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31/08/2017

Ultime message de Christine Singer (1943-2007)

 

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" C'est du fond de mon lit que je vous parle - et si je ne suis pas en mesure de m’adresser à une grande assistance, c'est à... chacun de vous - à chacun de vous, que je parle au creux de l’oreille.
Quelle émotion ! Quelle idée extraordinaire a eue Alain d’utiliser un moyen aussi simple, un téléphone, pour me permettre d’être parmi vous. Merci à lui. Merci à vous, Alain et Evelyne, pour cette longue et profonde amitié - et pour toutes ces années de persévérance.
Des grandes initiatives, comme c'est facile d'en avoir ! Mais être capable de les faire durer - durer - ah, ça c'est une autre aventure ! Maintenant ces quelques mots que je vous adresse.
J’ai toujours partagé tout ce que je vivais ; toute mon oeuvre, toute mon écriture était un partage de mon expérience de vie. Faire de la vie un haut lieu d’expérimentation. Si le secret existe, le privé lui n’a jamais existé ; c'est une invention contemporaine pour échapper à la responsabilité, à la conscience que chaque geste nous engage.
Alors ce dont je veux vous parler c’est tout simplement de ce que je viens de vivre. Ma dernière aventure. Deux mois d’une vertigineuse et assez déchirante descente et traversée. Avec surtout le mystère de la souffrance. J’ai encore beaucoup de peine à en parler de sang froid. Je veux seulement l’évoquer. Parce que c’est cette souffrance qui m’a abrasée, qui m’a rabotée jusqu’à la transparence. Calcinée jusqu’à la dernière cellule. Et c’est peut-être grâce à cela que j’ai été jetée pour finir dans l’inconcevable.
Il y a eu une nuit surtout où j’ai dérivé dans un espace inconnu. Ce qui est bouleversant c’est que quand tout est détruit, quand il n’y a plus rien, mais vraiment plus rien, il n’y a pas la mort et le vide comme on le croirait, pas du tout. Je vous le jure. Quand il n’y a plus rien, il n’y a que l’Amour. Il n’y a plus que l’Amour. Tous les barrages craquent. C’est la noyade, c’est l’immersion. L’amour n’est pas un sentiment. C'est la substance même de la création. Et c’est pour en témoigner finalement que j’en sors parce qu’il faut sortir pour en parler. Comme le nageur qui émerge de l’océan et ruisselle encore de cette eau ! C’est un peu dans cet état d’amphibie que je m’adresse à vous.
On ne peut pas à la fois demeurer dans cet état, dans cette unité où toute séparation est abolie et retourner pour en témoigner parmi ses frères humains. Il faut choisir. Et je crois que, tout de même, ma vocation profonde, tant que je le peux encore - et l’invitation que m’a faite Alain l’a réveillée au plus profond de moi-même, ma vocation profonde est de retourner parmi mes frères humains.
Je croyais jusqu’alors que l’amour était reliance, qu’il nous reliait les uns aux autres. Mais cela va beaucoup plus loin ! Nous n’avons pas même à être reliés : nous sommes à l’intérieur les uns des autres. C’est cela le mystère. C’est cela le plus grand vertige.
Au fond je viens seulement vous apporter cette bonne nouvelle : de l’autre côté du pire t’attend l’Amour. Il n’y a en vérité rien à craindre. Oui, c’est la bonne nouvelle que je vous apporte.
Et puis, il y a autre chose encore. Avec cette capacité d’aimer - qui s’est agrandie vertigineusement - a grandi la capacité d’accueillir l’amour, cet amour que j’ai accueilli, que j’ai recueilli de tous mes proches, de mes amis, de tous les êtres que, depuis une vingtaine d’années, j’accompagne et qui m’accompagnent - parce qu’ils m’ont certainement plus fait grandir que je ne les ai fait grandir. Et subitement toute cette foule amoureuse, toute cette foule d’êtres qui vous portent ! Il faut partir en agonie, il faut être abattu comme un arbre pour libérer autour de soi une puissance d’amour pareille. Une vague. Une vague immense. Tous ont osé aimer, sont entrés dans cette audace d’amour.
En somme, il a fallu que la foudre me frappe pour que tous autour de moi enfin se mettent debout et osent aimer. Debout dans le courage et dans leur beauté. Oser aimer du seul amour qui mérite ce nom et du seul amour dont la mesure soit acceptable : l’amour exagéré. L’amour démesuré. L’amour immodéré.
Alors, amis, entendez ces mots que je vous dis là comme un grand appel à être vivants, à être dans la joie et à aimer immodérément. Tout est mystère.
Ma voix va maintenant lentement se taire à votre oreille ; vous me rencontrerez peut-être ces jours errant dans les couloirs car j’ai de la peine à me séparer de vous. La main sur le cœur, je m’incline devant chacun de vous "

Christiane SINGER

 

28/08/2017

Soutenir un blogueur de Médiapart mis en procès par AREVA

 

En soutien à Jean-Jacques MU, blogueur et éditeur http://www.abceditions.net/, qui passe au tribunal le 12 septembre, attaqué par AREVA, pour avoir exercé son droit à l'expression, voir article ici :
 
AREVA attaque la liberté de la presse en s’en prenant à un blogueur de Médiapart
 

Un lecteur-contributeur de Médiaparti est poursuivi par AREVAii devant la 17° chambre correctionnelle de Paris le 12 septembre 2017 pour avoir relayé une information de notoriété publique. La liberté de la presse est menacéeiii.

