs centaines de kilomètres carrés: les tribus sédentaires de la côte est, qui vivent surtout d’agriculture et de pêche, et les tribus de chasseurs migrateurs, qui sont dispersées entre la côte nord-est, le centre et le nord du Québec, autour des Grands Lacs Érié, Ontario et Huron, au nord du lac Supérieur et la vallée du Saint Laurent. Les confédérations sont des alliances politiques et stratégiques entre plusieurs nations qui, ainsi regroupées, peuvent assurer la défense de leur territoire. Ils formaient une société matriarcale (société dont la mère est le chef de famille, et dont l’héritage matériel et social se transmettait de mère en fille). La confédération huronne, fondée en 1440, comprend cinq nations : les Attignawantans ("peuplade de l’Ours"), les Attigneenongnahacs ("peuplade de la Corde"), les Arhendaronons ("peuplade du Rocher"), les Tahontaenrats ("peuplade du Cerf") et les Ataronchronons ("peuplade des Marais"). Des Iroquoiens, seuls les Hurons furent les alliés des Français.

Les mères garantes de la première démocratie américaine

Matriarcat Iroquois : Dans les institutions démocratiques iroquoises, la mère est le pilier de la société. Elle possède la terre, le foyer, et les enfants, nomme et révoque les chef, et dispose d’un droit de veto ultime. Les Iroquois sont ceux qui se rapprochent probablement le plus de l’état matriarcal. Le jésuite Joseph-François Lafitau qualifie les sociétés iroquoiennes d’«empire de femmes». Elles se comportent parfois en véritables guerrières amazones. Les femmes, surtout celles qui sont âgées, sont reconnues pour leur sagesse. Les femmes nommaient leur candidat lors d’une vacance au conseil des chefs et avaient le droit de désapprouver et même d’empêcher l’élection d’un chef qu’elles jugeaient indigne.

Une société idéale

Armoiries totémiques de la confédération des 6 nations iroquoisesLa Confédération Iroquoise fut l’entité politique la plus puissante en Amérique du Nord, pendant deux siècles avant et après Christophe Colomb. Une société collectiviste et égalitaire, sans état, sans gouvernement et sans forces de l’ordre, dont les marxistes (Engels & Lafargue) eux-même faisaient l’éloge. Aujourd’hui encore, la Confédération Haudenosaunee se considère comme une nation souveraine, sur son territoire de Grand River, en Ontario, au Canada. Depuis 1977, ils disposent de leur propre passeport, reconnu internationalement à l’ONU.

Qui a contribué à l’essor économique des français

On a souvent dit des Iroquois qu’ils étaient des guerriers cruels et sanguinaires s’acharnant sans relâche sur les colons français. Dans son texte, John A. Dickinson atténue cette vision des faits et constate que, loin de causer des pertes dramatiques à la Nouvelle-France, les Iroquois ont plutôt, de façon indirecte, contribué à son essor économique. «L’image traditionnelle de cette guerre (entre français et iroquois) ne résiste pas à une analyse des faits. La cruauté toute relative des Iroquois était bien réelle, mais elle était dirigée le plus souvent contre d’autres nations amérindiennes (algonquins patriarcaux).»

Une société clanique auto-gérée

Les Mohawks et les Oneidas comptaient trois clans, les autres nations iroquoises en avaient de huit à dix. Pour la plupart, ces clans portaient des noms d’animaux (Ours, Loup, Tortue, Aigle, etc.). La ligue était gouvernée par un conseil de 50 sachems, et chacune des nations fondatrices de la confédération était représentée par une délégation de 8 à 14 membres. Les tribus et villages individuels étaient gouvernés par leur propre conseil de sachems et de chefs.

Une constitution exemplaire qui surpasse le droit romain

Deganawida, le Grand Pacificateur, concepteur de la Grande Loi de la Paix, constitution de la Confédération des 6 Nations Iroquoises, inspiration de la déclaration d'indépendance et de la constitution des USA, ainsi que des bases institutionnelles de l'ONULa Gayanashagowa, "grande loi qui lie" ou "grande loi de l’Unité" ou "grande loi de paix", est la constitution orale de la confédération des 6 nations Iroquoises. Elle a été édictée au XIIe siècle par le prophète Deganawida (le Grand Pacificateur), et son disciple Hiawatha, qui prêchaient la Grande Paix. Rédigée en 1720, elle est composée de 117 paragraphes. Elle a servi d’inspiration aux Pères Fondateurs des USA, pour sa déclaration d’indépendance et sa constitution, et pour certains fondements constitutionnels de l’ONU. On a même pu écrire que les Indiens iroquois "avaient surpassé le droit romain".

Un modèle à suivre pour s’unir

Dès 1744 à Lancaster, en Pennsylvanie, le tadodaho (chef de la confédération) Canassatego avait expliqué la vision iroquoise de l’unité aux représentants des colonies :

"Nos ancêtres dans leur sagesse ont établi une union et l’amitié entre les Cinq Nations. Cette décision nous as rendu puissants ; elle nous a donné un grand poids et une grande autorité vis-à-vis des nations voisines. Notre confédération est puissante; si vous suivez les méthodes adoptées par nos sages, vous disposerez vous aussi de cette force et de ce pouvoir. Ainsi, quoi qu’il arrive, ne rompez jamais votre union. [...] Frères, vous savez que nous n’avons pas à imposer de règles ou de lois parmi nous."

Quand les civilisés copient les sauvages

Les 13 premières colonies américaines fut le projet d’une poignée de réfugiés et d’exilés de vivre indépendamment de la dictature de la Banque (d’Angleterre) et de l’État (britannique). Benjamin Franklin, l’un des Pères Fondateurs, était un ami du peuple iroquois. Face aux guerres fratricides entre les 13 colonies, il fustigea la puérilité de ces dernières, comparée à la paix et l’unité des "sauvages", pourtant sans écriture et sans technologie. Alors, il demanda aux chefs de la confédération iroquoise de leur traduire leur constitution, afin qu’elle leur serve d’inspiration.

Des colons incapables de s’unir

En 1751, faisant référence à l’unité iroquoise, benjamin Franklin n’avait pas hésité à utiliser des arguments xénophobes pour faire honte aux colons anglais réticents et les encourager à accepter une union : « Il serait tout de même étrange (…) que six nations de sauvages incultes soient capables de former une union et de la maintenir au cours des âges de manière apparemment indissoluble, et qu’une dizaine ou une douzaine de colonies anglaises soient incapables de former une telle union, qui leur est pourtant encore plus nécessaire et qui présente pour elles certainement plus d’avantages. » En réalité, on découvrira par la suite que Franklin avait un très grand respect pour les Iroquois. Il avait commencé sa prestigieuse carrière diplomatique en tant que représentant de la Pennsylvanie lors de la négociation de traités avec les Iroquois et leurs alliés, alors qu’il apparaissait déjà comme l’avocat infatigable de l’union des colonies.

Une juridiction simplifiée

Comme l’a écrit Jefferson : « Le seul État sur terre qui peut, selon moi, se comparer au nôtre, est celui des Indiens, car ils sont sujets à encore moins de contraintes juridiques que nous ne le sommes nous-mêmes. » Thomas Paine avait bien résumé les observations de la civilisation indienne lorsqu’il avait écrit, en première page de son pamphlet Le Sens commun que « l’existence d’un gouvernement, comme le fait de devoir porter des vêtements, manifeste une perte d’innocence ».

Une société anarchiste heureuse

En 1787, dans une lettre à Edward Carrington, Jefferson avait établi un lien entre la  liberté d’expression de l’opinion publique et le bonheur, en donnant les Indiens d’Amérique comme exemple :

« Notre gouvernement ayant pour fondement l’opinion de la population, notre objectif premier devrait être de préserver ce droit ; d’ailleurs, si je devais choisir entre un gouvernement sans presse et une presse sans gouvernement, j’opterais sans hésitation pour la seconde solution. (…) Je suis convaincu que les sociétés qui, [comme les Indiens], vivent sans gouvernement, jouissent dans l’ensemble d’un niveau de bonheur infiniment plus élevé que celles qui vivent sous l’empire des gouvernements européens. »

Un modèle en voie de disparition

Les amérindiens d’aujourd’hui subissent eux aussi de graves problèmes sociétaux (chômage, alcool, violences conjugales…), notamment à cause de la disparition de leur droit clanique traditionnel (matrilinéarité & propriété collective), et de son incompatibilité (rigidité) face aux contraintes du monde moderne (le nomadisme éclate les cellules claniques traditionnelles).

Un indomptable esprit d’indépendance

"Tous ses membres sont des hommes libres, tenus de protéger leur mutuelle liberté, égaux en droits personnels, – ni les sachems, ni les chefs militaires ne revendiquent de prérogatives quelconques; ils forment une collectivité fraternelle, unie par les liens du sang. Liberté, égalité, fraternité, sans avoir été jamais formulés, étaient. les principes fondamentaux de la gens, et celle-ci, à son tour, était l’unité de tout un système social, la base de la société indienne organisée. Ceci explique l’indomptable esprit d’indépendance et la dignité de l’attitude personnelle que chacun reconnaît aux Indiens." – Lewis Henry Morgan : Systems of consanguinity and affinity of the human family, 1871.