1. Un lecteur-contributeur de Médiapart, Jean Jacques M’Uiv, avait relayé fin juillet 2014 une communication politique écologiste de la Coordination antinucléaire du Sud-Est (CAN-SE)v mentionnant la société AREVAvi. La société AREVA s’est constituée partie civile contre lui puis contre les antinucléaires de la CAN-SE. Les abonnés et le journal doivent se mobiliser et soutenir efficacement Jean-Jacques M'U puisque le résultat du procès affectera leur liberté d’expression.

2. Médiapart promeut un média-collaboratifvii avec ses lecteurs-contributeursviii, le partage et la promotion d’une communauté de valeurs attachée à la défense de la liberté de la presse – une branche de la liberté d’opinion et de la liberté d’expressionix. Médiapart a notamment porté le débat des lanceurs d’alertesx, de la « démocratie environnementale »xi et s’applique à dénoncer l’injustice, la corruption, … L’action de Jean-Jacques M'U s’inscrit dans ces principes du journal, les « impératifs catégoriques »xii d’un Etat de droit moderne et démocratique.

Attaquer un blogueur de Médiapart c’est attaquer la liberté de la pressexiii et le journal

3. Un blog est un organe de pressexiv et il a donc la même nature juridique que le journal Médiapart. Quiconque s’attaque à un blog du journal s’attaque donc au journal et aux principes qu’il prétend promouvoir et défendre.

4. S’attaquer au blogueur est un moyen bon marché et rapide de faire de la jurisprudence mobilisable ensuite contre les journalistes (puisqu’un blog est un organe de presse). Les opposants à la liberté d’expression ne peuvent que se féliciter de l’action d’AREVA qui les aide ainsi à progresser dans leur entreprise de décrédibilisation et de musellement de la presse.

5. Un individu isolé n’a pas les ressources d’un groupe de presse. Médiapart ne peut pas ne pas soutenir Jean-Jacques M'U sans provoquer d’interrogations dans la communauté de ses lecteurs contributeurs. La solidaritéxv n’est pas à sens uniquexvi. Une communauté est solidaire ou elle n’est pas. Une condamnation exposera nécessairement à l’avenir tous les contributeurs et le journal.

6. Le journal peut d’autant s’engager aux côtés de Jean-Jacques M'U qu’une argumentation juridique substantielle permet de critiquer la plainte et la validité de la procédure.

L’attaque contre Jean-Jacques M'U est infondée en droit et en fait.

7. C’est un abus de droitxvii dans le sens où AREVA invoque le respect d’un droit personnel pour faire échec à des droits fondamentauxxviii au mépris des informations notoires qui établissent la nocuité de son activitéxix.

8. Le nucléaire est dangereuxxx (pollution des océans et des ressources halieutiques par les barils de déchets radioactifs jetés à la merxxi, catastrophe de Tchernobyl, catastrophe de Fukushima, …). Les pollutions à l’oxyde d’uranium démontrent la dangerosité de ce métal, même en dehors de sa transformation dans le but de produire de l’énergie électrique. Reprocher à un individu de relayer des propos communément connus est manifestement infondé et donc abusif.

AREVA fait grief au principe d’égalité des armes

9. AREVA est souvent mis en cause publiquementxxii et n’a jamais contesté les informationsxxiii ni attaqués la pressexxiv. Il y a une contradiction à ce qu’AREVA acquiesce aux dénonciations publiques et ne s’en prenne qu’à un particulier qui relaye des informations d’intérêt généralxxv. Il y a une discrimination à poursuivre le faible et à s’en abstenir pour le fort. Ce n’est pas courageux et cela établit la disproportion de l’action d’AREVA contre Jean-Jacques M’U.

10. Qu’un grand groupe industriel puissant choisisse de s’en prendre à un particulier isolé plutôt qu’à des organes de presse signale une stratégie qui fait délibérément grief au principe d’égalité des armes et du droit à un procès équitable que l’État a l’obligation positivexxvi  de garantir : « La Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires mais concrets et effectifs » (CEDH Airey 9 octobre 1979)

L’inversion normative caractérise la plainte d’AREVA

11. L’abus de droit à invoquer une norme inférieure pour faire échec à des droits fondamentaux fait grief à la Convention européenne des droits de l’Homme. Les droits de l’Homme sont d’ordre public puisqu’ils sont l’ordre public européen et internationalxxvii.

12. Il y a dès lors inversion normative à invoquer une norme inférieur pour faire échec à des droits fondamentaux et la Cour européenne des droits de l’Homme prohibe les procédures formelles qui ont pour effet de faire échec aux droits de l’Homme.

13. Il y a une erreur juridique à accueillir la plainte d’une entreprise voulant faire prévaloir un droit personnel sur les valeurs fondamentales d’une société démocratique moderne dont le but est de garantir le bien-être généralxxviii. AREVA ne défend pas un intérêt général.

AREVA s’attaque à un défenseur des droits de l’Homme

14. Le droit à un environnement sain est un droit de l’Hommexxix. Il contribue à garantir la dignité humaine, matrice de tous les droits de l’Homme. Jean-Jacques M'U est donc un défenseur des droits de l’Hommexxx. Le droit à un environnement sain est également garanti par la Constitutionxxxi.

15. La plainte d’AREVA ne devrait pas pouvoir prospérer ainsi au mépris de la hiérarchie des normes puisqu’elle vise à faire prévaloir un intérêt particulier au mépris d’un intérêt général, de valeur normative supérieure, garanti par le droit international et le droit constitutionnel.

Le ministère public a une obligation d’impartialitéxxxii et il veille au respect de la loi, conformément au principe de la hiérarchie des normesxxxiii.

16. Jean-Jacques M'U a droit à un procès équitable et l’autorité judiciaire a l’obligation positive de le garantir. Le parquet - comme le PNFxxxiv ou celui de Brestxxxv - doit s’emparer des informations publiées sur le nucléaire et enquêter dessus ; car la pollution, l’atteinte à l’environnement, sont sanctionnées par le droit pénal. Le droit pénal protège ici un droit de l’Homme.

17. La France poursuit et condamne « le fait d'introduire dans l'atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu naturel »xxxvi. Ce comportement criminel – comme la fraude fiscalexxxvii - est par lui-même « terroriste » selon la définition de la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorismexxxviii . La mise en danger de la vie d’autruixxxix et l’empoisonnementxl justifient une enquête.

18. Il y aurait une incohérence grave à voir triompher contre les évidences et la Charte de l’environnement une plainte qui fait grief à un ensemble substantiel de droits fondamentaux, au mépris des obligations positives des institutions à en garantir l’efficacité.

L’État – qui a l’obligation positive de garantir l’effectivité des droits de l’Homme - est le plaignant contre Jean-Jacques M'U !

19. L’État a d’autant plus l’obligation positive de garantir l’effectivité des droits de l’Homme qu’il peut agir directement puisqu’il est propriétairexli de la société AREVA et peut lui ordonner de se désister de la procédure.

20. L’article deux de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyenxlii pose l’obligation aux associations politiques de défendre et de garantir les « droits imprescriptibles » qui s’entendent aujourd’hui comme tous les droits de l’Homme selon l’interprétation évolutive et téléologique des de la Cour européenne des droits de l’Homme.

21. Le président de la République, le gouvernement, la majorité sont des membres d’une « association politique » dont la légitimité de l’autorité ne découle pas du vote. L’élection n’est que le mode de désignation des mandataires à qui le peuple souverain délègue l’exercice du pouvoir. L’autorité tire sa légitimité du respect des règles de la République, de la Loi, dont le but est de garantir le bien-être général et oblige donc à s’opposer aux intérêts particuliers qui veulent y faire échec.

22. La majorité, le gouvernementxliii et le président ont donc logiquement l’obligation d’ordonner à AREVA le retrait de sa plainte; puisque cette plainte fait grief aux droits de l’Homme et qu’en la laissant prospérer ils méprisent le respect du droit qui fonde les institutions et dont ils sont les gardiens. Cette abdication à leur fonction les prive de toute autorité légitime à se maintenir.

23. Les démocrates sincères des associations politiques de l’opposition interpelleront le gouvernement sur sa responsabilité dans le comportement abusif d’AREVA à l’égard de Jean-Jacques M'U au mépris des droits fondamentaux de la Républiquexliv.

24. Ce qui précède suffit à démontrer l’importance à soutenir Jean-Jacques M'U dont l’action s’inscrit pleinement dans les principes de l’appel de Médiapartxlv  :

MediaPart a besoin de vous.

Pour se faire connaître, pour sensibiliser l’opinion, pour animer la discussion.

Chacun constate la crise de la presse, mais tout le monde ne se sent pas concerné.

Chacun se lamente sur l’uniformité de l’information, mais tout le monde ne se sent pas mobilisé.

Chacun s’étonne du manque de pluralisme, mais tout le monde ne se sent pas requis.

C’est ce mur de (relative) indifférence qu’il faut nous aider à abattre.

 

L’appel à manifester le 12 septembre peut être solidaire de Jean-Jacques M'U, qui défend, lui aussi, le respect de droits fondamentaux compromis par des « investisseurs ».

 

Pour soutenir :

Jean-Jacques Masot-Urpi

6, rue du Majou

46300 Gourdon

contact soutien jjmu <contact.soutien.jjmu@gmail.com>

 

NOTES :

i Le site de Jean-Jacques M’U sur Médiapart : https://blogs.mediapart.fr/jjmu

 

Source : https://blogs.mediapart.fr/patrick-cahez/blog/250817/arev...

 

 
Couverture_5__Limpossible_procès_-_page_de_couverture.jpgPour aider, on peut aussi commander notamment (il est éditeur) L'impossible procès du nucléaire - voir ici :

http://www.abceditions.net/nos-parutions/6-nos-parutions/...

MERCI pour lui et pour la liberté de la presse face aux géants comme AREVA !!!
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

11:40 Publié dans AGIR, NUCLEAIRE | Lien permanent | Commentaires (0)

23/08/2017

États-Unis – Nouveaux OGM : armes de destruction massive ?

 

Les nouvelles techniques de modification génétique posent question en termes de sécurité. En décembre 2016, dans son rapport d’évaluation des menaces mondiales, le directeur du Renseignement national étasunien, James R. Clapper, les a classées dans la catégorie « Armes de destruction massive ». Six mois plus tard, en mai 2017, son successeur, Dan Coats, les classe parmi les technologies « émergentes et de rupture  »... et en fait la promotion.

Les techniques de modification génétique (Crispr/Cas9, méganucléases, mutagénèse par oligonucléotides…) ne font pas l’objet que d’attentions commerciales. Vantées comme bon marché et faciles à mettre en œuvre – ce qui reste très relatif –, elles inquiètent tout de même nombre d’institutions impliquées dans la « sécurité ». En France, le Conseil national consultatif sur la biosécurité publiait ainsi en février 2017 un rapport concluant notamment que la biologie de synthèse « pose la question de la possibilité de recréer de novo des microorganismes [et] (...) des virus dont la virulence et la contagiosité pourraient présenter de réels risques pour la sécurité sanitaire des populations » [1]. Aux États-Unis, on s’interroge aussi...