L’idéal marxiste réalisé

Friedrich Engels, dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat – Friedrich Engels décrit la société matriarcale iroquoise comme la réalisation de l’idéal marxiste : une société sans état, sans banque, sans classes, sans forces de l’ordre, sans juges, sans prisons, sans pauvres, égalitaire, féministe, anarchiste…

« Et avec toute son ingénuité et sa simplicité, quelle admirable constitution que cette organisation gentilice! Sans soldats, gendarmes ni policiers, sans noblesse, sans rois ni gouverneurs, sans préfets ni juges, sans prisons, sans procès, tout va son train régulier. Toutes les querelles et toutes les disputes sont tranchées par la collectivité de ceux que cela concerne, la gens ou la tribu, ou les différentes gentes entre elles, – c’est seulement comme moyen extrême, et rarement appliqué, qu’intervient la menace de vendetta, dont notre peine de mort n’est d’ailleurs que la forme civilisée, nantie de tous les avantages et de tous les inconvénients de la civilisation. Bien que les affaires communes soient en nombre beaucoup plus grand que de nos jours, – l’économie domestique est commune et communiste dans une série de familles, le sol est propriété de la tribu, seuls les petits jardins sont assignés provisoirement aux ménages, – on n’a quand même nul besoin de notre appareil administratif, vaste et compliqué. Les intéressés décident et, dans la plupart des cas, un usage séculaire a tout réglé préalablement. Il ne peut y avoir de pauvres et de nécessiteux – l’économie domestique communiste et la gens connaissent leurs obligations envers les vieillards, les malades, les invalides de guerre. Tous sont égaux et libres – y compris les femmes. Il n’y a pas encore place pour des esclaves, pas plus qu’en général pour l’asservissement de tribus étrangères. Quand les Iroquois, vers 1651, eurent vaincu les Ériés et la « Nation neutre », ils leur offrirent d’entrer avec des droits égaux dans la confédération; c’est seulement quand les vaincus s’y refusèrent qu’ils furent chassés de leur territoire. Et quels hommes, quelles femmes produit une pareille société, tous les Blancs qui connurent des Indiens non corrompus en témoignent par leur admiration pour la dignité personnelle, la droiture, la force de caractère et la vaillance de ces barbares.

Quant à cette bravoure, l’Afrique nous en a fourni des exemples tout récents. Les Zoulous, il y a quelques années, les Nubiens, – deux tribus chez lesquelles les institutions gentilices ne sont pas encore mortes -, ont fait, il y a quelques mois, ce que ne peut faire aucune armée européenne. Armés seulement de lances et de javelots, sans armes à feu, sous la pluie de balles des fusils à tir rapide de l’infanterie britannique – reconnue la première du monde dans la bataille rangée -, ils se sont avancés jusqu’à ses baïonnettes et l’ont plus d’une fois bousculée et même repoussée, malgré l’énorme disproportion des armes, et bien qu’ils ignorent le service militaire et ne sachent pas ce que c’est que faire l’exercice. Ce qu’ils peuvent endurer et accomplir, les Anglais eux-mêmes en témoignent lorsqu’ils se plaignent qu’un Cafre puisse, en vingt-quatre heures, parcourir plus vite qu’un cheval un plus long chemin; le plus petit muscle fait saillie, dur et tendu comme une lanière de fouet, dit un peintre anglais.

(allusion à l’héroïque résistance que les Zoulous opposèrent en 1879 et les Nubiens en 1881-1883 aux armées de l’Empire britannique)

Voilà ce qu’étaient les hommes et la société humaine, avant que s’effectuât la division en différentes classes. Et si nous comparons leur situation à celle de l’immense majorité des civilisés de nos jours, la distance est énorme entre le prolétaire ou le petit paysan d’aujourd’hui et l’ancien membre libre de la gens. » – L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat – Friedrich Engels

Alexandre Grauer - L'art d'enseignement-des Indiens Iroquois aux-sources de la premiere constitution -Verso

 

Source : http://matricien.org/societes-gentilices/confederalisme-i...

 

 

Marija Gimbutas, archéologue et préhistorienne de l’ère matristique

 

 

Marija Birutė Alseikaitė ou Marija Gimbutienė, généralement connue comme Marija Gimbutas est née le 23 janvier 1921 à Vilnius et morte le 2 février 1994 à Los Angeles, Californie, USA. Elle est une archéologue et préhistorienne américaine d’origine lituanienne.

La culture préhistorique de la déesse

Durant quinze ans, Marija Gimbutas effectue des fouilles archéologiques dans le sud–est de l’Europe méditerranéenne, révélant au monde l’existence d’une civilisation pré-indo-européenne dénommée « culture préhistorique de la déesse », ayant existé à partir du Paléolithique et perduré plus de 25 000 ans. Le langage de la déesse (titre original : The language of the Goddess, 1989), La civilisation de la déesse (1991), Déesses et dieux de la vieille Europe (1974) comptent parmi ses œuvres majeures, qui lui valent une renommée posthume mondiale. Le langage de la déesse est également le titre d’une exposition qui lui fut consacrée en Allemagne au musée Frauen à Wiesbaden en juin 1993.

L’hypothèse kourgane : l’avènement du patriarcat

En 1956, M. Gimbutas publia son hypothèse kourgane, fondée sur le rapprochement de la linguistique comparative et des données archéologiques recueillies lors des fouilles des tumulus de la culture kourgane d’Asie centrale, et destinée à lever un certain nombre d’énigmes relatives aux peuples locuteurs du proto-indo-européen (PIE), qu’elle proposa d’appeler « kourganes » (c’est-à-dire peuple des tumulus des steppes) ; il s’agissait de proposer une origine et une route de migration des proto-indo-européens vers l’Europe. Cette hypothèse, par le rapprochement entre plusieurs disciplines, exerça un impact considérable sur la science préhistorique.

Des cavaliers conquérants

Marija Gimbutas identifie la culture des kourganes à l’habitat originel des Indo-Européens. Cette culture du Mésolithique située entre la Volga et les fleuves de l’Oural se distingue par la domestication précoce du cheval. La mobilité ainsi gagnée aurait créé des groupes de cavaliers combattants, et aurait conduit à des formes de société dites patriarcales. Entre -4500 et -3000, les Indo-européens, ce « peuple de cavaliers », auraient pénétré en plusieurs vagues successives dans la région du Dniepr, l’Ouest de l’Ukraine et la Moldavie. Ils auraient transformé la culture de type agricole existante, et se seraient établis en tant qu’aristocratie dirigeante, imposant leur langue. Cette conquête de l’Europe par la culture des kourganes serait caractérisée en archéologie par la culture rubanée et par la Culture des vases à entonnoir.

Succès bibliographiques

De façon inattendue, Gimbutas connut la faveur du grand public grâce à ses trois derniers livres : Dieux et déesses de l’Europe préhistorique (The Goddesses and Gods of Old Europe, 1974); Le langage de la déesse (1989, thème d’une exposition au musée de Wiesbaden), et La Civilisation de la déesse (The Civilisation of the Goddess, 1991), qui passe en revue ses recherches sur les cultures néolithiques d’Europe : l’habitat, les structures sociales, l’art, la religion et la nature des savoirs.

Du collectivisme égalitaire et pacifique à la société hiérarchique et guerrière de castes

Dans La Civilisation de la déesse, Gimbutas formalise son analyse des différences entre la société européenne primitive, selon elle de type matriarcal et articulée autour du culte d’une déesse mère, et la culture patriarcale (ou « androcratique », pour reprendre l’hellénisme de l’auteur) de l’Âge du bronze qui finit par la supplanter. Selon son interprétation, les sociétés matricarcales (« gynocentrique », « gylanique » pour reprendre les mots de Gimbutas) étaient pacifiques, révéraient les homosexuels et favorisaient la mise en commun des biens. Les tribus patriarcales des kourganes auraient, en migrant vers l’Europe, imposé aux populations matriarcales indigènes un système hiérarchique guerrier.

Articles connexes :

Le Langage de la déesse (1988)

Les « Vénus » de la préhistoire, les figures féminines peintes sur les céramiques, les signes abstraits gravés sur des vases, tous ces vestiges représentaient, selon Marija Gimbutas, une grande déesse – symbole de la vie – dont le culte fut constant au cours de la préhistoire et du néolithique européens.

L’histoire ancienne de l’Europe

Une « déesse » hantait l’esprit des chasseurs de la préhistoire. Une déesse à la féminité marquée et dont la silhouette ou les traits caractéristiques – seins, fesses, pubis, grands yeux – se retrouvent partout en Europe, peints ou gravés sur les parois des cavernes, sculptés sur la pierre, l’os ou le bois. Des milliers d’années plus tard, elle subjuguait encore les paysans du néolithique. Partout en Europe, on la découvre peinte sur des céramiques ou gravée sur les objets quotidiens. Pendant près de 25 000 ans, les premiers Européens auraient ainsi voué un culte à cette déesse, symbole de nature et source de vie, qui fait naître les enfants et pousser les plantes. Puis, vers le Ve millénaire av. J.-C., des peuples indo-européens, farouches guerriers, éleveurs de chevaux, auraient pris le pouvoir sur les sociétés agraires et imposé leur langue, leur pouvoir, leurs mythes : des dieux masculins, autoritaires et violents, auraient alors refoulé dans un lointain passé les charmantes déesses préhistoriques. Voilà, à grands traits, l’histoire ancienne de l’Europe, telle que l’a reconstruite Marija Gimbutas à partir de ses nombreuses recherches archéologiques.

Une Lituanienne à Harvard

Née en 1921, M. Gimbutas a quitté son pays natal pour se réfugier, pendant la guerre, en Autriche, où elle débuta ses études d’archéologie et de linguistique, poursuivies en Allemagne où elle obtint son doctorat en 1946. Après la guerre, on la retrouve aux États-Unis, à l’université de Harvard, où elle est recrutée comme chercheuse, spécialiste de l’archéologie d’Europe de l’Est, domaine alors largement méconnu. C’est dans les années 1960 qu’elle se fait connaître pour sa fameuse théorie de la « culture des kourganes » qui va susciter un premier grand débat dans la communauté scientifique. Kourgane est le nom turc pour désigner les tumulus, ces sépultures monumentales collectives, apparues dans la région de la Volga, entre mer Noire et mer Caspienne, qui se sont répandues ensuite dans toute l’Europe. Les kourganes seraient, selon M. Gimbutas, les symboles les plus marquants du premier peuple indo-européen : un peuple d’éleveurs et de guerriers qui aurait envahi l’Europe et l’Inde du Nord. Par vagues successives, il aurait imposé partout sa langue et ses mythes. Avec cette théorie des kourganes, M. Gimbutas a donné une consistance archéologique à ce mythique peuple indo-européen qui, selon linguistes et mythologues, aurait constitué la souche culturelle commune de l’Europe et de l’Inde du Nord.