En 2016, les nouvelles techniques de modification génétique sont des armes de destruction massive

En 2016, James R. Clapper est le conseiller du Président des États-Unis, Barack Obama, pour les questions de sécurité nationale. À ce titre, il supervise les différentes agences de renseignement du pays et publie un rapport annuel destiné à la Commission des forces armées du Sénat des États-Unis qui liste les menaces identifiées.
En 2014 et 2015, le rapport annuel ne comporte aucune mention précise des techniques de modification génétique mais, dans l’introduction du paragraphe sur les armes de destruction massive, Clapper explique que « les technologies et matériels biologiques et chimiques [...] pénètrent facilement l’économie globalisée. [...] Les dernières découvertes en sciences de la vie diffusent également globalement et rapidement ».
Un début de réflexion qui aboutira, en 2016, à leur classement explicite comme armes de destruction massive, à l’instar du programme de développement d’armes nucléaires nord-coréen, de l’armement nucléaire chinois ou encore des armes chimiques syriennes et irakiennes. Le rapport précise que « la recherche sur [ces nouvelles techniques] effectuée par des pays ayant des normes réglementaires ou éthiques différentes de celles des pays occidentaux augmente probablement le risque de création d’agents ou de produits biologiques potentiellement dangereux. Compte tenu de la large distribution, du faible coût et du rythme accéléré de développement de cette technologie à double usage, son utilisation délibérée ou non intentionnelle pourrait entraîner des conséquences importantes sur le plan de la sécurité économique et nationale » [2].

En 2017, changement de personne... et de position

À la suite de sa démission fin 2016, James R. Clapper est remplacé en mars 2017 par Dan Coats, ancien sénateur de l’état de l’Indiana. Deux mois plus tard, en mai, le rapport annuel sur les menaces mondiales [3], signé Dan Coats, est rendu public. Et dans ce rapport, les techniques de modification génétique ne sont plus classées dans les armes de destruction massive mais parmi les « technologies émergentes et de rupture ». Et si l’auteur du rapport reconnaît qu’elles posent «  de nouvelles questions éthiques et de sécurité », il leur porte surtout un œil favorable et considère que « le développement des technologies de modification du génome accélère le rythme auquel nous pouvons développer de nouvelles approches pour aborder les défis médicaux, sanitaires, industriels, environnementaux et agricoles et révolutionner la recherche en biologie. Néanmoins, ce rapide développement et le large spectre d’utilisation devraient constituer un défi pour les gouvernements et la communauté scientifique souhaitant développer un cadre réglementaire et éthique ou des normes pour encadrer une utilisation responsable de ces technologies ».

Promouvoir les biotechnologies, Dan Coats sait faire : en mai 2013, avec 25 autres sénateurs, il demandait déjà, dans une lettre aux secrétaires d’État à l’Agriculture et au Commerce d’alors [4] que le gouvernement des États-Unis agissent contre « les barrières commerciales sur les cultures dérivées des biotechnologies qui impactent tant les agriculteurs américains que les consommateurs à l’international pour qui ils travaillent ». Pour lui, « les réglementations asynchrones, les politiques de tolérance zéro et les requis de réautorisation sont parmi les obstacles réglementaires les plus répandus et coûteux ». En clair, des refus de cargaisons étasuniennes à cause d’un OGM non autorisé dans le pays importateur, même à l’état de traces, ne devraient plus avoir lieu comme ce fut le cas en Europe avec le riz LL par exemple ou en Chine avec le maïs Viptera [5].

En novembre 2016, c’est au Président des États-Unis, Barack Obama, que le sénateur écrit [6]. Il souhaite réaffirmer la nécessité de s’assurer que « la Chine maintienne et adhère à un système d’autorisation des produits issus des biotechnologies agricoles basé sur la science ». Cette déclaration intervient dans un contexte où les États-Unis augmentent encore leur pression sur les autres pays pour ouvrir leur marché aux biotechnologies agricoles comme en témoigne la position défendue par le secrétaire d’État au Commerce, Robert Lighthizer [7]. Pour le sénateur, « quand le gouvernement chinois échoue à être transparent, à utiliser la science et à respecter ses délais de décision, cela impacte la capacité des agriculteurs [étasuniens] à avoir accès au marché chinois mais également leurs capacités à utiliser les meilleures technologies agricoles innovantes dans leur champs [aux États-Unis] ».

Considérer ces technologies comme armes de destruction massive ne colle pas avec la vision politique que défend depuis plusieurs années ce nouveau conseiller. Malgré ce « déclassement » plus que discret, le sujet continue de retenir l’attention du monde de la sécurité aux États-Unis. Fin août 2017, un rapport intermédiaire devrait sortir, émanant des Académies de sciences, visant à évaluer le changement de nature des menaces biologiques à l’ère de la biologie de synthèse. Une évaluation destinée à « assister le Programme de défense chimique et biologique du ministère étasunien de la Défense » et pour laquelle une consultation publique est en cours [8]. Inf’OGM rendra compte du contenu de ce rapport intermédiaire.
Mais on peut d’ores et déjà constater que les techniques de modification génétique posent la question d’un risque d’utilisation pour élaborer des armes. La position de Dan Coats suggère que ce risque ne doit pas remettre en question leur développement commercial. Cette confiance aveugle à pouvoir gérer ce risque laisse pantois...