En 1963, M. Gimbutas entre à l’UCLA. Dans les années suivantes débute une campagne de fouilles en Europe du Sud-Est (Yougoslavie, Grèce, Italie), fouilles qui vont se prolonger une quinzaine d’années et l’orienter vers une nouvelle direction de recherche. Parmi les vestiges sortis de terre, M. Gimbutas remarque que de nombreuses poteries ont des formes féminines. Certaines arborent des signes géométriques – formes en V, en M, zigzags. On retrouve d’ailleurs ces signes sur des céramiques en forme d’oiseau.

Des symboles négligés par l’archéologie officielle

Plus elle fouille, plus s’accumulent des traces, des traces trop fréquentes pour être négligées, ce que font pourtant la plupart de ses collègues : « L’ensemble des matériaux disponibles pour l’étude des symboles de la vieille Europe est aussi vaste que la négligence dont cette étude a fait l’objet ». Une nouvelle hypothèse émerge. Et si les figures féminines étaient des déesses ? Et les signes et figures géométriques qui les accompagnent des représentations symboliques de ces déesses (comme la croix remplace Jésus dans la symbolique chrétienne) ? Dans cette hypothèse, l’abondance des vestiges attesterait bien de la présence d’une forte présence féminine aux côtés des dieux masculins.

La trinité féminine

En 1974, M. Gimbutas publie un premier livre titré Déesses et dieux de la vieille Europe. Dans ce premier livre, elle soutient qu’un culte de trois déesses féminines était présent dans le Sud-Est de l’Europe. Par la suite, elle étendra son hypothèse à toute l’Europe et fusionnera les figures féminines en une seule et même déesse. Dans les années qui suivent, et jusqu’à sa mort en 1994, M. Gimbutas ne cessera de poursuivre cette piste. Le Langage de la déesse est en quelque sorte l’aboutissement et la synthèse de ses recherches sur la déesse de la préhistoire.

Pour une archéomythologie

Comment décrypter la mythologie d’une société sans écriture dont les vestiges se résument à des céramiques, des outils, des objets gravés de motifs géométriques ? En règle générale, les archéologues se gardent bien de se lancer dans des interprétations symboliques, leur tâche principale se bornant à dater et à classer les matériaux retrouvés pour reconstituer des emprunts, tracer les aires culturelles et leurs contacts possibles. M. Gimbutas, elle, a osé transgresser cet interdit. Elle s’est attachée à reconstituer l’univers mental des sociétés de la préhistoire grâce à une démarche nouvelle : l’« archéomythologie ».

Les symboles de la déesse

Voilà comment elle procède. Dans nombre de sociétés sans écriture, les artistes représentent les femmes non seulement par une silhouette féminine, mais parfois par une simple partie du corps : seins, fesses, yeux… Le triangle pubien est aussi souvent présent. La façon la plus simple, la plus géométrique et la plus universelle de le représenter consiste à tracer un V. Si le V est donc le symbole de la femme, M. Gimbutas pense que les nombreux motifs en chevron (deux V superposés) désignent aussi le sexe féminin. De même, comme on retrouve souvent associés la figure du V et des chevrons gravés sur des céramiques en forme d’oiseau, M. Gimbutas en déduit que la figure de l’oiseau est également un symbole féminin. En admettant cette convention (V, chevrons simples, doubles ou triples, figures d’oiseaux, seins…), il est alors apparu que le signe de la femme est omniprésent dans toute l’Europe du Sud-Est. Par glissements progressifs et juxtapositions de motifs, M. Gimbutas pense alors repérer toute une gamme de figures censées représenter la déesse. Elle peut apparaître sous la forme d’une déesse-oiseau et, par extension, d’un bec d’oiseau ou d’un œuf. L’eau est également associée à la divinité féminine. Elle peut être désignée par un filet qui coule (quelques traits verticaux) ou un M représentant l’onde. Par extension, tous les motifs en M sont supposés représenter l’eau, donc la déesse.

Toute la symbolique de la déesse serait en lien avec le cycle de la vie, « le mystère de la naissance et de la mort, celui aussi du renouveau de la vie – pas seulement de la vie humaine, mais de toute forme de vie sur la Terre comme dans l’ensemble du cosmos ».

La déesse est d’abord « celle qui donne la vie »

La déesse est donc présente dans les rituels de naissance et de fertilité. Voilà pourquoi elle est associée à l’eau, source de toute vie, et par extension à l’oiseau d’eau, mais aussi à la grenouille et au poisson. La déesse est également liée au renouvellement des saisons et donc à la terre nourricière, à la mort et à la régénération. Au fond, toute la symbolique de la déesse renvoie aux « croyances de peuples agricoles concernant la stérilité et la fertilité. La fragilité de la vie, la menace constante de la destruction ainsi que le renouvellement périodique des processus générateurs de la nature sont parmi les plus tenaces ».

De nouvelles clés d’interprétations

Si la démarche archéomythologique prônée par M. Gimbutas est pertinente, l’avancée scientifique est de taille. Elle donne les clés pour interpréter des signes, gravures, motifs abstraits présents dans toute la préhistoire, qui étaient jusque-là traités comme de purs motifs décoratifs ou d’énigmatiques signes que l’on s’interdisait de décrypter. Du coup, les céramiques ornées dévoilent une histoire cachée, et tous ces signes qu’on avait pris pour de simples fioritures se révèlent être un riche langage symbolique associé au culte de la déesse.

Des risques de surinterprétation

Evidemment cette entreprise de décryptage comporte bien des risques. Le premier est celui de la « surinterprétation » des signes. Mais comme le note justement Jean Guilaine en préface, « on portera au crédit de Marija Gimbutas d’avoir ouvert la voie à une archéologie symbolique. (…) Mais justement orienter une discipline foncièrement attachée à l’étude de données matérielles vers le champ de l’imaginaire impliquait déjà un certain courage intellectuel et une forme aiguë de non-conformisme ».

 

Source : http://matricien.org/essais/marija-gimbutas/

 

 

14/08/2014

The Islamic State & Zahed, imam et homosexuel en France

 

et en contrepoint

 

 

Le Point.fr - Publié le 14/08/2014 à 10:38

Un imam homosexuel veut propager la paix et la tolérance en Europe. Il a ouvert une mosquée "gay-friendly" à Paris et marié un couple lesbien en Suède.

 

Il est gay, imam et français. Le Spiegel est allé à sa rencontre et raconte son histoire peu commune. De nationalité algérienne, les parents de Zahed ont émigré en France quand celui-ci n'était encore qu'un jeune enfant. Lors de son premier jour de cours, son professeur lui a demandé s'il était un garçon ou une fille. C'était un garçon "svelte, fragile, affable", décrit-il au magazine.

Aujourd'hui, Zahed se souvient encore de son père qui le traitait de "tapette" ou de "petite pleureuse" quand il était petit. Puis son père est devenu silencieux. Il a cessé de le regarder ou de lui parler. Zahed s'est donc interrogé sur le sens de sa vie et son identité. À 12 ans, il est allé à la mosquée pour trouver des réponses à ses questions. Il a lu le Coran et est devenu un membre de la confrérie salafiste. Zahed a commencé a prier cinq fois par jour, puis il a décidé de devenir imam et a projeté d'étudier l'islam à La Mecque.

Pendant cette période, la confrérie des salafistes était tout pour lui. Le jeune homme s'est senti soutenu et protégé par ses frères de prières. Il s'est épanoui dans ce cadre. Il a prié avec dévotion et s'est senti touché par la grâce de Dieu. Il a fait la rencontre de Djibril, un "frère" de l'association, avec qui il a dormi front contre front. Ils se sont dit "Uhibbuk fi-Allah", ce qui veut dire "je t'aime au nom d'Allah". Un amour "différent" de celui qu'il éprouvait pour les autres salafistes et dont il a fait part à ses frères. Mais Djibril a dit que cela n'était pas possible.

"On le savait"

Quelque temps plus tard, sa famille a déménagé à Marseille. Étudiant, il a rasé sa barbe, a arrêté de prier et a sombré dans la fête et la drogue. Il a aussi contracté le VIH. Il a appelé ses parents depuis sa chambre pour leur dire qu'il était gay. Sa mère a pleuré et son père l'a regardé pour la première fois depuis longtemps. Il lui a dit : "On le savait." Et il a fini par accepter la différence de son fils. Zahed n'en revient toujours pas.

Par la suite, il s'est mis à étudier la psychologie et l'anthropologie et a commencé à travailler pour une association caritative. Lors d'un voyage professionnel au Pakistan, il s'est remis à se poser des questions, et a recommencé à prier dans sa chambre d'hôtel. Il s'est replongé dans le Coran puis a découvert HM2F, une association pour les gays et lesbiennes musulmans en France. Deux ans plus tard, après avoir appris dans les journaux que les imams refusaient d'enterrer un musulman transsexuel mort en France, Zahed a créé une mosquée à Paris. Il l'a conçu comme un endroit où chacun pouvait trouver un imam pour être traité avec dignité, et qui accepterait de marier ou d'enterrer une personne sans se soucier de sa sexualité. Il est tombé amoureux et a trouvé un imam qui a accepté de le marier à son compagnon.

Aujourd'hui, il a 37 ans et voyage à travers le monde pour donner sa vision d'un islam qui n'exclut pas les homosexuels. Il est allé en Suède pour marier un couple lesbien. Son voyage a été financé par la marque 7-Eleven. Sa vie n'est pas parfaite : son mari l'a quitté et il n'a pas trouvé de réponses à toutes ses questions. Mais il avance.

 

Source :  http://www.lepoint.fr/societe/zahed-imam-et-homosexuel-en...