Source : https://www.infogm.org/6317-etats-unis-nouveaux-ogm-armes-destruction-massive

20/08/2017

Gregory Mutombo - Terrorismes...

Les temps actuels, par leur intensité, nous obligent à réaliser de profondes prises de conscience. La principale doit nous conduire à mesurer notre responsabilité dans le déroulement et le contenu du spectacle du monde.

Les temps ne sont plus à commenter avec effroi, stupeur, colère, indignation, résignation ou sentiment d’impuissance ce qui se joue devant nous, comme si cela était séparé ou indépendant de nous, comme complètement coupé de nos scénarios intérieurs. Car, que nous l’assumions ou non, ce qui se joue devant nos yeux est le fruit de nos entrailles. Ce qui se joue devant nos yeux est l’expression manifeste de ce que nous portons et produisons individuellement et collectivement. Ce qui se joue devant nos yeux est la densification terrifiante de toutes les paroles et pensées que nous émettons, si souvent empreintes de dualité, de condamnation, de jugement, de rejet, de peur.

Si nous nous croyons étrangers à l’expression du monde, et particulièrement dans ce que nous lui trouvons de plus vil, de plus obscur, de plus violent, de plus cruel, alors nous perpétuons encore et encore l’idée que le problème vient de l’autre et, par conséquent, que la solution arrivera de l’extérieur. Si nous nous croyons étrangers à l’expression du monde, nous nous privons, de fait, de notre capacité à le faire évoluer par notre implication vibratoire collective. Quel être sur Terre a-t-il retrouvé un jour l’apaisement, lors d’un puissant accès de colère, d’angoisse ou de haine du fait qu’on lui hurle dessus, qu’on le frappe ou qu’on le condamne sans merci ? Aucun. Pourquoi continuons-nous alors à croire que cela sera possible si c’est notre voix qui crie, notre main qui maltraite ou notre conviction qui sanctionne ?

Il n’est plus temps de crier à la conspiration, au complot, plus temps de dénoncer telle prétendue manipulation, de blâmer telle dérive, de regretter tel laxisme, de chercher des explications rationnelles fondées sur l’Histoire, l’équilibre des forces ou de vagues concepts sociologiques. Il n’est plus temps de se perdre en prévisions chaotiques ni, non plus, en une sorte d’espérance infantile en l’installation progressive, comme par enchantement, d’heures plus douces.

Pour l’avoir expérimenté durant de longues années, il m’a été donné de comprendre que personne ne revient sain et sauf de la guerre. Personne. Il ne faut jamais se fier à l’absence de blessures physiques… Une partie de nous meurt toujours sur le champ de bataille. Que ce champ de bataille se situe en Centrafrique, en Afghanistan, dans le centre de Paris ou sur la Côte d’Azur. La partie de nous qui meurt est celle qui portait encore certaines croyances fondées sur les notions de bien ou de mal, sur les notions de bourreau et de victime, de vainqueurs et de vaincus. Chacune de nos intentions belliqueuses ou vengeresses, avant même qu’elle ait pris forme dans la réalité concrète, appelle dans l’immédiateté une contrepartie de même nature, émanant de celui que nous considérons comme notre adversaire. On ne combat jamais que soi-même… Jusqu’à ce que l’on dépose les armes et prenne conscience que, faute de l’un des deux combattants, la guerre s’arrête.

Les temps actuels nous amènent à laisser mourir en nous cette idée que ce qui déchire et meurtrit nos existences est la conséquence exclusive de l’ignorance, de l’obscurantisme, de la haine ou du fondamentalisme caractérisant les autres. Tant que nous ne nous reconnaitrons pas comme co-créateurs – par la peur qui nous étreint, nous enferme et nous voile – de ce qui advient en ce monde, alors nous continuerons d’assister, chaque fois plus sidérés, à la matérialisation du manque d’amour en nous.

Combattre la violence ne demande aucun courage, juste de l’inconscience. Le courage, au sens étymologique du « cœur qui agit », consiste en cette reconnaissance humble que seule la paix véritablement installée en nous peut engendrer un climat de paix autour de nous. Tout ce contre quoi nous luttons se renforce. Mettre toute notre énergie dans la riposte revient à focaliser nos efforts vers la haine et la peur. Si aucune énergie ne vient nourrir en nous l’amour, l’harmonie, la guérison, comment pourrons-nous semer autre chose que le contraire, le déni, le négatif de ce que nous sommes ?

Il est temps que l’Humanité cesse de croire que les solutions à tous ses maux sont dans l’action. Elles sont dans l’être. Quel sera le premier des puissants de ce monde à déposer son armure qui, telle une cible, attire nécessairement à elle des flèches ? Quel sera le premier des puissants de ce monde à, courageusement, manifester par sa vibration et son Verbe, l’Amour qui annihile tout ce qui est moins que lumière, plutôt que de repartir encore une fois en guerre, ainsi que cela se reproduit depuis des éons ? Les « puissants » de ce monde sont toujours à l’image des peuples qui les hissent sur leur trône.

Nous sommes responsables de la façon dont nous regardons le monde. Nos yeux sont le portail de notre âme. De la qualité de notre regard dépend l’élévation ou, au contraire, l’abaissement vibratoire de ce qui est observé. Tant que nous projetterons sur l’autre la somme de toutes nos peurs, nous le maintiendrons sous une cloche de plomb de laquelle il ne pourra s’extraire que par la violence.