 

 

 

 

Les Yézidis, une histoire marquée par les persécutions

Une image du 19e siècle représentant la porte d'entrée du temple Yazidi du Cheikh Adi - DR Une image du 19e siècle représentant la porte d'entrée du temple Yazidi du Cheikh Adi - DR

 

Le monde entier s'émeut, à juste titre, de la catastrophe qui s'abat sur les Yézidis de la région de Sinjar au nord-ouest de Mossoul, menacés d'être exterminés par les jihadistes de l'État islamique (EI) s'ils ne se convertissent pas à l'islam. Des dizaines de milliers de villageois ont quitté précipitamment leurs maisons pour trouver refuge dans les montagnes – qui culminent à 1 356 mètres – sans abris, sans eau ni nourriture.

Cette population paisible d'origine kurde traverse sans doute l'une des pires épreuves de son histoire, qui n'en a pas manqué. L'accusation est depuis longtemps (XVIIe siècle) la même : les Yézidis seraient des "adorateurs du diable", réputation complètement infondée qui provient sans doute d'une croyance de la secte en un ange déchu, qu'elle appelle "Malak Tawous", l'Ange-Paon, dont l'histoire ressemble étrangement à celle d'"Iblis", le diable, l'ange déchu du Coran.

Dans la tradition zoroastrienne, dont la religion syncrétique des yézidis a préservé quelques éléments, l'Ange-Paon, à cause de son orgueil, perd certes la faveur de Dieu, mais, pris de remords, se réconcilie avec lui. L'Ange-Paon n'est donc pas devenu, comme dans l'islam, la personnification du diable, Iblis, mais un ange qui est resté une émanation bienveillante de la divinité. Pour les Yézidis, le mal comme le bien résident plutôt dans l'être humain, qui lui choisit sa voie.

Une religion sans statut

Le problème du peuple Yézidi est que sa religion a longtemps été basée sur des traditions orales. Il n'a eu que tardivement – fin XIXe siècle – des livres sacrés où ses croyances furent consignées. Il a de ce fait été exclu de la catégorie requise par les législations islamiques successives, celle des gens du Livre, qui a été accordée aux juifs et aux chrétiens auxquels elle a conféré un statut légal.

Bien que croyant en un Dieu unique, mais n'étant ni musulmans ni gens du Livre, les Yézidis se sont heurtés aux demandes de clarification des gouvernements de l'Empire ottoman dans le cadre de l'administration de leurs provinces, et ce n'est qu'en 1849 que leur communauté a été reconnue par l'Empire. Cela n'a pas empêché qu'ils soient menacés une fois de plus de conversion forcée en 1894, à l'époque du Sultan Abdel-Hamid II (1876-1909).

Pour échapper aux persécutions, il arrivait qu'un groupe de Yézidis demande aux patriarches syriaques-orthodoxes résidant au monastère de Deir al-Zaafaran à Mardine – au nord du Sinjar – de les déclarer chrétiens, ce que les patriarches faisaient volontiers. Ils savaient néanmoins que ces "adorateurs du soleil", car les Yézidis prient le matin en direction du soleil, ne feraient que nominalement partie de leur communauté.

Liberté de culte

L'un des principaux centres de pèlerinage des Yézidis est la tombe de cheikh Aadi ibn Musafir, mort en 1162, à Lalish dans le Jabal Sinjar. Cheikh Aadi, originaire de la Békaa libanaise, a fondé au XIIe siècle la confrérie soufie sunnite des Aadawiyyah. Il a été en même temps considéré par les Yézidis, qui croient en la métempsycose, comme une réincarnation de Malak Tawus, l'Ange-Paon. Le pèlerinage à Lalish durant le mois d'avril donne lieu à un festival où les fidèles chantent des hymnes transmis oralement depuis des générations, et dansent.

Le sort des Yézidis du Sinjar a longtemps été lié à celui des chrétiens du nord de l'Irak, ou de la région de mardine au sud-est de la Turquie. Durant la Première Guerre mondiale ils ont accueilli au péril de leur vie dans leurs montagnes des dizaines de milliers de refugiés chrétiens arméniens et syriaques qui fuyaient les massacres et déportations ordonnés par le gouvernement turc.

Plus tard, dans le cadre du nouvel État irakien, ils ont souffert comme les autres tribus kurdes de la politique d'arabisation forcée menée par le régime de Saddam Hussein. Après la chute du régime baassiste en 2003, tant le gouvernement autonome du Kurdistan que la nouvelle Constitution irakienne leur ont accordé la liberté de culte. Mais celle-ci est remise en question une fois de plus, en même temps que celle des chrétiens de la région de Mossoul, eux aussi menacés par l'EI.

Note :* Historienne et chercheure à l'Universite Saint-Joseph, Ray Jabre Mouawad est membre fondatrice de l'Association pour la restauration et l'étude des fresques médiévales
 
 
 

07/08/2014

Expérimentations indiennes: comment le revenu de base change la vie

 

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Une expérience de versement d’un revenu de base modeste aux habitants de certains villages les plus pauvres de l’Inde a transformé leurs vies. Cela pourrait fournir un programme anti-pauvreté efficace pour tous les pauvres de l’Inde. Mais quelle sera la réaction du gouvernement de Narendra Modi ?

Article publié en licence creative commons sur le site OpenDemocracy.net. Traduction depuis l’anglais par Audrey D’Aquin.

L’idée d’un revenu de base soulève des questions bien au delà de la province de Madhya Pradesh en Inde. Historiquement, des personnalités comme Bertrand Russell, André Gorz, Martin Luther King, et JK Galbraith se sont tous exprimées en faveur d’un revenu de base. Le revenu de base n’était pas seulement une réforme souhaitable dans le nord et le sud pendant les années 1970 et 1980, sa mise en place est devenue indispensable depuis la crise financière de 2008, pour apporter stabilité et dignité à une nouvelle classe de travailleurs, pour répondre aux exigences du capitalisme mondial, qui créent un état d’insécurité chronique pour de nombreuses vies humaines, balancées entre inactivité professionnelle intermittente et des emplois précaires pour des salaires incertains dans un marché néo-libéral « flexible ». Pour eux, le monde de l’après-1945 de démocratie sociale, sécurité de l’emploi et des avantages sociaux est un passé révolu.

Au Royaume-Uni, le Parti Vert a adopté un revenu de base, ou «revenu citoyen», dans son programme. En Écosse, la Fondation Jimmy Reid a publié Au lieu de l’anxiété, un rapport plaidant pour un régime de revenu citoyen afin de fournir une nouvelle forme de sécurité sociale « pour le bien commun ». Compte tenu de la réponse réactionnaire du public face au système de prestations et aux bénéficiaires de l’État, il semble très peu probable qu’un parti travailliste, déjà sur la défensive sur l’aide sociale, ait le courage de promouvoir une telle idée au Royaume-Uni. Ici, la conditionnalité est l’ennemi de notre système de protection sociale qui se détériore, corrompu et déformé, certes pas autant qu’en Inde, mais par les coupures dans les prestations et l’accumulation des conditions punitives, des sanctions qui poussent les demandeurs d’emploi à recourir aux banques alimentaires, et passer des tests biaisés de handicap, le tout sous fond de diabolisation vicieuse des allocataires.

Il existe des groupes et des mouvements pour le revenu de base dans de nombreux pays. L’idée frémit sous la surface de la pensée politique classique à travers l’Europe, l’Amérique du Sud et la majeure partie du monde. L’idée a effectivement atteint le peuple Suisse, où il y aura prochainement un référendum sur l’opportunité d’introduire un Revenu de Base. Ce revenu de base a fait ses preuves dans des projets pilotes, au Canada, en Namibie ainsi qu’en l’Inde, mais le gouvernement des deux précédents pays y est hostile. Il existe une certaine activité sur le terrain. L’idée est plus avancée au Brésil où Bolsa Familia (« Bourse familiale »), un système de revenu de base universel, est entrée en vigueur en 2004 et est en cours d’introduction par étapes. La Bolsa Familia a depuis considérablement réduit la pauvreté là où elle s’applique. Inévitablement, elle a été dénoncée comme une incitation à la paresse, mais la Banque mondiale, qui a mené une enquête sur ce régime, a conclu que ce n’était pas le cas. En fait, la Bolsa Familia aurait même encouragé le travail plus difficile et l’esprit d’entreprise.

Étude de cas : Madhya Pradesh, en Inde

Les pires situations de pauvreté, faim et malnutrition du monde se trouvent en Inde, où les deux tiers des 1,2 milliard de la population vivent dans la pauvreté et la moitié des enfants souffrent de malnutrition.

Ghodakhurd et Jagmal Pipalya sont deux villages isolés dans le Madhya Pradesh, l’un des états les plus pauvres de l’Inde, où la malnutrition infantile et la mort de maladies diarrhéiques sont monnaie courante. Les habitants pauvres des deux villages ont participé à une expérience sociale audacieuse sur 12-17 mois en 2011-13 qui a transformé leurs vies individuelles et collectives. Tout les adultes dans les deux villages, et sept autres villages de la région, ont reçu un « revenu de base » régulier, variant entre 200 ou 300 roupies (£ 2 à £ 3) chaque mois, indépendamment de leurs salaires et autres avantages sociaux, subventions, aide sociale publique, emploi, caste, sexe, âge ou nombre d’enfants (qui ont reçu 100 roupies, versés à leurs mères). Les prestations étaient délibérément modestes, car elles ont été conçues pour agir comme une base pour assurer uniquement les besoins de subsistance.

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Un rapport final sur cette expérience financée par l’UNICEF doit être publié à une grande conférence à New Delhi en Décembre 2014 (un résumé sera également publié, en hindi et en anglais). Mais il est déjà clair qu’un système de revenu de base national pourrait transformer la situation des pauvres à travers l’Inde, et modifier de manière significative l’approche traditionnelle de l’Inde pour faire reculer la pauvreté.