L’heure est au passage de l’empathie à la compassion. L’empathie nous fait souffrir de la souffrance du monde, en la faisant grossir. La compassion est cet état qui ne nie en rien la peine ou la douleur ressentie par l’autre mais, parce que le regard porté ne l’enferme ni dans le statut de victime ni dans celui de bourreau, permet une aide véritable et d’initier un processus de libération. Si nous pleurons, par empathie, du fait de la souffrance éprouvée par autrui, nous serons tôt ou tard ceux qui sentiront monter en eux la colère, la violence ou le sentiment d’impuissance du fait de la cruauté manifestée par tel autre. Et les rôles s’inverseront, une fois de plus…

Combien de temps allons-nous perdurer dans ces archaïsmes qui ont mené l’Humanité dans sa posture actuelle ? En vérité, la décision nous revient. Elle est intérieure. Elle est notre responsabilité collective et individuelle d’êtres humains dotés de conscience.

 

    

17/08/2017

Le neveu d’Amérique de Luis Sepúlveda

 

Métailié, mai 2017, parution en poche du livre paru en 1996

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174 pages, 9 €.

 

 

Des notes disséminées, prises au cours d’un voyage, un très long voyage étalé sur des années, voyage intérieur autant que de kms parcourus, qui mena l’auteur d’une des plus infâmes prisons de la dictature chilienne, celle de Temuco, où il passera deux années et demi de sa jeunesse, jusqu’à Martos en Andalousie, village natal de son grand-père anarchiste, exilé lui aussi, afin de tenir une promesse faite à ce dernier. Pour cela, il lui faudra errer à travers une bonne partie de l’Amérique du sud pendant très longtemps. Errance épique avec le poids de cette interdiction de quitter le continent, le poids d’une seule stupide et incompréhensible lettre qui marque son passeport.

 

Une vieille chanson chilienne dit : « Le chemin a deux bouts et aux deux quelqu’un m’attend. » L’ennui c’est que ces deux bouts ne limitent pas un chemin rectiligne, mais tout en courbes, lacets, ornières et détours, qui ne conduisent nulle part.

 

Morceaux d’errance qui rassemblés sur le papier deviennent un récit d’aventures. Sepúlveda est un conteur magnifique qui sait aller au cœur du lecteur, il a ce talent de raconter les paysages et les humains avec autant d’humour que d’amour. Et sur sa route, nombreuses ont été les rencontres fortes, de celles qui ne s’oublient pas et qui lui ont appris l’humanité, celle des autres et la sienne.

 

La Patagonie, région où à partir de 1976 la dictature a commencé à reléguer les prisonniers politiques, tient une place très particulière dans le cœur de Luis Sepúlveda. Il finira par y retourner avec bonheur plus tard, sur les traces de Butch Cassidy et Sundance Kid, en hommage à Bruce Chatwin qui a tiré son chapeau avant qu’ils ne puissent faire ce voyage ensemble, comme ils l’avaient imaginé dans un bar de Barcelone, vu que cela a pris de très nombreuses années avant que Sepúlveda obtienne le droit de revenir au Chili.

 

En Patagonie, pays des extrêmes, tout le monde semble avoir un talent de conteur, qui se révèle entre autre dans un étonnant concours de mensonges.

 

Sur cette terre nous mentons pour être heureux. Mais personne ici ne confond mensonge et duperie.

 

Des rencontres et des amitiés qui donnent la force d’avancer et de préserver envers et contre tout la dignité. Des notes pour arrêter les eaux de l’oubli, titre d’un livre de Taibo I et qui ont voyagé avec l’auteur pendant très longtemps avant de devenir pour le lecteur, un cadeau inestimable.

 

Cathy Garcia

 

 

1003028-prodlibe-luis-sepulveda.jpgLuis Sepúlveda est un écrivain chilien né le 4 octobre 1949 à Ovalle. Son premier roman, Le Vieux qui lisait des romans d’amour, traduit en trente-cinq langues et adapté au grand écran en 2001, lui a apporté une renommée internationale. 1975 : il a vingt-quatre ans lorsque, militant à l’Unité populaire (UIP), il est condamné à vingt-huit ans de prison par un tribunal militaire chilien pour trahison et conspiration. Son avocat, commis d’office, est un lieutenant de l’armée. Il venait de passer deux ans dans une prison pour détenus politiques. Libéré en 1977 grâce à Amnesty International, il voit sa peine commuée en huit ans d’exil en Suède. Il n’ira jamais, s’arrêtant à l’escale argentine du vol. Sepúlveda va arpenter l’Amérique latine : Équateur, Pérou, Colombie, Nicaragua. Il n’abandonne pas la politique : un an avec les Indiens shuars en 1978 pour étudier l’impact des colonisations, engagement aux côté des sandinistes de la Brigade internationale Simon-Bolivar en 1979. Il devient aussi reporter, sans abandonner la création : en Équateur, il fonde une troupe de théâtre dans le cadre de l’Alliance française. Il arrive en Europe, en 1982. Travaille comme journaliste à Hambourg. Ce qui le fait retourner en Amérique du Sud et aller en Afrique. Il vivra ensuite à Paris, puis à Gijon en Espagne. Le militantisme, toujours : entre 1982 et 1987, il mène quelques actions avec Greenpeace. Son œuvre, fortement marquée donc par l'engagement politique et écologique ainsi que par la répression des dictatures des années 70, mêle le goût du voyage et son intérêt pour les peuples premiers.