SEWA, une Association des femmes travailleuses indépendantes, remarquable organisation syndicale coopérative de 1,2 millions de membres, qui est basée en grande partie dans le Gujarat et le Madhya Pradesh, a participé à l’organisation de ce dispositif expérimental. SEWA assiste les travailleuses vulnérables de l’économie informelle et organise des entreprises coopératives, y compris une banque, des clubs d’épargne, etc. Ses membres sont essentiellement des travailleurs agricoles, vendeurs de rue, travailleurs des briqueteries, travailleurs à domicile (en particulier dans le Madhya Pradesh, les femmes qui ramassent des feuilles de tabac pour la confection cigarettes bidis bon marché qu’elles roulent aussi), ainsi que d’autres travailleurs marginaux. SEWA est si peu représentative d’un syndicat conventionnel que d’autres syndicats en Inde se sont ligués contre elle et ont tenté de lui nier sa légitimité.

Le caractère inconditionnel du versement en espèces a été la clé du succès de l’expérience. Sarath Davala, le coordonnateur de recherche de la SEWA sur l’expérience de revenu de base, a travaillé en étroite collaboration avec syndicats des villageois et les habitants. Il explique que le système actuel de lutte contre la pauvreté de l’Inde est délabré, ne parvenant pas à atteindre les personnes les plus pauvres de l’économie informelle avec lesquels SEWA travaille. Cet échec est officiellement reconnu : la Commission de planification de l’Inde a calculé que l’énorme programme de dépenses atteint seulement un peu plus d’une personne pauvre sur quatre.

Davala explique qu’il y a 321 régimes de protection sociale dans le Madhya Pradesh. Le plus souvent il s’agit de subventions en nature : distribution de nourriture, de kérosène, de céréales, de légumineuses, de gaz, de travail rémunéré, de latrines. Ces aides sont soumises à des conditionnalités strictes en matière de genre, caste, appartenance ethnique, âge, profession, nombre d’enfants:

« Il est très complexe pour les gens de répondre aux règles imposées par la bureaucratie. C’est très difficile si vous êtes analphabète. Les gens doivent prouver toute une série de choses, même là où ils vivent, pour obtenir le droit aux prestations », dit-il. « La conditionnalité signifie intermédiaires et intermédiaires ce qui implique la corruption. Les fonctionnaires prennent leur ponction – de nourriture, de briques, tout, et, comme disent les villageois, « ils abandonnent nos papiers dans un coin. Un versement monétaire inconditionnel contourne ce système, il libère les gens et leur donne contrôle et dignité ; et les économies réalisées par la cessation de ce régime bureaucratique lourd pourraient être réinvesties dans un système de versement en espèces plus généreux.

J’ai vu et entendu la preuve de la corruption et de l’inefficacité des systèmes officiels de protection sociale lors de mes visites à Ghodakhurd et Jagmal Pipalya. J’ai vu et entendu, aussi, les preuves de la façon dont les transferts d’argent modestes non seulement ont donné aux gens plus de contrôle sur leur vie, mais ont aussi permis de les libérer, au moins temporairement, de l’économie de rente, des prêts usurieux des propriétaires exploiteurs et des employeurs, et de la dette qui en résulte. Après les prières communes, les femmes de SEWA organisatrices, assises sur des coussins autour d’une moquette au bureau local de la SEWA, ont confirmé ce que j’avais vu et entendu et expliqué combien les paiements de revenus de base ont transformé la vie de village. « Avant, certains des hommes avaient l’habitude de s’asseoir et jouer aux cartes sous l’arbre de banian dans le centre du village », dit Rajmani, qui est un haut dirigeant SEWA. « Ils ont commencé à acheter des semences et des engrais avec l’argent et les joueurs de cartes ont disparu » (le centre du village est appelé Choupal, c’est un lieu pavé pour s’assoir, sous l’arbre).

Les villageois ont pu dépenser l’argent comme bon leur semblait. Mais la plupart d’entre eux ont utilisé cet argent pour la réhabilitation de leurs maisons et la construction de latrines (18 au total) ; le stockage et l’approvisionnement alimentaire en achat de gros ; payer les frais de scolarité et envoyer leurs enfants à l’école, leur payer un uniforme ; investir dans des semences et des pesticides, des chèvres et des bœufs, et au moins une vache Jersey — qui a conduit à un significatif passage de travail rémunéré à l’auto-culture ; acheter des machines à coudre pour son sa propre entreprises de fabrication de chemisiers, jupons ; le traitement des maladies telles que la tuberculose et la cécité, et traitement de blessures. Souvent, les villageois ont mis en commun l’argent supplémentaire, par exemple, pour acheter un poste de télévision communautaire, réparer le clocher de leur temple, créer une caisse ou un fond de prêts pour les mariages (qui sont onéreux dans la société indienne).

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J’ai demandé aux organisateurs de village si les villageois avaient gaspillé les prestations en espèces pour boire ou peut-être en des saris et bijoux. À l’unanimité, ils ont secoué la tête. Bhanumatie Rimjha témoigne :

Tout le monde, toutes les personnes officielles, ont rit à l’idée de donner de l’argent aux pauvres. Ils disaient que les pauvres sont irresponsables, ils ne savent pas quoi faire avec l’argent, ils sont déclassés, ils ne peuvent pas gérer les comptes bancaires. L’idée est folle. Nous étions parfois nous-mêmes pris de doute, mais nous avons été très surpris à chaque fois que nous avions une histoire à raconter. C’est notre histoire : les pauvres sont responsables pour eux-mêmes et leurs familles. Cela leur serait préjudiciable de dépenser leur argent en alcool. Nous avons appris que nous pouvons toujours faire confiance aux pauvres. Plus tard, une femme âgée nous disait philosophiquement, “Les imbéciles le sont restés, mais les sages ont fait bon usage de l’argent pour leur travail.”

Les transferts d’argent, versés sur des comptes bancaires, organisés par SEWA, ont également changé la condition des femmes des villages. Dans les villages il existe une forme de purdah (réclusion physique entre les sexes) hindou pour les femmes mariées, en présence d’autres hommes plus âgés dans les règlements ou dans des espaces publics locaux. Mais la distribution de transferts monétaires sur une base égale, avec les femmes également responsables des prestations pour enfants, les a amenées dans les affaires communales du village, prenant place dans des lieux précédemment occupés exclusivement par les hommes (comme dans Choupal). Parce que les paiements sont égaux, ils sont aussi capables d’amener à prendre des décisions en matière de dépenses sur son propre compte.

Sarath estime que le travail de SEWA au fil du temps avec les centres pour enfants, les groupes d’épargne, les prêts supplémentaires et ainsi de suite, a contribué à la résilience et au bon sens des villageois ; et comme SEWA travaille avec les femmes sur les activités du village, elles sont d’avantage promues. Les organisateurs du village m’ont dit que les castes normalement ne « se rassemblent » pas, mais les femmes de différentes castes dans les villages se sont réunies, pour l’élevage, l’achat de vaches et animaux, et autres formations financières et d’autres réunions et lors de réunions avec SEWA. En outre, les prestations ont réduit la migration vers les villes, plus de villageois sont restés à travailler sur leurs petites fermes.

Le placard est vide

Nous atteignons Ghodakhurd, cahotant et brinquebalant le long d’une irrégulière piste poussiéreuse traversant des champs de blé et de buissons d’ail. Nous nous arrêtons pour parler aux femmes en saris lumineux qui ramassent l’ail. À côté de la piste, des motocycles brillants sont stationnés en tas car une congrégation de villageois célèbre le départ d’un jeune homme pour l’armée. Les motos modernes brillent sous le soleil brulant ; la chaleur semble presque solide. Les villageois d’ici sont dits « Bhils », c’est à dire historiquement considérés sous la domination britannique comme « aborigènes », et aujourd’hui, dans le cadre de la politique de discrimination positive de l’Inde, reconnus comme une « tribu répertoriée ».

Nous sommes un petit groupe : Sarath, deux des organisateurs du village de Sewa, Guy Standing de la SOAS, ardent défenseur du revenu de base et auteur de « The Precariat » et « The Precariat Charter », le chercheur de SEWA Pratik, un photographe et moi. Standing, qui dirige le programme de recherche, est là pour interviewer les villageois et recueillir les derniers témoignages sur l’impact des transferts d’argent. Nous allons d’une maison étonnamment spacieuse en boue et paille à l’autre, des divans de bois et jute sont déplacés dehors dans des avant-cours ou nous nous asseyons, parfois sous des vérandas. Du grain est étalé devant les maisons débordant des sacs ; une famille de chèvres de toutes tailles se promène dans un jardin. « Basic Income Goats », dit Guy, « les chèvres du revenu de base  Il n’y avait guère de chèvres avant les transferts d’argent, mais elles ont été un bon investissement, maintenant la population de chèvres a triplée. »

Rajoribai, la première femme a qui nous parlons, a acheté une hache et des chèvres avec son revenu de base, mais la plupart de celui-ci a servi pour acheter des stéroïdes et autres médicaments pour traiter sa paralysie et son gonflement des jambes. Poulets et poussins gambadent, quelques poussins sont roses, après avoir été vaporisé lors de Holi, la fête religieuse des couleurs, pendant laquelle les gens jouent, se poursuivent et se colorent.

femme-indienneAussi Pauvre qu’elle soit, Rajoribai n’a pas de carte de pauvreté — le laissez-passer officiel pour les documents officiels de subsistance — et donc elle a emprunté des semences au propriétaire. Au moment de la récolte, elle doit payer pour utiliser la machine de battage et remettre au propriétaire deux fois plus de grains. Ses trois fils sont naukars, des travailleurs asservis mal payés, qui travaillent à la briqueterie. Son voisin nous montre sa carte de pauvreté, un livret d’écorné avec des gribouillages officiels de partout. Pendant cinq mois, les responsables du magasin d’alimentation lui ont dit qu’ils n’avaient pas de stock, et puis qu’il n’était pas venu au bon moment. Il a sa propre petite entreprise et a également travaillé comme ouvrier occasionnel à la briqueterie locale. Il a investi ses revenu de base dans les semences et les pesticides et a travaillé sa terre. Sa récolte a été bonne — 22 quintaux (100 sacs d’un kilo), plus du double de la récolte habituelle. Voudrait-il que le système de revenu de base perdure ? Il joint ses mains dans une prière silencieuse et explique que, avec le revenu de base, il aurait de l’argent à disposition pour acheter des engrais et des pesticides au bon moment ; car auparavant, il devait attendre que le propriétaire daigne lui accorder un prêt, une attente qui perturbait son calendrier de récolte.

L’école du village se vide à l’heure du déjeuner. Les jeunes filles en uniformes bleus lumineux jouent a trap-trap, sprintent, rient, se colorent mutuellement, sur un terrain qui passe pour la place du village, une souche d’arbre mince sert de «camp». Sur le chemin, deux petits garçons jouent à la pétanque avec trois billes, dans la poussière. Nous parlons à Ghodakhurd sarpanch, l’élu chef du village, qui sert d’homme de liaison entre les villageois et la bureaucratie. Il était contre le régime de revenu de base au début ; maintenant il reconnaît qu’il a bénéficié au village. Alors que nous le quittons, le magasin d’alimentation du village est fermé. Guy et moi regardons à travers grâce à des lacunes dans la paroi du magasin d’alimentation. Comme le placard de Old Mother Hubbard, le vaste intérieur et vide et balayé.

À Jagmal Pipalya, la veille, l’inadaptation totale du régime de protection sociale du gouvernement était encore plus criante. Une fois de plus, les femmes ramassent le blé à la main, bien que je vois un tracteur dans le paysage. La tôle ondulée ou les toits de tuiles des maisons ici sont largement couverts par des journaux et des pierres, je suppose pour la protection contre le vent de la mousson et les pluies qui coupent ces villages du monde quatre mois par an. Il y a 25 ménages dans ce hameau du village, appelé par les villageois harijan Basti, et peuplés par d’anciens «intouchables», maintenant tous classés comme «castes» d’après la Constitution indienne. Nous nous asseyons sur des divans et une foule se rassemble. Un homme montre une latrine qu’il a construit pour lui-même ; son voisin nous montre une latrine effondrée. Les fonctionnaires lui ont tout simplement remis des quantités insuffisantes et briques et de ciment, et gardé le reste ; la pluie a fait la suite. Les briques et les gravats sur le bassin sont les restes du programme d’assainissement total du gouvernement.

Nous parlons à Sajanbai, une veuve démunie de 70 ans dont les fils sont partis. Elle est gardée par ses voisins avec une contribution occasionnelle d’un fils. Pendant la saison de la mousson, elle a glissé et s’est cassé la jambe. Le village était isolé et elle du a endurer pendant deux jours. Des voisins l’ont emmené à l’hôpital pour un traitement qui a coûté la majeure partie des 6000 roupies, qu’elle a commencé à payer avec son revenu de base et ses économies. Elle s’est vue refuser la carte de pauvreté.

J’apprends alors que sur près de 70 personnes du hameau qui ont demandé la carte de pauvreté, seulement quatre l’ont obtenue. Kamla Chouhan, l’organisateur SEWA, me dit que les 70 personnes sont toutes des « extrêmement pauvres » et le personnel SEWA a constaté que les refusés étaient tous admissibles. « Ils ont rempli les formulaires, mais ils ont été refusés. Ils ne savent pas pourquoi. Ils ont besoin de photos, empreintes digitales, trop de choses. » Elle est allée au panchayat, le bureau local du gouvernement dans un autre village, en leur nom. Les responsables étudient encore leurs demandes. Certainement que pour eux, la commission est follement généreuse.

Mesurer l’impact du revenu de base

L’expérience de revenu de base a été soutenue par un important programme de recherche, impliquant 93 employés en tout. Dans la région, douze villages non-participants, ou de contrôle, ont été étudiés à côté des villages de revenu de base pour fournir des statistiques comparatives. Des études détaillées ont eu lieu dans tous les villages, au début, à mi-parcours et à la fin du projet. Alors que j’étais dans le Madhya Pradesh, le noyau de l’équipe d’étude a tenu une réunion finale « tendue » pour préparer le rapport final que l’Unicef publiera en Décembre, ainsi que pour le livre grand public. Renana Jhabvala, coordonnateur national de la SEWA, et Guy Standing, qui est de facto le directeur des recherches préliminaires, ont partagé la direction de la réunion.

Des résultats préliminaires ont été rendu publics. Les chiffres confirment les conclusions que Guy, Renana et l’équipe pressentaient : loin d’encourager la paresse, le revenu de base a apporté « plus de travail, plus de productivité », en grande partie parce qu’il a permis plus de travail à « son propre compte » pour les paysans et d’autres possibilités de travail alternatifs à l’emploi salarié. Dans plus d’un village sur cinq, le revenu de base a augmenté la quantité de travail, deux fois plus que dans les villages témoins, et la plupart des villageois ont attribué les nouvelles fermes ou nouvelles activités à la subvention revenu de base. Les villageois qui touchaient le revenu de base ont augmenté leur cheptel de 70 %. Sarath explique :

Ainsi, le revenu de base, ce n’est pas seulement une question d’assistance, c’est aussi l’histoire d’un développement — d’une croissance inclusive et du bas vers le haut, qui a stimulé l’économie locale.

Dans deux domaines vitaux pour les enfants pauvres de l’Inde, le revenu de base a apporté des avantages tangibles aux villages. Un enfant sur trois souffrant de malnutrition dans le monde vit en Inde, et plus des deux cinquièmes de ces enfants souffrent d’insuffisance pondérale. Neuf enfants sur dix dans les familles indiennes pauvres sont analphabètes. Bien qu’ils ont en apparence passé quatre ans à l’école, la réelle cause est l’absentéisme. Concernant la malnutrition, des tests basés sur l’indice z-score de l’OMS ont montré que le revenu de base versé aux familles du village a été associé à un meilleur rapport poids/âge chez les enfants, principalement chez les jeunes filles. Concernant la fréquentation et les résultats scolaires, une amélioration spectaculaire a été observée, grâce à des dépenses supplémentaires pour des uniformes scolaires, des frais, des sacs d’école, des vélos, de la papeterie. Près de deux tiers plus d’enfants, bien habillés, qui gardaient le bétail et travaillaient dans les champs et qui « auparavant étaient sales », ont commencé à aller à l’école dans les villages recevant le revenu de base ; en comparaison, le chiffre pour les villages de contrôle était de 22 %. Leur performance à l’école a augmenté de 68 % pour les villages avec transferts en espèces, 36 % pour les villages de contrôle. Les filles qui précédemment « restaient à la maison » ont commencé à aller à l’école dans les villages de l’étude. Selon un film sur le projet, « les filles de douze ans sont inscrites en neuvième classe et font les 4 km aller et retour pour l’école. »

On a aussi observé une augmentation de 10 % des dépenses en logements, un meilleur approvisionnement en eau à partir de puits tubulaires et un meilleur éclairage, des améliorations mesurables dans la qualité et la quantité de nourriture avec une alimentation variée et plus de fruits et légumes — qui a également conduit à l’amélioration de la santé, en particulier dans les villages tribaux. Il y avait une augmentation de près de 50 % des dépenses pour traitement médical et médicaments. Et de manière significative, l’anxiété a baissé de 13,4 % dans les villages où le revenu de base a été versé.

Quelles perspectives pour le revenu de base en Inde ?

Le triomphe de Narendra Modi, un néo-libéral autoritaire, lors des dernières élections générales en Inde, jette de l’ombre sur l’avenir des programmes à destination des plus démunis du pays. Les deux programmes de lutte contre la pauvreté phares initiés par la précédente coalition Alliance Progressiste Unie sont le système de Garantie de l’Emploi Rural Mahatma Gandhi et la Loi sur la Sécurité Alimentaire qui devait fournir de la nourriture subventionnée pour près des deux tiers de la population. Modi s’est déjà engagé a réviser l’ensemble du système anti-pauvreté qui, comme nous l’avons vu, est coûteux, paternaliste et corrompu. Ce qui semble certain, c’est qu’il va chercher à faire des coupures budgétaires. De plus, comme programme anti-pauvreté actuel est associé avec le parti du Congrès, il est susceptible de le subvertir. Mais à part cela, les intentions de Narendra Modi sont loin d’être claires, y compris sur la question de savoir si les transferts monétaires directs joueront un rôle dans son gouvernement, et lequel.

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Il y a un danger clair qu’il puisse abuser de l’idée de revenu base dans sa volonté pour développer une alternative moins coûteuse au système bureaucratique existant. Ce n’est pas comme si l’idée de transferts directs en espèces était un anathème pour les néo-libéraux (Hayek a par exemple été attiré par l’idée). Une telle proposition n’est pas non plus entièrement hors de l’écran radar. En Novembre 2012, le gouvernement fédéral, sous Manmohan Singh, a annoncé une refonte des programmes d’aide, sous l’appellation de Transferts de Bénéfice Direct, et a commencé à mettre en œuvre un transfert de subventions sur les carburants et d’autres programmes de habituels, telles que des bourses d’études, en paiements en espèces. Cette tentative a avorté sur le terrain, et a rendu le projet pilote de la SEWA controversé, car les gens craignaient que cela puisse être un signe avant-coureur de la suppression des aides de l’État, plutôt qu’une mesure complémentaire. La gauche traditionnelle indienne a défendu les subventions et travaillisme rural du régime anti-pauvreté et craint que si Modi opte pour les transferts monétaires, ce soit dans le cadre d’une stratégie visant à privatiser les services sociaux.