 

12/08/2017

L’été des noyés de John Burnside

 

traduit de l’anglais (Écosse) par Catherine Richard.

Ed Métailié, mai 2017, parution en poche du roman publié en 2014.

 

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330 pages, 12 euros.

 

 

L’été des noyés démarre comme un thriller, dans une atmosphère déjà très particulière, puisque se déroulant à Kvaløya, une île tout au nord de la Norvège, dans le cercle arctique dont l’été est propice aux insomnies et aux hallucinations, avec son jour quasi permanent - le fameux soleil de minuit. Très vite cependant, l’auteur nous faire basculer nous-mêmes dans un sorte de torpeur, entre rêve et cauchemar. Nous tombons dans la tête de Liv, la narratrice, un peu comme Alice tombe dans le trou en suivant le lapin blanc. Ici le lapin blanc, c’est le lieu lui-même. Cette île coupée du monde, ce nulle part. C’est là que Liv, jeune fille de 18 ans, vit en permanence avec sa mère, Angelika Rossdal, peintre célèbre qui a choisi pour travailler, une vie de recluse dans cette grande maison de bois peinte en gris, au cœur de laquelle son atelier fait figure de sanctuaire. Ce qui ne l’empêche pas de recevoir des journalistes ou un groupe d’admirateurs locaux, les prétendants, comme les appelle Liv, pour un thé chaque samedi. Liv qui vient de terminer sa scolarité, ne semble pas souffrir de cette vie isolée et n’a pas de projets. Elle ne connait pas son père et elle a un seul ami, un vieil homme qui ne vit pas très loin et qui la nourrit d’histoires et de légendes liées à ces lieux, eux-mêmes déjà assez irréels. Il lui parle notamment de la huldra, une créature en réalité plutôt affreuse, apparaissant sous la forme d’une très belle jeune femme vêtue de rouge, qui entraîne les jeunes gens sur des chemins mortels. Aussi quand les premiers noyés sèment le trouble dans la minuscule communauté de l’île, Kyrre le vieil ami de Liv, y voit plus qu’un drame inexpliqué. Et puis il y a Maia, cette fille bizarre, paumée, qui semble liée aux noyades et qui commence à hanter de façon malsaine l’esprit de Liv. Surtout depuis que celle-ci semble avoir noué une relation intime avec Martin Crosbie, un de ces estivants qui louent chaque année la petite hytte - une cabane en bord de grève du vieux Kyrre, pour goûter à l’expérience d’un été arctique loin de tout. Sauf que Martin Crosbie n’est pas un vacancier comme les autres, semble t-il.

 

La particularité de ce roman, outre le sujet et le lieu où il prend place, c’est que l’auteur nous plonge vraiment dans la tête de Liv et que c’est plutôt tortueux là-dedans. La jeune fille tend à ressasser mentalement d’innombrables questionnements, avec une acuité hypertrophiée de sensations entrecoupées d’espaces qui semblent aussi vides que les prairies qui s’étendent à perte de vue, après le jardin et le bois de bouleaux qui entourent la maison. Espaces dans lesquels elle-même bascule, visions et sensations se confondent et une sourde angoisse peut se transformer à tout moment en accès de panique.

 

Il ne faudrait pas trop en révéler, car ce roman est une expérience qu’il faut tenter soi-même. Il se peut qu’on la trouve désagréable ou qu’au contraire on se sente aspiré avec l’impossibilité de s’en arracher. Poétique, halluciné, dérangeant, étouffant même, ce roman est comme un champignon vénéneux que l’on aurait gobé par mégarde.

 

Y’a-t-il vraiment quelque chose de surnaturel dans les disparitions qui s’enchainent ? Serait-ce «  la trouée dans l’étoffe du monde par laquelle ceux qui condamnent les vieilles légendes, ne peuvent éviter de disparaître », qu’ils y croient ou pas ? Où est-ce que nous sommes entrainés par l’imagination exacerbée d’une jeune fille trop solitaire, agitée par le souffle de Bieggaålmaj, l’ancien dieu du vent sami ?

 

« Car ce vent, cet esprit avait une mémoire éternelle, qui dépassait le lieu, le temps et les saisons ».

 

La narratrice n’a jamais quitté cette grande maison perdue, c’est de là qu’elle raconte l’histoire de cet été si particulier, l’été des noyés, qui a probablement déterminé le reste de sa vie. Liv est comme habitée d’une nostalgie d’un monde très ancien, plus ancien que les humains et les légendes seraient « les chemins, sinueux et accidentés, vers cette époque et d’une certaine manière, jonchant ça et là la trame de l’histoire, les souvenirs d’un lieu que nous n’avons jamais vu. »

 

« C’est l’idée d’un inimaginable Avant. » Quand le monde était seulement peuplé d’arbres, de bêtes et d’esprits. Aussi la narratrice, si elle évite de parler de ces choses aux vivants, s’est–elle habituée au fait que dans sa maison, il y ait « des ombres dans les plis de toutes les couvertures, des frémissements imperceptibles dans le moindre verre d’eau ou bol de crème posé sur une table – et, certains jours, de minuscules, presque infimes poches d’apocalypse dans l’étoffe de ce monde, prêtes à crever » et à la surprendre où qu’elle soit.