Guy Standing affirme que les services sociaux doivent être considérés séparément, car en Inde, comme partout ailleurs, les services sociaux doivent être publics si l’on veut qu’ils soient universels et de qualité. Dans l’ensemble, il pense que le parti de Modi s’orientera vers les transferts monétaires. « La question est de savoir à quel degré ils seront ciblés, et si oui ou non ils seront conditionnels ».


Article original paru sur Open Democracy sous licence creative commons | Traduction Audrey D’Aquin

 

 

 

04/08/2014

Le système de l'assurance-chômage veut-il remettre "les conteurs à zéro"? Entretien.

Yvon Le Men, le 8 juin dernier, au Festival «Étonnants voyageurs» de Saint-Malo. (c) Chantal Parent Yvon Le Men, le 8 juin dernier, au Festival «Étonnants voyageurs» de Saint-Malo. (c) Chantal Parent

« Toute une histoire à cause d’un mot.» Il y a un an, le poète Yvon Le Men, intermittent du spectacle âgé de 60 ans, est accusé par Pôle Emploi Service d’avoir triché. «Vous n’êtes pas ce que vous dites, un artiste du spectacle vivant.» Son statut de poète interprète est remis en cause, il est radié et condamné à rembourser rétroactivement (sur trois ans) la somme de 29 796 euros.

Pour lui, « c’est une insulte ». Car depuis plus de quarante ans, Yvon Le Men raconte le monde au monde, partout dans le monde. Le monde des songes, sûrement pas des mensonges. Depuis toujours, Yvon Le Men vit par – et pour – la poésie. À l’oral et à l’écrit.

Après son bac, en 1970, il entre à la fac d’histoire de Rennes. Sa mère est à ce moment-là au chômage, il est orphelin de père depuis cinq ans. La vie, déjà, ne lui fait pas de cadeaux. À 18 ans, il commence à écrire, abandonne ses études et, très vite, donne à entendre ses poèmes au public. Ses premiers pas sur scène, il les fait devant des ouvriers en grève. C’est pour lui «une révélation», «un coup de foudre», «une profession de foi». Dès lors, il pratique dans toute la France «la poésie dite», le récital. Dans sa Bretagne natale, pas un village où sa voix n’a résonné, où ses mots n’ont raisonné.

En 1986, Yvon Le Men est enfin affilié au régime des intermittents, «mais ça n’a pas été facile tout de suite». Il ne commence à «gagner correctement sa vie» que vers 1990. Depuis 1984, il est principalement salarié intermittent de l’association «Chant manuel». Dans sa ville de Lannion et en lien avec le théâtre le Carré magique, celle-ci organise, entre autres, des rencontres littéraires et des lectures de textes. Yvon Le Men est notamment chargé de mettre en voix les œuvres de ses invités. Il participe aussi au Festival «Étonnants voyageurs» de Saint-Malo, auquel il a «intégré la poésie, encore une fois, par l’oralité».

Le 8 juin dernier, il y a interprété l’intégralité de son poème «En fin de droits», dans lequel il règle ses comptes avec Pôle Emploi qui veut remettre «les conteurs à zéro». En parallèle, l’association du festival a lancé une pétition de soutien qui a déjà réuni plus de 1000 personnes. Mais «l’administration n’a jamais tort», explique-t-il. Et s’il était préférable de croire, avec Jean Ferrat, que «le poète a toujours raison»? Entretien.

BibliObs Pôle emploi vous a contacté une première fois en juillet 2013, puis vous a envoyé une lettre le 19 novembre 2013. À quel moment avez-vous décidé de prendre la plume et de combattre?

Yvon Le Men Bien sûr, quand j’ai reçu ma lettre de radiation, j’étais totalement abattu. Mille sentiments m’ont traversé: le désespoir, la colère, l’envie de m’enfermer, de hurler. J’ai donc écrit une lettre de recours que j’ai eu beaucoup de mal à rédiger, comme je le dis dans mon poème [«J’ai écrit cinquante livres et je ne sais pas écrire une lettre de recours gracieux»]. La langue administrative, je ne la connais pas – chacun sa langue – et quand on ne la comprend pas, on est vaincu. J’ai donc décidé d’écrire ce poème à la suite d’une coïncidence plutôt étrange. En allant poster ma lettre de recours, j’ai vu deux postières que je connais, et l’une d’elles m’a dit: «Il y a une grève des trains.» À cause de la grève, ma lettre risquait en plus de ne pas arriver à temps!

Je me suis dit : « Ce n’est pas possible, le monde entier est contre moi.» Dans ces situations-là, on devient un peu paranoïaque. Je suis rentré à la maison, je me suis assis devant ma table, et j’ai commencé à écrire. C’est cette anecdote-là, cette goutte d’eau supplémentaire qui a fait déborder le vase. Ce poème, je l’ai écrit très vite, en une semaine. J’écrivais jour et nuit, d’où la tension qui s’en dégage et qui ne finit pas jusqu’à ce que j’ai fini de la dire. Après, je l’ai retravaillé au scalpel. Ça a été une longue expiration, mais l’inspiration est venue de la situation. Inspiration, expiration... et aussi respiration.

Pour qui l’avez-vous écrit ? Pour vous ou pour «les saltimbanques sans banque»?

Quand on écrit, on écrit toujours à partir de soi, mais un soi qui serait les autres. Un soi universel. En creusant au fond de soi, on trouve quelqu’un, un homme, une femme, un enfant, qui a quelque chose à vous dire. Je l’ai écrit pour ceux à qui on enlève leurs droits: au-delà de l’argent, le droit de se défendre, le droit d’être écouté. J’ai été accusé et condamné sans même pouvoir me défendre, alors j’ai parlé pour ceux qui ont du mal à parler. J’étais l’un d’eux. Je l’ai écrit pour mes frères humains, il y a des gens du personnel de Pôle Emploi qui l’ont lu et qui se sont retrouvés dans mon texte. C’est pour ça, il me semble, qu’il a été aussi entendu au festival de Saint-Malo: parce qu’il dépasse la question des intermittents…

La vraie question est : « où en est notre humanité?» C’est facile de sévir quand on ne voit pas les gens, de tirer un trait de crayon sur quelqu’un. C’est un peu le malheur d’aujourd’hui, l’humanité disparaît tout doucement, et avec l’administration c’est encore plus vrai, personne n’est en face, pas de médiation, pas de discussion. Mais dans le comité de soutien, il y a aussi des gens de Pôle Emploi dont certains souffrent dans leur travail.

Votre poème est accompagné de vingt pages dessinées par Pef. Comment s’est passée cette collaboration?

Nous sommes amis depuis plus de vingt ans et il se trouve qu’il était à la maison à ce moment-là. Ses dessins, avec mon texte, ont du sens. Pef, avec ses mots tordus, a inventé quelque chose: c’est la langue des enfants blessés, des dyslexiques, et moi j’étais blessé comme les enfants qui ont du mal à parler et qu’on n’écoute plus. À chaque fois que je parlais, je parlais à côté, «si t’es toi tais-toi sinon tu seras retenu contre toi». Ces dessins sont un vrai contrechamp.

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Dans ce livre, il y a aussi Verlaine, François Villon…

Verlaine, c’est l’homme fragile qui dit : «Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches/Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.» Il parle à une femme mais quand il dit: «Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches», moi je vois un secrétaire très lointain qui déchire ma vie.

Quant à Villon, lui a été gracié plusieurs fois par Louis XI alors qu’il avait tué. Je l’ai cité car il a été le premier poète français à avoir évoqué les «frères humains». Avec lui, l’humanité est entrée dans la poésie. Mais je fais aussi référence aux slogans publicitaires: «Votre argent m’intéresse disait la BNP». Et à Ulysse…

... celui qui disait au cyclope qu’il s’appelle «Personne». En effet: «Personne ne parle personne ne m’a parlé» revient tout au long du texte. C’est ce silence qui vous a le plus blessé?

La cruauté la plus grande, c’est l’absence de discussion. Je peux aller en Chine, en Haïti, à Brazzaville, je peux aller partout, mais pas à Pôle Emploi Bretagne. Alors qu’on est sur la même planète, dans le même pays. Il y a deux moments où j’aurais pu m’expliquer: une femme m’a appelé pour me demander comment je négociais mes contrats, je lui ai répondu et pour une certaine raison, on a dû raccrocher. Elle devait me rappeler le lundi suivant, mais elle ne l’a pas fait.

La deuxième fois, c’était avec une autre femme, celle qui a une jolie voix dans mon poème. Mais elle m’a appelé quand tout était déjà fait et qu’il était trop tard. Elle m’a conseillé de faire ma demande de recours, qui a été refusée. Il y a aussi des médiateurs à Pôle Emploi qui, normalement, doivent vous répondre dans les sept jours, mais je n’ai eu aucun contact. Mon avocat, lui-même, a écrit à un médiateur national qui a répondu au bout d’un mois, mais rien, sinon la langue de bois habituelle.

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Vous écrivez : «C’est la faute au Président que j’ai élu si je suis dans la lie c’est le Président qui me nique mon air de rien de trois fois rien l’air de rien». Vous en voulez à François Hollande?

C est une façon de parler, comme on dit. Avant lui, il y a eu d’autres présidents, et après lui, il y en aura d’autres, même s’il est le chef des «armées», le chef des chefs, pour le moment. En réalité, c’est surtout l’Administration que je dénonce. L’Administration, c’est personne, c’est tout le monde. C’est personne. C’est une entité composée de multiples personnes qui au final n’en font qu’une et dont les individualités ne seraient pas responsables de ce qu’elles font ensemble et des conséquences de leurs actes sur la vie des gens.

J’ai eu des discussions avec des gens qui travaillent à Pôle Emploi et qui me disaient: «C’est pas de notre faute, c’est le système.» D’autres se justifiaient en disant: «Ce n’est pas moi, c’est mon chef et le chef de mon chef», etc., etc. Mais si on leur enlève leur responsabilité, ils n’ont plus d’humanité. Et moi, je refuse cette idée-là. Dans mon texte, je leur en donne de l’humanité. Eux me la refusent en ne me parlant pas, ou seulement quand c’est trop tard. Alors si personne n’est responsable, tout le monde l’est. «Si ce n’est toi, c’est donc ton frère», disait le loup à l’agneau dans la fable de la Fontaine.

Et puisque c’est la faute de «personne», c’est la faute au «Président»?

J’ai voté pour lui, comme beaucoup de gens, mais à la fin du passage que vous citez, j’écris «oui/oui/et non». Il y a deux oui – il est tout de même le chef des chefs des chefs – et un non à la fin... Mais c’est surtout la faute à un système, et à ceux qui ont voulu et veulent toujours de ce système où l’Administration, au plus haut niveau, ne revient pas sur ses décisions, mêmes mauvaises. Elle ne se trompe jamais. L’erreur, pour elle, n’est pas humaine.

Où en êtes-vous aujourd’hui ?

J'ai décidé d’assigner Pôle Emploi en justice, devant le Tribunal de Grande Instance de Saint-Brieuc. Je conteste tout ce qu’ils disent. J’ai pris un avocat pour la première fois de ma vie. Je crois que c’est au moment où j’ai décidé de dire le poème en public que j’ai pris cette décision. Mon combat, c’est David contre Goliath. J’ai mis du temps à comprendre ce qui arrivait, maintenant j’ai compris ce qu’ils me reprochaient et je le conteste. La justice, c’est le retour de l’humanité. Il y aura des gens, du monde en face, on ne sera plus dans le flou de l’internet.

Personne ne m’a parlé, et ça, c’est une catastrophe extrêmement contemporaine, c’est terrible. On ne sait pas par où passer. C’est un monde qui s’est retiré, qui est devenu abstrait. On a enlevé les gens, on les a mis dans des codes, des cases. À Pôle Emploi, quelqu’un m’a dit: «Il y a des métiers qu’on n’arrive pas à cadrer», «il n’y a pas de case pour eux». Il y a des gens qui ne comprennent pas que je veuille rentrer dans une case, mais j’en avais une, celle de «poète interprète», qui me donnait à exister socialement. Le droit à l’intermittence, qui permet d’être indemnisé pendant le travail de préparation des spectacles, je ne l’ai pas volé. Et tout d’un coup, à la fin de la partie, ils changent les règles…

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Pas facile d'être un poète aujourd'hui
 

Dans cette société qui se déshumanise, à défaut d’avoir une case, les poètes ont-ils encore une place?

Oui, justement. Plus le monde sera dématérialisé, plus la langue sera dénaturée par les éléments de langage, et plus la poésie sera nécessaire. Elle veille au grain de la langue. Le poème résonne au plus profond de nous, il naît à la source de notre humanité, de notre réalité. C’est peut-être notre seule langue commune, même si on ne la comprend pas toujours. La poésie nous aide à ne pas tomber seul dans nos questions. Elle nous parle. Elle nous réunit, à l’inverse de la langue codée de cette Administration que je ne comprends pas.

De plus, à force de vouloir communiquer, on a affadi la langue et on ne dit plus rien. Au contraire – et je ne parle pas que de moi, cela dépasse mon chemin – je pense que le poème a de beaux jours devant lui, grâce à ces mauvais jours qui s’annoncent justement et qui nous menacent d’encore plus de solitude… Où êtes-vous, qui êtes-vous, pourrions-nous nous dire les uns aux autres. Les uns avec les autres.

Propos recueillis par Chloé Thibaud

En fin de droits, par Yvon Le Men, dessins de Pef,
éditions Bruno Doucey, 80 p., 13 euros.
En librairie le 2 octobre 2014, disponible dès maintenant sur commande.

 

Source : http://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20140730.OBS5061...

 

 

 

 

01/08/2014

Lettre ouverte aux élus, dirigeants, syndicats, philosophes, économistes et tous les autres.

 Par Diana Filippova, Connector OuiShare.  

          

Voici venu le temps des contradictions. Entre les discours sur le travail que vous - élus, dirigeants, syndicats, prétendants au pouvoir - proférez et les preuves objectives, un gouffre s'est creusé. Les tâches les plus variées nous échappent chaque jour au profit des machines, et pourtant vous érigez encore l'emploi en garant de tous nos droits - santé, vieillesse, citoyenneté - et de notre bonheur.

Vous affirmez que le travail est la voie de conquête de notre liberté et de notre indépendance. Nous constatons que les conditions du travail s'améliorent uniquement pour une mince couche de super héros.

Vous expliquez que notre graal est le CDI garanti à vie, adossé à un salaire décent et à un prêt immobilier. Nous cherchons en vain autour de nous les quelques survivants de ce paradis perdu du siècle dernier.

Vous dites que le travail est la clef de notre épanouissement et du vivre-ensemble. Nous ne parvenons pas à trouver le moindre signe de bonheur dans l'enchaînement des tâches répétitives, la pression hiérarchique et l'insécurité psychologique latente.

Vous dégainez la méritocratie et le niveau de diplôme pour justifier des inégalités sur le marché du travail. Nous nous efforçons à trouver une corrélation dans nos vies et celles des autres : sans succès.

Laissez-moi vous le dire crûment : vous ressemblez de plus en plus à des professeurs de morale, qui espèrent cacher la vacuité de leur pensée par l'invocation quotidienne des grands principes de l'humanisme. Aux citoyens, aux employés, au peuple, vous n'avez d'autre vision à offrir que ce plus petit dénominateur que vous avez en commun : la valeur travail.

Une valeur morale au travail ?

Nous ne sommes ni n'avons jamais été dupes de votre rhétorique supposément éthique. Si le peuple a jamais attribué une quelconque valeur morale au travail, c'est qu'il en tirait un profit pécuniaire et des avantages bien réels.

Durant les deux siècles derniers, l'entreprise individuelle et l'emploi salarié ont été deux modalités plutôt efficaces pour franchir quelques barreaux de l'échelle sociale. Nous étions bien conscients, au fond, qu'en signant ce CDI, nous renoncions à une grande partie des fruits de notre travail, mais la promesse des protections sociales diverses et variées suffisait à dissiper nos quelques doutes.

Les femmes avaient beau se plaindre que leur travail domestique en était un et qu'il n'était toujours pas reconnu comme tel malgré sa pénibilité, la grande majorité d'entre nous en avait plutôt pour son compte et ne l'ouvrait pas trop.

L'assimilation que vous faisiez entre travail, effort et emploi salarié nous semblait bien trop rapide, certes, mais tant qu'il y avait un salaire et des perspectives de devenir soi-même boss, on n'ergotait pas trop sur vos erreurs conceptuelles.

Travailler à tout prix

Aujourd'hui, votre discours a perdu le ton enjoué du siècle dernier et s'est teinté d'intonations culpabilisantes, moralisatrices, prescriptrices. Il faut travailler à tout prix, dites-vous, car l'effort mène au salut psychologique et social tandis que l'inactivité condamne notre société à l'assistanat permanent. Vous avez d'ailleurs pris soin de créer une distinction claire entre le bon élève - celui qui travaille même lorsque sa qualification n'a rien à voir avec le poste - et l'outsider-marginal qui doit pointer à Pôle Emploi tous les mois pour percevoir son maigre pécule.

Votre voix devient rauque lorsque vous nous rappelez publiquement que nous devons purger notre dette à l'égard de la société et de l'État - dette originelle dont nous avons hérité dès notre naissance. Vous vous indignez devant les courbes qui ne fléchissent pas et signez des pactes de responsabilité qui vous fournissent une poignée d'éléments de langage exploitables pendant quelques mois. Au fond, vous vous réjouissez de savoir que faire travailler les autres coûte de moins en moins cher tandis que ces autres produisent de plus en plus.

Votre jeu est vieux comme le monde et il est si simple d'y voir clair : la moralisation du travail est - et a toujours été - le meilleur instrument de contrôle physique, psychologique et social des hommes. Vous vantez l'effort dans la tradition judéo-chrétienne : l'effort soigne la paresse, détourne des tentations et enseigne l'humilité. L'érection du plein emploi en objectif millénaire vous permet de rationaliser le déséquilibre des rapports de force entre employeur et employé, tout en fournissant un formalisme juridique à l'aliénation des moyens de production.

L'emploi à repenser

L'étendue du champ couvert par le concept « travail » est ainsi réduite à son expression la plus simpliste : l'emploi comptabilisé par les statistiques nationales. Tout le reste - de la pratique des artistes aux corvées domestiques - n'en fait pas partie puisqu'il ne rentre pas dans l'une des cases prévues par l'INSEE, Pôle Emploi ou le Bureau International du Travail.

Arrêtez votre cinéma, car nous ne croyons plus à vos discours et vous dénions toute autorité morale. Nous avons la mémoire suffisamment longue pour nous méfier de toute prescription sociale qui érige le travail - arbeit, rabota ("travail" en allemand et en russe) - en norme morale universelle. L'emploi salarié s'en est allé et nous avons tout le loisir de repenser par nous-mêmes ce que le travail signifie réellement pour nous, et comment il s'insère dans les modèles de société que nous souhaitons bâtir.

Peut-être avons-nous un seul conseil à vous donner : laissez donc tomber la morale et préoccupez-vous plutôt de l'économie. À force de lui donner tour à tour les rôles les plus variés - du déterminant culturel à l'instrument de cohésion sociale - vous avez oublié son rôle premier de facteur de production.

Or, la valeur purement économique du travail n'a jamais autant stagné, ravivant des inégalités que les sociétés occidentales n'ont pas connues depuis le début du siècle dernier. Aujourd'hui, nous avons besoin de vous pour définir un système satisfaisant de valorisation de notre production. Car si le travail n'est pas notre seul salut, il est encore notre principal gagne-pain.

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Diana Filippova est Connector OuiShare. Cet article est paru dans le numéro 4 de la revue Socialter