 

Cathy Garcia

 

 

 

burnside-324.pngJohn Burnside a reçu le Forward Poetry Prizes 2011, principale récompense destinée aux poètes en Grande-Bretagne. John Burnside est né le 19 mars 1955 dans le Fife, en Écosse, où il vit actuellement. Il a étudié au collège des Arts et Technologies de Cambridge. Membre honoraire de l’Université de Dundee, il enseigne aujourd’hui la littérature à l’université de Saint Andrews. Poète reconnu, il a reçu en 2000 le prix Whitbread de poésie. Il est l’auteur des romans La Maison muette, Une vie nulle part, Les Empreintes du diable et d'un récit autobiographique, Un mensonge sur mon père. John Burnside est lauréat de The Petrarca Awards 2011, l'un des plus prestigieux prix littéraire en Allemagne.

 

 

 

05/08/2017

Civilisé de Walter Ruhlmann

 

Urtica, juillet 2017

 

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42 pages, 7 € (port inclus).

 

 

 

La tendreté est un mot de boucher

 

Civilisé est à prendre à rebrousse-poil, car ce terme prend ici une connotation péjorative. Walter Ruhlmann nous livre un recueil sans concession, sombre, parfois brutal et désespéré.

 

J’écrase les mégots dans des tasses de thé,

je sens le gaz souffler à mes narines,

un air marin de pacotille.

 

Éros et Thanatos se livrent à une danse plutôt macabre et c’est Thanatos qui mène. Civilisé fait partie de ces recueils qu’il est bon pour un auteur de cracher, le genre de crachat qu’on balancerait à son reflet dans la glace, un reflet que l’on a du mal à supporter. Éros ici est dénudé de ses rêves et parures, le reflet dans la glace est sans pitié, reste alors le sexe et la mort, et quand même le sexe a un goût trop amer, reste la mort qui nous dévisage. Civilisé, c’est déjà mourir à son être le plus profond, c’est peut-être le trahir. Walter Ruhlmann se dévisage lui-même ici, se débite même, corps tout entier, sucs et tripes. Un regard impitoyable qui englobe ses semblables et dissemblables.

 

Elle navigue en radeau sur des rivières d’éthers,

des lacs de méthadone brûlée,

des ruisseaux de lisiers.

 

Le glauque, l’infâme hantent ces pages, et la mort du père est une blessure qui demeure à vif.

 

Père

j’écris depuis le sac

enfermé comme un chat

prêt à être noyé

 

Le corps se délite et la peur, la douleur, deviennent rage.

 

J’aurais besoin de profondeurs,

De ces abysses incommensurables :

Les trous béants, les failles sans fond,

Les caves ouvertes comme des bouches prêtes à sucer.

 

(…)

Superficie douteuse, superficiel je suis,

les profondeurs me recrachent, elles me vomissent

 

Walter Ruhlmann comme le figure l’illustration de Norman J. Olson en couverture, se livre nu, plus encore, il nous déroule ses entrailles, matière et odeur et comme le hurle le titre du dernier poème « Tu pue sapiens ». Il y a pourtant comme une quête sous-jacente dans ce recueil, une quête de pureté sans avoir besoin de se trahir, pureté que l’auteur va chercher dans un passé mythique personnel où les princes auraient des ailes, mais toute histoire a une chute, tout nous ramène au sol et le sol à la pourriture. Difficile de trouver une rédemption à la condition humaine, le civilisé n’a jamais eu cette innocence originelle où les anges ne salissent pas leurs ailes et où la chair ne serait pas corruptible. Civilisé cherche à tâtons dans le noir, la moiteur, la profusion des corps, sa nature perdue et ce jusqu’à l’excès et la turpitude.

 

J’ai passé tant de nuits à baiser,

sucer des queues tendues,

caresser des peaux ternes, des poils gris

 

(…)

Un hôtel sans limite

le ciel seul comme frontière

 

(…)

Et j’attendais mon tour

le cul dressé à plaire

 

La nature qui elle-même dans ce recueil nous renvoie souvent une image sombre et abjecte.

 

Chacals, vautours, freux, scolopendres

tous viendront goûter à ma viande

 

Civilisé veut dire mentir et c’est de ce mensonge obligé que suppure la haine de soi. Ici les mots deviennent des armes de vérité, pour dire ce qui ne se dit pas, pour dire ce que le civilisé est censé taire.

 

Inspirer la fumée par tous tes orifices,

le cul branché en permanence sur les fourmilières chatoyantes

chatouillé des cuisses à la nuque

anus gonflé par les piqûre d’insectes,

ou par la bite de tes contemporains :

vas te faire enculer.

 

Il y a de la noirceur, de la lucidité et aussi beaucoup de tristesse dans ce recueil.

 

Tu ne détestes rien, tu aimes ce qui vient,

tu n’es qu’un trou de plus

avalant les ruisseaux gras,

goûtant leurs flots infâmes

 

Mais on ne peut s’empêcher de voir au-delà de cette obscurité, car la force qui habite ce recueil est de celle qui sait crever les ténèbres.

 

 

Cathy Garcia

 

 

 

Walter.jpgWalter Ruhlmann enseigne l’anglais. Il a dirigé mgversion2>datura de 1996 à 2017 et les éditions mgv2>publishing de 2008 à 2017. Walter est l’auteur de recueils de poèmes en français et en anglais et a publié des poèmes et des nouvelles dans diverses revues dans le monde entier. Son blog : http://thenightorchid.blogspot.fr. Certains des textes de Civilisé sont parus dans Axolotl, Le capital des mots, Journal de mes paysages, Mes paysages écrits, Libellé, Le livre à disparaître, Microbe, Mots à maux, Nouveaux délits, Traction-Brabant & mgversion2>datura.